Épidémie de Covid-19 : savoir et politique (2)
Deuxième période : de mi-avril à début mai
Cet article est le deuxième d'une série consacrée à l'épidémie de Covid-19. Il s'intéresse au savoir scientifique et médical et à ses effets sur les actions de politique publique, mais aussi aux enseignements tirés de l'épidémie par rapport à la politique. Nous nous limitons, sur ce dernier point, à la France, faute d’informations directes sur les autres pays, mais il y a des similitudes entre pays européens. C'est une chronique faite au fil du temps.
Pour citer cet article :
JUIGNET, Patrick. Épidémie de Covid-19 : savoir et politique (2). Philosophie, Science et Société. 2020. Disponible à l'adresse : https://philosciences.com/philosophie-et-societe/economie-politique-societe/covid-19-savoir-et-politique.
Plan :
1. Le plateau de l'épidémie
2. On commence à savoir un peu
3. La suite des événements reste incertaine
1. Le plateau de l'épidémie
Routine, décompte et retour des polémiques
En France, la contagion a atteint un plateau. On entre dans une routine avec la poursuite du confinement et le décompte des victimes. Cependant, au-delà de la constatation empirique journalière, des études sur l'effet du confinement arrivent. Il diminue efficacement le rythme de transmission du virus.
« Les modèles se sont concentrés sur le nombre reproducteur - le nombre moyen de nouvelles infections générées par chaque personne infectée. Dans l'ensemble, les modèles estiment que les pays ont réussi à réduire leur nombre reproductif. L'analyse montre que ... les mesures dans les 11 pays auront évité entre 21 000 et 120 000 décès jusqu'au 31 mars » (Rapport du Centre collaborateur de l'OMS pour la modélisation des maladies infectieuses).
Dans sa déclaration du 13 avril 2020, le président de la République annonce la poursuite du confinement jusqu'au 11 mai. Il annonce un effort pour produire masques, gel, gants, blouses, tests. Les manques, les ratés, les lenteurs sont (enfin !) reconnus. Il insiste sur le fait que toutes les options thérapeutiques sont étudiées. Les mesures d'aide économique sont confirmées. Pour la suite, il songe à
« rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française et plus d'autonomie stratégique pour notre Europe ».
Il tire effectivement la leçon des difficultés en cours.
La question du confinement montre la différence entre la décision médicale et politique. Le médecin, pour diminuer le nombre de patients atteints, souhaite le confinement maximal. Mais, le décideur politique doit tenir compte de l'acceptabilité de la mesure, de la poursuite de la vie sociale et économique et enfin de la vie démocratique. Il lui faut donc trouver un compromis entre la vie de la nation et la santé de la population.
Pour un certain nombre de personnes, le confinement semble long. Du coup, la polémique repart. On aurait dû tester plus tôt et plus massivement pour diminuer ou éviter le confinement. Mais au départ, les avis étaient partagés et la capacité à faire et à distribuer des tests inexistants. En comparaison des résultats français mitigés, on cite le succès de l'Allemagne. Pourtant, le budget de la santé en Allemagne et en France sont à peu près équivalents (11% du PIB). Il serait intéressant de comprendre d'où vient cette différence d'efficacité ; il est assez probable que c'est le problème d'une administration inadaptée qui ne tient pas compte des réalités médicales et échappe en partie aux politiques.
De nombreux responsables politiques disent se heurter à une administration incapable de réagir à l’urgence. Surcroît de normes, atonie, « culture de la trouille », la crise sanitaire met en lumière le poids bureaucratique.
Et après l'épidémie ?
Certains envisagent déjà l'après de la crise que nous traversons. Les uns y voient l'occasion d’un changement radical, d’un nouveau départ comme Joseph Confavreux :
«Je le dis en tant qu’historien et avec une franchise qui peut paraître brutale : l’ampleur du choc économique et social, mais aussi politique et moral, me paraît nous mener vers une période tout autre.»
Dans un autre registre, Philippe Descola nous dit :
« Je forme le vœu que le monde d’après soit différent du monde d’avant. La pandémie nous donne un marqueur temporaire. Cette transformation, je la vois avec intérêt se dessiner et qu’elle aboutisse à ce que des liens avec les non humains soient à nouveau tissés. Il faut vivre avec une mentalité non destructrice de notre environnement ».
