Un récit de l'Univers
On peut proposer des récits qui racontent l'histoire de l'Univers et lui donnent du sens, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques reconnues. De tels récits offrent une synthèse historique hypothétique, cohérente et partageable, sur ce que l'on sait, sans pour autant supposer de téléologie aventureuse, ni de mystère métaphysique. Cet article propose ici un court récit illustré de l'Univers.
Pour citer cet article :
Beurgaud, Adeline. Un récit de l'Univers. Philosophie, sciences et société. 2019. https://philosciences.com/recit-univers.
Voici une histoire où l'on verra successivement : L'origine du Monde - Le début de l'Univers cosmique - L'évolution de l'Univers physique - L’apparition de la Terre - La diversification dans l'Univers - L’apparition de la vie - De la mer à la terre ferme - La complexification du vivant et son évolution - Les animaux sur terre - L’apparition de l’homme - La civilisation humaine - La pensée humaine. Bonne lecture.
L'origine du Monde
Tous les grands mythes traditionnels décrivent et datent l'origine du Monde, entendu comme tout ce qui existe Pour un récit philosophique rationnel, la question d'une origine du Monde rencontre une difficulté très importante. C'est une question particulière, que celle d'une origine absolue et première de toutes choses. Un avant du Monde, qui est tout ce qui existe, renvoie au néant (rien n'existe). Le passage de rien à l'existence, est difficile à concevoir et impossible à tester empiriquement. Elle diffère de celle de la formation de nouveautés au cours d'un processus évolutif.
Supposer le néant est une idée compréhensible, mais expliciter comment à partir de rien une forme d'existence peut se produire est impossible, sauf à faire des hypothèses métaphysiques invérifiables. Le néant n'étant rien il est difficile qu'il contienne ce qui a produit le (causes lois) Monde. Si on veut faire un récit plausible à partir de ce que l'on sait, il est préférable de s'abstenir de répondre à la question d'une origine absolue, même si l'Humanité se la pose avec insistance. La cosmologie scientifique donne seulement une idée du début de l'Univers tel que nous le connaissons, mais n'explique pas une origine à partir de rien.
La Nature et l'Univers
Laissant de côté le néant, de quoi parlerons nous ? Robert Lenoble avance l'idée intéressante que la Nature n'est pas quelque chose mais un attitude de l'homme envers le monde? Cette attitude a beaucoup varié. Dans un optique magique et animiste la nature est une entité vivante contenant et dominant l'homme. Elle a été menée par des Dieux et Déesses habitant les cieux, des génies présents dans les fleuves et les forêts. Puis elle est devenue réglée, pourvue de lois (les loi de la nature).
Sont restées paradoxales la place de l'homme et du monde par rapport à la Nature. Si le monde est tout, il ne peut faire partie de quelque chose qui serait la nature et si la nature l'englobe, elle est tout et c'est le monde. Si l'homme est dans le monde, mais extérieure à la nature, il se place dans un interstice qui risque d'être étroit, tant il a de traits naturels. Touché par la Grace il deviendrait surnaturel et ferait-il alors partie du Monde ?
Pour sortir de cas paradoxes nous choisirons de parler de ce que l'on connait du Monde, et qui se nomme l'Univers. Finalement notre récit sera un récit philosophique de l'Univers. L'Univers n'est pas fixe, il a une dynamique évolutive et nous allons essayer d'en faire le récit au vu des savoirs scientifiques actuels.
Le début de l'Univers cosmique
La cosmologie contemporaine a trouvé que l'Univers physique actuel était dense et chaud à ses débuts (il y a environ 13,7 milliards d'années), puis, qu'il a subi une expansion au cours de laquelle de nouveaux éléments physiques se sont formés, qui a été très rapide (ce que l'on a surnommé le "Big Bang"). Cette histoire est établie à partir d'un calcul sur la gravité et des équations d'Einstein ? Mais il y a d'autre forces que la gravitation, aussi d'autres choses ont pu se passer.
Par la suite, l'espace-temps, au sein duquel se placent les composants physiques, a été en expansion constante. On ne peut lui assigner de centre contrairement à ce que voudrait l'intuition ordinaire. L'univers physique décrit par la cosmologie se compose principalement de vide, de rayonnements, d’atomes d’hydrogène et d’hélium formant des étoiles regroupées en galaxies.
