Revue philosophique

Pour Ludwig Feuerbach, auteur de l'Essence du christianisme, l'idéologie est l'ensemble, plus ou moins cohérent, de représentations, de valeurs et de principes moraux que génère une société. Elle apporte un réconfort aux hommes déchirés par les difficultés de la vie. Au travers de leur idéologie, les individus traduisent leur condition sociale et leurs aspirations. Une idéologie n'est pas neutre politiquement, elle poursuit un but, même si elle prétend le contraire, qui correspond à la défense des intérêts du groupe social.

Selon  Roger Eatwell et Anthony Wright (Contemporary political ideologies, 1999, p. 17), l'idéologie peut se définir comme : « un ensemble relativement cohérent de croyances et de pensées normatives et empiriques, qui porte sur les problèmes de la nature humaine, l’évolution de l’histoire et les dynamiques sociales et politiques ».

Une idéologie est un ensemble d'opinions partagées par un groupe social, opinions qui ont des effets collectifs au-delà de la sphère privée. L'idéologie est liée aux nécessités inhérentes à l’action collective. Elle est véhiculée et fréquemment réitérée par les membres du groupe, ce qui influence son contenu (qui se simplifie) et sa forme rhétorique (qui se fige au fil du temps). L'idéologie véhicule un ensemble de croyances adossées à des intérêts ou des idéaux. Elle n'est pas neutre, ni socialement, ni politiquement.

L'idéologie est  souvent floue et constitue rarement une doctrine bien définie et circonscrite. Elle n'a pour critère la vérité, mais la normativité : elle veut imposer une vision de la société, normer les conduites, produire des effets sociaux. Elle est généralement appuyée sur une métaphysique dans laquelle elle trouve des justifications. Qu'elle soit bonne ou mauvaise par rapport à l'intérêt collectif, l'idéologie est toujours simplificatrice et se distingue de la science, comme de la philosophie.

L’idéologie a fréquemment un aspect trompeur, mettant avant un idéal honorable pour cacher une pratique liée aux intérêts économiques ou politiques d'un groupe social. Un peuple peut ainsi adhérer à une idéologie parfaitement contraire à ses intérêts. L'idéologie est toujours affective, elle est portée par l'émotion et s'accompagne souvent de violence pour s'imposer. En cela, certaines idéologies sont dangereuses, comme l'a bien montré l'histoire du XXe siècle au cours duquel les idéologies ont conduit à des massacres de masse.

Nous vivons dans un océan idéologique au sein duquel, selon les pays et les époques, des dominantes se créent. Il est du devoir du philosophe d'apporter une distance critique par rapport à l'idéologie, que ce soit par rapport à son contenu ou au travestissement de la réalité qu'elle produit.

 

Note : Le terme idéologie a été employé à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle pour désigner un courant philosophique d'inspiration sensualiste (Destutt de Tracy, Maine de Biran, Georges Cabanis) en un sens qui n'a rien à voir avec celui adopté ici. Cabanis prétendait promouvoir une connaissance de la formation des idées, d'où le nom "idéologie".