Pour d’autres, rien ne change ! Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef a déclaré le 13/4 sur BFM TV qu’il
« faudra bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire ... l'important, c'est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse ».
Le propos a été relayé par des membres de la majorité politique. Pour ceux-là, aucune leçon à tirer, rien à apprendre, rien à changer sur le modèle de développement productiviste néolibéral. Il y a une volonté de ne rien savoir pour ne rien changer.
Le président de la République dans son discours parle lui aussi de « préparer l'après » et avance l'idée de changer, de « se réinventer » :
« Notre pays aujourd'hui tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. Les distinctions sociales ne peuvent être justifiées que sur l'utilité commune* ... Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies et nous réinventer. Moi le premier. »
* L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Peut-être Emmanuel Macron a-t-il appris de cette crise et est-il disposé à modifier son orientation politique ? Peut-être a-t-il pris conscience des limites de son idéologie ?
Changement d'attitude
L'intervention du Premier ministre et du ministre de la Santé le 19 avril montre un changement d'attitude. Contrairement à ce que nous avions remarqué au début de l'épidémie, le sérieux est revenu. Le savoir médical et de santé publique sont pris en compte et actualisés. Les actions sont détaillées précisément et les insuffisances énoncées clairement. Un sursaut salutaire contre l'approximation, le déni, la contre-vérité a eu lieu et il faut le saluer.
Un Conseil Scientifique Covid-19 est institué le 11 mars 2020 par le Ministre de la Santé et destiné à éclairer la décision publique dans la gestion de la crise sanitaire. Son rôle est de guider l’action publique en identifiant les grands enjeux stratégiques de la lutte contre l’épidémie.
C'est peut être une conséquence d'une note du 14 avril de Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, qui estime qu’il est urgent d’associer la société à la gestion de la crise sanitaire pour ne pas alimenter « la critique d’une gestion autoritaire et déconnectée de la vie des gens ». On en est plein dans notre sujet « savoir et politique » : que fait le pouvoir politique du savoir scientifique ? S'en informe-t-il sérieusement ? En tient-il compte ou pas ? Le partage-t-il avec la population ?
Politique internationale
L’une des missions les plus importantes de l’OMS porte sur la surveillance des maladies infectieuses et la coordination de la réponse internationale en cas d’épidémie. Dans le cas de la Covid-19, l’OMS a déclaré une situation d’urgence de santé publique internationale le 30 janvier 2020, puis une pandémie le 11 mars. Précédemment, elle avait mis en garde la communauté internationale d'un manque de préparation en cas de pandémie dans un « Rapport annuel sur l’état de préparation mondial aux situations d’urgence sanitaire » publié en septembre 2019, à peine trois mois avant la détection des premiers cas de Covid-19.
Il est net que cet avertissement à caractère médical et sanitaire n'a été suivi par aucun État de par le monde et pas non plus par la France.
Le gouvernement américain critiquant l’OMS par rapport à la Chine a décidé de retirer son financement.
« Le monde a reçu plein de fausses informations sur la transmission et la mortalité » ... Si l'OMS avait fait son travail et envoyé des experts médicaux en Chine pour étudier objectivement la situation sur le terrain, l'épidémie aurait pu être contenue à sa source avec très peu de morts. »
L'accusation est injustifiée, car, si l'OMS a pris un retard, c'est parce que la Chine n'a pas transmis les informations et parce qu'elle n'a pas demandé l'envoi d'expert, condition nécessaire pour que l'OMS intervienne.
Au sujet du gouvernement chinois, on sait qu'il a essayé de masquer l'épidémie. Emmanuel Macron estime le 16 avril qu'il existe des zones d'ombre dans la gestion de l'épidémie de coronavirus par la Chine, déclarant au Financial Times qu' « il y a manifestement des choses qui se sont passées qu'on ne sait pas ».
