Le cognitivisme

  

Le cognitivisme est un courant de la recherche scientifique concernant le domaine des capacités à connaître, agir, parler, qui s’est amorcé au milieu du XXe siècle et se poursuit activement de nos jours. Le cognitivisme utilise et synthétise en un corpus original des disciplines diverses qui vont de la logique algébrique à la neurobiologie en passant par la linguistique et la psychologie ou encore la cybernétique et l’informatique.

 

Pour citer cet article :

Juignet, Patrick. Le cognitivisme. Philosophie, science et société. 2015. https://philosciences.com/cognitivisme.

 

Plan de l'article :


  1. La naissance du cognitivisme et le computationnisme
  2. Des courants divers et peu homogènes
  3. Une définition du cognitivisme
  4. Le rebondissement connexionniste
  5. Conclusion

 

Texte intégral :

1. La naissance du cognitivisme et le computationnisme

La psychologie cognitiviste

Le cognitivisme suppose que les déterminations internes aux individus provoquent des conduites observables de ceux-ci. Il s'ensuit qu'à partir des conduites observées, il est possible de construire un modèle des déterminations internes de l'individu. Ce dernier est considéré au sein d'un environnement dont il reçoit des informations. On a ainsi un schéma cadre à trois termes :

environnement - individu - conduites
 

En définissant ces trois termes, leurs rapports et les méthodes utilisées pour les étudier, on peut opposer la psychologie béhavioriste, la psychologie cognitive, la psychologie psychanalytique. La psychologie cognitiviste simplifie l'environnement et les conduites étudiées de façon à délimiter les aspects cognitifs et à pouvoir appliquer la méthode expérimentale. Elle s'intéresse à un environnement plutôt concret. Elle utilise aussi parfois la méthode clinique et les tests.

Il existe un courant réductionniste dans la psychologie cognitiviste qui, « réactive une tradition de réduction du psychologique au physiologique » (Carroy J., Ohayon A., Plas R., Histoire de la psychologie en France, p. 226). Ce courant, pour puissant qu'il soit, ne la caractérise pas, car la psychologie cognitiviste a « pour objet de reconstituer et de décrire les différents processus internes, de nature psychologique, que l’on suppose à l’origine des conduites » (Launay M., Psychologie cognitive, 2004, p. 18).

Toute la psychologie de la connaissance n'est pas cognitiviste. Ainsi, il y a une école très importante issue des travaux de Jean Piaget, qui prend la forme d'un structuralisme constructiviste, conciliant structure et genèse.

La psychologie cognitiviste tente de rendre compte, par des théories et des modèles, du fonctionnement interne aux individus dans le domaine cognitif en le ramenant à des processus pouvant être expérimentés.

À ce sujet, voir l'article : Patrick, Juignet. La psychologie cognitiviste 

Le cognitivisme proprement dit 

Tout en ayant une approche expérimentale, le cognitivisme y adjoint des réflexions issues de la théorie des systèmes, de la cybernétique, de l’informatique, de la linguistique, de la neurobiologie et de la philosophie de l'esprit d’origine anglo-saxonne.

Le projet original et fondateur du cognitivisme s’est formé dans les années 1940. Il s’agissait de créer une « science de l'esprit » valable pour la « machine » comme pour le « cerveau ». Nous mettons ces termes entre guillemets, car leur signification n’est pas clairement définie et a été sujette à des variations. Cette démarche est empreinte d’une forte tendance réductionniste, car fondée sur l'affirmation d'Alan Turing (1936) selon laquelle tout ce que fait l’esprit humain peut être effectué par une machine. Le présupposé matérialiste se traduit par l’idée de chercher « comment les phénomènes mentaux peuvent être matériellement réalisés » (Dan Sperber, 1992).

