Personne ne nierait que les chats se ressemblent sous un grand nombre de rapports, ni ne douterait du fait qu’ils ressemblent plus aux chiens qu’aux bactéries. Il semble légitime de croire que c’est en vertu d'une similarité d’ensemble que nous pouvons dire que certains individus appartiennent à une même espèce. Ces intuitions partagées suggèrent que la ressemblance jouerait un rôle sur le plan épistémique. Elle sous-tendrait nos classifications et taxonomies, et serait à la source des raisonnements analogiques et inductifs.
Cette place de la ressemblance dans le discours ordinaire et scientifique appelle des hypothèses métaphysiques ou ontologiques. Pour certains, nos jugements de ressemblance seraient ultimement dépendants de (et justifiés par) une organisation intrinsèque de la réalité. Il y a, en épistémologie et en philosophie des sciences, un écho direct à ces discussions sur le concept de ressemblance. Toute démarche inductive a partie liée avec le repérage de régularités qui se jouent au niveau des phénomènes naturels. Il revient ainsi au scientifique d’identifier des événements qui se répètent et donc de définir – sinon de construire – un format pour la ressemblance signifiante. Souvent, le scientifique doit prendre des décisions normatives – tout à la fois pratiques et théoriques - relativement au type de ressemblance retenu comme pertinent dans un contexte donné et dans une discipline particulière. Mais, que faire de telles décisions ?
Doivent-elles être explicitées ? Sont-elles inconscientes ou innées (Quine 1969) ? Ces décisions engagent-elles une part d’arbitraire (Foucault 1969, Hacking 2002) ? À la suite des travaux de Goodman et de Quine, on a parfois reformulé les problèmes relatifs à la justification de l’induction comme des problèmes portant sur la ressemblance (Scheffler 1963, Hacking 1990, 1991).
Une même difficulté pèse sur les théories de la confirmation. En effet, la relation qu’entretient une hypothèse de forme nomologique à l’une de ses confirmations empiriques reste largement indéterminée à défaut de pouvoir s’en remettre à un concept clair de ressemblance (Scheffler 1963). Ainsi, il est souvent nécessaire de décider ce qui constitue un exemple, positif ou négatif, de ladite hypothèse (Elgin 2010). Il n’est pas jusqu’au concept de « vérité scientifique » qui ne puisse avantageusement être repensé dans les termes d’une relation de ressemblance, soit qu’on interprète nos théories scientifiques comme des images ou représentations du monde (van Fraassen 1980) ; soit que l’on affirme que les modèles théoriques élaborés en sciences doivent être interprétés comme s’approchant de la vérité (Peirce) ou comme étant « suffisamment ressemblant » de la chose à décrire (Giere 2004, Godfrey-Smith, 2006, Elgin 2017). Assurément, le scientifique n’apportera pas à ces questions les mêmes réponses que le métaphysicien – plus sensible qu’il est à la dimension pragmatique de bon nombre de ces décisions.
Enfin, le concept de ressemblance est central pour rendre compte de la notion de représentation et de dépiction. On a souvent soutenu que la ressemblance est ce qui constitue la principale différence entre descriptions et dépictions, langages et images. L’idée est la suivante : contrairement à la relation qui s’établit entre une image et son denotatum, une description ne ressemble pas à ce qu’elle décrit. Mais de quelle nature est cette ressemblance ? Assurément, la ressemblance n’est pas une condition suffisante de la représentation. Mais en est-elle même une condition nécessaire (Goodman 1968) ? Il est clair que si la ressemblance est un concept central de l’esthétique, les problèmes relatifs à sa définition logique (symétrie, réflexivité, transitivité) ressurgissent sous une autre modalité. À cet égard, la position de Goodman – selon laquelle la représentation n’a rien à voir avec une quelconque ressemblance perceptuelle - est la plus radicale. Mais, depuis la parution de Langages de l’art, bon nombre de philosophes ont essayé d’amender cette position dans un sens qui la rende plus compatible avec le sens commun (Kulvicki 2006, Kulvicki 2014, McIver Lopes 1996, Blanc-Benon 2009).
Bibliographie indicative
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