L’épidémie de Covid-19 exacerbe les concurrences inter-étatiques et encourage le repli des États, ce qui accentue une fragilisation en cours de la coopération internationale. L’épidémie ne change rien à l’exacerbation des rivalités étatiques en cours, voire, elle les accentue ou sert de prétexte à leur exacerbation.
La pensée magique se déchaîne
« Les hommes se sont rendus coupables de trop de péchés ; ils se sont trop écartés des voies instituées par Le Seigneur et ils doivent payer ces écarts de conduite. »
Quelle religion véhicule cette attitude de culpabilité, d'impuissance, de soumission ? Je vous laisse deviner.
Le site Rencontrerdieu nous informe que « La Torah d’Israël est la vérité : Absolument tout y est consigné » et donc, l’épidémie de Covid-19 « est un événement de nature apocalyptique. Mais il offre également une possibilité de rédemption. »
Dans le même registre :
« On n’a peut-être pas respecté la Nature comme elle le méritait et elle est en train de se révolter » nous dit Jean Viard.
Dieu, la Nature, ces êtres supérieurs nous punissent pour mieux affirmer leurs projets. Une phrase de Catherine Kintzler est bienvenue pour qualifier cette psychologie, c'est « l’humilité vicieuse des adorateurs du chagrin. »
Le bon sens n'est certainement pas la chose du monde la mieux partagée et en temps de crise, la fine couche de rationalité se dissipe. On l’avait déjà vu au sujet des déclarations de Raoult : au sérieux de l'étude scientifique, on préfère l'oracle du gourou. Face aux passions collectives, la raison a peu de poids.
La vérité, c'est que ce virus, comme les précédents (Ebola, SARS-CoV), viennent d'animaux sauvages dont il faudrait arrêter la commercialisation et la consommation. « le trafic des espèces sauvages constitue un fléau mondial auquel tous les États sont confrontés » écrit Sébastien Mabile. L'épidémie est née tout simplement de mauvaises pratiques humaines.
En Amérique latine, la foi est un leitmotiv des discours politiques : une façon de rassurer les populations sans prendre les mesures de santé publique qui seraient nécessaires.
2. On commence à savoir un peu
Vaccins et traitements
À la lumière de ce que l'on sait sur l'immunité face au MERS-CoV et au SARS-CoV-1, et en prenant en compte les premières données sur la réponse immunitaire au SARS-CoV-2 (virus de la maladie dite Covid-19), il semble qu’un bon vaccin doive stimuler la réponse humorale, mais surtout la réponse cellulaire (en particulier la réponse locale au niveau des muqueuses respiratoires).
Une difficulté existe, car après une première infection ou une vaccination, certains anticorps dits ‘facilitant’ amènent les virus au contact de cellules immunitaires que ces mêmes virus infectent, réactivant ainsi la maladie.
Mi-avril, plus de 115 vaccins candidats sont signalés, dont 78 en développement actif confirmé et 8 en essais cliniques, mais les échecs sur les précédents coronavirus font douter d’un résultat rapide. L'institut Pasteur en teste 7 en ce moment dont l'un a été sélectionné pour des essais cliniques. Il est certain que la découverte d'un vaccin efficace est la condition de retour à une vie normale, ce qui n'est pas prévu avant 2021. L'université d'Oxford doit lancer le jeudi 23 avril des essais cliniques sur l'homme.
Un antiviral, le remdesivir, du laboratoire américain Gilead semble efficace face à la Covid-19. Il est en phase de test. En France, 13 essais évaluent l'hydroxychloroquine et la chloroquine. Les autres concernent des antiviraux (remdésivir, ritonavir/lopinavir), des antibiotiques (azithromycine), des corticoïdes (hydrocortisone, dexaméthasone, prednisone, corticoïdes inhalés), des inhibiteurs de l'enzyme de conversion/sartans (telmisartan), des anticorps monoclonaux immunomodulateurs (tocilizumab, sarilumab, éculizumab, nivolumab, etc.).
