Revue philosophique

Les personnalités hystériques

 

En psychopathologie, le terme hystérie est controversé et incertain. Il est associé le plus souvent à des manifestations théâtrales ou à des crises émotionnelles à expression corporelle prédominante. Toutefois, il est aussi utilisé, de manière plus précise et plus utile, pour désigner une forme de personnalité. C’est l'option qui est retenue ici.

 

Pour citer cet article :

JUIGNET, Patrick, Les personnalités hystériques. Philosophie, science et société. 2020. https://philosciences.com/hysterie.

 

Plan :


  1. Une brève histoire de l’hystérie
  2. L'hystérie dans l’enfance
  3. La clinique de l'adulte
  4. L’évolution de la personnalité hystérique
  5. Théorisation psychopathologique de l'hystérie
  6. Le diagnostic différentiel

 

Texte intégral :

1. Une brève histoire de l’hystérie

L'hystérie a suivi l’évolution concernant les névroses conçues au XIXe siècle comme une affection des nerfs (au sens neurologique), affection localisée ou généralisée, à celui d'un trouble psychologique global.

Au XIXe siècle, Paul Bricquet a proposé une classification des névroses qui n'a pas grand-chose à voir avec ce qui est considéré comme tel aujourd'hui. Le neurologue Martin Charcot a suivi les principes généraux de Paul Bricquet, mais il a apporté du nouveau concernant l'hystérie. Il a proposé de ramener les symptômes hystériques à un dysfonctionnement nerveux particulier, auquel il a donné le nom de « lésion dynamique », c'est-à-dire fonctionnelle, sans atteinte du substrat nerveux. On est à l'époque de la médecine étiologique, autrement dit qui exige d'indiquer la cause des maladies. C'est la brèche dans laquelle va s’engouffrer Sigmund Freud.

Un tournant est pris à la fin du XIXe siècle lorsque Sigmund Freud, s'interrogeant sur la « lésion dynamique » de Jean-Martin Charcot, montre qu'elle est de l'ordre de la représentation et non de l'ordre d'un dysfonctionnement neurophysiologique. Mais, il ne s'arrête pas là, car, recherchant l'origine de ces représentations pathogènes, il tombe sur des événements traumatiques dont il suppose qu'ils restent mémorisés sous forme de représentations et d'affects. C'est le début de la prise en compte du psychisme dans l'hystérie et dans les névroses en général.

À partir du milieu du XXe siècle, le psychisme sera conçu comme un ensemble organisé, une structure (dite structure de la personnalité). On considère à ce moment-là qu'il existe deux structures stables (psychotique et névrotique) et que les organisations intermédiaires (états-limites) sont moins durables. Il est alors admis de lier l'hystérie à la structure de la personnalité névrotique. Depuis, les choses se sont complexifiées, cependant, on peut admettre qu'il est justifié de relier la clinique de l'hystérie à une personnalité névrotique.

Nous nous situons dans le courant de la psychopathologie dynamique et employons le terme « personnalité » pour catégoriser les formes d’organisations psychiques.

Note : Pour plus d'explications à ce sujet, on se référera aux articles : Méthode diagnostique en psychopathologie et Le concept de personnalité en psychopathologie (lien en fin d'article).

2. L'hystérie dans l’enfance

Les manifestations d’une orientation hystérique de la construction de la personnalité peuvent apparaître dès quatre ou cinq ans. Le caractère se modifie. L’enfant montre une suggestibilité, une tendance trop prononcée à l’imitation avec des changements de modèle rapides.

Chez la fille apparaissent une coquetterie excessive, des attitudes de séduction envers les adultes. La famille est structurée et ne présente pas de caractéristiques foncièrement pathogènes. On note un lien privilégié entre le père et la fille, mais aussi un manque affectif que l'enfant cherche à combler.

Les symptômes pouvant attirer l'attention sont divers.

Ce sont principalement des somatisations comme une aphonie, une paralysie, des troubles sensoriels. L'expression par des somatisations étant fréquentes chez l'enfant, il n'y a là rien de caractéristique.

Ce peut être un mutisme qui peut être complet (intrafamilial et extra familial). L’enfant a une propension à faire des crises d'opposition bruyantes qualifiées de caprices ou crises de nerfs par l'entourage. L'insertion sociale et scolaire devient moins bonne : inhibition, inefficacité dans les apprentissages, difficultés d’attention, rêverie.

Souvent, ces manifestations font suite à un événement déclenchant : problèmes à l'école, conflit familial, maladie somatique, problème dans l’entourage.

