La psychiatrie dynamique en France 

 

La psychiatrie dynamique s’est largement développée en France de 1950 à 1980, puis a été mise de côté par un changement doctrinaire qui lui a été défavorable. C’était une psychiatrie psychodynamique, en évolution rapide et porteuse d’espoir. Il n'est pas exclu d'y revenir.

Pour citer cet article : 

Juignet, Patrick. La psychiatrie dynamique en France. Philosophie, science et société. 2025. https://philosciences.com/psychiatrie-dynamique-france

Plan :


1. La psychiatrie dynamique : une définition liminaire
2. La psychiatrie dynamique en France
3. La mise de côté de la psychiatrie dynamique
4. Un bilan mitigé et pas facile à établir
5. Un retour possible vers une psychiatrie dynamique
Conclusion : reconstruire une psychiatrie dynamique


 

1. La psychiatrie dynamique : une définition liminaire

Dans l’histoire des idées, il y a toujours quelques arbitraires à fixer la signification d’un mot et les dates d’une période. Henri Ellenberger dans son livre majeur The History and Evolution of Dynamic Psychiatry, paru en 1970 à New-York, a évoqué la longue gestation de la psychiatrie dynamique, au sens de l’intégration progressive des savoirs sur l’inconscient. Pour notre part, nous nous limiterons au XXe siècle[1], et plus particulièrement à la période ayant débuté après 1950.

Les pionniers Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, tous deux professeur de psychiatrie, ont tenté d'introduire la psychanalyse en France et ils publient La psycho-analyse ; des névroses et des psychoses, ses applications médicales et extra-médicales dès 1914. Les prémices d'une véritable réorientation pour la France, n'interviennent qu'à partir de 1925, lorsqu'une dizaine de psychiatres se regroupent pour fonder une association et une revue visant à un renouveau de la psychiatrie, incluant de nouvelles influences, dont celle de la psychanalyse. La première publication de L’Évolution Psychiatrique paraît en 1925. Elle est sous-titrée : « Psychanalyse – Psychologie clinique ».

Aux USA, le livre de Franz Alexander, Psychoanalytic Therapy: Principles and Application, publié en 1950 donne un repère. C’est un ouvrage pionnier pour l’application de la psychanalyse à la médecine qui a exercé une influence importante. D’autres psychiatres, comme Harry Stack, ont contribué à cette approche dynamique. Ces travaux ont modifié la prise en charge des troubles psychiatriques, en montrant l’importance des relations interpersonnelles et des conflits inconscients.

Franz G. Alexander[2] et Henry Ross s'inscrivent dans la mouvance de la psychiatrie dynamique. Ils mettent l'accent sur les processus psychodynamiques et les interactions entre le patient et son environnement. Leur ouvrage Dynamic Psychiatry s'inscrit dans la tradition de la psychanalyse appliquée à la psychiatrie clinique et à la psychopathologie. Les troubles mentaux ne sont alors plus considérés comme des entités, mais comme des processus influencés par les conflits intrapsychiques et interpersonnels. Franz G Alexander et Henry Ross notent que le progrès de la psychiatrie dynamique ont mis fin à l’isolement de la psychanalyse. Comme thérapeutique, elle peut, selon eux, s’intégrer à la psychiatrie[3].

Au sens le plus strict, le concept de psychiatrie dynamique repose sur deux idées 1/ les troubles psychiatriques ne doivent pas être considérés comme des maladies isolées considérées de façon nosologique. 2/ Ils sont explicables par la dynamique relationnelle qui s’est inscrite dans le psychique. Ce ne sont pas de simples désordres biologiques ou purement comportementaux. La psychanalyse a joué un rôle important pour donner un contenu à cette approche. Il nous semble qu'elle prend de l'ampleur à partir des années 1950.

2. La psychiatrie dynamique en France

2.1 Autres aspects et caractéristiques Françaises

Nous allons maintenant tenter d’élargir le qualificatif de « dynamique » à d’autres ouvertures de la psychiatrie qui ont contribué à la modifier et à en élargir le champ, tout particulièrement en France.

Dans le changement d’approche, la prise en compte du fonctionnement social au sein des institutions et hors des institutions (nous y reviendrons) tient une place non négligeable. En France, on le doit à François Tosquelles qui a avancé l’idée de thérapie institutionnelle au sens ou l’établissement hospitalier doit être soignant et non pathogène. Tosquelles s’est inspiré des travaux de Sullivan sur l’importance des interactions sociales. En 1986, a lieu dans le village de Saint-Alban-sur-Limagnole, les premières Rencontres de Saint-Alban sur la « psychiatrie institutionnelle[4].

On peut citer le projet de l'Association de Santé Mentale du 13ᵉ arrondissement de Paris 

« La formation psychanalytique de ces fondateurs leur permettait de se représenter le projet de soins comme englobé dans une perspective psychothérapeutique où les actions des assistants sociaux, infirmiers, rééducateurs, étaient inscrites dans une prise en charge personnalisée, là où se situaient les patients. Ils avaient compris l’impossibilité d’instaurer des traitements psychothérapeutiques dans des contextes qu’ils jugeaient agressifs et maltraitants » (ASM13 Histoire de notre association).

Un autre facteur est la découverte de la chlorpromazine, utilisée dès 1952 par Jean Delay et Paul Deniker en psychiatrie, a joué un rôle. Cette possibilité de soin et d’apaisement a énormément modifié le climat des institutions qui ne sont plus des asiles, mais des lieux de traitement nommés « hôpitaux psychiatriques ». La découverte d’autres psychotropes suivra. La diminution des symptômes les plus bruyants a joué en rôle certain pour permettre une pratique psychiatrique affinée et plus humaine, pouvant inclure l’entourage. Bien que cela soit contraire à la tradition, nous proposons d’inclure la nouvelle pharmacologie dans la psychiatrie au sens où elle se dynamise et évolue rapidement.

2.2 Une démographie dynamique

Ces nouveautés surgissent alors qu’un facteur démographique majeur intervient. De 1950 à 1980, il y a eu une augmentation massive des praticiens grâce à la mise en place d’un enseignement spécifique au sein des facultés de médecine[5]. Deux nouvelles générations avec un état d’esprit différent vont se succéder. La génération d’après-guerre animée d’une volonté de réforme et de justice sociale et celle post 1968 en mal de libération et de renouvellement des mœurs.