L'origine de l'épidémie
L'origine de l'épidémie se précise. Les chauve-souris sont le réservoir de Sarbecovirus qui ne se transmettent pas directement à l'homme. Il faut un hôte intermédiaire. On a trouvé la civette pour le SARS-CoV (précédente épidémie) et le pangolin pour le SARS-CoV-2 concernant l'épidémie actuelle. Selon Alexandre Hassanin, la contamination indirecte, c’est-à-dire via un hôte intermédiaire, est l’hypothèse la mieux soutenue. Ces animaux sauvages sont mangés en Asie du Sud-Est, mais aussi font partie de la pharmacopée traditionnelle.
« En effet, les nombreux virus de la lignée SARS-CoV-2 identifiés chez des pangolins destinés à la vente prouvent que ces virus circulent depuis plusieurs années déjà dans les marchés des provinces du sud de la Chine et très probablement aussi dans les provinces du Nord, comme celle de Hubei. Il est donc urgent d’interdire non pas temporairement mais définitivement le commerce de vertébrés sauvages potentiellement responsables de zoonoses.» (Alexandre Hasssanin)
À l'origine de l'épidémie, la pensée magique qui attribue aux écailles des vertues aussi diverses que lutter,
« contre la purulence, pour une meilleure circulation sanguine ou pour stimuler la production de lait. Elles ont été utilisées contre différents maux, comme l’acné, les problèmes de lactation, le cancer, la nervosité, les crises de colère ou les instances de possession. Aujourd’hui encore les écailles sont recommandées pour traiter l’infertilité, la malnutrition infantile, l’asthme, les rhumatismes, l’arthrite, les ulcères, pour nourrir les reins, ou encore en cas d’aménorrhée (Yue 2009) » (Mathieu Quet).
L'immunité semble exister
Il y a quelques jours, c'était le brouillard complet. Maintenant, des données préliminaires concernant le SARS-CoV-2 montrent qu'il ressemble aux autres coronavirus humains : ceux responsables des rhumes (229E, OC43 ou HKU1, par exemple), du SARS-CoV-1 et du MERS-CoV. Les anticorps neutralisants (IgG, IgM et IgA) apparaissent dès la 2e semaine après l’apparition des symptômes. Tant que leur taux sanguin est significatif, ces anticorps sont efficaces pour prévenir (ou atténuer) une éventuelle réinfection. Pour les coronavirus connus, les anticorps sont présents pour une durée allant de 1 à 3 ans selon le coronavirus étudié (et probablement selon la sévérité de l’infection initiale).
Il faudra cependant attendre encore des mois pour acquérir des certitudes quant à la durée de persistance des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 et leur efficacité.
Mais, le virus pose des questions de fond en immunologie, questions sur lesquelles il n’y a aujourd’hui aucune réponse. On est dans l’attente des résultats des travaux de la recherche. Ce qui démontre l'intérêt de la recherche fondamentale, car, au moment où on a besoin d'appliquer le savoir aux circonstances, il est déjà bien avancé. On sait combien il est difficile de défendre cette utilité de la recherche fondamentale auprès du pouvoir politico-administratif.
Du bon usage des tests
On commence à y voir plus clair sur la judicieuse utilisation des tests de dépistage. La comparaison entre des pays ayant peu testé, comme la Corée du Sud ou la Suède, ou beaucoup testé, comme l’Italie ou l’Espagne, montre des résultats sur la maladie bien meilleurs pour les deux premiers. Le nombre de malades et de décès ont peu de relations avec les taux globaux de tests réalisés dans la population.
Pourtant :
« les tests sont notre fenêtre sur la pandémie et la façon dont elle se propage : c'est l'un des outils les plus importants dans la lutte pour ralentir et réduire la propagation et l'impact du virus » dit François Tremolières.
Il faut des tests fiables qui ne donnent pas de faux négatifs, ce qui signifie, aussi, une habileté du testeur. Il faut surtout un accompagnement efficace de la personne testée. Une fois les individus infectés identifiés, il faut les isoler, leur donner un traitement médical, tester leurs contacts et faire de même avec ces derniers. C’est moins le nombre que la fiabilité du test et le bon accompagnement de la personne testée qui compte pour une efficacité sur l’épidémie.
On commence à savoir qu'on ne sais pas !