Selon Francisco Varela, l'hypothèse cognitiviste fondamentale fut formellement posée en 1956 : la cognition peut être définie par la « computation de représentations symboliques » et ceci peut être fait aussi bien par le cerveau que par une machine. Cette hypothèse a été rendue plausible par l’algèbre de Boole qui permet de réaliser concrètement tout calcul. Elle peut être appelée, du terme anglais qui s’est imposé, le « computationnisme », puisque dans ce cas l’esprit est considéré comme un traitement syntaxique, un calcul portant sur des représentations symboliques, qui sont elles-mêmes des traces, des marques matérielles. On retrouve, en 1989, le même projet exprimé par John Haugeland. « La pensée est une manipulation de symboles » et « la science cognitive repose sur l’hypothèse […] que toute intelligence, humaine ou non, est concrètement une manipulation de symboles quasi linguistiques ».

Il y a au fondement du cognitivisme un postulat : la cognition serait fondamentalement du calcul. Cette manière computationniste de concevoir l’intelligence est centrale pour le cognitivisme, car elle a permis de supposer que l'activité cognitive puisse être effectuée par un dispositif matériel. Il y a un parallélisme et une réduction possible entre cognition et traitement matériel électronique (ou neurologique), puisqu’un calcul peut être effectué par une machine. Citons Dan Sperber qui résume parfaitement la généralisation de la conception computationniste : si l'on considère une opération cognitive complexe, « il s'agit de décomposer le processus en une suite d'opérations élémentaires et de ramener les représentations à des structures formelles dont la réalisation matérielle est concevable ». (Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard, 1992, p. 405).

Ce type de pensée s’inscrit dans une tradition de recherche sur la mathématisation de la pensée qui remonte à Leibniz. Elle a progressé avec George Boole qui a publié en 1854, son livre princeps : An investigation into the Laws of Thought, on Which are founded the Mathematical of logic and Probability. Il y montre comment marier la logique avec l'algèbre et fonde l’algèbre logique qui porte son nom. Cette algèbre porte sur des classes pourvues de trois opérations. La restriction de cette algèbre à deux éléments remarquables, le 0 et le 1, a permis la réalisation matérielle des calculs. Après, d’autres sont venus comme Babbage, Frege, Gödel, Shannon, etc.

La doctrine computationniste apparut lors de la jonction des travaux d’Alan Turing et de Claude Shannon à la suite de la thèse de ce dernier en 1937, lorsque ce dernier proposa une théorie mathématique applicable à la transmission des signaux par un canal physique comme une ligne téléphonique. Il utilisa l’algèbre de Boole, ce qui rendit possible un isomorphisme entre logique et circuits électriques fonctionnant sur un mode digital. À partir de ce moment, « calcul booléen, arithmétique et logique propositionnelle ou booléenne, sont réalisables ou matérialisables dans un circuit de Shannon » (Andler D., « Calcul et représentations : les sources », in Introduction aux sciences cognitives, Gallimard, 1992).

2. Des courants divers et peu homogènes

À partir du noyau originaire vu ci-dessus se sont développés divers courants.

Du côté de l’information

La théorie de l’information qui a été initiée par Shannon et Weaver (1949) a pris une grande place. La notion a été inventée par Claude E. Shannon, ingénieur à la Bell Telephone. Elle concerne la transmission des signaux par un canal de communication comme une ligne téléphonique. À ce moment, le mot désigne précisément une quantité donnée par la théorisation statistique du signal. Par la suite, la notion s’est très largement étendue du fait de son ambiguïté sémantique, car elle désigne aussi la connaissance en général. En 1963, elle prend une tournure duelle. Pour Couffignal, c’est une « action physique qui s’accompagne d’une action psychique » qui associe « un support à une sémantique ». Pour le cognitivisme, l’information concerne aussi le « contenu d’un message » (Launay, 2004). Francisco Varela note que l'information « ressemble à un phlogistique moderne » (Invitation aux sciences cognitives, Paris, Seuil, 1996), car elle est faussement donnée pour exister intrinsèquement, mais sans que l’on sache ce que c’est. Au total, ce courant est devenu très vaste et très flou.

