Une tradition médicale européenne méconnue proposait de ramener à la vie des asphyxiés en soufflant dans le derrière dès la fin du XVe siècle. Cette pratique, rarement mentionnée dans la littérature savante avant le XVIIIe siècle, ne prit une réelle importance que dans le second tiers de ce siècle, lorsque la réanimation des noyés devint un véritable enjeu pour les Lumières – jusque-là, on ne pensait guère à réanimer !
Les savants innovèrent en changeant l’injection d’air par l’injection de fumée de tabac : l’idée n’était pas d’injecter de l’oxygène, celui-ci, et la chimie de la respiration, ne furent découverts que dans les années 1770. Sous cette forme tabagique, l’insufflation anale fut jusqu’au milieu du XIXe siècle la pratique phare de la réanimation médicale, avant de disparaître, sans réelle explication[1].
Il est possible de mettre en évidence un faisceau de facteurs qui concourut au développement de la réanimation. De nouveaux systèmes médicaux (notamment le mécanisme) ont rejoint au cours du XVIIe siècle une évolution de la vision de la mort, non plus perçue comme un décret divin, mais comme une chose naturelle – donc sur laquelle il devenait possible d’agir.
Parallèlement, les savants protestants ont développé une sorte de fascination médicale pour le corps susceptible de revenir à la vie : il s’agissait là d’une conséquence du changement de religion. Le luthéranisme avait essentiellement retiré la possibilité d’agir sur le cadavre, désormais dépourvu de l’appareil rituel catholique (comme prier pour l’âme). Ce corps est devenu au XVIIe siècle un nouvel espace investi par les médecins, les poussant à compiler et à interroger les « observations » plus ou moins légendaires de personnes spontanément revenues à la vie.
L’émergence des valeurs des Lumières, et en premier lieu la primauté de l’utilité de la science finit d’apporter à la réanimation, au XVIIIe siècle, une pertinence nouvelle qui lui permit de se développer véritablement en tant que champ médical de premier ordre. Mais à la question de savoir d’où vint l’idée de souffler de la fumée de tabac dans le derrière comme meilleure pratique réanimatoire, la réponse est plus complexe.
Pour en savoir plus : Obstacles et apports culturels en médecine. L'évolution de la réanimation.
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