L’expérience construit la réalité et la fait désigner comme telle. Selon la qualité de cette expérience, c’est-à-dire selon son adéquation au Monde, les résultats seront différents. On doit distinguer l’expérience ordinaire (commune) qui produit la réalité ordinaire et l’expérience méthodique qui produit la réalité scientifique.
L’expérience scientifique utilise l’expérience ordinaire, mais diffère considérablement, car elle est méthodique. Elle ne peut s’ignorer elle-même et doit être organisée, contrôlée, encadrée et dirigée vers un but bien précis. Elle prend la forme d’expérimentations ou d’observations ou de tests ou de simulations selon les disciplines.
L'expérience n’est donc pas immédiate, mais au contraire médiatisée par des procédures et l’utilisation de techniques. Ces procédures et façons de faire constituent la méthode au sens de pragmatique ou manière de conduire les expériences (note : le terme méthode a aussi un sens plus large qui désigne la façon d’élaborer une science). Elle est toujours contrôlée : on mesure, on simplifie les conditions, on élimine les facteurs perturbateurs. C’est pourquoi on parle d’expérimentation ou d’observation contrôlée.
L’expérimentation suppose une intervention massive sur la réalité. Les conditions sont maîtrisées et les faits sont produits pour être perçus sans équivoque, enregistrés et mesurés. On opère des variations dans les conditions (on dit faire varier les paramètres) pour voir les conséquences sur les faits mesurés. L’expérimentation diffère de l’observation, car le chercheur opère une modification par rapport au déroulement ordinaire des événements. L’expérimentation crée une situation artificielle, alors que l’observation laisse (dans la mesure du possible) toutes choses en l’état.
Claude Bernard rassemble les deux sous le terme de « raisonnement expérimental » : il « n’est rien d’autre qu’un raisonnement à l’aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l’expérience des faits ». Le raisonnement expérimental est de ce fait absolument le même dans les sciences d’observation et les sciences expérimentales (Bernard C., Introduction à l'étude de la médecine expérimentale).
Les expériences scientifiques sont toujours en relation avec une théorie. Même si des facteurs imprévus interviennent ou si elles sont faites « pour voir », les expériences sont toujours réinterprétées de manière théorique. Elles sont généralement faites pour valider et invalider (réfuter) une théorie. Karl Popper a insisté sur la nécessité de la réfutation. Il est évident que si l'expérimentation ne peut que corroborer la théorie, elle ne la valide pas.
Les expériences doivent être reproductibles par la communauté scientifique. Une expérimentation unique n’est pas sans valeur, mais de nombreuses expériences en ont bien plus et la reproduction effective par la communauté scientifique est maintenant considérée comme un critère de scientificité indispensable. Le contrôle collectif a pris de l’importance dans la validation scientifique.
Grace aux moyens techniques employés, de la rigueur des raisonnements, l’expérience scientifique s’étend très au-delà de ce qui est accessible à l’expérience ordinaire. Elle donne des indications sur l’Univers d’une qualité sans commune mesure avec l’expérience ordinaire.