Actualités philosophiques, scientifiques et sociétales
Méthode contre inconscient
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- Écrit par : Patrick Juignet
« Méthode, méthode que me veux-tu ? Tu sais bien que j'ai mangé du fruit de l'inconscient ».
Cette phrase de Gaston Bachelard se trouve en exergue de son livre La poétique de la Rêverie. Elle note l'agacement de l'imaginaire, nourri de motivations inconscientes, face à une méthode importune qui voudrait s'imposer. La réplique est amusante. Elle indique une irresponsabilité tranquille : tu sais bien que, si je divague, je n'y peux rien, car j'ai mangé du fruit (défendu ?) de l'inconscient. L'imaginaire demande à la méthode (la rationalité) qu'elle le laisse tranquille.
Bachelard attribue cette phrase à Jules Laforgue (Moralité légendaires, Mercure de France, p. 5). Ce dernier a en fait écrit « Méthode, méthode, que me veux-tu ? Tu sais bien que j'ai mangé du fruit de l'inconscience ! ». Laforgue met cette réplique dans la bouche d'un Hamlet parodique qui divague. Il s'agit pour le personnage de vivre sans méthode, hors de tout impératif. Au passage, il ridiculise l'impératif catégorique kantien en parlant d'un « impératif climatérique » ce qui n'a pas grand sens. L'inconscience fait ici allusion à l'ignorance ou l'indifférence quant aux conséquences de ses actes.
La phrase originelle, serait de Paul Valéry : « Méthode, méthode, que me veux-tu ? J’ai mangé du fruit du doute ». Elle apparaît dans les "Cahiers", qui sont constitués des notes prises chaque jour de 1894 à 1945. La signification est toute différente. La méthode rationnelle ne convainc pas l'auteur qui est habité par le doute. Le doute ressemble dans cette formulation à une sorte de péché intellectuel, un fruit défendu. On notera que le doute peut aussi être rationnel et faire partie de la méthode. Il est rationnel de douter méthodiquement de tout ce qui incertain, confus, obscur, affirmé sans démonstration.
Fermentation et génération spontanée
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- Écrit par : Patrick Juignet
Il y a deux siècles, le problème de la génération spontanée était encore irrésolu. Il mobilisait la philosophie, la biologie, la chimie et la médecine. Ce que l'on sait moins, c'est que la problématique de l’origine de la vie a été étroitement liée à l’histoire de la fermentation à la fin du XVIIIe et pendant tout le XIXe siècle. Deux grands paradigmes, à savoir la théorie chimique et la théorie physiologique, ont été proposés pour expliquer la cause et les mécanismes de la fermentation encore inconnus.
Les chimistes considèrent la fermentation comme un phénomène de catalyse dans lequel le ferment décompose le sucre pour produire de l’acide carbonique et l’alcool. D’autres chimistes tels que Liebig, soutiennent qu’elle est un phénomène de contact. Ils considèrent le ferment comme une substance morte d’origine végétale ou animale qui communique, par le contact, un mouvement de corruption à la matière fermentescible.
Quant à la théorie physiologique, elle considère que la levure est composée de globules vivants et organisés. De Cagniard-Latour à Louis Pasteur, en passant par Turpin et Béchamp, la fermentation est présentée comme un phénomène « corrélatif d’un acte vital ».
L’une des grandes controverses (scientifiques génération spontanée contre transmission vitale) s'alimente de cette opposition concernant la fermentation. La théorie chimique est compatible avec l’hypothèse de la génération spontanée alors que la thèse vitaliste du ferment réfute la génération spontanée.
Pendant ce temps, le développement de la biologie s'est poursuivi. La théorie des germes (théorie microbienne) parvient à vaincre l’hypothèse de la génération spontanée. Toutefois, l'observation de la fermentation sans cellules vivantes par Edouard Buchner ruine les prétentions de la théorie des germes concernant la fermentation. La théorie des microzymas (substances qui seraient responsables des réactions chimiques au niveau microscopique) tente de se poser en arbitre de la controverse.
La théorie microbienne de la maladie a connu finalement un destin heureux grâce aux succès de la vaccination, malgré les critiques ou réserves des médecins. Le « mythe » pastorien s’est construit autour de ces succès.
Source : Yacuba Kone, Fermentation et génération spontanée : de Pierre Jean-François (1775-1840) à Antoine Béchamp (1816-1908), Thèse 2024.
Comment un pluralisme scientifique peut-il être ontologique ?
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- Écrit par : Patrick Juignet
Conférence de Sélène Domino
Mercredi 11 décembre 2024 de 18h00 à 19h30
l'IHPST, 13 rue du Four, 2e étage (salle de conférence), 75006 Paris.
La pluralité scientifique, soit le constat que nous ne disposons pas d’un système cohérent, unique et achevé de connaissance du monde, est une évidence. Les conséquences de ce fait sur la nature des sciences, de la connaissance, et de la réalité laissent place à une diversité d’interprétations. Certaines de ces positions philosophiques sont monistes (visant à unifier les sciences ou la réalité), d’autres pluralistes (considérant la pluralité scientifique comme indépassable, voire désirable). Le pluralisme, à son tour, peut se comprendre comme épistémologique (où la pluralité est due aux contraintes de la connaissance, malgré un réel unique et cohérent), ou comme ontologique (où la pluralité est inhérente à la réalité).
J’aimerais offrir ici une élaboration de ce concept de pluralisme ontologique. Cela nécessitera d’expliciter ce « pluralisme », soit de préciser à quels niveaux peut se situer la coexistence de plusieurs conceptions différentes qui ne se résolvent pas dans la cohérence moniste. Puis, je montrerai comment le point de départ scientifique et l’hypothèse pluraliste contraignent les sens que l’on peut accorder ici au terme « ontologie ». En particulier, nous verrons qu’ils mènent à un affaiblissement de la distinction entre ontologique et épistémologique.
À partir de là, j’interrogerai quelle trajectoire argumentative peut être dégagée pour que la pluralité scientifique, particulièrement celle caractérisée en détail par une philosophie empirique des sciences (telle que celle que je mène actuellement en biologie), puisse justifier ce pluralisme ontologique, et non seulement un pluralisme scientifique ou épistémologique. Mon intervention proposera une discussion des distinctions conceptuelles menant à ces questions, et ébauchera des éléments de réponse en visant à les replacer dans le long débat sur le rapport entre connaissance et réalité.
Lien Zoom pour ceux et celles qui ne pourraient pas être présents :
https://pantheonsorbonne.zoom.us/j/94690975207?pwd=J3ToEUjUwCqZixrujRAhi7wFIgiJ96.1