Le Certificat d’Études Spéciales en psychiatrie a été créé en France à la fin de 1968 ainsi que les structures d’enseignement correspondantes au niveau national et par faculté. En 1969, les hôpitaux psychiatriques intègrent le cadre administratif des hôpitaux généraux et les médecins deviennent des praticiens hospitaliers « comme les autres ». Ces réformes institutionnelles ont un impact sur la représentation sociale de la psychiatrie. Elle sort de sa mise à l’écart.

Une psychiatrie ambulatoire voit le jour. Les patients sont suivis par les psychiatres installés en cabinet dans le cadre de la médecine libérale. Ils vont et viennent librement et une diversité de pratique peut s’installer. Les principes de la médecine libérale sont appliqués : libre choix du médecin, paiement à l’acte, secret professionnel, liberté de prescription. La psychiatrie se banalise, elle sort progressivement de la stigmatisation idéologique.

2.3 Une ouverture sur la société

C’est au cours des années 1960, que le processus politique, médical et administratif visant à sortir les malades des hôpitaux psychiatriques s’est produit. On a voulu une prise en charge de la maladie mentale qui soit communautaire et ambulatoire. Toutefois, les ambitions des réformateurs de l’après-guerre ont peiné à se mettre en place. Pour des causes effectives comme les difficultés pour les cas graves à s’insérer et pour de mauvaises raisons : la résistance idéologique à la sectorisation.

En France, l’Association de Santé Mentale du 13ᵉ arrondissement parisien, fondée en 1958 par Philippe Paumelle, Serge Lebovici, René Diatkine, a joué un rôle pilote dans une psychiatrie de secteur, proche des lieux de vie des patients. Elle s’est ensuite, partout en France progressivement jusqu’aux années quatre-vingt. La formation psychanalytique de ces psychiatres leur a permis de concevoir un projet de soins englobé dans une perspective psychothérapeutique, où les actions des assistants sociaux, infirmiers, rééducateurs étaient inscrits dans une prise en charge personnalisée.

En 1954, ces médecins, associés à Serge Lebovici et Paul-Claude Racamier ont mis en place des psychothérapies analytiques pour les enfants. La psychiatrie de l’enfant et de l’adulte n’étaient pas séparées, ainsi une formation dans les deux domaines était possible[6]. Roger Misès a été l'un des acteurs principaux de l'émergence du soin institutionnel en pédopsychiatrie.

2.4 La diversité des recherches en psychiatrie

Beaucoup de psychiatres ont participé de près ou de loin à ce courant. Henri Ey avec son concept de psychiatrie organo-dynamique qui a proposé une vision intégrative du fonctionnement cérébral. Tout en restant réticent à l'idée d'une psychogenèse des troubles mentaux, il a organisé les Rencontres de Bonneval qui ont joué un rôle important dans le brassage des opinions.

Pierre Marty et les membres de l'École Psychosomatique de Paris ont développé une psychosomatique d’inspiration psychanalytique, proche de la psychiatrie dynamique américaine. Le travail de Marty sur la pensée opératoire et l’incapacité de certains patients à élaborer psychiquement leurs conflits a eu une grande influence. Michel Fain a approfondi l’étude des processus psychosomatiques dans une approche dynamique. Il a travaillé sur la relation entre les conflits inconscients et les troubles somatiques, tout en cherchant une articulation avec la psychiatrie clinique.

Sacha Nacht, quant à lui, a voulu intégrer la psychanalyse dans la formation des psychiatres en France. Il a fondé un modèle de psychothérapie psychanalytique appliquée à la psychiatrie. Il a joué un rôle dans l’enseignement de la psychiatrie psychodynamique. Julian de Ajuriaguerra a travaillé sur une approche dynamique des troubles psychiatriques chez l’enfant. Son travail sur le développement psychomoteur et les troubles du comportement l’a rapproché d’une psychiatrie intégrant les aspects psychiques et neurologiques. Le Manuel de psychiatrie de l’enfant (1974) est resté une référence.

Des psychiatres, certes moins connus, mais moins non moins intéressants, comme Mercel Eck et Jean-François Delrieux ont utilisé la psychanalyse dans les psychothérapies d'orientation psychanalytique. Ils en ont fait une présentation remarquable en 1960,  au « Congrès de Psychiatre et de neurologie de langue française » citant, à cette occasion,  Granoff, Ey, Balint, Nacht, Held, Hesnard, Minkowski, Jaspers, Lacan, et même  le philosophe Jean Hyppolite, ce qui témoigne de l'élargissement considérable du référentiel de la psychiatrie de l'époque. Nous citerons de leur rapport uniquement ce qui a trait à la dynamisation de la psychiatrie : « Même  les opposants les plus tenaces à la psychanalyse ne peuvent nier que, non seulement les techniques thérapeutiques, mais la psychiatrie tout entière, a pris une orientation nouvelle depuis l'apparition de la psychanalyse »[3bis]. En vérité, ce serait plutôt depuis que la psychiatrie a tenu compte du savoir apporté par la psychanalyse.

Tous ces auteurs souhaitent articuler psychanalyse, médecine et psychiatrie clinique. Je peux témoigner que durant mes études qui ont eu lieu au début des années 1980, ce pluralisme était effectivement présent. Ce qui n’empêchait pas les conflits, les exclusions réciproques, voir les anathèmes jetés aux uns et aux autres, y compris au sein d’un même courant. Néanmoins, le pluralisme existait au sein d’une discipline unifiée autour de l’héritage clinique. Cet état de grâce au sens d’un équilibre atteint dans les années 1980 n’a pas duré.

Sur le plan de l’enseignement les manuels sur une période qui va de 1950 à 1980 (ceux de Dide et Guiraud, de Ey, Bernard et Brisset, le traité de Minkowsky (d’inspiration phénoménologique), le Manuel d’Ajuriaguerra, les Manuels de Mazet et Houzel) frappent par des descriptions cliniques fines et précises, et un éclectisme qui nuit au plan. Ces travaux intègrent, aux auteurs français, les auteurs allemands (Kraepelin, Jaspers) et les descriptions de Freud. Concernant le savoir clinique, on a des tableaux cliniques très bien décrits, car solidement établis par de plusieurs générations de psychiatres. Pour la suite, on peut mentionner Jean Bergeret et Daniel Widlöcher qui ont proposé une psychologie pathologique associant la clinique psychiatrique aux théories psychanalytiques[7].

