Revue philosophique

Dans la Grèce ancienne, le mot alètheia (ἀλήθεια) désignait le sens dispensé par les personnes investies d’une autorité, telles que les aèdes, devins, prêtres ou rois, et plus généralement les « Maîtres de vérité », selon l’expression de Marcel Détienne. On croyait à la parole sans preuve, parole qui se suffisait à elle-même, car émanant d’une autorité sacralisée. C'est un propos tenu pour vrai, poétique, assertorique, une croyance qui s'impose.

Le contraire de l’alètheia n’est pas le faux ou le mensonge, mais le caché, l’oubli, ce qui est dans l'ombre (par opposition à la lumière). La déesse Léthé étant la déesse de l’oubli, pour la contrer, il fallait énoncer et mettre en lumière ce qui devait être su de tous.

Pour Platon, « la divination permet de toucher en quelque manière la vérité ». C’est le dévoilement de ce qui est caché à l’appréciation ordinaire. L’alètheia procède de l'intuition immédiate ou de l'art divinatoire, procédés qui permettraient de connaître les intentions cachées des dieux, la destinée, ou plus prosaïquement la volonté des puissants.

Le terme alètheia a souvent été traduit dans les textes religieux des monothéismes par vérité. Elle devient ce qui est énoncé-révélé par le prophète. Il a été repris par Martin Heidegger qui prétend retrouver le sens originaire de l'idée de vérité par sa métaphysique du dévoilement de l’être.

L'assimilation de l'alètheia à la vérité a produit une ambiguïté, source de confusion. Cette assimilation a été rendue possible par l’aspect psychologique de la croyance, qui correspond à une adhésion affective. On adhère et valorise ce qui est considéré comme exact et non discutable (et inversement). C'est le statut primitif et affectif de la vérité parfaitement congruent avec l'alètheia. Croyance et vérité se confondent dans la pensée pré-moderne.

Les conditions pour acquérir un statut d'affirmation crédible ont changé à la période hellénistique classique, puis avec la modernité. Alors que la parole magico-religieuse se situait dans un monde de forces et de puissances, on est passé à une réalité dépourvue de forces obscures ou cachées ; alors que la parole d'autorité valait dans les sociétés hiérarchisées autoritaires, elle a perdu sa crédibilité dans les sociétés démocratiques.

Les critères du crédible par révélation, divination, argument d'autorité, critères attachés à l'alètheia, ont été démis de leur validité avec le laïcisation de la société et la sécularisation du monde. La vérité est devenue ce qui se montre ou se démontre. L’exigence d’une vérité démonstrative est une avancée civilisationnelle qui correspond à une progression du rationnel, mais la civilisation est un processus fluctuant, qui parfois régresse.