Du côté de l’intelligence artificielle

La recherche sur l’intelligence artificielle s’inscrit dans le cognitivisme. On pourrait, avec Daniel Kayser (1992), la définir comme « une tentative visant à analyser ce qu’est l’intelligence, en cherchant à la reproduire par des moyens artificiels ». Cette approche a nourri beaucoup d’espoirs sur la compréhension de l’intelligence qui se sont ensuite éteints. Par contre, elle a produit des applications opérationnelles efficaces en informatique (systèmes experts, nouveaux environnements de programmation, etc.). Finalement, cette recherche a abouti à ruiner l’hypothèse computationniste en montrant que l’intelligence est complexe et donc qu’un fonctionnement logique unificateur ne peut être toujours retrouvé. Autrement dit, les intelligences sont hétérogènes et elles ne sont pas toutes interprétables en termes de logique. Elles s’appuient sur des stratégies utilisant des connaissances préalables et se situant à des profondeurs variables dans les niveaux de raisonnement.

La liaison avec les neurosciences

L'idée d'une jonction avec les neurosciences est arrivée assez vite, toujours avec cet arrière-plan d'une analogie entre l'homme et la machine. Peu de temps après les travaux de Shannon, H. H. Aiken élabora une théorie qui permettait de déterminer un circuit électronique réalisant une fonction logique. Suivi le développement de la cybernétique vers 1953 avec Warren McCulloch et Walter Pitts. Ceci était déjà possible dans les machines à calculer mécaniques. Maintenant, il s’agit d’un calcul logique fait grâce à des variables (0 et 1) et des opérateurs (non, et, ou, ou exclusif, non-ou, non-et). La reproduction concrète par l’électronique permet que les formes syntaxiques et les formes signalétiques électroniques aient un rapport de concordance parfait. Des équations peuvent être « réalisées » par des circuits, ce qui veut dire qu’aux opérations sur les variables logiques, correspondent point par point des fonctionnements électriques.

Un calcul logique du même type pourrait être effectué par l’activité nerveuse. C’est la « Nouvelle synthèse » proclamée dans les années 1940 par Stephen Pinker et Henry Plotkin. Pour eux, le calcul est enraciné dans le substrat biologique du cerveau humain et, qui plus est, de manière innée. Alan Nexell et Herbert Simon lancent le dogme selon lequel l’intelligence, ou l’esprit, est un calcul symbolique de type informatique. Suit l'« information processing paradigm » annonçant que tous les aspects cognitifs (perception, apprentissage, intelligence, langage) sont des opérations de traitement de l’information (signal) similaires à celles que l’on peut implémenter dans un ordinateur. Il s’agissait de chercher « comment les phénomènes mentaux peuvent être matériellement réalisés », ainsi que l’écrit Dan Sperber.

En 1943, Warren McCulloch et Walter Pitts publient un article « Un calcul logique immanent dans l’activité nerveuse ». Ils indiquent la possibilité d’un calcul logique dans le système nerveux en le comparant à un réseau électronique calculateur. Il s’agit d’un point de vue formel et hypothétique, car les schémas proposés simplifient considérablement les neurones. La neurobiologie montre que de tels réseaux n'existent pas dans le cerveau. Ils étaient seulement, au vu des connaissances de l'époque, vaguement plausibles. Franck Rosenblatt propose, en 1962, une machine composée de deux couches d'équivalents neurones très simplifiés, couches liées entre elles par des connexions au hasard et qui peuvent être modifiées pour apprendre. Malheureusement, ce dispositif a montré rapidement des limites.

Le lien avec les neurosciences s’est progressivement développé et a pris de l’ampleur vers 1980-90. De nombreux laboratoires se sont créés et le Journal of Cognitive Neurosciences a vu le jour en 1989. « Les neurosciences cognitives sont une tentative pour comprendre comment la cognition émerge des processus cérébraux » écrit Kosslyn (1997, in Gazzaniga). Selon N. Franck (2003) « pour la neuropsychologie cognitive, les processus cognitifs sont constitués par le traitement de l’information sous-jacent aux pensées. C'est là une hypothèse intéressante qui permet deux niveaux, celui du traitement de l'information et celui factuel de la pensée explicite formulée.

