Publication : François Rastier, L’IA m’a tué. Comprendre un monde post-humain, Paris, Intervalles, 2025.

L’IA m’a tué de François Rastier offre une critique perspicace et un brin provocante de l'Intelligence Artificielle générative et de ses implications politiques, culturelles et sociétales.

S’appuyant sur des références philosophiques et historiques éclairantes, et retraçant les origines idéologiques et techniques de l’IA, l’auteur y démontre avec efficacité les dangers des illusions technologiques et de l’effacement progressif de l’humain face à des outils qui prétendent le dépasser. L’ouvrage s’attaque ainsi au fantasme transhumaniste (quête d’immortalité, transcendance, fusion cerveau-IA…) soulignant l’irresponsabilité des discours messianiques qui accompagnent ces innovations technologiques et ces avatars numériques, supposés capables de « penser » ou de « vivre ». L’auteur compare ces visions à des mythes anciens, comme ceux des doubles artificiels ou des Golems, tout en mettant en garde contre leur potentiel aliénant. Il appelle ainsi à notre vigilance collective et met en garde contre une « mort symbolique » de l’humain face à la montée des technologies de l’IA. Ces innovations marquent selon lui une rupture anthropologique majeure en influençant les sciences, les arts et la vie quotidienne et en imposant une redéfinition des relations humaines. Elles menacent ainsi de désymboliser la culture, en affaiblissant les institutions qui structurent les sociétés, et en imposant une codification universelle standardisée, dictée par des algorithmes. 

Selon Rastier, cette crise du symbolique découle directement des pratiques de collecte et d’utilisation des données par l’IA. En réduisant les textes et les œuvres culturelles à de simples chaînes de caractères, l’IA les uniformise, appauvrissant ainsi leur complexité, leur richesse interprétative et leur portée historique. Dans une logique où « tout se vaut », ces systèmes, entraînés sur des corpus biaisés, hétérogènes et mal supervisés, mélangent sources fiables et contenus douteux. Par ailleurs, en générant des textes à une échelle massive, l’IA intègre ses propres productions dans ses corpus d’apprentissage. Ce mécanisme autoréférentiel, décrypté par Rastier, favorise la prolifération de contenus inauthentiques qui se renforcent mutuellement, au détriment des textes humains véritables, pourvus d’un auteur et d’une intentionnalité, et s’inscrivant dans une pratique sociale contextualisée.

Explorant les dynamiques industrielles et économiques dominées par les grandes entreprises technologiques, Rastier appelle à une régulation urgente pour préserver les libertés individuelles. L’auteur relie la surestimation délibérée des capacités de l’IA et la fétichisation de la technologie, souvent perçue comme quasi-magique, à la surveillance de masse et à une stratégie visant à détourner l’attention des enjeux fondamentaux, tels que la crise climatique, la pauvreté et les inégalités sociales.

Dépassant les clivages entre technophiles et technophobes, l'ouvrage soulève ainsi des questions cruciales sur l'avenir de la vérité, de l'authenticité et de l'identité à l'ère de l'IA. Il constitue une contribution précieuse à la réflexion sur le rôle et l'impact de l'intelligence artificielle sur divers aspects de la société, de la culture et des individus, tout en mettant en lumière les conséquences philosophiques et éthiques de son développement. L’auteur appelle à une résistance intellectuelle et culturelle pour protéger la diversité des langues et des cultures face à l’hégémonie des technologies d’IA, et pour sauvegarder notre capacité à produire et interpréter des textes porteurs de sens.

Éditions Intervalles :
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