Les étoiles fabriquent du carbone, de l’azote et de l’oxygène. Lorsque certaines étoiles explosent, sous forme de supernovæ, elles synthétisent des atomes lourds tels que le sodium, le calcium, ou très lourds, comme le fer et le nickel, qui demandent des millions de degrés pour leur formation.
L'évolution de l'Univers physique
La cosmologie est l’étude de l’Univers dans son ensemble du point de vue physique. A partir d’un espace restreint et homogène après le Big Bang, toutes les structures que nous connaissons aujourd’hui se sont formées : les filaments cosmiques, les galaxies, les étoiles et les planètes.
Au commencement on suppose qu'il n'y avait que des particules élémentaires et de l'énergie.
Les atomes se sont formés plus tard au sein des étoiles. Les atomes très lourds comme le fer se sont forma dans les explosions d'étoiles, les supernova. Le niveau physique est resté seul très longtemps. Nous n’avons aucune idée de l’avenir de l’Univers dans son ensemble, mais a priori rien ne justifie, du point de vue physique, ce que les mythes nomment "la fin du monde".
Après le début de la formation de l'Univers, il n'y a eu longtemps qu'une seule forme d'existence, le seul niveau décrit par la physique. Par la suite, à côté du niveau physique, sont apparus d'autres niveau d'existence, chimique, biochimique et biologique.
Mais le niveau physique perceptible et connu ne constitue que 5 % de l’Univers. Les 95 % restant sont composés d’une part de ce que l’on appelle la "matière noire", faite de particules aujourd’hui inconnues (25 %) et d’autre part de l’énergie noire, créant une force répulsive à l’origine de l’expansion de l’univers (70 %). Ces deux dernières n’émettent ou n’absorbent pas de lumière, elles sont donc invisibles.
L'Univers est en expansion continue. S’il n’y avait que des particules pourvues de masse la force de gravité devrait freiner. Les observations montrent que ce n’est pas le cas, ce qui signifie qu’il existe une force répulsive, que l’on a appelé « l’énergie noire » au début du XXIe siècle. Elle explique que l’expansion de l’univers ne décélère pas.
L’apparition de la Terre
Il y a quelques milliards d’années (entre 4 et 5), un noyau gazeux rencontra les atomes lourds dispersés par l’explosion d’une supernova. Cette explosion eut l'avantage de comprimer le nuage gazeux qui se contracta pour former notre Soleil. Les poussières se rassemblèrent en un disque suffisamment dense pour devenir gravitationnellement instable. Se formèrent ainsi des planétoïdes en très grand nombre qui s’entrechoquèrent et fusionnèrent pendant 200 millions d’années.
Dans ce disque, se constituèrent les planètes telluriques telles Mercure, Vénus, Terre, Mars, et gazeuses telles Jupiter et Saturne. Quand la Terre était toute jeune, un gros un astéroïde est entré en collision avec elle, et les débris ont permis de former la Lune.
La diversification dans l'Univers
Le passage du niveau d’organisation physique (celui de l’énergie du rayonnement et des atomes) au niveau chimique (celui des molécules) s’est amorcé dans notre galaxie lors de sa formation, mais s’est développé grâce à l’eau liquide terrestre. L’eau est tombée du ciel par les comètes et météorites sous forme de glace en association avec du carbone. Selon les températures terrestres, elle s’est successivement vaporisée ou liquéfiée pour finalement se stabiliser sous forme d’océans il y environ 3 à 4 milliards d’années. L’organisation chimique correspond aux édifices d’atomes et molécules qui se lient entre eux par des liaisons plus ou moins fortes issues de l'interaction des couches électroniques externes aux atomes.
L’apparition de la vie
Suite du processus de diversification chimique, une complexification supplémentaire est apparue sur Terre. Cela a pris environ 500 000 ans à partir du moment où le bombardement par les astéroïdes a cessé et que l’eau liquide s’est installée. Au sein de cette eau primordiale, sous l’effet du rayonnement et de la chaleur, des composés organiques se sont formés, c’est-à-dire des molécules plus grosses et plus complexes comportant des atomes de carbone, d’azote et de soufre.
Parmi les composés organiques qui se sont formés, certains ont une propriété d’auto-assemblage qui leur permet de se lier entre eux de manière répétitive. Les protéines polarisées ont la particularité d'avoir des possibilités d’auto-assemblage en rangées, ce qui donnent des membranes. C’est aussi le cas des acides aminés. De l’association des acides aminés à l’acide ribonucléique est venue la possibilité de répétition de ces assemblages. Lorsque les membranes ont entouré des complexes associant acides aminés et ARN, les premières cellules sont nées.