Dans cette acception, la cognition représente les mécanismes élémentaires de la pensée dont le sujet n’a pas conscience. Ce niveau réalise l’interface entre le cerveau en tant qu’organe et la pensée en tant que processus élaboratif. Une partie des chercheurs cognitivistes ne sont pas réductionnistes et admettent dans l’approche symbolique « en plus des niveaux de la physique et de la neurobiologie […] un niveau symbolique distinct irréductible » et même « un troisième niveau purement sémantique » ou encore dans l’approche connexionniste un « niveau sub-symbolique » (Varela, 1988).

L’extension vers la psychologie

Autour de la recherche fondamentale, on trouve des travaux de psychologie appliquée dont le but est de rendre compte du fonctionnement mental en des termes spécifiques au cognitivisme, puis de le ramener à des processus pouvant être expérimentés. On constate une importation de théories diverses et leur application au fonctionnement mental, ce dernier étant ramené à des critères testables. Cette démarche a une validité certaine. Le cognitivisme s’intéresse à la perception, aux apprentissages, au langage et au raisonnement et laisse de côté ce qui est affectif et relationnel. (Pour plus de précision, voir l'article : La psychologie cognitiviste).

La psychologie cognitiviste aurait « pour objet de reconstituer et de décrire les différents processus internes que l’on suppose à l’origine des conduites » (Launay, 2004). De plus, le cognitivisme ne s’adresse pas spécialement aux faits conscients comme le note Mahoney (1974) et admet que les structures et fonctions cognitives soient inconscientes. Par un étrange détour, on retrouve l’inconscient mis en évidence par la psychanalyse et tant contesté par la psychologie, en particulier béhavioriste. Les processus concernés ne sont pas les mêmes, mais la catégorisation est identique : il s’agit de séparer les faits perçus, qui sont conscients, des processus qui les produisent et qui, eux, ne le sont pas. Par exemple Stich (1978) parle de processus ou d’états « infra-doxatiques ».

Comme exemple d’évolution du cognitivisme, on peut citer le travail de Gilles Vignaux. Cet auteur est amené à supposer que le travail cognitif du sujet est orienté vers le rétablissement ou la généralisation d'états harmonieux (Les Sciences cognitives, une introduction, 1991). Ce qui introduit le problème de l'homéostasie psychologique par rapport au plaisir-déplaisir et implique de tenir compte des émotions et de « l’univers cognitivo-affectif » du sujet. Pour résoudre ces problèmes, l’auteur est amené à proposer l'opposition entre des « processus cognitifs », qui concerneraient le sujet épistémologique, et des « mécanismes intrapsychiques », qui concerneraient le sujet psychologique.

3. Une définition du cognitivisme

Au terme de cette première approche qui en montre la diversité, on peut tenter une définition du cognitivisme. En rupture avec le béhaviorisme, il apporte la reconnaissance de quelque chose de mal situé ontologiquement, mais dont on admet l’existence et qui est nommé, selon les auteurs, « esprit », « pensée », « intelligence », « cognition », « traitement de l’information », « système de représentation ». Deuxième point fondateur, le cognitivisme admet que ces aspects cognitifs sont réalisés concrètement grâce à un dispositif matériel qui peut être neuronal ou machinique.

Nous allons tenter une définition générale qui puisse s’appliquer à la plupart des courants de recherche cognitivistes en nous servant de la distinction entre référent (la partie du monde désignée pour être étudiée) et objet de connaissance (le construit spécifique à une science). Le référent du cognitivisme porte sur la manière dont les capacités cognitives des entités organisées peuvent être réalisées par des dispositifs matériels quels qu’ils soient. À partir de ce référent central, des objets de recherche divergents ont vu le jour. Les divergences portent sur ce qu’est la cognition et sur son autonomisation possible vis-à-vis du dispositif matériel. Elles entraînent des différences de méthode.