Un peu à part, mais caractéristique de la dynamique en cours, mentionnons Fernand Deligny, qui a créé un refuge pour les jeunes autistes. C’est l’un des premiers à avoir eu une approche pragmatique et à comprendre le besoin de permanence de ces patients[8]. Il note leur circulation dans la campagne. Il organise un réseau de « présences proches », constitué de paysans et de travailleurs sociaux non spécialisés, qui accueillent les autistes dans ce territoire. En 1973, avec Renaud Victor, il réalise le film Ce gamin-là, qui marquera les milieux éducatifs favorables à une éducation alternative.

2.5 Une psychiatrie dynamique

De 1970 à 1980, a régné un certain enthousiasme dû à l’idée que la psychiatrie, associée aux sciences humaines, permettrait non pas simplement de soigner des maladies, mais également d’accéder à l’humain dans sa généralité. On avait l’impression qu’un nouveau savoir, qui aurait des retombées thérapeutiques, mais aussi sociales, était en marche.

La psychiatrie ne s’est plus cantonnée au pathologique en lui supposant une essence spéciale, elle admettait au contraire une continuité entre le normal et le pathologique qui allait à l'encontre de l’exclusion et de la stigmatisation. Elle a cherché à comprendre l’humain dans sa globalité en s’appuyant sur d'autres disciplines pour enrichir sa pratique clinique. Une sorte d’équilibre entre les approches s’est instituée.

Une chance formidable a été donnée à la psychanalyse : celle de pouvoir s'adosser à un savoir clinique ancien et de qualité et de se constituer ainsi en un corpus cohérent adossé à la clinique. C'est le point culminant de cette avancée qui a mis en avant les diverses formes de la personnalité. Aucun symptôme n'apparait par magie, il est toujours celui d'une personne qui a une structure psychique et une histoire. 

Le terme « dynamique » qualifie d'abord l'école de pensée qui a intégré la psychanalyse, mais caractérise également une époque et un état d’esprit. Il y avait une idéalisation valorisante de la psychiatrie. À partir de 1969, trente années de marche en avant ont apporté des améliorations considérables dans la prise en charge des patients. Dynamique peut aussi servir à qualifier la rapidité du mouvement. Il y a eu plus de changement en 30 ans (de 1950 à 1980) que pendant le siècle précédent. Cet état de grâce a duré, en France, jusque vers 1980, puis a décliné sans disparaitre.

Élargir le sens du terme de psychiatrie dynamique pour caractériser l’évolution de la psychiatrie formée par la convergence d’approches diverses, au sein d’une discipline unifiée autour de l’héritage clinique, ne semble pas abusif. Cet équilibre s’est révélé instable. Il est devenu conflictuel et des tendances doctrinaires divergentes sont intervenues pour le déstabiliser.

3. La mise de côté de la psychiatrie dynamique

3.1 La biologisation de la psychiatrie

L’arrivée des neuroleptiques, antidépresseurs, normothymiques et anxiolytiques, a transformé la psychiatrie et l’ont dynamisée, mais à rebours, ils ont rendu les approches psychodynamiques moins centrales. Dans le même temps, se produisant une montée des neurosciences grâce à l’affinement des techniques. Les explications neurobiologiques ont pris de l’ampleur, bénéficiant d’une aura scientifique. Aux USA, les approches biologiques et ont pris le dessus à partir des années 1960-1970.

En France, ce sera plus tardif, vers 1980-1990, que les neurosciences et des modèles biologiques prennent une place dominante dans la psychiatrie académique et hospitalière. Celle-ci ayant le monopôle de l’enseignement, les praticiens ont suivi. Cette approche est parfaitement légitime et intéressante. En vérité, ce n’est pas elle qui est en cause, mais son hégémonie.  Le poids économique de l'industrie pharmaceutique ne peut être négligé dans cette hégémonie. L’inconvénient est que la neurobiologie a pris le pas et supplanté les autres approches, y compris lorsqu’elle est inadaptée. La neurobiologie a été officiellement favorisée en France par un « Plan cerveau », adopté par le gouvernement en 2006.

Des tentatives de conciliation avec la psychanalyse dans le courant des années 1990, dans le sillage notamment des travaux d’Allan Shore et de Mark Solms, qui ont tenté d’établir des passerelles. On peut par ailleurs souligner le rôle joué par certaines personnalités influentes comme le neurologue et philosophe Antonio Damasio ou encore le psychiatre Eric Kandel, prix Nobel de médecine en 2000 pour ses travaux sur les mécanismes neuronaux de la mémoire. Vu le climat intellectuel, il n’y a pas eu de suites.

Également venue des USA et qui cherche à s’imposer en France, Evidence based medicine est intervenue. « La médecine fondée sur les preuves consiste à utiliser de manière rigoureuse, explicite et judicieuse les preuves actuelles les plus pertinentes lors de la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient. Sa pratique implique que l’on conjugue l’expertise clinique individuelle avec les meilleures preuves cliniques externes obtenues actuellement par la recherche systématique »[9].

La méthode consiste à fonder les décisions cliniques sur les connaissances théoriques jugées scientifiques, tout en tenant compte des préférences des patients. Cela n’a en soi rien de problématique pour la psychiatrie, à ceci près que les critères de scientificité choisis sont inadaptés à une psychiatrie pluraliste. Sont sélectionnées uniquement les publications répondant à des critères expérimentaux, en gros les essais médicamenteux.

On doit mentionner dans ce cadre le projet des Research Domain Criteria (RDoC), dédié à la réalisation de l'un des objectifs du National Institute of Mental Health (USA) qui est « [d’]encourager les découvertes dans les sciences du cerveau et du comportement pour informer la recherche sur les causes des troubles mentaux », et de « développer, à des fins de recherche, de nouvelles méthodes de classifications des troubles mentaux basées sur des dimensions de comportement observable et de mesures neurobiologiques »[10]. C'est un projet militant qui vise à influencer la future édition du Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorders.

La psychiatrie dite « de précision » entre aussi dans cette perspective « À la résumer au plus court, son ambition est celle de toutes les médecines : singulariser au maximum la connaissance du pathologique afin d’y remédier au mieux. Mais, cette singularisation est celle des maladies, en vue de leur particularisation sur des bases scientifiques. Considérer des développements scientifiques permettant une meilleure prise en compte des spécificités individuelle[11] ne devrait être que positif. Cependant, là aussi les critères de choix des études est le même que précédemment et que cette approche sépare les malades de leurs maladies, elles-mêmes ramenées à des facteurs biologiques. On cherche à s’occuper des maladies mentales sans lier celles-ci à l’entièreté de la personnalité ou des ressources subjectives des malades[12].