Il apparaît publiquement qu'on ne comprend pas certains aspects de l'épidémie et que la rapidité d'extension a surpris tout le monde. Le directeur général de la Santé a rappelé que « Il y a tout juste trois mois, le 23 janvier, il n'y avait aucun cas de Covid-19 en France et l'épidémie a désormais fait plus de 21.000 morts.»
Les appels à la modération et à la prudence ont, semble-t-il, un peu plus d'écho qu'au début. Je citerai à ce sujet Eric Guichard en date du 24 avril 2020 qui aborde également la question du savoir et du pouvoir :
«... . nous devons chaque jour repenser nos hypothèses, nos connaissances sur un sujet inédit, nos documentations… Pour le dire autrement, je crois que nous avons plus intérêt à nous montrer tous solidaires, y compris des personnes que nous considérons plus amoureuses du pouvoir et des honneurs (n'y en a-t-il qu'au gouvernement, qu'au sommet de l'Université ?) que de la raison humble. Tout le monde, politique, citoyen, scientifique, a intérêt à ce débat serein, qui peut aussi être stimulé par les expériences, les choix de nos voisins proches ou lointains.»
Le problème ne concerne pas seulement la Covid-19, mais tous les sujets d'importance. Tout le monde, politiques, citoyens, scientifiques ont intérêt à un débat serein reposant sur une information complète et sérieuse. Mais, cet intérêt n'est pas évident pour ceux qui savent tout, à commencer par leur porte-parole international, Donald Trump qui propose publiquement un traitement par ultraviolet et par la désinfection des poumons.
3. La suite des événements reste incertaine
Décrue de l'épidémie en France
Au cours de la semaine 16 (du 13 au 21 avril 2020), on a constaté une diminution des consultations et des visites pour Covid-19, une diminution des taux de positivité des prélèvements effectués dans les laboratoires de ville et une diminution des nouvelles hospitalisations et admissions en réanimation de patients Covid-19. Une décrue s'amorce. Mais d'autres pays subissent une seconde vague...
On envisage le déconfinement en France à partir du 11 mai et le problème de départ reparaît : l'insuffisance de masques, de désinfectant, de tests accompagnés d'un suivi des personnes infectées, suscitent des doutes sur la réussite. Concernant l'usage des masques, nous avons maintenant à disposition l'expérience de la ville de Iéna en Allemagne. La décision a été prise début avril par le maire de la ville de rendre le port du masque obligatoire dans les commerces, les transports en commun et sur le lieu de travail. Cette mesure de politique de santé publique est couronnée de succès. Aucune contamination n'a été enregistrée dans la ville depuis la mise en place de la mesure.
Discours du déconfinement
Le discours du Premier ministre le 28 avril poursuit dans le sérieux. Le savoir médical et de santé publique sont pris en compte, y compris dans leurs incertitudes. Les actions sont détaillées et motivées. Mais, après les errances du début de l'épidémie, il a du mal à gagner la confiance des citoyens qui restent méfiants dans leur majorité.
Depuis le lundi 20 avril, l’Allemagne a engagé doucement sa première étape déconfinement. L’Institut Robert Koch pour les maladies infectieuses a noté depuis une augmentation du taux d’infection. Le scénario d’une seconde vague au moment du déconfinement est donc redouté en France et c'est pourquoi Édouard Philippe a présenté un plan progressif particulièrement prudent.
Un savoir médical et scientifique incertain
La connaissance scientifique demande de la méthode et les avancées du savoir ne répondent pas à l'impatience du public. Pour l'instant, les résultats sont flous ou peu satisfaisants.
La durée de persistance du virus dans l'air est incertaine. Une étude récente indique trois heures, mais cela ne veut pas dire qu'il soit infectant. Par précaution, le port de masques efficacement filtrants semble indispensable dans les lieux publics clos.
Selon le Haute Autorité de Santé
« l’immunité collective anti-SARS-CoV-2 en France n’est pas connue, car on ne sait pas si l’infection et la guérison confèrent une immunité durable. Même dans ce cas, cette immunité serait numériquement faible et est hétérogène sur le territoire national. Cette information est provisoire et peut évoluer avec l'arrivée de nouvelles données ».