L'organisation biologique, constitutive du vivant qui est apparu sur Terre demande des conditions particulières comme de l'eau à l'état liquide. La fin de la vie sur Terre est assez proche, à l'échelle de la temporalité cosmologique, à cause du réchauffement solaire. Il suffit que le rayonnement solaire augmente de 10 % pour que la température terrestre dépasse les 100°C et que l’eau se vaporise. Si le cycle de notre étoile poursuit son cours actuel, cela se produira dans environ 600 millions d’années.
De la mer à la terre ferme
Les océans constituaient un environnement relativement stable, mais la surface émergée était hostile. L'arrivée de la vie sur la Terre ferme demanda plusieurs changements : une stabilisation climatique avec des zones humides permanentes et un changement de l'atmosphère permettant à la couche d'ozone protectrice de se former. La colonisation des terres émergées par la vie végétale débuta il y a environ 450 millions d’années.
Ce processus nécessita des centaines de millions d’années. Les plantes ne furent pas les premiers organismes à coloniser les terres émergées, ce furent en premier des bactéries. Cyanobactéries, algues, champignons et peut-être lichens participèrent ainsi à la formation des premiers sols dans lesquels les plantes puisèrent des nutriments.
La capacité d’absorber de l’eau dans le sol et de la répartir dans leurs tissus a permis aux plantes de s’adapter à des climats secs. Le réseau vasculaire a aussi constitué un tissu de soutien, une sorte de « squelette » rigide donnant leur forme aux racines, aux tiges, aux feuilles et permettant à la plante de rester érigée : il avantagea tellement les végétaux qu’ils se développèrent rapidement et dominèrent la scène.
La complexification du vivant et son évolution
Dans les cellules, la double hélice d’ADN stocke les plans, les ARN les transfèrent et construisent les protéines. Les plans sont mémorisés par un code donné par l’ordre de quatre amines basiques : adénine, cytosine, guanine et thymine. Il fallu deux milliards d’années pour qu'au sein des cellules, apparaissent les chloroplastes et les mitochondries, et que l’on passe des cellules sans noyau aux cellules avec noyau (appelées eucaryotes). Le système mitotique des eucaryotes permit l’explosion des métazoaires. Puis, un autre système se développa, celui de la méiose qui, au niveau des gonades, divise le génome en deux pour qu’il se reconstitue au cours de la fécondation.
Les animaux
La suite est affaire d’évolution par mutations successives de l’ADN et prolifération des formes vivantes les mieux adaptées. À condition que le phénotype résultant de la mutation soit réussi. On retrouve la même condition que pour les atomes et molécules, toutes les configurations potentielles ne peuvent exister. L’évolution des espèces vivantes a duré 3500 millions d’années. Elle a été ponctuée de diverses catastrophes, dont la plus grande s’est produite il y a 65 millions d’années (au Crétacé). Ce gigantesque bouleversement de l'environnement terrestre a été occasionné par la chute d’une météorite qui provoqua l’extinction de la majorité des espèces (et en particulier des dinosaures). La période suivante fut nommée l’ère tertiaire et c'est au cours de cette nouvelle ère que le règne des mammifères commence.
L’apparition de l’homme
Les mammifères ayant largement colonisé la planète, l'évolution des espèces a produit de nombreuses branches dont une qui a conduit vers les australopithèques. Les australopithèques végétariens sont apparus il y a un peu plus de trois millions d’années et leur descendants, les hominidés, un million d’années plus tard, sous deux types, l’homo habilis et l’homo erectus. À un moment critique, il y a 73 500 ans, s’est produite la dernière glaciation qui a réduit la population des sapiens à environ 5000 couples. Ce sont les ancêtres communs à toute l’humanité. C’est probablement un homo erectus d’origine africaine qui s’est répandu en Europe et en Asie. Pour la suite, on ne sait si l’homme moderne (homo sapiens) est apparu simultanément à plusieurs endroits du globe ou en un seul.
L'expansion humaine
Du berceau de l'humanité en Afrique il y a environ 7 millions d'années avant J.-C., les hommes ont ensuite migré en Asie dès 1 million d'années avant J.-C., Europe dès 500 000 avant J.-C., Océanie dès 40 000 avant J.-C. et enfin Amérique via le détroit de Béring lorsque celui-ci était au plus bas il y a 20 000 ans.
