Actualités philosophiques, scientifiques et sociétales
Mathématisation de la nature ou du temps ?
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- Écrit par : Patrick Juignet
Après Zénon, Platon et Aristote s’étaient attaqués à l’énigme du mouvement. C’est au XVIIe siècle seulement qu’on put enfin la résoudre. Peut-on, comme Koyré, ramener cette Révolution scientifique à la mathématisation de la nature ? Archimède avait déjà mathématisé la statique, mais pour passer à la dynamique, il fallait étendre ce formalisme au temps. Cela nécessitait le développement préalable de nouveaux concepts physiques, en particulier l’inertie.
Quelles furent, dans ce processus, les contributions respectives de Copernic, Kepler, Galilée et Newton, et d’un philosophe comme Descartes ? La conscience des heures égales, qui avait accompagné la diffusion des horloges mécaniques, a-t-elle joué un rôle dans la décision de prendre le temps comme variable ? Cette science moderne est-elle d’origine chrétienne, comme le prétendent Kojève et tant d’auteurs ? Qu’en est-il du monde arabe, de la Chine ?
Ces interrogations soulèvent bien des débats. En analysant le rôle fondamental, mais aujourd’hui encore méconnu, de la période hellénistique dans la genèse de la science moderne, et en réexaminant la découverte du principe d’inertie ainsi que sa relation au temps, l'ouvrage La mathématisation du temps De la science hellénistique à la science moderne entend proposer une vision plus juste de la Révolution scientifique. L'essai de Jean-Pierre Castel et Jean-Claude Simard met en évidence son origine hellénistique, archimédienne, puis marchande, via notamment le temps des marchands. Il réfute en conséquence la thèse de son origine chrétienne, thèse qui a pourtant pignon sur rue, tant chez les théologiens que chez les philosophes, les historiens, voire les psychanalystes, et même chez certains scientifiques contemporains.
Les auteurs remettent en cause la caractérisation habituelle de la Révolution Scientifique par la mathématisation de la nature. En effet, Euclide avait déjà mathématisé l’espace et Archimède les masses. Pour passer de la statique à la dynamique, c’était cette fois-ci non pas la nature, mais le temps qu’il fallait mathématiser. Or une nouvelle conception du temps, un temps laïcisé, abstrait et uniforme, avait émergé dans les cités marchandes médiévales, concomitamment avec l’invention de la diffusion des horloges mécaniques. La découverte par Galilée du principe d’inertie avait alors fourni, via les mouvements inertiels, l’étalon d’un temps dès lors mesurable, et donc mathématisable.
Castel Jean-Pierre Simard Jean-Claude, La mathématisation du temps De la science hellénistique à la science moderne, Vrin / Presses de l’Université Laval – 2024.
Les coulisses du Monde
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- Écrit par : Patrick Juignet
La Terre plate est entourée de la sphère céleste sur laquelle se meuvent le Soleil, la Lune et les étoiles. Un homme s'aventure et passe la tête au-delà de la sphère céleste. Si la Terre est plate et enserrée dans une sphère, il y a une jonction des deux. Sur ce cercle de jonction, on pourrait aller voir derrière. Le dessin montre dans cet arrière monde des mécanismes, des tourbillons, des nuages, assez simples et étagés selon des sphères. Cet arrière simplifié s'oppose au concret foisonnant et divers du monde terrestre et de la voute céleste. Passant outre une cosmologie datée, on peut penser que cette image illustre la curiosité de l'Homme qui veut aller au-delà des apparences visibles et constatables. On peut supposer que le téméraire pèlerin regarde au-delà de l'Univers connu dans les coulisses du Monde.
Max Weber sur le champ de bataille des Sciences de la culture
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- Écrit par : Patrick Juignet
Occupant une place éminente dans le panthéon contemporain des sciences sociales, Max Weber ne cesse de faire l’objet d’appropriations contradictoires qui tendent à décontextualiser ses recherches. Le livre de Wolf Feuerhahn, Max Weber, Qu'est-ce que les sciences de la culture ?, donne l'occasion d'une réflexion sur l'appellation de « sciences de la culture » et une perspective d’ensemble sur les positions de Weber en matière d’épistémologie. Il propose une traduction et analyse le gros article méthodologique de Weber, paru en trois fois de 1903 à 1905 : « Roscher et Knies et les problèmes de l'économie politique historique ». La présentation de Feuerhahn permet de replacer la réflexion de Weber dans les débats de son temps. Le sujet qui pourrait sembler uniquement technique – la méthode spécifique des sciences de la culture – est indissociable d’enjeux académiques et politiques.
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