3.2 Du comportementalisme aux TCC

On a constaté aussi une influence croissante du comportementalisme, doctrine qui veut ne s’en tenir qu’aux comportements observables et ne considérer ni le psychisme, ni le cognitif, considérés comme « boite noire ». Dans une préface de 1929 à une réédition de son ouvrage Behaviorisme, Watson s’étonne des critiques dont il fait l’objet, puisqu’il n’a fait qu’utiliser pour « l’étude expérimentale de l’homme le type de raisonnement et le vocabulaire que de nombreux chercheurs utilisent depuis longtemps pour les animaux inférieurs ». Le comportementalisme est une volonté de conditionner l’humain. Les techniques de conditionnement qui en découlent ont été utilisées en psychiatrie.

Le conditionnement pavlovien a été appliqué dans diverses techniques thérapeutiques. Par exemple la désensibilisation systématique a été utilisée pour traiter les phobies et l'anxiété, cette méthode repose sur l’association progressive d’un stimulus anxiogène avec un état de relaxation, jusqu’à ce que la peur soit atténuée. Le Conditionnement aversif, utilisé pour traiter les addictions (alcoolisme, tabagisme), consiste à associer effet pénible à l’addiction. Par exemple l’utilisation de l’antabuse pour l’alcool). Les thérapies par exposition sont fondées sur l’extinction des réponses conditionnées. Par exemple, une personne atteinte de TOC est exposée à une situation anxiogène sans pouvoir réaliser son rituel. Le béhaviorisme skinnérien a inspiré des techniques de modification du comportement comme l’économie de jetons utilisée dans les hôpitaux psychiatriques et les institutions. Les patients reçoivent des jetons lorsqu’ils adoptent un comportement souhaité. Le behaviorisme, le conditionnement, la techno manipulation, peuvent être efficaces. Il opère au détriment des capacités psycho-cognitives supérieures. L’enjeu éthique est de taille et demande à être examiné.

En psychologie, le cognitivisme a largement chassé le comportementalisme. À la fin des années 2000, la plupart des psychologues renoncèrent au principe de la boîte noire. On admit qu’il était possible de théoriser les processus psychologiques gouvernant les comportements. Le cognitivisme est un courant diversifié, très vaste, qu’il est impossible de décrire ici. Nous renvoyons à l’article correspondant[13]. Le cognitivo-comportementalisme, a conquis une partie de la psychiatrie sous diverses formes.

On s’est mis à construire « des modèles de processus invisibles dès lors qu’on peut prédire et constater leurs conséquences dans le comportement »[14]. Ce type de construction de processus cognitivo-psychiques se trouvent chez Aaron Tempkin Beck. Les pensées automatiques et les croyances irrationnelles (cognitions dysfonctionnelles) sont identifiées et remises en question. Cette approche également développée Albert Ellis (1957) avec sa thérapie rationnelle-émotive[15]. On n’est pas loin dans la forme des « modèles internes opérants »[16].

Certaines thérapies cognitives tiennent compte de la complexité de la vie humaine identifiée dans une Théorie Globale de la Personne. Selon Patrick Légeron (2004), un des promoteurs français des Thérapies Cognitives Comportementales en France, dès leur origine les thérapies comportementales et cognitives se sont inscrites dans l’optique de la psychologie expérimentale et l’évaluation objective de leurs résultats thérapeutiques a été systématiquement réalisée.

3.3 Le règne des classifications

La tendance à faire une clinique simple et standardisée est ancienne, mais elle est restée contenue. Dès 1910, on trouve aux USA le Diagnostic Interview Schedule conçu pour empêcher toute forme d’interférence subjective. Le questionnaire DIS peut-être administré par des enquêteurs non-psychiatre et finalement par ordinateur[17].

Les approches classificatrices internationales (DSM, CIM) se sont développées ensuite. Ces deux dernières se revendiquent « athéoriques » mais évidemment ne le sont pas et essentiellement utilisés dans la recherche et l’évaluation des pratiques thérapeutiques. Cette prétention athéorique correspond en vérité à une volonté d’empirisme et d’un abord non étiologique, fondée sur une méthode classificatoire et statistique. Ce choix a été motivé par l’absence d’un accord sur les causes ou les facteurs des tableaux cliniques. On notera que cela ne se retrouve dans aucun autre domaine médical où renoncer à l’étiologie serait considéré comme ridicule. Toutefois, cette approche à une certaine légitimité par rapport à une mise au point descriptive relativement consensuelle simplificateur.

Le problème vient d’une utilisation abusive comme référence clinique, ce qui a eu pour effet indirect de remiser la clinique traditionnelle. Un autre aspect négatif vient d’un usage simplifié à des fins de codage des actes. Le DSM comporte des diagnostics de personnalité intéressants qui peuvent être associés aux diagnostics symptomatiques. Mais, ils ne sont généralement pas employés, le but étant d’obtenir un diagnostic principal.

3.4 L’isolement de la psychanalyse

Les dénigrements réciproques

Steeves Demazeux note avec justesse qu’à partir de 1980 le climat change. Le débat épistémologique « a dégénéré en polémiques interminables, aux allures guerrières, où les invectives et les procès d’intention ont remplacé les arguments ». «  Au lieu de réfléchir à de possibles points de convergence, on a alors assisté à une rigidification des positions perçues comme antagonistes : les neuroscientifiques […] ont répété à l’envi que la psychanalyse n’était qu’une pseudo-science, tandis que beaucoup de psychanalystes se sont détournés des recherches entreprises dans les neurosciences, considérées par eux comme réductionnistes […] »[18]. Il y a une situation de dénigrement et d’ignorance réciproque en France[19]. Ces attitudes ressemblent à s’y méprendre au problème cognitif bien connu : la difficulté à assumer une dissonance cognitive et à l’immaturité psychologique conduisant à se donner une identité par opposition.

