Actualités philosophiques, scientifiques et sociétales
La mégamachine
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- Écrit par : Patrick Juignet
Le livre La fin de la mégamachine retrace les origines et le développement d’un système à la fois technique, économique et politique que Fabian Scheidler appelle la « mégamachine ». Il propose un grand récit socio-anthropologique éclairant.
À l’origine de la mégamachine, l’auteur place la volonté de domination. Cette volonté porte sur l’Homme, sur la matière, et plus généralement sur la nature. On la trouve présente depuis l’Antiquité jusqu'à la période moderne. Elle s’appuie sur le pouvoir physique fondé sur de la violence, le pouvoir socio-économique qui enrôle et dompte (en particulier au moyen de la dette) et le pouvoir idéologique qui légitime l’asservissement. Ces contraintes engendrent une quatrième tyrannie, la tyrannie de la pensée linéaire, c’est-à-dire l’idée d’une relation entre une cause et un effet unique et prévisible, à la manière d’un ordre donné. Ces quatre tyrannies forment les briques de base de la mégamachine.
Ce système produit une accumulation de marchandises au prix de la destruction de l’environnement. Des richesses inouïes côtoient la grande pauvreté, des salariés accablés de travail sont face à des désœuvrés misérables. C’est la conséquence de la gigantesque machinerie économique qui entraîne hommes, matières et animaux dans une course productiviste sans finalité établie.
Le livre de Fabian Scheidler montre comment ce ne sont pas la quête du savoir, l’amour du prochain, la joie de la découverte qui façonnent la trajectoire historique que nous suivons, mais la recherche du profit, l’attrait du pouvoir, la volonté d’asservir. Il fait ressortir la barbarie de la modernité, pour les humains comme pour la nature.
La mégamachine semble tantôt construite selon un plan, tantôt apparaît comme la propriété émergente du réseau des interactions en cours. Le caractère implacable de son développement absurde est bien mis en évidence. L’auteur met en évidence la puissance d’expansion de la mégamachine, sa capacité à se réinventer et à persévérer, quelles que soient les crises qu’elle traverse.
Schneider dénonce un système fondé sur le pillage qui s’est diffusé dans le monde entier. Ce système serait masqué par le mythe de la civilisation occidentale qui prône le progrès, la paix, et valorise le savoir, la culture et la liberté. Cette analyse post-moderne des valeurs humanistes comme masque de la barbarie est contestable. Qu'elles aient pu être utilisées de cette manière est un détournement.
L'humanisme et le libéralisme politique sont les seuls remèdes que nous ayons contre les idéologies qui prônent la force contre le droit, la tyrannie contre la démocratie, l’asservissement contre la liberté. L'humanisme et les Lumières ne sont pas un mythe ! Ce sont des doctrines philosophiques qui peuvent servir d'antidote à la barbarie.
Scheidler Fabian, La fin de la Mégamachine, Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement, Paris, éditions du Seuil, 2020.
Un Homme pluridimensionnel dans un Univers pluriel ?
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- Écrit par : Patrick Juignet
Une ontologie pluraliste permet de considérer l'Homme en continuité avec l'Univers qui l'entoure. Le pluralisme des niveaux d'organisation permet de penser les capacités intellectuelles humaines en dehors de toute hypothèse métaphysique. Entre les deux niveaux candidats, neurobiologique et cognitif, susceptibles de générer les faits intellectuels, plusieurs arguments plaident en faveur du second. En effet, les caractéristiques connues du neurobiologique ne semblent pas propres à expliquer les faits considérés. De plus, les propositions réductionnistes biologisantes, pour justifier leurs thèses, appauvrissent trop la réalité humaine pour être crédibles. L'argument de simultanéité entre activité neurobiologique et activité cognitive ne vaut pas démonstration de détermination de l'un par l'autre, mais seulement de dépendance.