Concernant les traitements, un anticorps monoclonal, c’est-à-dire qui cible un antigène précis, le tocilizumab donne un espoir pour les cas graves. L'anticorps, en bloquant le récepteur d'une cytokine empêche l'emballement de la réponse immunitaire qui, dans la seconde partie de l'infection, aggrave la pneumonie. Cependant, le comité de surveillance chargé de veiller à la bonne tenue de l'essai à décaré que c'était une conclusion hâtive.
Deux enquêtes de pharmacovigilance sur l'hydroxychloroquine et les antiviraux sont en cours et comme dans les précédents rapports, l'hydroxychloroquine concentre une majorité des cas d'effets indésirables déclarés (53 %), suivie de l'association lopinavir/ritonavir (42 % des cas). Au vu de l'inefficacité, le rapport bénéfice/risque de ces traitements est toujours jugé défavorable. Didier Raoult, quant à lui, persiste à affirmer l'efficacité et l'innocuité de son traitement dans une interview du 30 avril.
Rumeurs, mensonges et fausses nouvelles
Si la connaissance sérieuse avoue ses limites, les fictions se donnant pour vraies (fausses nouvelles, suspicion complotiste, propagande) semblent ne pas en avoir. Le coronavirus aurait été volé dans un laboratoire canadien par des espions chinois, conçu volontairement par malveillance, serait lié à l'apparition de la 5G, etc. Les mises en garde contre les médicaments inefficaces sont des complots des autorités. Quant à l'appareil d'État chinois, il déverse une propagande visant à faire croire que le virus vient de « l’étranger » et plus particulièrement des USA.
Les élucubrations les plus improbables ont une audience considérable. Utilisées par les chefs d'États populistes, relayées sur les médias, les rumeurs absurdes et l'idéologie complotiste sont omniprésentes.
Dans ce registre, nous inclurons la cacophonie catastrophiste propagée par de nombreux médias français, dont certains spécialisés dans la critique systématique. Je cite en vrac et au hasard quelques-uns des termes relevés ces temps derniers :
« morts, décès, familles effrayées, l'inquiétude monte, casse-tête pour les citoyens, crash sanitaire, défaillance organisée, coût exorbitant, volet occulté, l’exécutif se contredit et s’embourbe, crise sanitaire et chômage catastrophique, mortalité en hausse , nombre réel de victimes incertain, numéro illusionniste du Premier ministre, sape toute confiance dans les autorités et dans le pays et même l’humanité, affame les enfants des familles pauvres, meurent à huis-clos, la déflation qui menace, la peur de la faim, brouillard, modèle obsolète, drame, on est bloqués dans des failles, etc. »
En France, on semble spécialisé en critiques négatives et décourageantes. L'épidémie est évidemment un terreau favorable pour les contempteurs du malheur, les adorateurs du chagrin, les commerçants de la revendication et du mal-être, les professionnels du pessimisme, de l’auto-dépréciation. Faute de mourir de la Covid-19, on a des chances, en les écoutant, de mourir de désespoir.
→ La suite : Épidémie de Covid-19 : savoir et politique (3)
Article précédent : Épidémie de Covid-19 : savoir et politique (1)
Webographie :
CONFAVREUX, Joseph. Stéphane Audoin-Rouzeau: «Nous ne reverrons jamais le monde que nous avons quitté il y a un mois». Médiapart. 12 avril 2020. Disponible à l’adresse : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/120420/stephane-audoin-rouzeau-nous-ne-reverrons-jamais-le-monde-que-nous-avons-quitte-il-y-un-mois
DESCOLA, Philippe. Interview. France Culture. 21 mars 2020. Disponible à l’adresse : https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/pandemie-la-nature-reprend-ses-droits-philippe-descola-est-linvite-exceptionnel-des-matins
GUICHARD Eric. In : listeTeuth. 24 avril 2020.