Coupure d’avec la psychiatrie et les sciences humaines

Il y a eu en France une volonté de coupure avec la psychiatrie, mais également avec les autres sciences humaines. Selon Jean Laplanche, non seulement la psychanalyse n'est pas comme les autres sciences, en ce qu'elle ne progresse pas comme elles ; mais elle est peut-être dans un rapport avec les autres sciences qui n'est pas comparable à celui qu'elles entretiennent entre elles. Sont citées la biologie, la linguistique, l'histoire, la préhistoire et d'autres.

La psychanalyse aurait un privilège d'extraterritorialité, bien pratique pour s'exempter des rigueurs d'une évaluation. D'accord, en cela, avec Lacan, il veut la détacher de la psychiatrie, rompant avec le courant porteur de la psychiatrie dynamique, né dans les années 1950. Lacan et Laplanche se sont attaqués au courant qui voulait l’intégrer à psychiatrie[20].

Une partie de la psychanalyse s’est enfermée dans des récits fallacieux antipsychiatriques comme ceux de Paul Bercherie « La fondation par Freud du champ psychanalytique s’effectue d’emblée dans une récusation des principes constituants de la clinique psychiatrique, incarnés dans la doctrine organiciste »[21]. La clinique de l’époque a été reprise et enrichie par Freud, en particulier dans le champ des névroses. Que des principes cliniques soient « incarnés » par l’organicisme, doctrine étiologique et non clinique, voilà un drôle de narratif[22]. Peu importe les détails, cette définition par opposition à la psychiatrie vient d’une volonté de clivage, ce qui est fâcheuse et inappropriée[23].

4. Un bilan mitigé et pas facile à établir

4.1 De « beaux restes »…

L’ambulatoire est devenu la règle

En 2017, sur les deux millions de patients soignés en psychiatrie en France, 1,6 l’ont été par des dispositifs ambulatoires[24], soit le libéral, soit dans des CMP. Le nombre de lits en hospitalisation complète baisse quant à lui continûment, pour arriver à 53 000 places environ fin 2021. Le nombre (approximatif) de psychiatres a continué d'augmenter : de 8000 praticiens en 1985, il est monté à 14.200 en 2022 puis est redescendu à 13 300 en 2024. La densité de psychiatres est « parmi les plus élevées d’Europe »[25]. Du côté de l'offre, il n'y a pas eu de régression.

Psychopathologie et psychanalyse sur la touche, mais pas mortes

Les approches psychopathologiques et sociales, sans être abandonnées, ont été délaissées au profit de la neurobiologie et de la médication des troubles. De nouveaux courants psychologiques se sont imposés et la psychanalyse s’est isolée. Les psychothérapies se sont éparpillées et il règne un climat de guéguerre et de dénigrement réciproque. Toutefois, la partie de la psychanalyse intégrée à la psychiatrie a résisté, même si elle est devenue marginale.

Un enseignement qui reste pluraliste

En France, l’enseignement propose une offre large, y compris concernant les diverses psychothérapies et ainsi que la prise en copte de la dimension relationnelle et familiale. Le programme officiel pour l’internat en psychiatrie reste diversifié. Ce qui est amusant, c’est qu’en 2025, comme pour les manuels dès 1970, on retrouve un éclectisme marquant la difficulté de synthèse. Il tient aussi à l’extrême diversité des pratiques, car les différences sont grandes entre la psychiatrie postnatale, la psychiatrie de liaison, la prise en charge de l’autisme, etc. Cependant, l’offre psychanalytique adaptée à la psychiatrie, effectivement proposée est peu choisie par les étudiants. On peut en conclure qu’elle jouit d'une image défavorable.

4.2 De gros manques

L’oubli des différences de statut des diverses pathologies

L’oubli des différences qualitatives dans les pathologies dont la psychiatrie doit s’occuper. Une sorte de rouleau compresseur abrasif qui ramène tout à des troubles, à des symptômes sans considérer qu’ils peuvent avoir des étiologies différentes et survenir sur des personnalités différentes. Le cadre général de cette nouvelle psychiatrie fait retour à une opposition tranchée entre malade et non malade qui doit être relativisé, car les très nombreuses pathologies qualifiées de psychiatriques ne se ressemblent pas.

L’oubli des diverses déterminations humaines

L’oubli de la personnalité, le retour à une médecin des pathologies, indépendamment de la personne et des circonstances, sont contraires à une démarche scientifique qui cherche l’explication là où elle est et non selon un a priori (dans la biologie certes, mais également dans la personnalité, dans l’histoire, dans le social, dans les relations présentes et passées). L’homme est indissociablement individuel et social, biologique, cognitif et psychique. Oublier volontairement certaines de ces dimensions n’a aucune justification scientifique.

Une formation insuffisante

Il est devenu difficile d'avoir une formation pluraliste, incluant les diverses sciences humaines pourtant bien utiles aux psychiatres : anthropologie, sociologie, psychologie. Mais pas seulement. C'est aussi l'épistémologie qui manque, au sens de savoir discerner ce qui est scientifique de ce qui prétend l'être, mais ne l'est pas. Concernant le manque de formation scientifique, nous citerons Philippe Robaey professeur de psychiatrie et chercheur en neurosciences, qui ne peut pas être soupçonné d'un parti-pris psychologisant et qui écrit : 

 « La découverte et l’évaluation de l’efficacité thérapeutique des médicaments sont des processus scientifiques. Le champ des neurosciences qui a connu des développements majeurs ces vingt dernières années constitue le fond conceptuel et explicatif de ce processus scientifique. Mais le psychiatre prescripteur n’a, lors de sa formation, qu’un trop court aperçu du bagage théorique qui constitue l’arrière-fond des approches scientifiques. De ce fait, les médicaments psychotropes, avec leurs mécanismes d’action, se positionnent non seulement comme une approche thérapeutique mais aussi comme une explication du mental, une alternative théorique à la psychanalyse remplaçant le sujet par la chimie de son cerveau»[25bis].

Nous dirions plutôt qu'il y a un manque de formation épistémologique des psychiatres leur permettant de bien situer le domaine de validité d'une science, quelle qu'elle soit, et de comprendre que la psychiatrie est une science appliquée avec ses incertitudes, qui doit s'adapter à la réalité complexe des personnes, et confine souvent à de l'artisanat.

4.3 L’idéologie maitresse du jeu

Les mésusages concernant le DSM, l’abus des médications, la valorisation idéologique et politique des neurosciences[26] dépassent la psychiatrie comme discipline. Ce qui aurait pu être utilisé dans un cadre précis s’est étendu excessivement. Pourquoi ce glissement ? Le développement de l’antibiothérapie n’a pas engendré à une « antibiologisation » de la médecine ! On aurait immédiatement dénoncé un abus irresponsable.

