Actualités philosophiques, scientifiques et sociétales
La détestation des Lumières
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- Écrit par : Patrick Juignet
Au XVIIIe siècle, un courant anti-Lumières a existé, composé d'écrivains catholiques ou protestants qui défendent la religion chrétienne et prônent un retour aux sources de sa doctrine. Finalement, il y a une multitude de courants (jansénistes, jésuites, apologistes, etc.) ayant pour point commun la haine des Lumières accusées de mettre en doute l'existence de Dieu et la vérité absolue des écritures. (Didier Masseau, Les ennemis des philosophes. L'antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000).
Favorable à l’émancipation individuelle et à la démocratie, la philosophie des Lumières a ensuite subit au XIXe siècle les critiques des conservateurs nostalgiques de la monarchie et d’un régime autoritaire. Après 1945, les Lumières ont également été dénoncées pour d'autres motifs. On a voulu y voir des principes illusoires masquant la réalité d’un Occident exploiteur, ou le triomphe d’une raison technicienne qui inverse le rapport des moyens et des fins (École de Francfort) ou encore comme le faux-semblant humaniste de la domination (Foucault).
Cette critique post-moderne des Lumières se qualifie elle-même d’anti-humaniste dans les années 1950-60. Elle conteste la possible humanisation de l’homme, car la figure humaine universelle ne serait qu'une construction occidentale factice destinée à masquer des politiques d’exploitation. Ce lien entre les politiques dénoncées et les Lumières est fallacieux. On peut au contraire montrer que les valeurs humanistes ont été un frein idéologique efficace, opposable aux volontés de domination et d’exploitation, en particulier avec les déclarations sur les droits de l’Homme et par leur utilisation par les courants se réclamant de l’émancipation collective et de la lutte contre les dominations de tous ordres (voir par exemple Les Lumières chinoises).
De nos jours, la référence aux Lumières s’efface devant le triomphe de l'idéologie néolibérale, mais aussi devant le retour du religieux et des communautarismes qui avaient été momentanément contenus par le projet d’une émancipation rationnelle et universaliste.
Augmentation du patrimoine et concentration du capital
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- Écrit par : Patrick Juignet
Le problème majeur de l'économie politique contemporaine est la concentration du capital investi dans l'économie, ce qui fait que les décisions économiques échappent à la plupart des acteurs. À ce propos, Brooke Harrington a mené une enquête (difficile) sur le rôle des gestionnaires de fortune, les "Wealth Managers", dans la concentration du patrimoine (capital à usage économique + capital à usage personnel).
L'accroissement des inégalités vient des transformations du patrimoine. Plus stable que le revenu, le patrimoine crée des configurations sociales persistantes entre les générations. Les gestionnaires de fortune interviennent à trois moments du cycle d’accumulation de patrimoine : ils minimisent la dissipation du patrimoine due aux taxes, dettes et pénalités ; ils maximisent la rentabilité en minimisant les risques ; ils gèrent les successions afin que la fortune reste concentrée entre peu de mains. Il en résulte un mouvement perpétuel d’accroissement des patrimoines qui préserve et renforce les avantages au cours du temps. Ainsi, leur travail contribue à consolider les fortunes dynastiques et accentue la stratification sociale.
Les gestionnaires de fortune et leurs clients exercent un pouvoir politique. Par le lobbying auprès des gouvernements, par l’influence sur certaines élections (par exemple en soutenant certains candidats), ils bloquent l’adoption de lois et de politiques qui pourraient entraver la concentration du patrimoine.
Notons que le problème ne vient pas de la transmission du patrimoine, mais du moment où, de par son ampleur, il se transforme en capital à usage purement financier et économique. Il change alors de nature tant par son usage que par ses effets (voir Capital et capitalisme ).
Les secrets bien gardés de la finance internationale
Qu’est-ce que l’Histoire des idées ?
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- Écrit par : Patrick Juignet
Au XVIIIe siècle, Giambattista Vico dans sa Scienza nuova (1744) appelait de ses vœux une nouvelle science de l’histoire qui serait notamment une « histoire des idées humaines ». Au siècle suivant, Benedetto Croce en Italie, Wilhelm Dilthey, Max Weber ou Georg Simmel en Allemagne, pratiquaient l’histoire des idées via le dialogue entre l’histoire, la sociologie et la philosophie. Au XXe siècle, le philosophe américain Arthur Lovejoy installait la discipline dans le paysage académique à la fois par ses travaux et par la création en 1940 du Journal of the History of Ideas.
La question de l’histoire des idées est fortement présente dans le champ de l’histoire sous la forme de l'histoire culturelle, de l’histoire des mentalités ou des représentations. Toutes les disciplines, à un moment donné, s'interrogent inévitablement sur leur propre histoire, ce qui donne l’histoire des sciences, de la philosophie, du droit, ou de l’art.
L'histoire des idées vise à reconstituer de manière fidèle les œuvres, dans le langage qui est celui de l’historien, tout en respectant leur langage propre et en se soumettant à la maxime de l’historien britannique Quentin Skinner : « Ne pas attribuer à un auteur d’avoir voulu dire ou faire quelque chose qu’il ne pourrait pas être amené à reconnaître comme une description correcte de ce qu’il a voulu dire ou de ce qu’il a fait ».
On peut aussi comme le propose Robin G. Collingwood mettre au jour des complexes de questions-réponses formant un ensemble et ayant une historicité. Un ensemble donné n'a pas toujours été là, il a surgit à un moment de l'histoire. A quoi s'ajoute la reconstitution du processus de pensée conduisant d'un ensemble à un autre qui s'est fait au fil d'un cheminement.
Ou bien, avec Michel Foucault l'histoire des idées peut s'attacher à « l'histoire de ce qui rend nécessaire une certaine forme de pensée » (Dits et écrits, p. 221).
En ce qui concerne le texte lui-même, la lecture historienne implique le respect de la lettre du texte avec ses particularisme d’époque, des rapprochements avec les autres auteurs de la même époque pour relever les problèmes communs, les différences dans les réponses, les changement et évolutions au fil de l’œuvre. C’est une lecture distante permettant de déceler l’implicite et de relever les présupposés qui font le commun d’une époque. On est à linverse de la systématisation ou de la syntèse didactique prétendant résumer un auteur.
L’histoire des idées a fait l’objet de plusieurs types de critiques.
On lui a reproché de postuler une autonomie des idées ne tenant pas compte des contextes socio-historiques (Mannheim, Idéologie et utopie, 1927). On l’a accusée de détacher les idées de l’action. Michel Foucault, dans L’Archéologie du savoir, note que " Les historiens des sociétés sont censés décrire la manière dont les agents agissent sans penser, et les historiens des idées la manière dont les gens pensent sans agir ». À ces accusations, s’ajoute celle d'un historicisme qui conduirait à un relativisme dévastateur. Ces reproches ne sont pas vraiment justifiés, car ils ne sont pas impliqués directement par la discipline.
Robert Lenoble, dans son Histoire de l'idée de Nature, note une conception que nous partageons : « Nous n'assistons pas au progrès d'une recherche menée sur le même objet : sous les mots de « Nature », de « science », de « lois », on ne voyait pas les mêmes choses, on ne construisait pas le même type de science, on ne cherchait pas les mêmes lois » (Histoire de l'Idée de Nature, Albin Michel, Paris, 1969, p. 29).