L’importance de la théorie des ensembles dépasse la seule mathématique pour embrasser également la logique - et donc, le raisonnement philosophique. Dans cette théorie, l’axiome de compréhension restreinte implique un présupposé qui a un effet sur les raisonnements philosophiques s’appuyant sur la théorie des ensembles. La théorie de Cantor constitue le socle de l'édifice mathématique tel qu'il a été rebâti par Russell et Whitehead. Cependant, un écueil l'a un moment mise en échec : le paradoxe de Russell. Il découle de la question suivante : l'ensemble des ensembles n'appartenant pas à eux-mêmes appartient-il à lui-même ?
Pour dépasser le paradoxe de Russell, il faut être plus restrictif que Cantor dans la façon de construire un ensemble et en restreindre la compréhension. Une nouvelle axiomatique va émerger : ce sera l’axiomatisation ZF, pour Zermelo-Fraenkel, que la postérité retiendra sous le terme de théorie ZFC, car on y associe l'axiome du choix.
D'où vient le problème ? De la possibilité utile et intéressante de caractériser des ensembles via une propriété que vérifient leurs éléments comme Cantor l'a proposé. Mais alors, on peut définir un ensemble étrange : l'ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes, ce qui constitue un paradoxe. L'ensemble V de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes laisse perplexe et menace la théorie entière.
Une solution a été trouvée, il suffit de restreindre la logique à l'œuvre, d'où le terme utilisé de compréhension « restreinte » ou mieux de « schéma d'axiomes de compréhension restreinte ». Il pose que pour toute formule appartenant à la théorie des ensembles, on a le droit de construire le sous-ensemble correspondant.
Pourquoi imposer cette règle du sous-ensemble ? Pour éviter le paradoxe issu de l'ensemble formé par tout ce qui vérifie une certaine propriété, lorsque celle-ci consiste à ne pas se contenir ! Voyons comment :
Notre axiome restreint de compréhension nous permet de former le couple d'ensemble A ={x} et V={x∈A,x∉x}
On peut dire que V∈V, mais ceci implique V∈A et V∉V. Il s'ensuit V∈A et on retombe sur le paradoxe. Mais la possibilité de poser V∉A résout le problème. Quel que soit l'ensemble A, il y a un sous-ensemble V qui existe, mais qui n'est pas dans A d'après l'axiome de compréhension restreinte.
L’axiome de compréhension restreinte implique un présupposé ontologique fort qui a une implication importante sur les raisonnements s’appuyant sur la théorie des ensembles ainsi remaniée. Il s'agit de dire que toute chose est pensée en tant qu'elle est élément d'autre chose - en l'occurrence d'un ensemble de départ. Si l'on veut penser l'identité en dehors de l'appartenance, c'est un problème, voire un obstacle. En effet, la possibilité de caractériser un ensemble à partir d'une propriété de ses éléments n'est possible que si l'élément est pris dans un ensemble de départ.
- on a : B = {x ∈ A | P x} La contrainte est que x appartienne A.
Alain Badiou soutient la thèse que l'ontologie (théorie de l'être) est plus spécifiquement exprimée par la théorie des ensembles. Par contre, dans Le nombre et les nombres, il prend une position critique par rapport aux nombres et à leur règne despotique dans la société moderne. À juste titre, quand on voit l'utilisation de plus en plus massive des données chiffrées et leur traitement automatique par des algorithmes définis selon des critères discutables. Mais, d'un autre côté, appliquer aux individus humains la théorie des ensembles, c'est ramener leur identité à l'appartenance à un ensemble ce qui est également discutable.
Dès que l'on projette la mathématique dans le monde des Hommes, ou dans celui des étants, des choses et de la substance, de nombreux problèmes surgissent.
Voir l'article complet de Mehyaoui Selma. La théorie des ensembles et son interprétation ontologique