À l’adolescence, les troubles s’accentuent et le tableau clinique devient proche de celui de l’adulte.

3. La clinique de l'adulte

Le caractère

Le théâtralisme est caractéristique. Il reste modéré et n'est jamais caricatural ni désadapté, car la personne reste en contact avec la réalité sociale. 

Par ce théâtralisme, les événements sont dramatisés, les propos sont amplifiés, les attitudes et les émotions sont exagérées. La personne hystérique se met en scène, elle est à la mode, habillée de manière à attirer l’attention et à ne pas passer inaperçu ; elle peut prendre des postures ou adopter des opinions provocatrices pour attirer l'attention.

Cet ensemble d'attitudes n'est pas ridicule, car l'hystérique a une bonne perception des codes sociaux et cette hyper-expressivité a une finalité qui est d'interpeller les autres.

La vie imaginaire imprègne la réalité concrète et sociale. L’hystérique modifie, enjolive, afin de rendre sa vie plus excitante. Elle aime lire des romans, regarder des films, pour vivre plus intensément. Il y a toujours une avidité affective, une demande exagérée vis-à-vis des autres, qui entraîne des attitudes de séduction, une recherche du prestige, le besoin d’être la vedette.

On rencontre deux inflexions possibles dans le caractère hystérique : parfois, des caractères faibles, suggestibles, influençables, et donc versatiles dans leurs opinions leurs choix. Parfois, il y a une forte affirmation de soi, une assurance, parfois un autoritarisme. Cette forme clinique affirmée s’accompagne chez les femmes de tendances masculines et d’agressivité envers les hommes.

Les conduites

Les conquêtes amoureuses débutées dans l’enthousiasme ne sont jamais satisfaisantes. L’élu est vite rejeté, car il est décevant, ses mauvais côtés apparaissent vite, il ne procure par la satisfaction sexuelle escomptée.

Les hystériques évitent le plus souvent le contact sexuel qui n’est pas très satisfaisant, d’où la rupture lorsque la séduction débouche sur une relation. L’hystérique a une frigidité relative et préfère la masturbation rêveuse aux relations sexuelles. Toutefois, cela n’est pas systématique et certains, surtout de sexe masculin, ont une vie sexuelle bien remplie.

La personne hystérique a peu d’intérêt pour le résultat, l’essentiel étant dans l’apparence, le beau geste, le fait d’être à son avantage. Elle préfère se réfugier dans la vie imaginaire plutôt que de se confronter aux contraintes de la réalité. Elle est donc en général peu efficace.

Remarquons enfin, et ce n’est pas la moindre des caractéristiques cliniques, la plasticité de la personne, son adaptation à ce qui est attendu d'elle. Cette plasticité donne des conduites toutes différentes de celles que l’on s’attendrait à trouver. Pour plaire, l'hystérique peut prendre des attitudes qui lui sont étrangères (devenir efficace, se sentir féru d’ordre, être actif sexuellement). Un certain nombre de conduites sont donc, en apparence, hétérogènes au tableau clinique, mais en vérité s’y intègrent pleinement, car elles signent la plasticité de la personnalité.

Les conversions

Les somatisations sont appelées « conversion » depuis Freud (1895) pour signaler que le problème psychique se « convertit » dans le somatique. Les conversions somatiques ne sont pas présentes chez toutes les personnalités hystériques. Les manifestations de ce type sont diverses. Ce peut être la paralysie d’un membre, l’impossibilité se tenir debout (astasie, abasie), l’incapacité de parler (aphonie). Parfois, le sujet présente une insensibilité partielle ou totale, des sensations bizarres (fourmillements, brûlures), des douleurs variées, des céphalées.

La personne peut souffrir de contractures, de crampes, de troubles sensoriels le plus souvent visuels (vision floue, dédoublement, rétrécissement du champ). Il peut exister des troubles viscéraux tels des spasmes bronchiques, digestifs ou urinaires. On rencontre fréquemment des crises de tétanie avec contractures, fourmillements, crampes, tachycardie, oppressions respiratoires, des états seconds, un refus de la communication. Lorsqu’ils ressemblent à des troubles somatiques connus, ils sont cliniquement paradoxaux.

