Cerveau rouages Une nouvelle approche en psychiatrie se développe, dénommée Research Domain Criteria. Elle repose sur le présupposé selon lequel les maladies mentales seraient des maladies du cerveau. Cette thèse réductionniste ramène la psychiatrie à une neuroscience. Les RDoC sont en principe compatibles avec le pluralisme explicatif. Cependant, le point de vue réductionniste domine et les recherches se cantonnent aux explications biologiques.

C'est ce que note Élodie Gratreau dans ses travaux sur les enjeux épistémologiques du projet des Research Domain Criteria (1) 

Le présupposé réductionniste est double, d’une part ontologique, et d’autre part explicatif, le premier entraînant le second. Des auteurs ont critiqué comme une erreur logique le passage du réductionnisme ontologique réductionnisme explicatif. Il n'y a pas vraiment d'erreur de raisonnement, car le réductionnisme implique une clôture causale du domaine considéré. Il ne peut donc y avoir d'autres types de causes prises en compte par d'autres disciplines.

Le véritable problème vient du déni de l’existence d’un niveau psycho-cognitif chez Homme pouvant jouer un rôle dans les troubles mentaux. Si le support neurobiologique est d’évidence nécessaire, il n'est pas démontré à ce jour qu'il soit suffisant pour expliquer les conduites humaines. L'existence d'un niveau psycho-cognitif et représentationnel est plus probable que l'hypothèse inverse (2). 

Les explications des Research Domain Criteria ne font référence ni à des facteurs psychosociaux, ni à l’évolution des symptômes dans le temps. Pourtant, selon leurs principes, une étiologie pourrait être environnementale. Ces recherches avancent un pluralisme explicatif et un réductionnisme tolérant de façade, mais s’en tiennent à une approche du trouble psychiatrique centrée sur les causes et médiations biologiques.

Pour Élodie Gratreau, c'est dû aux techniques que les RDoC promeuvent et qui sont dédiées au recueil de données biologiques, neurologiques, et comportementales au sens de la mesure objective, ce qui limite la portée d’un éventuel pluralisme. Cela n’est pas sans conséquence sur les soins : si le sens tel qu’il est vécu subjectivement n’importe plus, car ne s’insérant pas dans la matrice, alors l’approche thérapeutique devient centralement une affaire de remédiation cognitive et de traitements biologiques, avec un recul de l’approche psychothérapeutique.

On retrouve à peu près les mêmes principes dans ce que l’on nomme la psychiatrie « de précision ». Son ambition est de singulariser au maximum la connaissance des maladies afin d’y remédier au mieux. Cette psychiatrie veut rassembler les développements scientifiques destinés à améliorer la compréhension et le soin clinique des maladies à partir d’une prise en compte des spécificités individuelles.

L'intention semble bonne, mais se heurte au fait que toutes les conduites pathologiques étudiées par la psychiatrie ne sont pas des maladies. En vérité, le cadre de cette psychiatrie est réductionniste et elle tend à calquer la psychiatrie sur certains standards de la médecine somatique, ceux de l’Evidence Based Medicine. La psychiatrie de précision repose sur quatre grandes lignes directrices : une utilisation systématique des calculs statistiques, un appui constant sur des bases de données massives, un ancrage nécessaire dans un substrat biologique et un recours au cognitivisme.

Depuis 40 ans le réductionnisme biologisant gagne du terrain en psychiatrie. Le pluralisme est pourtant d’évidence plus pertinent. Pourquoi ne pas rapporter au neurobiologique ce qui lui revient de droit, au psycho-cognitif ce qui en dépend, et attribuer au social les effets qu'il provoque chez les humains ? Le problème n'est absolument pas la recherche biologique en psychiatrie, qui est parfaitement fondée et légitime. C'est de l'étendre inconsidérément à la psychiatrie en général. Celle-ci, tout au contraire, se doit d'agréger les divers types de recherches utiles à comprendre l'humain et la pathologie psychique.

1 Gratreau Elodie, Intrication des techniques et des enjeux épistémologiques au sein du projet des Research Domain Criteria. Cahiers François Viète, III-15 | 2023.
2 Juignet, Patrick. Ontologie du cognitif. Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/ontologie-cognitif.