Philosophie et actualité
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- Écrit par : Patrick Juignet
Le vendredi 6 mars 2020 au soir, Emmanuel Macron va au théâtre. L’affaire est médiatisée dans le but d'inciter les Français à continuer à sortir, malgré l'épidémie de coronavirus : « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie », a-t-il déclaré (rapporté par Jean-Marc Dumontet, propriétaire du théâtre Antoine, et Paul Larrouturou, journaliste) (source : bfmtv.com).
On s’étonne a posteriori. Comment une telle bévue a-t-elle été possible ? L’explication arrive une semaine plus tard. Gilles Pialoux, chef de service en maladies infectieuses nous explique qu’au début on a cru à une grippe. Est-il sérieux de croire à ceci ou à cela ? On a cru à une grippe et pourtant l'exemple chinois montrait que ce n'en était pas une.
Concernant la pénurie de masques, le gouvernement a nié ou éludé la question. De toutes les façons, le port génralisé du masque serait inutile. Changement de discours sur le port du masque le 4 avril. Il serait maintenant utile, pourtant le ministre de la santé et la porte-parole du gouvernement nous avaient affirmé catégoriquement qu'il ne l'était pas. Le gouvernement a menti ou affirmé sans savoir, comme il a menti au sujet de la pénurie.
Quelque chose ne va pas dans la société contemporaine par rapport à la vérité. On suppose, on croit, on affirme sans preuve et ça suffit. Croire comme les religieux, « avoir des intuitions » comme Donald Trump, sans s’informer, sans vérifier, et affirmer publiquement, c’est mépriser la rigueur et l'honnêteté. La vérité est assise sur une démonstration ou un contrôle empirique. Nous vivons dans un climat de croyance, de propagande, de fake news, de langue de bois politique, de post-vérité, en gros de manque de sérieux généralisé.
La vérité est une manière de penser qui impose de vérifier, de renoncer à l’opinion, à l’intuition, à la croyance, au profit de la rationalité et de l’appui sur des faits contrôlés. Mais cela demande des moyens d’information fiables et des études scientifiquement valides. La pandémie de Covid-19 révèle ce que l’on savait déjà : la perte du sens de la vérité au profit de l’opinion.
Pour aller plus loin : Épidémie de Covid-19 : savoir et politique
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- Écrit par : Patrick Juignet
Thomas Piketty, dans son livre, comme dans les divers interviews qu’il donne, insiste sur le rôle de l’idéologie dans la mise en œuvre de l’économie. Il soulève ainsi le problème épineux de l’interaction entre l’économique, la politique et l’idéologie. Thomas Piketty montre qu’au fil de l’histoire, les relations ont varié et ne sont pas simples.
Son propos principal est de montrer comment chaque société a proposé un grand récit idéologique, qui n'est pas sans fondement, mais a servi à justifier les inégalités sociales. Il fait ressortir la fragilité de ces constructions idéologiques et la rapidité de leurs effondrements.
Avec justesse, Piketty met au centre de son raisonnement le problème économique posé par la propriété privée et propose une transformation du droit de propriété par l'instauration d'une propriété sociale et temporaire. Concrètement, cela implique que le droit de vote des salariés au sein des conseils d'administration des entreprises soit fortement augmenté et une limitation de l'accumulation indéfinie du capital par quelques uns.
On peut objecter qu'il ne différencie pas (ou pas suffisamment) le capital mobile et productif et capital personnel peu mobile (patrimoine familial), qui n'ont ni la même dynamique, ni la même signification sociale et affective pour les individus (voir l'article Capital et capitalisme). Un milliard circulant dans l'économie et une maison familiale, ça n'a pas du tout le même impact. Une nette différenciation rendrait, selon nous, ses propositions plus acceptables et plus efficaces.
On peut aussi regretter qu'il n’éclaire pas les conditions de possibilité pour qu'une idéologie puisse s'imposer. Il suffit ne pas qu’une idéologie (bonne ou mauvaise) soit proposée pour qu’elle soit adoptée et ait un effet politique et économique. Comment, par qui, par quels canaux, se diffuse un idéologie ? Sur quels acquis socio-historiques s’appuie-t-elle ? Sous quelles conditions peut-elle diffuser massivement ?
Une idéologie est toujours floue et ne constitue pas une doctrine bien définie et circonscrite. Elle véhicule à la fois des valeurs, mais aussi des illusions. Ce n'est pas un discours qui a pour critère la vérité démonstrative ; elle veut imposer une vision de la société, normer les conduites, produire des effets sociaux. Quelle soit bonne ou mauvaise par rapport à l'intérêt collectif, l'idéologie est toujours simplificatrice et se distingue de la science comme de la philosophie.
L’idéologie proposée par Thomas Piketty, en gros le dépassement du capitalisme vers un socialisme participatif fondé sur une propriété sociale et temporaire, peut-elle diffuser et influencer les politiques, ce qui influencerait l’économie ? C’est improbable, même si, comme il le dit à juste titre, il y a un certain indéterminisme dans le déroulement historique. Il s'appuie, pour supposer un accueil possible de ses propositions, sur l'existence d'un mouvement vers un socialisme démocratique qui serait en route depuis le XIXe siècle. Est-ce bien certain ?
