Les termes abstraction et abstrait renvoient à une capacité cognitive humaine. Abstraire, c’est mettre en évidence ce qu'il y a de général et de commun dans divers aspects de la réalité qui ont été saisis empiriquement : la blancheur par rapport à diverses nuances de blanc, la justice par rapport à diverses conduites jugées justes. À partir de la représentation de circonstances, de faits, d’événements, on en tire une généralité abstraite.

La connaissance théorique implique, entre autres, une abstraction à partir des données de l'expérience. Pour Gaston Bachelard, l’abstraction est la démarche normale et féconde de l’esprit scientifique (La formation de l’esprit scientifique). On passe de la perception immédiate des phénomènes à leur connaissance par l’abstraction. Ainsi, d'un ensemble de faits concrets, on abstrait une loi physique.

Par extension, abstrait catégorise de ce qui échappe à un abord pratique. Les choses sont qualifiées de concrètes et les idées sont qualifiées d’abstraites. Une théorie scientifique est dite abstraite et l’expérimentation qui la justifie, concrète. En linguistique, le signifiant (le mot) et le référent (la chose) sont concrets et le signifié (le concept) est abstrait. On catégorise comme abstrait les idées, concepts, raisonnements, par opposition aux choses, aux faits et actions, dites concrètes.

Le statut de ce qui est catégorisé comme abstrait a été, et est encore controversée dans la philosophie, car le positionnement ontologique par rapport aux concepts diffère. Si par abstraction, on arrive à définir un concept, celui-ci est considéré différemment. Dans la philosophie platonicienne, c'est une idée, forme existant dans le supra-monde intelligible. La querelle des universaux au Moyen Âge a reposé le problème ainsi. Les genres et les espèces, qui sont des abstractions construites à partir des individus singuliers concrets, existent-ils réellement dans le monde extérieur ou sont-ils des créations de la pensée existant uniquement en elle ? Si oui, quel statut leur donner ?  Trois réponses ont été apportées : ces abstractions existent comme mots (nominalisme), comme nom et comme concept (conceptualisme), comme idées platoniciennes.

L’emploi des termes abstrait et concret utilisés comme qualificatifs peut induire une ambiguïté. On parle d’un savoir concret portant sur les choses et les faits d’expérience, et d’un savoir abstrait lorsqu’il porte sur leur schématisation, généralisation, universalisation, etc. Pour autant, cela ne change pas le statut du savoir qui, se produisant par une réflexion et utilisant des notions, idées et concepts, est, lui, abstrait. Une loi physique portant sur des faits concrets et observables est une abstraction créée par la pensée abstraite.

Il y a une oscillation dans l'usage du terme abstrait. Tantôt, il désigne le résultat de l'opération intellectuelle d'abstraction (l'idée), tantôt, il catégorise les opérations intellectuelles elles-mêmes, tantôt l'idée abstraite est projetée dans le Monde (les lois de la physique serait dans le Monde), tantôt elle est attribuée à un ultra-monde des idéalités. Il est plus simple de considérer que les processus cognitifs produisent des pensées dont certaines sont des abstractions.