Richard Rorty a opposé la reconstruction rationnelle du savoir à la reconstruction historique des œuvres du passé.
L'histoire des idées vise avant tout à reconstituer de manière fidèle les œuvres, tout en respectant les autres et le contexte, en se soumettant à la maxime de l’historien britannique Quentin Skinner : « Ne pas attribuer à un auteur d’avoir voulu dire ou faire quelque chose qu’il ne pourrait pas être amené à reconnaître comme une description correcte de ce qu’il a voulu dire ou de ce qu’il a fait ».
On peut aussi comme le propose Robin G. Collingwood mettre au jour des complexes de questions-réponses formant un ensemble ayant une cohérence et une pertinence à un moment de l'histoire. Un ensemble de problèmes surgit à un moment de l'histoire des idées, puis on passe à un autre. Ou encore, avec Michel Foucault, on peut s'attacher à « l'histoire de ce qui rend nécessaire une certaine forme de pensée » (Dits et écrits, p. 221).
La reconstruction rationnelle est bien différente. Elle présente les œuvres du passé de la manière la plus rationnelle possible pour en évaluer les thèses et les arguments, ce qui implique le plus souvent de reformuler les doctrines de façon « systématique », ce qui permet de juger de leur rigueur et de leur intérêt.
Concernant les sciences, la question est de savoir si elles doivent être étudiées à l’intérieur de leur logique propre, selon leur propre normativité (comme le soutiennent Cavaillès et Bachelard), ou, au contraire, comme étant des modes de raisonnement assis sur une large base épistémique, irréductibles aux seules sciences (ainsi que le soutiennent Meyerson, Metzger, et plus tard, – d’une manière différente – Foucault).
L’épistémologie historique (terme proposé par Dominique Lecourt en 1969) vise à éclairer non seulement l’émergence des concepts scientifiques, mais aussi les « rationalités » plus larges qui les rendent possibles. Elle associe la reconstruction épistémologique purement rationnelle à l’intérieur de la science, mais sans se priver du contexte, du cheminement des auteurs et plus largement des débats dans la culture savante de l'époque.
On peut légitimement à la fois contextualiser une science et « assumer la question difficile de la validité des théories » (Jean Gayon). Dit autrement, on peut articuler reconstruction historique et reconstruction rationnelle au sein de l'épistémologique historique.
En philosophie, le problème est le même bien que le formalisme et la rigueur soient moindres. On peut s'attacher au contexte de la vie personnelle de l'auteur, à la situation politique, économique et sociale, ou encore aux façons de penser et à l'épistémè de l'époque, et considérer qu'ils donnent sens aux idées et problèmes.
Inversement, on peut s'intéresser aux arguments pérennes, à la validité des raisonnements, et évaluer les idées pour elles-mêmes. On suppose alors une possible autonomie de l'argumentation qui peut être considérée et testée indépendamment du contexte.
Les deux méthodes, souvent opposées, sont en vérité complémentaires. La relativisation au contexte, indispensable pour bien comprendre les idées des auteurs (et ne pas y projeter des interprétations anachroniques), n'empêche pas de réfléchir à la rationalité et au bien fondé d'une doctrine. Les deux abords se complètent utilement.
Voir aussi : Épistémologie - Philosophie des sciences