Ce sont des troubles corporels, au sens où ils viennent directement du schéma corporel et de l’imaginaire du corps. Le mode d’installation de ces symptômes est caractéristique. Le début est brusque et ils s’accompagnent d’une « belle indifférence » : il y a une plainte de circonstance et le trouble est bien toléré malgré son caractère invalidant. Les symptômes ont une valeur expressive, on peut leur trouver un sens même s’il est flou, vague et incertain. Ils sont en rapport avec l’époque et la culture. Les aspects somatiques sont des troubles purement fonctionnels, c’est-à-dire réversibles. Ils ne s’autonomisent pas en syndromes physiopathologiques ou en maladies somatiques avérées (voir l'article : Les manifestations psychosomatiques).

4. L’évolution de la personnalité hystérique

La personnalité hystérique se dessine dans l'enfance, mais ne prend sa forme définitive qu'après l'adolescence.

Au fil du temps, les désagréments de la vie relationnelle provoquent, chez l’hystérique, des épisodes dépressifs. La dépression entraîne parfois des tentatives de suicide de gravité variable, mais en général faible. L'acte suicidaire représente une décharge des tensions accumulées et par là, il se rapproche des « crises ». La tentative de suicide se situe aussi dans le théâtralisme et comporte une demande affective. C'est un appel pour remanier le champ relationnel.

Avec l'âge, les procédés d'interpellation et de séduction ne fonctionnent plus. Il est alors fréquent de voir des syndromes dépressifs chroniques, traînants et récidivants qui entrainent une alcoolisation compensatoire. L'hystérique change de style et s’installe dans la dépendance et la plainte. Il y a une accentuation des plaintes à caractère somatique qui prennent une allure plus hypocondriaque et s'accompagnent d'exigences de prise en charge médicale inadaptées.

5. Théorisation psychopathologique de l'hystérie

La personnalité hystérique fait partie de la sphère névrotique. Cela implique que l'évolution et la psychogenèse se soient bien passées jusqu'au moment de la troisième structuration, celle débouchant sur le conflit œdipien. L’hystérique a une organisation du désir marquée par la position phallique et la recherche d’équivalents œdipiens. La psychogenèse explique pourquoi l’hystérie est majoritairement féminine.

Le blocage œdipien

Dans la configuration familiale typique, il s’agit d’une fille qui n'a pas été assez aimée. On remarque un manque de tendresse paternelle qui laisse un regret important, et une nette insuffisance d’amour maternel entraînant des difficultés d’identification à la mère. Ces circonstances associées à la dynamique personnelle du sujet laissent supposer à la fille qu’une conquête du père est possible. Il s’ensuit des échecs et une déception permanente par rapport aux hommes, car ils ne sont jamais à la hauteur de l’objet amoureux, marqué par l’image du père idéalisé.

Dans ces conditions, le désir sexuel évoque une satisfaction incestueuse interdite. « L’insatisfaction » sexuelle, fréquente chez l’hystérique, réalise donc un compromis entre le désir et l'interdit. La quête de l’hystérique porte avant tout sur la recherche de l’amour. Elle veut être aimée d’un autre parfait, qui renvoie une image parentale idéalisée. Elle recherche obstinément l’amour de l’autre en tant que figure parentale perdue.

Les tendances régressives

La régression phallique peut prendre deux tournures très différentes. Soit une revendication phallique entraînant une identification masculine et une agressivité envers les hommes. Soit un renoncement et un refuge dans le prégénital qui donne les allures de petite fille aguicheuse. La sexualité manifeste une oscillation entre le phallique et le génital. Malgré les apparences (coquetterie, séduction, tenues sexy), l’hystérique ne prend pas un rôle féminin. Il persiste un regret partiel et inconscient de la possession du phallus qui suscite moins le désir que la haine et l’envie.

Dans la structure fantasmatique organisatrice des pulsions, la représentation du phallus existe, mais elle n’est pas liée à celle de l’homme et le corps féminin n’est pas situé comme son objet corrélatif. L’objet sexuel, bien que global (corps sexué), garde un caractère « partiel », car l’autre reste en partie absent. Concrètement, cela se traduit par le choix de référent représentant l’homme sans phallus (n’ayant pas le droit ou la possibilité de s’en servir tel prêtre, médecin, professeur) ou bien par la séquence bien connue séduction sans conclusion sexuelle (permettant d’éviter le phallus masculin) ou encore par des relations sexuelles prenant une tournure de captation phallique (attitude donnant l’impression de s’approprier le phallus du partenaire ou aboutissant au fiasco du partenaire masculin).

