Nous parlerons ici uniquement des termes utilisés en épistémologie.
Pierre Duhem*, opposé à toute interprétation matérialiste et réaliste de la chimie et de la physique, proposa, en 1908, une conception que l'on qualifie « d'instrumentaliste », ce qui signifie purement opératoire et non réaliste. La science ne devrait pas chercher à décrire la constitution du monde, mais proposer des théories concernant les faits, théories qui permettent des prédictions. Duhem ajoute que le but de la recherche est la simplicité, l'économie des moyens et la généralité d'application, indépendamment de l'adéquation avec le monde.
Cette position ressemble à celle du positivisme qui prône un agnosticisme ontologique, mais l'instrumentalisme va un peu plus loin et interdit complètement toute hypothèse ontologique sur la constitution de l'Univers. Dans les deux cas, une théorie doit être simplement « empiriquement adéquate ». On s'en tient à la concordance entre les faits et la théorie sans se prononcer sur le réel en soi. Le but des théories scientifiques est uniquement d'offrir des prédictions valides. Elles n'ont pas à être « vraies » ou « réalistes », mais seulement à être prédictives. Le terme « instrumentalisme » proposé par Pierre Duhem, vient du fait que les théories sont considérées comme des instruments. On dit aussi que la théorie est une « convention », qu'elle est « commode » pour expliquer les faits.
Le terme de conventionnalisme, utilisé par Henri Poincaré, a un sens très proche de celui d'instrumentalisme. Les théories scientifiques ne sont pas des représentations absolues de la réalité, mais des conventions utiles, choisies pour leur commodité et leur capacité à organiser et à expliquer les faits observés. Ce terme vient de l'idée que les formalismes mathématiques et géométriques ne sont pas des absolus, mais des conventions adaptées à notre expérience de la réalité.
Le fonctionnalisme, développé plus récemment en philosophie des sciences a accentué cette conception. Il considère que les théories sont des fictions ou des outils narratifs qui nous permettent de comprendre et de prédire les phénomènes. Les théories sont vues comme « vraies » dans un sens fonctionnel ou opératoire, mais pas nécessairement dans un sens ontologique. On n'est pas loin du relativisme et du nominalisme épistémologique qui mettent en doute l'objectivité des sciences. Cette tendance à l'indifférenciation entre théorie scientifique et fiction est critiquable.
La conception instrumentaliste reste d'actualité en épistémologie, car elle est suffisante et efficace. On peut lui préférer un réalisme ontologique prudent : si le réel existe, les sciences indiquent probablement quelque chose sur lui. Karl Popper** défend le réalisme contre l'instrumentalisme dans Conjectures et réfutations. Même si les théories scientifiques évoluent pour se conformer à la réalité, la nouvelle théorie est malgré tout plus proche de la vérité que celle qu'elle remplace. On peut soutenir qu'au travers des sciences, une approche du réel est possible.
* Pierre Duhem, Sauver les phénomènes. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. Sozein ta phainomena, Paris, Vrin, 2005.
** Karl Popper, Conjectures et réfutations. La croissance du savoir scientifique, Paris, Payot, 1985.