Retour du religieux ? Le problème ne se pose que dans les sociétés occidentales au sein desquelles la foi a reculé et les institutions religieuses ont perdu en influence politique. Il ne se pose pas dans les autres sociétés où la religion a toujours été omniprésente et mêlée au politique.

Les derniers livres d'André Tosel (Du retour du religieux et Nous citoyens, laïques et fraternels ?), ainsi qu'un récent numéro de la revue ¿Interrogations? sur ce sujet sont l'occasion de s'interroger. À ce sujet, nous suivrons, de manière critique, l'article d'Édouard Delruelle : "De la laïcité comme dissensus communis". La laïcité a une double face, elle est à la fois civile et politique : civile, car une sorte de consensus s'est établi pour une neutralité publique, et politique par la séparation de l'État et du clergé. L’État garantit la liberté de conviction religieuse et le libre exercice des cultes et, corollairement, un consensus relègue les manifestations religieuses dans la sphère privée, afin d'éviter la réactivation d'une conflictualité permanente.

Pour Édouard Delruelle, quand la laïcité se veut antireligieuse, elle donne lieu paradoxalement à un « fourmillement de religions laïques » comme on le voit au XIXe siècle chez Saint-Simon, Comte, Durkheim, ou encore dans les messianismes communistes : « il n’y a pas de retour du religieux, parce qu’il était latent ou même déclaré dans l’exercice même de la laïcité, dans les formes de rationalité qui la déployaient et la justifiaient » écrit Robelin en 2012.

Il semble assez vrai de dire que "ces formes, quand bien même se rempliraient-elles de “contenus” idéologiques séculiers, voire athées, ne pouvaient échapper à une certaine économie du sacré entendu à la fois comme tension vers, horizon et comme centre des tabous et des interdits – économie qui requerrait forcément quelque “maître signe” du discours, signe au-delà des signes, qui ne réfère qu’à soi".

Mais, par contre, affirmer "que Dieu cesse d'être ce signe autoréférentiel ne touche pas fondamentalement cette économie du sacré, puisqu’il peut être allègrement remplacé par Science, Révolution, Humanité, etc." est faux. Cela change sur deux points importants :

  • Que l'homme reconnaisse pour siens le symbolique entendu comme loi commune, éthique, sens de la vie, etc., ou décide qu'ils lui soient octroyés par un Dieu tout puissant, donne des effets différents.
  • Que les hommes se saisissent de leur destin, individuel et collectif, s'en attribuent la responsabilité, ce n'est pas la même chose que de les mettre entre les mains de Dieu ou de ses représentants.

La demande faite par Édouard Delruelle que : "la laïcité entreprenne la critique active de ses propres présupposés et s’assume, de ce fait, sur le plan éthique comme sur le plan politique, comme une méthode transcendantale réfléchie", est recevable sous une forme un peu différente. L'humanisme athée et son corollaire démocratique, la laïcité, se revendiquent comme philosophie ayant des conséquences politiques.

"Pour Claude Lefort, la révolution démocratique du tournant des XVIIIe et XIXe siècles a dénoué le théologique et le politique ; une nouvelle expérience de l’institution du social s’est dessinée. Avec la démocratie, le lieu du pouvoir devient en effet, selon Lefort, un lieu vide, au sens où il est interdit aux gouvernants de s’approprier, de s’incorporer le pouvoir." La démocratie dissout la certitude et inaugure une histoire dans laquelle les hommes font l’épreuve d’une indétermination quant au fondement de la Loi, du Pouvoir et du Savoir. Du coup, un malaise se produit. Le totalitarisme naît du désir de conjurer l’incertitude démocratique et la menace d’une société sans fondement apparent.

Édouard Delruelle note que c’est l’immense mérite d’André Tosel d’avoir tenté de poser le problème dans toute sa complexité à partir de la notion de symbolique telle que l’a élaborée l’anthropologie française de Lévi-Strauss à Godelier. Comment confronter cet acquis de l’ethnologie avec l’analyse marxienne du capitalisme ? Y a-t-il place, dans le matérialisme historique, pour la notion de symbolique ? André Tosel repère un fléchissement chez Marx, entre le Manifeste du Parti communiste (1848) et Le Capital (1867).

  • Dans un premier temps, Marx semble identifier le capitalisme à un processus de désymbolisation sociale et culturelle : tout sacré, toute valeur, toute institution sont dissous en flux marchands dans « les eaux glacées du calcul égoïste ».
  • Mais, dans un second temps, comme si la solidité du capitalisme l’avait amené à remanier son point de vue, Marx élabore sa théorie du fétichisme de la marchandise que Tosel interprète comme « religion de la vie quotidienne » (Tosel, 2011).

 

Bibliographie :

Tosel André (2011), Du retour du religieux, Paris, Kimé.

Tosel André (2015), Nous citoyens, laïques et fraternels ?, Paris, Kimé.

Delruelle Édouard. De la laïcité comme dissensus communis. ¿ Interrogations ? . 2017. http://www.revue-interrogations.org/De-la-laicite-comme-dissensus