Il existe assez souvent des tendances orales infiltrant la personnalité, mais elle ne constitue pas une régression caractéristique. Le manque d’affection maternelle qui favorise le problème œdipien a pu se faire sentir précocement, si bien qu’il reste des traces sous forme de recherches compensatoires (besoin de contact, de toucher, d’agripper, d’avoir des câlins, etc.). Une insuffisance partielle du « holding » maternel fait souvent le lit de l’évolution hystérique.

La faiblesse narcissique

On sait que la résolution du conflit œdipien apporte une stabilisation narcissique en donnant une identification stable et valorisée. Chez l’hystérique, les identifications sont labiles, car la fille n’a pu utiliser le modèle maternel. L’hystérique a donc un soi (au sens de l'instance identitaire) qui est mal stabilisé. Le narcissisme secondaire fragile, entraîne diverses manifestations de réassurances et, tout particulièrement, une survalorisation phallique qui, chez la fille, se déplace sur l’ensemble du corps.

Si l’on considère le mouvement pulsionnel par lequel, c'est la personne elle-même qui est visé, cela donne une tendance que l’on peut qualifier d’« homoérotique ». L’investissement excessif du corps est autant libidinal que narcissique. Le déplacement de l’investissement sur l’ensemble du corps est un mouvement normal chez la fille, mais, chez l’hystérique, il est trop accentué et se fait au détriment de l’investissement génital.

Le corps et les somatisations

Les somatisations hystériques ont été baptisées de conversions par Freud, au sens où elles convertissent assez directement un conflit psychique en symptôme somatique. Le symptôme corporel hystérique représente un compromis entre le désir et l’interdit. Il correspond à une résurgence dans une situation donnée des représentations refoulées, mais sous une forme déformée et masquée.

Par ce biais, l’hystérique demande à un personnage paternel (prêtre, médecin) de s’occuper de son corps. La demande se fait sur un mode régressif qui emprunte à l’oralité : les soins, le toucher, la réassurance. La sexualité génitale n’est pas pour autant absente, elle est refoulée et va donc se manifester de manière indirecte.

La conversion (paralysie, douleur, spasmes, etc.) dépend des circonstances et de l’expérience individuelle. Sa signification varie d’un sujet à l’autre. Comme le remarquait très tôt Sigmund Freud, la conversion est toujours surdéterminée, elle a plusieurs causes.

Elle peut devenir une manière de s'exprimer, si bien que l'hystérique présentera sans cesse de nouvelles somatisations, en rapport avec les circonstances.

6. Le diagnostic différentiel

Le terme d'hystérie est avancé beaucoup trop vite au vu de manifestations corporelles théâtrales (voir l'article déjà cité Les manifestations psychosomatiques) ou encore de symptômes somatiques que l'on n'arrive pas à expliquer. Ces symptômes sont très nombreux et fréquents et ne sont pas nécessairement le fait de personnalités hystériques. Pour évoquer une telle personnalité, on doit avoir des arguments positifs et complémentaires, tels que ceux décrits au-dessus.

Le principal diagnostic différentiel à évoquer est celui concernant les personnalités histrioniques. Les personnes hystériques, même si elles souffrent de conflits invalidants, gardent un rapport à la réalité concrète et sociale satisfaisant. Lorsque l’on a affaire à un cas présentant des manifestations inadaptées et déréalisantes, cela renvoie à une autre type de personnalité (voir Les personnalités histrioniques). Les grandes crises corporelles théâtrales, avec des paralysies massives, des convulsions d’allure épileptoïde ne sont pas le fait de l'hystérie névrotique, mais plutôt liés à des personnalités histrioniques, car elles manifestent un degré de perte de contrôle et de transgression des codes sociaux qui ne sont pas le fait des personnalités névrotiques.

 

En complément voir aussi : Méthode diaqnostique en psychopathologie et Le concept de personnalité en psychopathologie.

 

Bibliographie :

Freud S. (1895), Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1974.
       -      (1905), « Fragment d’une analyse d’hystérie », in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1977.
       -      (1913), « La disposition à la névrose obsessionnelle », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
       -      (1924) « Névrose et psychose », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
       -      (1926), Inhibition symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1981.

Fénichel O. (1953), La théorie psychanalytique de névroses, Paris, PUF, 1953.

Chartier J.-P. (1986), « Structures névrotiques », in Psychologie pathologique, Paris, Masson, 1986.

Marcelli D. (1999), « La névrose chez l’enfant », in Enfance et psychopathologie, Paris, Masson, 1999.

Millet L, Pon J., Millet-Bartholi F. (1994), La crise du milieu de la vie, Paris, Masson, 1994.

 

L'auteur :

Juignet Patrick