Voyons les principales options concernant la cognition et sa réalisation concrète.

Pour les pionniers, la cognition est une « manipulation symbolique », une « computation ». L’homogénéité de ce niveau tient à un fonctionnement de type algorithmique que l’on pourrait toujours retrouver que ce soit directement ou de manière plus lointaine (en allant vers les couches plus profondes du fonctionnement cognitif). Selon une autre manière de voir, la cognition est une adaptation à l’environnement. Elle consiste à résoudre des problèmes et à choisir une conduite adaptée, sans que soit précisée la nature de ce qui le permet. Dans ce cas, le soubassement supposé n’est pas de type calcul.

Concernant la réalisation concrète des opérations cognitives, trois options divergentes sont présentes dans les courants cognitivistes selon la volonté réductionniste ou non réductionniste des auteurs. La première est une option réductionniste forte : seul le hardware existe et le reste n'en est que le reflet. « Nous ne sommes rien d'autre qu'un paquet de neurones » dit Francis Crick (Cité par Varela dans Invitation aux sciences cognitives, Paris, Seuil, 1996, p.VIII). C'est la tendance matérialiste médiatisée par les époux Churchland.

Il existe un réductionnisme faible qui reconnaît le niveau cognitif et le rapporte au niveau matériel sous-jacent, neurobiologique ou électronique. Les propriétés cognitives sont « fondées sur » et explicables par les propriétés neuronales ou électroniques. La machine ou le cerveau « produisent » la cognition qui est la manifestation de son fonctionnement. C’est le point de vue fonctionnaliste.

Il existe aussi une option non-réductionniste pour laquelle le niveau sémantique/représentationnel a une existence irréductible et une détermination autonome qui exige pour son explication une connaissance spéciale. Les propriétés de ce niveau sont en rapport avec les propriétés neuronales ou électroniques (mais indépendantes du support en tant que tel, car plusieurs supports sont possibles).

Selon les manières de concevoir la cognition et le degré de réductionnisme, un large panel de possibilités se dessine et toutes sont présentes au sein du cognitivisme.

Toutefois comme le remarque François Rastier, 

« Les sciences cognitives se sont engagées dans un vaste programme de naturalisation des cultures et négligent donc généralement les facteurs culturels dans la cognition. Cela procède non pas d’un programme scientifique, mais d’une idéologie scientiste.Les sciences cognitives se sont engagées dans un vaste programme de naturalisation des cultures et négligent donc généralement les facteurs culturels dans la cognition. Cela procède non pas d’un programme scientifique, mais d’une idéologie scientiste » (Entretien sur les théories du signe et du sens).

4. Le rebondissement connexionniste

Vers les années 1980, le cognitivisme a subi un profond remaniement avec une nouvelle doctrine dite « connexionniste ».

Une autre approche

Le référent du connexionnisme s’est constitué par inversion du référent du computationnisme. Au lieu de se demander comment la logique peut être réalisée par un dispositif, on a eu l’idée d’étudier ce qu’un dispositif concret peut produire comme interaction cognitive avec l’environnement. Au lieu de dispositifs séquentiels commandés, on a inventé des dispositifs formés de constituants en très grand nombre, associés en parallèle par des connexions récurrentes aléatoires. Le référent de la recherche est très différent de celui du computationnisme. L'objet d'étude devient les activités de réseaux non programmés et les conséquences possibles du point de vue d'une adaptation cognitive à l'environnement.

En reprenant la proposition d’Emmanuel Daucé (2000), nous dirons que le connexionnisme se fixe pour objet d’étudier les réseaux constitués de composants dont les états évoluent au cours du temps en fonction de leurs entrées. Le système se définit par les caractéristiques électriques des composants (leur fonction de transfert), les types de liaisons entre eux (routes possibles) et les valeurs de ces liaisons (force et temporalité du signal).