Le climat idéologique a fait que ces approches se sont imposées de manière intempestive, alors qu’elles n’y étaient pas prédestinées. En caricaturant (à peine), cette idéologie voudrait un homme neuronal contrôlable par des psychotechniciens manipulant des signifiants ou des chimiotechniciens manipulant des molécules. Au nom de la science, on ne fait pas de la science : on impose une idéologie.

Pour finir, nous dirions que ce sont des tendances idéologiques qui ont emporté la psychiatrie vers le dynamisme, puis vers la biotechnicisation. Ce bilan nous donne une piste pour retourner à une psychiatrie dynamique : il faudrait rétablir l’équilibre rompu. Nous allons proposer quelques bases théoriques qui pourraient donner des appuis épistémologiques solides pour rétablir une approche humaniste et globale.

5. Un retour possible vers une psychiatrie dynamique

5.1 La pluralité humaine n’est pas une lubie

C’est l’apport philosophique au problème et plus particulière ontologique : l’être de l’homme est pluriel et cette pluralité n’est pas réductible sans dégâts.

En arrière-plan, joue la vague philosophique matérialiste, naturalisante et réductionniste qui même si elle a de bonnes intentions, disons des visées légitimes (délivrer l’approche scientifique des métaphysiques de l’âme du spirituel) a de mauvais effets.

Le réductionnisme, s’il est conséquent, aboutit sur le plan ontologique au physicalisme (seul le niveau physique existe) et, sur le plan épistémologique, à ne considérer comme valide en dernier ressort que la science physique. La chaîne complète de réduction ramène le social à l’individuel, l’individuel au biologique, le biologique au physique. Si cette réduction est erronée, on voit les dégâts occasionnés : des pans entiers de l’existant sont niés et les savoir associés disqualifiés. Les connaissances portant sur l’humain, situées en début de chaîne, sont tout particulièrement affectées.

Ces positionnements antagonistes (dualisme versus réductionnisme) ne vont pas de soi ! La querelle des méthodes entre sciences de la nature et sciences de l’homme n’ont pas à être érigée en anathèmes à visée d’exclusion. Les guerres entre idéalisme et matérialisme, dualisme et monisme, ne sont pas de fatalités. Elles sont issues des vieilles métaphysiques de la substance. On peut concevoir le Monde différemment, selon une ontologie pluraliste et émergentiste bien plus intéressante et plus heuristique.

Le principe d’une coordination entre les champs théoriques et les champs empiriques des sciences ou disciplines visant à le devenir permet de délimiter des niveaux ontologiques émergents de divers types. Concernant les humains, les cultures et les sociétés, trois domaines indispensables se dessinent. Ce sont le biologique, le cognitif et le social. La culture paraît se placer à l’intersection des deux derniers et le psychisme au croisement des deux premiers. Nous avons ainsi une sorte de cartographie très simple permettant de se repérer, ce qui constitue notre objectif principal. La pluralité ontologique de l’humain est indéniable[27] et elle impose de refuser les exclusions idéologiques que nous avons constatées plus haut.

5.2 Le psychisme comme lieu de synthèse

Du point de vue méthodologique, il s’agit d’abord de construire un modèle du psychisme irréprochable d’un point de vue épistémologique. Par modèle, nous désignons un système abstrait et simplifié qui permet des explications et des prévisions. En psychopathologie, la clinique permet d’établir des faits et la théorie cherche à en donner une explication rationnelle. Cette explication peut se synthétiser en un modèle du psychisme, souvent nommé – héritage du structuralisme – la « structure psychique ». Ces structures de la personnalité permettent des synthèses très utiles et qui évitent des errements diagnostiques. 

La théorie psychanalytique donne la base d’une psychopathologie scientifique[28] et compatible avec la psychologie cognitive. Si on admet l’existence d’un fonctionnement psychocognitif humain, il est possible d’en construire un modèle théorique, rationnel et cohérent, à partir des faits cliniques. Ce modèle a d’abord une valeur opératoire, celle d’expliquer la clinique en intégrant les différentes influences qui agissent sur l’individu humain et de permettre de conduire des psychothérapies de façon cohérente et adaptée.

Le psychisme intègre les influences sociales et culturelles (normes sociales, Loi commune, règles éducatives). Les explications théoriques de ces aspects sont pour l’instant très insuffisantes et demanderaient à être développées en collaboration avec des sociologues et des anthropologues. Des anthropologues et sociologues font appel au psychisme. Par exemple, on retrouve l’idée de schème chez Philippe Descola. Il parle de :

« […] schèmes d’intégration de l’expérience qui permettent de structurer de façon sélective le flux de la perception et le rapport à autrui en établissant des ressemblances et des différences »[29].

Le concept de psychisme est ouvert sur un homme total, pluriel. En avoir une théorisation rationnelle, solide, bien établie et consensuelle apporterait un éclairage majeur à la psychiatre et la redynamiserait. Il en découlerait des principes psychothérapeutiques, ce qui éviterait la multiplication absurde des « thérapies »[30].

5.3 Différencier ce qui doit l’être : le retour à une étiologie minimale

Il y a de grandes différences dans les pathologies dont la psychiatrie doit s’occuper. Désigner un type de causes principales, un primum movens, ne veut pas dire que l’on élimine les autres causes moins prégnantes, mais que l’on désigne celle qui agit le plus massivement et, par conséquent, celle sur laquelle nous devons faire porter préférentiellement l’action thérapeutique. La détermination principale répond à deux exigences complémentaires, étiologique et thérapeutique. L’affirmation d’un facteur essentiel doit être prudent.

Le primum movens est un concept assez complexe, car, en plus des quatre cas vus au-dessus, on doit tenir compte des oppositions inné/acquis, interactif/autonome. Inné veut dire que la composante génétique (héréditaire, transmise ou survenue par mutation) joue fortement, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de conduites uniquement acquises pendant la vie. Interactif indique une détermination venue de l’environnement relationnel et social, alors qu’autonome signifie que la dynamique est propre à l'individu et que l’interaction ne joue pas de rôle.

