L'étude du mouvement brownien dans les gaz a été, avec la mécanique statistique développée par James Clerc Maxwell et Ludwig Boltzmann, l'un des triomphes du réductionnisme. Vincent Ardourel reprend le problème à partir de la question : peut-on retrouver le comportement aléatoire d’une particule dans un fluide à partir d’équations déterministes ? Le mouvement erratique d’une particule dans un fluide — ou mouvement brownien — est dû aux collisions des molécules entre elles. Jean Perrin en a mesuré les trajectoires erratiques et donné un schéma en 1909.

Ce mouvement est généralement étudié à l’aide d’une équation contenant une force aléatoire qui représente les effets de ces collisions. Dans quelle mesure peut-on retrouver ce comportement aléatoire en décrivant le fluide comme un système déterministe (sans introduire de force indéterministe) ? Vincent Ardourel montre qu’une telle dérivation est mathématiquement possible et en analyse les conséquences épistémologiques pour la réduction inter-théorique en physique.

Vincent Ardourel soutient que cette dérivation ne permet pas de défendre directement une position réductionniste, car le problème exige d’analyser le type de limite mathématique utilisée dans cette dérivation.

L'auteur se situe uniquement dans le cadre de la réduction inter-théorique au sein de la physique. Il étudie les équations permettant de décrire le mouvement  brownien au niveau microscopique, mésoscopique et macroscopique, en s'appuyant sur les travaux mathématiques récents menés par Thierry Bodineau, Isabelle Gallagher, Laure Saint-Raymond (2016). 

Pour comprendre le raisonnement, il faut distinguer, comme l'a suggéré T. Nickles en 1973 dans Two concepts of Intertheoretic Reduction, deux types de réductions inter-théoriques :
- Un réductionnisme de type 1 qui correspond à ce que Nagel a décrit en 1949 et 1961, consistant en une dérivation logique des lois d'une théorie à partir d'une théorie plus fondamentale.
- Un réductionnisme de type 2 consistant en une dérivation nécessitant des opérations mathématiques pour passer d'une loi à une autre.

Ici, nous sommes dans le cas 2. Les équations décrivant les processus aux trois niveaux (micro, méso, macro) demandent un traitement mathématique pour être éventuellement dérivées les unes des autres.  De plus, les équations se résolvent différemment et peuvent être dérivées, ou pas, lorsque les variables sont portées aux limites (zéro ou l'infini). Si les limites sont régulières, la réduction est possible, si elle est singulière, elle est mathématiquement impossible.

La limite de Boltzmann-Grad (décrivant le passage de l'état microscopique à l'état mésoscopique) à deux cas limites (lorsque le nombre de molécules tend vers l'infini ou leur diamètre tend vers zéro) et l'équation décrivant l'état mésoscopique une limite (lorsque la variable alpha tend vers l'infini). Dans ces conditions, la réduction inter-théorique semble impossible.

Nous retiendrons de sa démonstration combien le réductionnisme est délicat, même en se limitant à une réduction théorique au sein d'un seul domaine, celui de la physique.

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Communication au séminaire général IHPST -  7 févr. 2022 12:30 PM Paris.

Vincent Ardourel est chargé de recherche en histoire et philosophie des sciences de la vie (CNRS, IHPST).

Référence :

Ardourel Vincent. Brownian motion a deterministic system of particles. Synthese. 2022. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03520187.