Une nouvelle théorisation a vu le jour

La théorie connexionniste traite des ensembles constitués d’éléments en interaction dynamique. Elle s'appuie sur les modèles physiques des systèmes de particules en interaction qui datent des années 1970. Trois points sont spécifiques de ces nouvelles théorisations :

- Elles concernent des ensembles d’éléments en interaction en très grand nombre.

- Ces ensembles sont dynamiques, c’est-à-dire évolutifs dans le temps.

- Elles se rattachent à la théorie générale des systèmes (qui étudie des ensembles sans chercher à les dissocier).

Du point de vue mathématique, les notions nouvelles d’attracteur et le chaos sont venus modifier profondément la manière de théoriser les systèmes dynamiques. La dynamique signalétique des réseaux est, à notre avis, l’une des théories parmi les plus prometteuses. Globalement, nous dirons qu’il s’agit d’une approche systémique et statistique des grands ensembles en interactions dont on peut donner une modélisation mathématique.

L’idée de niveaux d’organisation ou d’intégration est avancée. Le problème (du niveau concerné) apparaît dans les années 1980 et a fait l'objet de controverses qui ne sont pas terminées (Stefen Stich, 1983, Jerry Fodor, 1981, 1987). L'idée de concevoir le monde en niveaux d'organisation/intégration n'est pas récente en philosophie, mais n'est venue vers la communauté scientifique que dans les années 1980. La controverse porte sur le nombre de niveaux à considérer. Trois niveaux sont concernés : un niveau basal qui est neurobiologique ou le hardware électronique selon le cas, un niveau signalétique/informationnel et un niveau sémantique/représentationnel. L'irréductibilité du niveau sémantique est évidemment le point le plus contesté. La cognition est détachée de la pensée logico-symbolique pour être rapportée à la mise en place de schèmes permettant de résoudre des problèmes. Dans ce cas, le soubassement supposé n’est pas de type logique.

Une définition

Plusieurs approches complémentaires caractérisent le connexionnisme :

- La recherche sur la manière dont les processus locaux peuvent s’auto-organiser en processus globaux (sans qu’il y ait de commande centrale), c’est la recherche de régularités au niveau global à partir du chaos des interactions locales.

- L’étude des systèmes signalétiques dynamiques visant à montrer comment, par les bifurcations successives, des routes sont empruntées par les signaux, et comment il se produit une complexification croissante de leurs interactions.

- L’étude des effets de la règle de Hebb (renforcement de la connexion mise en jeu) et des possibilités d’apprentissage que cela donne (propriétés nouvelles après mises en jeu successives).

- La recherche de nouveaux critères de définition de la connaissance comme interaction efficace avec l’environnement se mettant en place grâce à l’expérience. L’intégration de travaux traditionnels sur la psychologie de la connaissance comme ceux de l’école piagétienne.

Le moment novateur et le cœur du changement

Dans les années quatre-vingt, avec le connexionnisme, on a vu apparaître des dispositifs capables d’entretenir une activité dynamique, c’est-à-dire de produire un signal de façon autonome. Il y a là un vrai changement par rapport à ce qui précède. Au lieu d’une commande programmant intégralement la machine (ce qui ruine l’analogie possible avec le cerveau), on invente des dispositifs générant de manière autonome des signaux. Au lieu d’une logique, la cognition est conçue comme un processus constructif se produisant grâce à l’interaction entre la dynamique interne et les signaux provenant de l’environnement. C’est un fonctionnement cognitif qui n’a pas besoin de symboles ni de syntaxe.

