On a qualifié de « grands récits » les vastes narrations portant sur l'Homme, la société et le monde en général largement partagées au sein d'une culture. Les mythes traditionnels, qui nous parlent des origines du monde, de son devenir, de la place de l’Homme, sont des grands récits. Ce sont des fictions, car leur référent réel est douteux. Les récits mythiques historico-métaphysiques constituent le contenu des religions du livre (Bible, Coran). Ils entraînent une adhésion croyante qu’il est généralement difficile de remettre en cause.
La philosophie peut proposer des récits qui diffèrent des mythes : des « récits philosophiques ». Comme le mythe traditionnel, un tel récit donnera du sens au monde, mais il ne sera pas gouverné par l’imaginaire ou par des structures narratives qui en détermineraient le contenu.
Appuyé sur un savoir reconnu qui lui assure un référent solide, un récit philosophique s'efforcera à une synthèse cohérente qui a du sens. Ce récit donnera forme aux événements connus de l'Univers dans une histoire sans téléologie, ni théologie, ni mystère métaphysique. Il proposera une version cohérente et réaliste, éventuellement porteuse d'une éthique, et ainsi participera à la culture dont l'Homme et la société ont besoin. La philosophie offre de cette façon une médiation entre la vision scientifique du Monde et la vision spontanée que nous avons.
Les sciences proposent aussi des conceptions du monde qui dépassent leur champ propre, des récits scientifiques. Il faut distinguer les récits internes à la science et les récits externes largement divulgués. Les premiers, constate Thomas Kuhn, s'intègrent aux paradigmes de la science. Ils soutiennent et orientent la recherche scientifique, lui donnent une place sociale et culturelle, cimentent le groupe des chercheurs.
La vulgarisation du savoir scientifique s'intègre aux récits philosophiques dont nous venons de parler. Un grand récit philosophico-scientifique donne du sens au monde de façon rationnelle.
Au sein des cultures, il y a des relations conflictuelles récurrentes entre les récits philosophiques issus des sciences et les récits traditionnels idéologiques, mythiques et religieux. L’affaire Galilée en est un exemple caractéristique. Galilée ne s'est pas contenté de proposer une hypothèse théorique, il a publié un récit cosmologique en langue vulgaire, contredisant la Bible, ce qui a occasionné un conflit.
À côté des grands récits, on peut distinguer des « petits récits », qui sont de simples propositions pratiques. Une partie de la philosophie se veut sagesse. Les manières d’arriver à la sérénité et les diverses voies choisies peuvent susciter de récits qui exposent une vision du cosmos liée à une manière de vivre jugée bonne au vu du contexte politique, sociétal et environnemental. L'épicurisme, le stoïcisme, le taoïsme, en donnent des exemples.