De plus, les aspects relationnels interactifs dont il faut tenir compte ont deux aspects. Il y a les interactions relationnelles répétées et continues qui ont eu lieu lors de l’enfance et produisent des effets à long terme ; il y a de courtes interactions transitoires avec l'entourage familial et social à l'âge adulte, qui ne produisent que des réactions limitées dans le temps. Il y a aussi les actions continues de harcèlement, tant chez l'enfant que chez l'adulte, etc.

C’est l'appréciation de la combinaison de ces différents aspects qui va permettre de désigner le contexte étiologique pertinent. Les situations sont d’une grande complexité et combinent toujours plusieurs facteurs, mais il est utile de désigner celui qui est le plus efficient. C’est indispensable pour hiérarchiser les thérapeutiques, ce qu’en médecin se nomme « indications ».

Conclusion : reconstruire une psychiatrie dynamique

Ce travail est à mi-chemin entre l’histoire des idées et l'épistémologie historique. Nous nous sommes intéressés à la manière dont les conceptions psychiatriques ont changé depuis le milieu du XXe siècle jusqu’à nos jours, en relation avec les évolutions idéologiques.

Au sens restreint, le terme de psychiatrie dynamique concerne le mouvement par lequel la psychiatrie a intégré la psychanalyse dans sa doctrine. Elle a dans le même temps étendu son investigation à l’humain dans sa globalité (s’écartant de la seule pathologie). De plus, et parallèlement, s’est produit une extension démographique de la psychiatrie, qui a permis un accès au soin élargi.

Une partie de ces acquis ont perduré, mais à partir de 1980, l’abord psychanalytique et globaliste a régressée. Si des déséquilibres entre les approches se sont produits, c’est en raison du climat idéologique. La tendance à la technicisation, machinisation, informatisation, des humains et de la société a donné la prééminence aux approches biologiques et classificatoires, sans raison scientifiques valables.

Retrouver l’équilibre entre les abords neurobiologiques, psychologiques et psychanalytiques, relationnels et sociologiques, ne parait pas constituer une tâche insurmontable. De même, le rétablissement de l’étiologie comme indication diagnostique ne parait pas non plus hors de portée. Elle éviterait des thérapeutiques inappropriées, voire néfastes. Une psychiatrie dynamique, intégrative, s’appliquant à des personnes, reste possible, bien que les circonstances idéologiques et politiques ne lui soient pas favorables.

Notes :

[1] Voir l’article : Juignet, Patrick. Les pratiques en psychiatrie et la consultation initiale. Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/pratique-psychiatrie
[2] À ne pas confondre avec son homonyme Franz Alexander cité au-dessus.
[3] Franz Alexander, Dynamic Psychiatry, University of Chicago Press. Chicago, 1952.
[3bis] Eck Marcel, Dereux Jean-François, L'utilisation des données analytiques en psychothérapie courante - Les psychothérapies d'orientation psychanalytiques, Paris, Masson, 1960, p. 28.
[4] On doit à Paul Marciano, nommé médecin-chef à Saint-Alban en 1986, ces premières Rencontres, crées avec l’aide du directeur Louis Amigon et de l’Association Culturelle crée 1958 visant à diffuser les pratiques de Psychothérapie Institutionnelle.
[5] Pour la France, de 654 en 1970, on passe à 4000 psychiatres en 1975.
[6] Par exemple, en ce qui me concerne et fait deux années d’internat en pédopsychiatre et suivi les séminaires associés donc ceux de Roger Mises
[7] Bergeret Jean et coll, Psychologie pathologique, Paris, Masson, 1975.
[8] Bien loin de Bruno Bettelheim, dont les théories se sont révélées a posteriori aventureuses. 
[9] Sackett D.L. ; Rosenberg W.M. ; Gray J.A; Haynes R.B. ; Richardson W.S. Evidence based medicine: what it is and what it isn't. British Medical Journal, 1996, 312 (7023), 71-2.).
[10] National Institute of Mental Health Strategic Plan, NIMH, 2008.
[11] Christophe Gauld et Elodie Giroux, « Introduction. Les approches de personnalisation et de précision peuvent-elles être utiles à la psychiatrie  ? », in Promesses et limites de la psychiatrie de précision, enjeux pratiques, épistémologiques et éthiques, Paris, Hermann, 2023, p. 13-41.
[12] Xavier Guchet, La médecine personnalisée  : un essai philosophique, Paris, Les Belles Lettres, 2016. p. 28.
[13] Juignet, Patrick. Le cognitivisme. Philosophie, science et société. 2015. https://philosciences.com/cognitivisme. Juignet, Patrick. La psychologie cognitiviste. Philosophie science et société. 2015. https://philosciences.com/psychologie-cognitiviste.
[14] Beauvois Léon, Comportementalisme : pourquoi est-il si urgent de le caricaturer ?, note personnelle, 2006.
[15] Beck, A. T, (1967) Depression: Clinical, Experimental, and Theoretical Aspects. Harper & Row. Ellis, A. (1957). « Rational psychotherapy and individual psychology », Journal of Individual Psychology, 13, 38-44.
[16] Juignet Patrick. Modèle Opérant. Philosophie, science et société. https://philosciences.com/modele-operant.
[17] Zygart Stéphane, Où va la psychiatrie contemporaine ? La vie des idées. 2024. https://laviedesidees.fr/Ou-va-la-psychiatrie-contemporaine
[18] Les neurosciences et la psychanalyse sous le regard de la philosophie. Interview de Demazeux Steeves. 2020.
[19] Demazeux Steeves. Les neurosciences et la psychanalyse sous le regard de la philosophie. 2020.
[20] Juignet Patrick. Jean Laplanche et la séduction généralisée. Philosophie, Science et Société. 2025. https://philosciences.com/jean-laplanche-seduction-generalise
[21] Constitution du champ psychanalytique : Les grandes fondations, par Paul Bercherie, Conférence ASM 13, (2019). L’appellation au temps de l'aliénisme l'appellation psychiatrie est litigieuse. Si Wilhelm Griesinger était organiscite, par contre, Emil Kraepelin, Auguste Forel, Eugen Bleuler, contemporains de Freud ne l’étaient pas
[22] À la fin du XIXe siècle on en état encore à l’aliénisme. La dénomination de « psychiatre » pour les praticiens exerçant la psychiatrie n'entre dans le vocabulaire médical qu'au début du XXe siècle. Il en est de même pour le terme de psychiatrist dans les pays anglophones. Voir Juignet, Patrick. Les pratiques en psychiatrie et la consultation initiale. Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/pratique-psychiatrie et Annales Médico-psychologiques, Revue psychiatrique, Vol 162-1, 2004, p. 39-49.
[23] Juignet, Patrick. Psychanalyse et société. Philosophie, science et société. 2016. https://philosciences.com/psychanalyse-societe.
[24] Dupays Stéphanie et Emmanuelli Julien. Les centres médico-psychologiques de psychiatrie générale et leur place dans le parcours du patient. IGAS . 2020. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2019-090r.pdf.
[25] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/ER1242.pdf et Crise de l’attractivité en psychiatrie : état des lieux et perspectives par Frank Bellivier. 2023. https://www.santementale.fr/2023/01/crise-de-lattractivite-en-psychiatrie-frank-bellivier-dresse-un-etat-des-lieux-et-des-perspectives/
[25bis] Robaey Philippe, Mansour-Robaey Sonia, L’avenir de la psychiatrie : la recherche scientifique, Santé mentale au Québec, 2005, XXX, 1, 35-40.
[26] Forest Denis, Neuropromesses, une enquête philosophique sur les frontières des neurosciences, Paris, Ithaque, 2022.  En 1989, le Congrès américain consacre les années qui viennent comme la « décennie du cerveau » et la France promulgue un « Plan cerveau » en 2006.
[27] Nous y avons consacré de nombre articles et l’ouvrage Homme, culture et société.
[28] Juignet Patrick, Manuel de psychopathologie psychanalytique (enfant et adulte), Grenoble, PUG, 2001. Juignet Patrick, Manuel de psychopathologie générale, Grenoble, PUG, 2015. Juignet Patrick, Manuel de psychothérapie et de psychopathologie clinique, Grenoble, PUG, 2016.
[29] Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 404.
[30] Ce qui fait défaut aux dizaines de thérapies ou prétendues telles : triadique, rogérienne, gestalt thérapie, programmation-neuro-linguistique, thérapie cri primal, rebirth, analyse transactionnelle, gestalt, thérapie par la parole, hypnose, bioénergie, thérapie transpersonnelle, hypnose éricksonnienne, EMDR, pleine conscience, etc. Il faudrait une page entière pour les énumérer. Toutes ont pour principe de partir d’une technique quelconque pour prétendre soigner.