Notons au passage qu'un changement de paradigme se produit. Concernant le même référent, qui est le rapport entre capacités cognitives et les dispositifs organisés, la manière de concevoir l’objet de recherche est radicalement changée. On passe d’une conception orientée vers le mécanique, le séquentiel, le linéaire, la logique, la compréhension sur un mode causal, à une conception orientée vers le dynamique, l’aléatoire, une détermination systémique compréhensible selon une pensée complexe. Toutefois, les résultats sont encore limités, car ils ne concernent que la cognition simple, spécialisée et se produisant dans des environnements stables. Il y a encore une distance énorme pour arriver à l’homme. Les développements les plus prometteurs se font actuellement en collaboration avec les neurosciences. Ils ont, au vu des avancées actuelles, un bel avenir devant eux.

5. Conclusion

Le cognitivisme aborde l'étude des processus cognitifs sous un angle scientifique. À partir de la base commune du traitement de l'information, il s'est créé une nébuleuse très diversifiée. Le terme d'information est flou. Au plus précis, il s'agit du traitement des signaux physiques ou physiologiques. Mais, cette thèse est réductrice et l'hypothèse d'un niveau de complexité supérieure à celui du traitement de l’information, niveau proprement cognitif et représentationnel, semble plus heuristique.

On peut penser, que parmi les divers niveaux d'organisation constitutifs de l'Homme, il en est un qui correspond à ses capacités de connaissance et de représentation, et qu'il pourrait être étudié scientifiquement. Pour l'instant le cognitivisme ne remplit pas le rôle de discipline unificatrice, car il intègre difficilement les autres sciences humaines (et réciproquement). Mais on peut espérer qu'une science cognitive transversale, ayant pour objet propre le fonctionnement cognitif  de l'Homme et pour référent le niveau cognitif et représentationnel s'affirme.

Une multitude de disciplines autonomes (linguistique, psychologie, psychanalyse, anthropologie, neurosciences, intelligence artificielle, logique, philosophie), pourraient contribuer à une science cognitive. Historiquement, elles n’ont pas de rapport avec la problématique cognitiviste et c'est une difficulté. L'idée d'un niveau cognitif ayant une existence propre peut constituer une transversalité unifiante. C'est la thèse que nous défendons (Sur ce sujet voir : Juignet, Patrick. Concevoir un niveau cognitif et représentationnel chez l'Homme). La complexité de ce niveau peut imposer une diversité, dont la synthèse confédérative risque d'être difficile. L'avenir dira si une science cognitive pluridisciplinaire pourra se constituer. 

 

Bibliographie :

Andler D., Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard, 2004.
Anonyme, Notice CREA, Website de l'École polytechnique.
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Collectif (direction Andler D.), Introduction aux sciences cognitives, Gallimard, Paris, 1992.
Couffignal L., La cybernétique, Paris, PUF, 1963.
Daucé E., Adaptation dynamique et apprentissage dans des réseaux de neurones récurrents aléatoires, Thèse de doctorat, 13 janvier 2000.
Franck N., « Restauration des fonctions cognitives dans la schizophrénie », Neuronale, Paris, LEN Médical, n° 9, 2003.
Gazzanga M.S, The Cognitive Neurosciences, Cambridge, MIT Press, 1995.
Kosslyn S.M., « Mental Imagerie », in Conversations in the Cognitive Neurosciences, Cambridge, MIT Press, 1997.
Launay M., Psychologie cognitive, Paris, Hachette, 2004.

Le Ny J.-F., « Psychologie cognitive et psychologie de l’affectivité », in La psychologie de demain, Paris, PUF,1980.
François Rastier. Entretien sur les théories du signe et du sens. Texto ! août 2008, vol XIII, n°3. http://www.revue-texto.net/docannexe/file/1735/bundgaard_rastier.pdf

Varela F., Invitation aux sciences cognitives, Paris, Seuil, 1989
Varela F. Thompson E., Rosch E ., L’inscription corporelle de l’esprit, Paris, Seuil, 1993.
Vignaux G., Les sciences cognitives, une introduction, Paris, Seuil, 1991.

 

L'auteur :

Patrick Juignet