On constate que le grand débat idéologique actuel, celui qui mobilise les opinions (en Europe) et se joue dans les élections, se fait entre le néolibéralisme (affairiste, international, dérégulateur) et le national populisme (préservation de l'identité, maîtrise des frontières et des migrations). Le problème des inégalités comme effet de l’économie et du rapport entre dynamisme économique et répartition des richesses passe au second rang voire s’efface des débats. Celui de la nécessaire modération et réorientation économique à des fins de préservation écologique émerge timidement.
Piketty Th., Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.
Piketty Thomas, Le nouveau Capital. In : France Culture. 2019.
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- Écrit par : Patrick Juignet
Pour Brice Couturier, en 1969, les aspirations exprimées en 1968, virent au drame. L'espoir tourne en désillusion face à une réaction politique qui sape toutes les avancées. L'année 68 est mise en échec partout. Le printemps de Prague est écrasé par les chars soviétiques, Nixon entre à la Maison Blanche, tandis que la droite conservatrice remporte en France une large victoire électorale. Le désir d'expérimenter une liberté nouvelle et sa volonté de transgression se transforment en radicalisations délirantes et dangereuses. La violence se manifeste partout issue des groupes radicaux ou déviants et de la répression étatique.
Le ver était dans le fruit dès 1968, du fait d'une ignorance des réalités sociales et économiques de la part des activistes plus ou moins idéalistes. Pour situer l'énormité du hiatus culturel entre les "révolutionnaires" et la plupart des français, Brice Couturier rappelle que le disque qui s'est le plus vendu en 1968 est "Rikita jolie fleur de Java". Pris entre l'absurdité maoïstes, la niaiserie de la variété télévisuelle et le conservatisme des partis de droite et de gauche, les idéaux ont volé en éclat.
Couturier B., 1969, année fatidique, Éditions de L'Observatoire, Paris, 2019.
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- Écrit par : Patrick Juignet
L'homme est-il une espèce à part dans l'Univers ?
Franck Courchamp et Clément Morin présentent une série télévisée, diffusée sur Arte.tv, concernant l'homme dans l'Univers, intitulée Une espèce à part. La présentation part du plus petit, les molécules, pour aller jusqu'à embrasser l'ensemble de l’Univers connu et même inconnu. La série vulgarise le savoir issu de la science de pointe au travers d'un format extrêmement court de 4 mn avec des images spectaculaires, le tout étant fait pour capter l’attention réduite de nos contemporains. Cette série télévisée entre dans le cadre des récits philosophiques appuyés sur le savoir scientifique. La grosse différence avec les mythes religieux, qui se fondent sur l’observation ordinaire et sur des croyances métaphysiques, tient à ce qu'un véritable récit philosophique sur l'Homme et l'Univers se fonde sur les acquis scientifiques de son époque (qui s'efforcent à une adéquation aussi bonne que possible avec la réalité).
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- Écrit par : Patrick Juignet
De l'entretien avec Thierry Coquand, publié sous le titre Langages des maths, langages de l'informatique, nous ne retiendrons qu'un aspect, celui de la difficulté des démonstrations en mathématiques.
Cette affirmation est étonnante, car la formalisation des mathématiques donne l'impression que les démonstrations sont faciles à établir ou à réfuter. Et pourtant non, car les établir complètement, sans divers sauts intuitifs, est très long et demande des notations bien adaptées.
Ecoutons Thierry Coquand
Avant la rencontre avec l’informatique, les mathématiciens, notamment Bourbaki, étaient déjà allés très loin sur le chemin de la formalisation des démonstrations, mais ils voyaient bien les limites de cette démarche. Si on donne tous les détails dans une démonstration, si on la formalise totalement, elle devient vite trop longue et illisible pour les humains.
En revanche, un ordinateur a besoin de tous ces détails et ne s’effraie pas de la longueur des démonstrations. L’arrivée de l’informatique changeait donc tout.
L'informatique utilisant un langage approprié (un type particulier de langage de programmation, dit "fonctionnel", comme les langages Lisp ou ML) permettrait d'avoir des démonstrations complètes, suivies et vérifiées pas à pas.
Thierry Coquand poursuit :
... nous avons découvert, depuis cinquante ans, qu’écrire des démonstrations absolument correctes est impossible sans ordinateur. Chaque étape du développement des mathématiques nous a cependant apporté de nouvelles notations qui nous ont rapproché de cet idéal. C’est pour cela qu’il y a une histoire des langages d’expression des démonstrations.
Par exemple :
Georges Gonthier et son équipe ont formalisé une démonstration du théorème de Feit-Thompson. La démonstration de ce théorème était connue depuis les années 1960, mais il leur a fallu six ans pour construire cette démonstration formelle, c’est bien le signe que tout n’était pas dit dans la démonstration originale.
Thierry Coquand, informaticien et mathématicien français, professeur à l’Université de Göteborg en Suède, est l’auteur de travaux en théorie de la démonstration et sur les mathématiques constructives.
Article complet : https://theconversation.com/langages-des-maths-langages-de-linformatique-120777 ou https://www.lemonde.fr/blog/binaire/2019/07/26/demonstrations-mathematiques-et-programmes-informatiques/