Le concept de socle épistémique permet d'identifier un ensemble de traits permettant de caractériser, à une époque donnée, une connaissance scientifique. C'est une manière de décrire le paradigme sur lequel elle repose. Concernant un domaine scientifique, on peut le caractériser par :
- les grands principes qui le guident
- la conception ontologique de base
- le référent et l'objet de la connaissance
- la gnoséologie (la manière de connaître, les choix théoriques)
- la méthode organisant l'expérience
- le récit qui en découle
Voyons-les successivement.
Les grands principes sont des idées qui conditionnent la démarche de connaissance, comme le déterminisme, l'absence d'interventions surnaturelles, l'idée de causalité, la rationalité et sa forme logique, etc.
L'ontologie exprime les présupposés concernant le réel. Les présupposés ontologiques sont premiers, au sens où ils influent sur l'ensemble, mais ils sont souvent transmis implicitement comme des évidences.
Le référent est le point de départ d'une connaissance scientifique. C'est la partie de la réalité abordée grâce à une méthode nouvelle et pertinente. Le référent est un ensemble de faits empiriquement attestés grâce à une conception nouvelle dont la communauté scientifique admet la pertinence.
Il se transforme en objet de science lorsque la connaissance se développe lors des activités de recherche. L'objet constitue le cœur de la recherche et sa spécificité. Gaston Bachelard considère à juste titre que l'objet d'une science est construit (et même reconstruit plusieurs fois au cours des évolutions scientifiques). Un même référent peut donner lieu à plusieurs objets de recherche au fil du temps.
Les principes gnoséologiques règlent le raisonnement et guident la manière de théoriser. Ils indiquent si l’on doit penser de manière causale ou légaliste, de manière analytique ou synthétique, si l’on doit utiliser la logique ou les mathématiques, etc. Ils sont plus généraux que les lois scientifiques, leur formalisation et les procédés heuristiques reconnus dont ils contribuent à guider l'élaboration. Puis, vient la description du type de théorie au sens précis et rigoureux du terme (les théories varient selon leur forme et leur degré de formalisation).
La méthode (au sens empirique) concerne l'ensemble des pratiques. Il s'agit des procédures et des techniques qui encadrent l’expérience et produisent les faits scientifiques. Les procédures ont pour but de donner une objectivité aux faits. Dans l'idéal, la méthode fait surgir des faits assurés, collectivement contrôlables, potentiellement reproductibles et les relie de manière univoque à la théorie de façon à pouvoir la tester empiriquement. La méthode ou pragmatique se définit par l'ensemble des pratiques régulées qui font l'objet d'un apprentissage au sein de la communauté scientifique. Elle concerne la mise au point de dispositifs et protocoles expérimentaux, mais aussi des apprentissages perceptifs, gestuels et techniques.
Les sciences contribuent à un récit philosophique, une conception cohérente du monde, qui les dépasse sans pour autant être métaphysique. Cette synthèse découle des connaissances, mais, en même temps, fait retour pour les unifier. Cela correspond à ce que Thomas Kuhn a identifié comme « la conception et les croyances sur le monde » présentes dans un champ disciplinaire.