En France un projet de loi concernant le « partage de la valeur » est en cours d’élaboration. Le débat passe presque inaperçu. Pourtant, c'est un enjeu de société important.

Quelle est la valeur en question  ?

Le titre du projet de loi ne le dit pas et parle de la « valeur » en général. Deux valeurs sont en jeu : la valeur de l’entreprise en tant qu’entreprise et la valeur du produit vendu par l’entreprise. La valeur de l’entreprise, pour celles qui sont cotées en bourse se traduit par leur valorisation boursière. Pour les autres, c'est plus flou, ce serait leur valeur potentielle en cas de cession. La valeur issue des produits vendus par l’entreprise correspond au bénéfice net effectivement réalisé. Ce bénéfice net dégagé par la vente est distribué aux actionnaires. Seul le capital en bénéficie par la distribution des dividendes en fin d’exercice annuel. 

Un ressort structurant pour la société

La répartition de la valeur (entreprise + bénéfices) entre le capital et le travail est l’un des deux problèmes fondamentaux posés par l’économie capitaliste (avec celui du pouvoir économique). La question en débat est celle de savoir à qui doit revenir le surplus de valeur produit ? Selon quel critère et quel ratio ?

La distribution du surplus de valeur produite par les entreprises constitue l’un des ressorts structurants des relations sociales dans une économie utilisant du capital. Si l'on a une juste répartition, on résout une partie du conflit structurel entre les possesseurs du capital (privé ou public) et les travailleurs. La répartition de la valeur entre le capital et le travail, a un effet tant sur l’économie que et sur société. Une bonne répartition du point de vue économique et une juste répartition du point de vue social sont les clés de la prospérité et de la paix d'une nation.

Quels critères de répartition de la valeur ?

Une distribution de la valeur aux travailleurs est favorable au dynamisme économique, car il crée du pouvoir d’achat qui tire la croissance. Si la répartition est considérée comme injuste, le climat social sera mauvais et l’efficacité en pâtira. Ceci n’est pas toujours observé. L’économie aux USA est florissante alors que la répartition est inéquitable. En effet, un bon rendement du capital va attirer les capitaux indispensables à l’économie. Cet afflux favorise l’innovation et stimule la croissance.

Les économistes ne sont pas d’accord sur la répartition la plus dynamisante. La répartition est une décision de politique économique. Certains veulent favoriser le capital, d’autres le travail, d’autres prônent une réparation équilibrée. Les trois options sont défendables du point de vue économique, mais n’aboutissent pas au même type de société ni au même dynamisme productif.

Voyons maintenant l’aspect social. De ce point de vue diverses options sont possibles. Certains défendent une société inégalitaire et agonistique de la société au titre de la concurrence, du mérite et de la liberté. La vision opposée défend un idéal d’égalité et de justice et de paix sociale. D’autres enfin veulent un équilibre entre les deux. Intervient aussi la question de la détention du pouvoir économique que nous laisserons de côté.

Le politique qui a un pouvoir décisionnaire peut trancher

La loi en cours peut décider de la répartition. Ce problème fait interférer deux champs (le social et l’économique) avec, pour chacun, divers choix possibles et des interactions fortes entre les deux. La prise en compte objective du problème ne donne pas de solution unique démontrée. Comment se prononcer et selon quels critères ?

Le choix est politique et il dépend du type de société voulue et de l’éthique correspondante. Sans oublier le jeu des intérêts des uns et des autres, selon leur position sociale, et également de la théorie économique jugée la plus crédible.

Si on définit comme bien une société juste et paisible (qui ne soit pas en conflit permanent), alors on choisira une répartition équilibrée entre capital et travail. Cet équilibre évite le ressentiment créé par un sentiment d’exploitation des travailleurs tout en préservant l’investissement en capitaux. Si on définit comme bien une société injuste et agonistique (justifié par les bienfaits de la compétition ou le darwinisme social ou son intérêt personnel mythe de la survie sélective) paisible

Que dit le projet de loi sur le partage de la valeur ?

« Les partenaires sociaux ont été invités à négocier autour de trois grands objectifs :

1/ la participation au bénéfice pour l’ensemble des salariés versus la rémunération de l’actionnaire.
2/ la participation à la valeur de l’entreprise sur un cycle de trois ans. Sous for de  primes ou l’attribution d’actions gratuites correspondant à 10 à 40 % du capital social selon les cas ».
3/  l’orientation de l’épargne salariale vers les grandes priorités d’intérêt commun.

On peut regretter le manque de mobilisation et d'information du public par rapport à une loi aussi importante. 

Le rôle modeste du philosophe

Le philosophe, pour rester dans son domaine propre, se doit d’être réservé. Il est de son rôle d’énoncer les idéaux politico-socio-économiques mis en jeu, mais ensuite, il doit laisser aux élus (politique et syndicaux) et aux citoyens le soin de choisir. Les déconvenues du passé en matière de philosophie politique doivent inciter à la prudence. La philosophie, si elle reste neutre, sera d’autant plus crédible et légitime.

 

Assemblée nationale. Projet de loi n° 1272 portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise. 24 mai 2023. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1272_projet-loi