Philosophie et actualité
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- Écrit par : Patrick Juignet
Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la médecine, un trésor nous est légué par la mise à disposition des écrits de Guy Patin (1601-1672), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris au milieu du XVIIe siècle.
Il ne fut pas novateur, mais plutôt une figure académique caractéristique. Il militait pour la suprématie de la Faculté de médecine de Paris et pour la doctrine médicale héritée d'Hippocrate (Ve siècle avant notre ère) et de Galien (IIe siècle de notre ère).
Son obstination à nier la circulation du sang a valu à Guy Patin de ne survivre aujourd’hui que sous le grand chapeau noir de Thomas Diafoirus, médicastre pédant que Molière a brillamment ridiculisé dans son Malade imaginaire (1673).
Des propos sur la condition humaine ont attiré mon attention au début de la thèse intitulée : Estne totus homo a natura morbus ? Par nature l’homme n’est-il que maladie ? (1643). Loïc Capron nous apprend qu'il s'agit du commentaire d’une parole de Démocrite dans Hippocrate : Ολος ο ανθρωπος εκ γενετης νουσος εστι, Totus homo ab ipso ortu morbus [L’homme n’est de naissance que maladie].
Patin, tout en convenant du rôle morbide de certains penchants, conclut en faveur d'une origine naturelle de cette malédiction : Ita nascentes morimur, finisque ab origine pendet. Ergo totus homo est a Natura morbus : Ainsi mourons-nous en naissant, et la fin est-elle suspendue au commencement. Par nature, l’homme n’est donc tout entier que maladie.
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- Écrit par : Patrick Juignet
Une opinion assez répandue prétend que nous vivrions, en occident, dans une culture postmoderne qui favoriserait le narcissisme. C’est la thèse du sociologue américain Christopher Lasch (1979) qui décrit la personne narcissique comme superficiellement détendue et tolérante, mais en fait anxieuse et ayant perdu la notion d’appartenir à la succession des générations.
D’autres auteurs ont poursuivi dans cette voie critique, comme Gilles Lipovetsky ou Pierre Legendre, prétendant que notre civilisation verrait le triomphe de Narcisse. Le narcissisme vu selon ces auteurs est vague ; il associe individualisme, infantilisme, laisser aller, perte des repères. Cette opinion d'un narcissisme ambiant dans une "société dépressive" est colportée par Elizabeth Roudinesco (2017). Pour Anselme Jappe (2017), le narcissisme, assimilable à un nouveau fétichisme, est un trait caractéristique de la "forme sujet moderne" entendue comme construction culturelle d'un acteur extérieur au contexte social. Il n'est pas bienvenu de référer cette critique sociale au narcissisme.
Voir le narcissisme sous l’angle négatif d’un dérèglement du caractère lié à un effet de civilisation n’est pas satisfaisant, car cette conception fait rater l’essentiel : le narcissisme concerne la construction de la personnalité ; il a trait à l’individuation, l’autonomisation, l’identité, la confiance en soi. Le voir uniquement sous le jour de l'égocentrisme, de l'égoïsme, d'un amour exagéré de soi est réducteur.
L'abord psychopathologique permet une compréhension bien plus riche du narcissisme.
Pour en savoir plus, deux articles : Le narcissisme et Les passions narcissiques
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- Écrit par : Patrick Juignet
Après La Société écologique et ses ennemis (La Découverte, 2017), Serge Audier, philosophe et maître de conférences, publie L’Âge productiviste (La Découverte, 2019), une enquête sur les origines et la pérennité du productivisme. Le productivisme est une volonté apparue à la fin du XIXe siècle. Elle est restée un principe dominant dans nos sociétés industrielles, principe qui a suscité l’adhésion et même la fascination au sein d’idéologies pourtant opposées – du libéralisme classique jusqu'au communisme et au néolibéralisme.
Le productivisme a été mis en avant par Ernest Solvay, à la fin du XIXe siècle. Il s'agit de valoriser la production en général (agricole, industrielle) qui se doit d'être toujours plus efficace ce qu veut dire quantitativement et qualitativement plus importante. Pourquoi le productivisme a-t-il été largement admis et mis en œuvre avec autant de vigueur ? Pourquoi persiste-t-il sous forme du culte de la croissance continue ?
Le succès de l'idée productiviste a plusieurs motifs. Pour les progressistes, une production abondante est source de bien-être social, d'émancipation et elle permet de libérer du temps de travail. Pour les possesseurs du capital, l'intensification de la production est source de profit toujours plus grands. Pour les responsables des États, la croissance est un facteur de puissance indispensable pour résister aux États rivaux. Plus largement, le productivisme concorde avec l'idéologie de domination de la nature par le travail qui est apparu au XVIIe siècle en Occident.
Présentation dans un interview à Médiapart
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- Écrit par : Patrick Juignet
Mercredi 10 avril 2019, la première image d'un trou noir, situé au centre de la galaxie M87, a été obtenue. C'est le fruit d'une collaboration internationale baptisée Event Horizon Telescope (EHT) qui regroupe une dizaine de radiotélescopes et d'observatoires répartis autour du globe.
La théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, élaborée en 1915, démontre que des corps massifs peuvent, dans certaines conditions, s’effondrer sous l’effet de leur propre gravité jusqu’à former une région de l’Espace dont plus rien, ni la matière, ni la lumière, ne peut sortir. Se constitue alors un "trou noir". Un tel fait ne se réduit pas à un point ou à une singularité perdue dans l’immensité du Cosmos, mais s'accompagne d'une zone appelée "horizon des événements" au-delà de laquelle rien ne peut revenir. C’est l’existence de cet "horizon des événements" associée aux trous noirs que montre l’image diffusée par la collaboration nommée Event Horizon Telescope.
Dans le cadre de la philosophie des sciences, on dira que ce qui avait était prédit théoriquement a été observé empiriquement, ce qui est nécessaire pour valider un savoir scientifique. Cette observation n'est pas une perception, mais une construction complexe. Il a fallu utiliser un réseau de radiotélescopes répartis sur la planète, les synchroniser entre eux et faire des calculs gigantesques pour arriver à transformer les données en une image. C'est une construction empirique qui dépend de concepts et de techniques très élaborées. Gaston Bachelard commenterait en disant que toute expérience scientifique est un moment de la pensée théorique, un résultat préparé et construit.
Plus d'info : cnrs > le journal
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- Écrit par : Patrick Juignet
Raphaël Sandoz, (Unité d'histoire et philosophie des sciences Université de Genève), propose une nouvelle ressource numérique disponible en ligne : un étonnant et très utile "Atlas historique interactif des disciplines". On y trouvera les diverses descriptions et classifications de l'ensemble du savoir humain au fil des siècles.
Ce site vise à retracer l'évolution des diverses disciplines du savoir humain au cours des siècles — de Platon à Piaget — à travers des "cartes du savoir" classées chronologiquement ou par pays. La plupart des disciplines figurant dans ces figures schématiques sont assorties de définitions issues des sources historiques.
Des outils de recherche permettent d'interroger cette base de données permettant, par exemple, d'afficher les redéfinitions successives d'une même discipline au cours du temps. Ceci permet d'étudier la façon dont la "table des matières" des connaissances humaines a évolué et été sans cesse remaniée à travers l'histoire. En outre, ce projet est participatif : les usagers du site peuvent proposer de nouvelles définitions disciplinaires ou ajouter des références bibliographiques. Un outil très utile pour les chercheurs en épistémologie historique, philosophie de la connaissance, en histoire des idées et en histoire des sciences.
Disponible à l'adresse : http://atlas-disciplines.unige.ch