HASSANIN, Alexandre. Covid-19 : origine naturelle ou anthropique ? In : The Conversation. 15 avril 2020, Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/covid-19-origine-naturelle-ou-anthropique-136281
KINTZLER, Catherine. La nature en train de se révolter » avec une épidémie de Covid-19 ? In Mezetulle. Disponible à l’adresse : https://www.mezetulle.fr/coronavirus-2020-la-nature-en-train-de-se-revolter/
MABILE, Sébastien. Trafic d’espèces et pandémie : quelles réponses au non-respect des normes ? The conversation. 19 avril 2020. https://theconversation.com/trafic-despeces-et-pandemie-quelles-reponses-au-non-respect-des-normes-135772
MACRON, Emmanuel. Interview. In : Financial Times . 16 vril 2020. Disponible à l’adresse: https://www.ft.com/content/3ea8d790-7fd1-11ea-8fdb-7ec06edeef84
VIARD, Jean. Enregistrement et transcription sur le site d’Europe 1 : https://www.europe1.fr/societe/coronavirus-lhomme-nest-pas-maitre-et-possesseur-de-la-nature-rappelle-jean-viard-3961627
WEDOUB OULD CHEIK, Abdel. Il n'y a qu'à accepter humblement ce qui advient, car c'était écrit. France Culture. avril 2020. https://www.franceculture.fr/societe/abdel-wedoud-ould-cheikh-il-ny-a-qua-accepter-humblement-ce-qui-advient-car-cetait-ecrit
Sur la dynamique sérologique de la COVID-19
Long QX, Deng HJ, Chen J et al. « Antibody responses to SARS-CoV-2 in COVID-19 patients: the perspective application of serological tests in clinical practice. » MedRxiv, 20 mars 2020
L'étude taïwanaise non publiée sur les anticorps monoclonaux après COVID-19, 2020
Okba NMA, Müller MA, Li WT et al. « Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2: Specific Antibody Responses in Coronavirus Disease 2019 Patients. » Volume 26, Number 7—July 2020
Wu F, Wang A, Liu M et al. « Neutralizing antibody responses to SARS-CoV-2 in a COVID-19 recovered patient cohort and their implications. » MedRxiv, 6 avril 2020
« Cahier des charges définissant les modalités d'évaluation des performances des tests sérologiques détectant les anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 », Haute autorité de santé, 16 avril 2020
Sur la réinfection par SARS-CoV-2
Bao LL, Deng W, Gao H et al. « Reinfection could not occur in SARS-CoV-2 infected rhesus macaques. » BioRxiv, 20 mars 2020
L'étude allemande sur la dynamique virologique pendant la COVID-19
Wölfel R, Corman VM, Guggemos W et al. « Virological assessment of hospitalized patients with COVID-2019. » Nature. 2020 Apr 1.
Bibliographie sur les traitements :
Une synthèse des connaissances sur les vaccins contre le MERS
Okba NMA, Raj VS et Haagmans BL. « Middle East respiratory syndrome coronavirus vaccines: current status and novel approaches. » In : Curr Opin Virol. 2017 Apr; 23: 49–58.
L'article qui montre que seule l'immunité cellulaire est indispensable lors de SRAS
Zhao J, Zhao J et Perlman S. « T Cell Responses Are Required for Protection from Clinical Disease and for Virus Clearance in Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus-Infected Mice. » Journal of Virology, Sept. 2010, p. 9318–9325 Vol. 84
L'étude sur l'absence de mémoire humorale 8 ans après un épisode de SRAS
Tang F, Quan Y, Xin ZT et al. « Lack of Peripheral Memory B Cell Responses in Recovered Patients with Severe Acute Respiratory Syndrome: A Six-Year Follow-Up Study. » The Journal of Immunology, 2011, 186: 7264–7268.
L'étude sur la réponse immunitaire lors de la COVID-19
Wu F, Wang A, Liu M et al. « Neutralizing antibody responses to SARS-CoV-2 in a COVID-19 recovered patient cohort and their implications. » MedRxiv, 6 avril 2020
Statistiques :
Rapport du Centre collaborateur de l'OMS pour la modélisation des maladies infectieuses au sein du MRC Centre for Global Infectious Disease Analysis (GIDA).
Site du gouvernement français ; https://www.data.gouv.fr/fr/
Site généraliste :
Haute Autroité de Santé. Place des tests sérologiques dans la stratégie de prise en charge de la maladie COVID-19. 1er mai 2020. Disponible à l'adresse : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-05/rapport_indications_tests_serologiques_covid-19.pdf