Un numéro spécial de la revue Mondes en Développement a été consacré au développement économique. Les auteurs évoquent les causes immédiates que sont les accumulations de capitaux matériels et humains et des facteurs jouant à long terme : les institutions, la culture, l’histoire et la géographie, sur lesquels nous allons nous pencher.

Les travaux de Douglass North ont montré l'importance des institutions. Elles jouent un rôle favorable si elles permettent des relations sociales stables et garantissent le droit de propriété. En gros elles facilitent les échanges économiques en réduisant l’incertitude et permettent la confiance entre inconnus. La confiance est un phénomène culturel transmis entre les générations, mais aussi garantie par les institutions. D'autre part, la protection des droits de propriété favoriserait l’émergence de systèmes financiers propices à l’accumulation productive.

Avner Grief et Guido Tabellini, respectivement chercheurs à Stanford et à l’Université Bocconi de Milan, avancent l’idée que la divergence entre l’Europe et la Chine durant le dernier millénaire pourrait venir de faits culturels liés à l’organisation des familles. En Chine prédominaient les structures familiales élargies et hiérarchiques avec un poids important donné à la morale et à la réputation favorisant  la coopération à l’intérieur du groupe. Au contraire en Europe, le cadre historique de la coopération, qui était la Cité, a permis le transfert de la confiance entre proches vers des anonymes, source de développement des marchés.

L’histoire et les conflits armés est ainsi un autre élément a pendre en compte. Une lecture du développement insiste par exemple sur l’importance du hasard des expéditions coloniales dans l’adoption des traditions légales. Elles auraient des conséquences directes sur les destinées du pays. De la colonisation ont aussi été héritées des frontières politiques. Le partage de l’Afrique a été décidé à la conférence de Berlin en 1884 et a perduré dans les frontières des pays accédant à l’indépendance. Le caractère « artificiel » des frontières interétatiques, a entrainé en particulier le partitionnement des territoires ancestraux des groupes ethnolinguistiques, a pu entraver le développement économique. Les deux Corée partagent la même géographie, la même culture, possèdent une longue histoire commune. Le conflit politique les a fait diverger de façon radicale. 

Le retard de développement s'explique aussi par les caractéristiques géoclimatiques. Selon Jared Diamond, si l’Eurasie a décollé économiquement c’est grâce à son orientation est-ouest et l'absence de barrières montagneuses gênantes. L’Amérique latine contrairement à l’Amérique du Nord serait une région favorable à des activités caractérisées par de fortes économies d’échelle comme la culture de la canne à sucre ou du tabac ou les activités minières. Il en résulterait d’importantes inégalités sociales à l’origine d’institutions peu inclusives et peu efficaces.

La fragmentation ethnolinguistique  peut augmenter les coûts de transaction et dans les situations extrêmes, générer des guerres civiles. Mais le caractère accidenté de la topographie, qui représente aujourd’hui un obstacle aux échanges, a pu constituer dans le passé une protection des populations contre des agressions extérieures. Les climats tempérés favoriseraient en outre la coopération sociale. Ils seraient ainsi générateurs d’institutions inclusives. La variabilité interannuelle se manifestant par l’occurrence de sécheresses pourrait, au contraire, alimenter les conflits d’usage des terres.

On notera dans ces analyses l'absence de prise en compte des interactions inverses, c'est-à-dire de la manière dont le système économique influe sur les institutions, la société, la culture et l'histoire. Sans parler de l'environnement. Nous avons là une conception qui considère l'économie indépendamment de l'humain et du social. Elle n'en est pas autonome, puisqu'elle dépend de facteurs de ce type, mais le social (les institutions, la coopération, la confiance, les conflits, la stabilité) est considéré seulement comme agissant sur l'économie (facteurs favorisant ou défavorisant le développement). On retrouve la thèse de Karl Polanyi, qui constatait en 1944, que l'économie moderne s'est dissociée, « désencastrée » selon son terme, des relations sociales*. Nous laisserons de côté la question du degré de légitimité d'une telle approche compte-tenu du contexte, mais il convient de soulever le problème.

Polanyi Karl, (1944) La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, 1983.

Revue Mondes en développement :  50 ans de Mondes en développement 2022/3-4 (n° 199-200)