L’hypothèse ontologique d’un niveau d’organisation de complexité supérieure à celle du niveau neurobiologique n'est pas certaine, mais elle est plausible. Cette proposition évite les deux positions antagonistes prises eu égard aux capacités intellectuelles humaines : soit leur surélévation transcendante (métaphysique), soit leur réduction matérialiste au fonctionnement du cerveau. Avec l'hypothèse d'un niveau cognitif, on évite d'avoir à supposer l'existence de l'esprit comme substance autonome ou sa survenance sur la matière. On débouche sur un problème qui peut trouver une solution, celui de l'émergence d'un niveau d'organisation à partir du niveau neurobiologique. Accepter l'existence d'un niveau cognitif c'est changer de paradigme concernant l'Homme. La question pertinente n'est plus celle des rapports entre le corps et l'esprit, mais celle de l'émergence (ou pas si on la conteste), d'un mode d'organisation spécifique qui explique les capacités à connaître, penser, vouloir, se représenter, agir, et parler, de l'Homme.
Le dualisme est la résultante intuitive de l'expérience spontanée. Beaucoup d'hommes se considèrent selon la dualité corps-esprit et agissent en conséquence. Il y a bien dans la réalité des pratiques corporelles et spirituelles qui existent. Dans ce cas comme dans d'autres, penser rationnellement en tenant compte des acquis scientifiques, c'est penser contre l'évidence intuitive et l'expérience commune ; mais sans pour autant prétendre la supplanter, car elle s'impose de toutes les façons dans la vie courante.
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Une philosophie d’enseignement et d’érudition
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- Écrit par : Patrick Juignet
Une partie de la philosophie contemporaine consiste à exposer les travaux des auteurs du passé considérés comme importants. C’est la forme majeure de l’enseignement de la philosophie en France. Cette façon de philosopher donne une pensée érudite qui prend la forme d'articles savants, très référencés, montrant les influences des auteurs entre eux, ou bien d'exposés didactiques à usage de étudiants.
Dans ce cadre, la philosophie est l’une des formes de la culture savante qui a pour intérêt de former la pensée, perpétrer le savoir, apporter des outils conceptuels. Ce savoir est indispensable, car personne ne peut prétendre réinventer plusieurs millénaires de réflexion. Cette étude produit un enrichissement intellectuel.
Cette manière de philosopher suscite toutefois une critique : les contradictions se côtoient sans que la validité du savoir soit interrogée et sans qu’un progrès ou une synthèse s’accomplisse. On en reste à la juxtaposition du divers. Chaque auteur est exposé comme s’il détenait la vérité, comme s’il était seul au monde, sans contextualisation épistémique et sans une argumentation critique qui relativise son travail.
Cette philosophie d’enseignement de d’érudition s’édifie selon une reprise discursive organisant un passage continu d'auteur en auteur, ce qui pose un problème important. Ces auteurs appartiennent au passé et sont connus par des textes traduits et retranscrits. Cette philosophie est donc toujours une histoire de la philosophie et devrait en tenir compte, ce qui n’est pas toujours le cas.
Assez souvent, elle néglige les différences de contexte, de langage, les ruptures culturelles et propose un vaste dialogue transhistorique. L’absence de périodisation, qui situerait l’auteur dans son épistémè et dans son époque, avec ce qu'elles ont de spécifiques, mène à des fictions savantes ré-interprétatives vis-à-vis desquelles on peut avoir une réticence.
Une pensée, pour être vraiment ressaisie, doit être restituée au sein des débats qui l’ont fait naître. Une idée prend sens au sein d’un contexte conceptuel et langagier qu’il faut restituer, sauf à l’interpréter faussement et aléatoirement. De plus, les idées ne doivent pas être données telles qu’elles, supposément vraies ou éternelles, sans être évaluées. Toute argumentation peut être considérée par elle-même et critiquée.
Les deux méthodes sont complémentaires. La relativisation au contexte, indispensable pour bien comprendre les idées des auteurs, n'empêche pas de réfléchir à la rationalité et au bien-fondé d'une doctrine. Toutes deux s’opposent à l’exposé intemporel des idées considérées comme des étoiles brillant au firmament des idéalités éternelles.