 

Bibliographie :

Castel Robert, Le Psychanalysme, Paris, Maspero, 1973.
Dupays Stéphanie et Emmanuelli Julien. Les centres médico-psychologiques de psychiatrie générale et leur place dans le parcours du patient. IGAS. 2020. https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2019-090r.pdf.
Demazeux Steeves. Qu’est-ce que le DSM ?, Paris, Ithaque, 2013.
      L’éclipse du symptôme, Paris, Ithaque, 2019.
      Les neurosciences et la psychanalyse sous le regard de la philosophie. Fondation FondaMental. 2020. https://www.fondation-fondamental.org/les-neurosciences-et-la-psychanalyse-sous-le-regard-de-la-philosophie-interview-de-steeves-demazeux.
Eck Marcel, Dereux Jean-François, L'utilisation des données analytiques en psychothérapie courante - Les psychothérapies d'orientation psychanalytiques, Paris, Masson, 1960.
Ellenberger Henri, (1970), À la découverte de l’inconscient, Villeurbanne, Simep Éditions, 1974.
Forest Denis, Neuropromesses, une enquête philosophique sur les frontières des neurosciences, Paris, Ithaque, 2022.
Gauld Christophe, Giroux Élodie, « Introduction. Les approches de personnalisation et de précision peuvent-elles être utiles à la psychiatrie  ? », in Promesses et limites de la psychiatrie de précision, enjeux pratiques, épistémologiques et éthiques, Paris, Hermann, 2023.
Guchet Xavier, La médecine personnalisée  : un essai philosophique, Paris, Les Belles Lettres, 2016.
Henckes Nicolas. Le nouveau monde de la psychiatrie française. Les psychiatres, l'État et la réforme des hôpitaux psychiatriques de l'après-guerre aux années 1970. Thèses de Sociologie (EHESS). 2007. ⟨tel-00769780⟩
Juignet, Patrick.
  Le cognitivisme. Philosophie, science et société. 2015. https://philosciences.com/cognitivisme.
  La psychologie cognitiviste. Philosophie, science et société. 2015. https://philosciences.com/psychologie-cognitiviste.
  Psychanalyse et société. Philosophie, science et société. 2016. https://philosciences.com/psychanalyse-societe.
  Les pratiques en psychiatrie et la consultation initiale. Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/pratique-psychiatrie.
  Jean Laplanche et la séduction généralisée.  Philosophie, Science et Société. 2025. https://philosciences.com/jean-laplanche-seduction-generalise.
      La psychanalyse, une science de l’homme ?, Delachaux et Niestlé, Genève, 2000.
      Manuel de psychopathologie psychanalytique (enfants-adultes), Grenoble, PUG, 2001.
      La psychanalyse histoire des idées et bilan des pratiques, Grenoble, PUG, 2006.
      Manuel de psychopathologie générale, Grenoble, 2015.
      Manuel de psychothérapie et de psychopathologie clinique, Grenoble, PUG, 2016.
      Un Univers organisé. Essai pour une ontologie réaliste et pluraliste, Libre Accès Éditions, Nice, 2023.
      Homme, Culture et Société, Libre Accès Éditions, Nice, 2024
Ohayon Annick, L’impossible rencontre, Psychologie et psychanalyse en France 1919-1969, Paris, La découverte. 1999.
Postel Jacques, Quétel Claude, Histoire de la psychiatrie, Toulouse, Privat, 1983.
Régis Emmanuel, Hesnard Angelo, La psycho-analyse ; des névroses et des psychoses, ses applications médicales et extra-médicales, Paris, Alcan, 1914,
Sackett D.L.; Rosenberg W.M.; Gray J.A ; Haynes R.B. ; Richardson W.S. Evidence based medicine : what it is and what it isn't. British Medical Journal, 1996, 312 (7023), 71-2.).
Plateformes de l’UNESS (plateformes d'activités pédagogiques en ligne à destination des étudiants et des enseignants).
pour le 2ᵉ cycle en psychiatrie : https://formation.uness.fr/formation/course/view.php?id=22017 
pour le 3ᵉ cycle en psychiatrie : https://formation.uness.fr/3C/course/index.php?categoryid=3749