Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la médecine, un trésor nous est légué par la mise à disposition des écrits de Guy Patin (1601-1672), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris au milieu du XVIIe siècle.
Il ne fut pas novateur, mais plutôt une figure académique caractéristique. Il militait pour la suprématie de la Faculté de médecine de Paris et pour la doctrine médicale héritée d'Hippocrate (Ve siècle avant notre ère) et de Galien (IIe siècle de notre ère).
Son obstination à nier la circulation du sang a valu à Guy Patin de ne survivre aujourd’hui que sous le grand chapeau noir de Thomas Diafoirus, médicastre pédant que Molière a brillamment ridiculisé dans son Malade imaginaire (1673).
Des propos sur la condition humaine ont attiré mon attention au début de la thèse intitulée : Estne totus homo a natura morbus ? Par nature l’homme n’est-il que maladie ? (1643). Loïc Capron nous apprend qu'il s'agit du commentaire d’une parole de Démocrite dans Hippocrate : Ολος ο ανθρωπος εκ γενετης νουσος εστι, Totus homo ab ipso ortu morbus [L’homme n’est de naissance que maladie].
Patin, tout en convenant du rôle morbide de certains penchants, conclut en faveur d'une origine naturelle de cette malédiction : Ita nascentes morimur, finisque ab origine pendet. Ergo totus homo est a Natura morbus : Ainsi mourons-nous en naissant, et la fin est-elle suspendue au commencement. Par nature, l’homme n’est donc tout entier que maladie.
Voici la traduction du début de la thèse :
« Nul n’accepterait de recevoir la vie s’il savait ce qui l’attend, car qui y accède, accède aussi au malheur ; il en va de la vie comme d’une pièce de théâtre : plus elle est longue, moins elle est bonne ; ce qui compte n’est pas sa longueur, mais la manière dont elle est jouée. Le dernier jour est à l’égal du premier, puisque c’est dans la douleur que nous entamons la vie et la terminons. De l’un à l’autre, son déroulement n’est guère plus paisible : le sommeil nous la divise en deux moitiés, la première se passe dans un état semblable à la mort, ou dans la souffrance si le sommeil ne vient pas ; et les tourments en occupent l’autre moitié. Des malheurs surgissent de tous côtés : partout la guerre et les embûches, sans jamais de trêve ; chaque jour, chaque heure nous bousculent. Le monde a été créé pour la seule faveur de l’homme, mais semble empli de haine à son encontre : ce qui nous y protège et nous soutient est aussi ce qui y engendre notre perte. Qui plus est, ce corps pourri, qui est le fardeau et le tourment de l’esprit, nous sied si mal que nous nous trouvons toujours en manque ou en excès de quelque chose, comme cela se produit chez ceux qui habitent un logis qui n’est pas le leur. De là viennent les morsures répétées des douleurs et les maladies sans nombre qui s’insinuent en silence, ou qui attaquent et sévissent en rase campagne. C’est qu’en effet nous n’avons pas tant de diverses manières de vivre que d’être malades, et la mort nous frôle souvent pour ne nous terrasser qu’une seule fois.
[...]
L’homme est un animal aussi orgueilleux que fragile : comme s’il ne sentait pas qu’il devra s’en aller ou être emporté là où s’en vont toutes choses, il forme d’éternels projets et il espère pour lui et se souhaite la plus longue durée qu’une vie humaine puisse atteindre ; et le plus triste est que plus la vie de l’homme est fragile, plus grandit en lui son désir de vivre ; de sorte que, comme chaque jour rapproche la mort d’un pas, l’insensé redoute si vivement le dernier que, si tu peux lui en coudre un de plus, il te l’achètera au prix que tu voudras. »
Référence : Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron. Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. L'ensemble est à consulter ici : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/