Dans l'expansion des humains à travers le monde, les barrières géographiques et climatiques ont eu un impact majeur sur la propagation des populations, leurs agricultures et sur les inventions : rapide de par le continent Eurasien dont l'axe est orienté latitudinalement qui présente une géographie favorable aux déplacements humains et un climat plutôt homogène ; et de façon bien plus lente et complexe sur les continents Africain et Américain, continents coupés par des déserts, l'isthme de Panama entre les deux Amériques et des climats très hétérogènes pour lesquels l'adaptation des hommes a demandé bien plus de temps, ralentissant conséquemment grandement leur progression.
La naissance de la culture
Au Néolithique, vers entre - 8000 ans et - 4000 ans, selon les endroits de la planète, se développa la domestication des plantes et des animaux. Il s’ensuivit un fort accroissement de la population. Un peu plus tard, à la même époque, on inventa l’écriture. C'est grâce à une capacité spéciale que l'on peut appeler représentationnelle. Est apparu en même temps le principal fléau de l’humanité, les guerres par armées organisées pour s’approprier des territoires, asservir ses semblables, accaparer les biens.
La civilisation humaine
L'humanité dans son ensemble a suivi un processus de transformation qui concerne simultanément la société, les individus et la culture (au sens large). Ce processus, qui n'est ni voulu, ni planifié, suit, dans la longue durée, un mouvement continu que l'on peut décrire selon trois axes :
L'organisation sociale, c’est-à-dire les interdépendances entre les groupes humains et au sein des groupes constitués, va en augmentant et en se complexifiant. Au cours du processus civilisationnel, l’économie psychique individuelle s’affine. Enfin, les représentations collectives du monde changent, deviennent plus réalistes et les récits comme celui que nous proposons en font partie.
L'effondrement des sociétés humaines
L'effondrement d'une société se traduit par la réduction drastique de sa population humaine et/ou de sa complexité politique, économique, sociale, sur une zone étendue et une durée importante. L'effondrement est la résultante accentuée de plusieurs types de déclins. À l'extrême, il s'agit de la disparition totale de la société en question, comme ce fut le cas sur l'île de Pâques ou des Vikings groenlandais.
L'effondrement est causé par les impacts humains sur l'environnement, les sociétés détruisant par mégarde la ressource sur laquelle elles reposent ou par un changement de climat associé à l'impossibilité pour la société de s'y adapter. Une autre cause majeure est la dégradation des relations avec les sociétés voisines, soit la disparition d'un commerce favorable soit la guerre.
La pensée humaine
D’un point de vue biologique, l’homme est un mammifère, mais il présente une particularité. Au sein de son système nerveux et plus précisément dans son cerveau, est apparu un niveau de complexité supplémentaire qui lui donne des capacités spécifiques : pensée, communication intense, transmission des connaissances, organisation de la société et de ses conduites selon des règles.
Ces capacités remarquables ne sont pas hétérogènes au monde, car elles procèdent du principe de complexification progressive selon lequel l'univers a évolué. Si l’on regarde cette évolution, on voit que du physique a émergé le chimique, d'où a émergé en un lieu privilégié de la Terre, le biologique, d’où a émergé grâce à la forme complexe du cerveau humain le mode cognitif et représentationnel. D'où l'idée d'un Univers pluriel dont l'homme fait partie sans discontinuité.
Conclusion
Selon Michel Serres un grand récit est possible de nos jours, car la science a mis en place une vision du monde cohérente.
«Il ne n'agit pas d'un grand récit comme autrefois, à l'image de la Bible par exemple, qui évoque un dessein intelligent, intentionnel, un plan divin. Le grand récit, tel que les savants le proposent s'écrit au futur antérieur. Il est contingent aléatoire et chaotique ».
Le récit de l'Univers ci-dessus est une conception réaliste et plausible issue des savoirs scientifiques accumulés et qui ont été remaniés au fil du temps depuis le XVIIe siècle. Le récit formulé dans cet article donne, comme les mythes traditionnels, une histoire, une vision globale de l'Univers et de la position qu’y occupe l’Homme. Mais il est appuyé sur les savoirs scientifiques reconnus au XXIe siècle et il est donc relatif à ce savoir qui est en évolution. Par sa synthèse historicisante, il dépasse chacune des sciences qui est limitée à son domaine.
Bibliographie :
Klein E., Marinopoulos S., Wieviorka M., Que cherchons-nous dans nos origines ?, Paris, Belin, 2015.
Lenoble R., Histoire de l'idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969.
Serres M., Entretien, In : Philosophie Magazine, N°11, 2007.