Le terme « d'objet » est trompeur, car il évoque les choses concrètes (de la vie ordinaire) et il impose implicitement l’opposition classique objet/sujet, deux significations qui sont des obstacles pour comprendre comment une science construit ses objets. L'objet de la connaissance scientifique n'est pas une chose empiriquement descriptible. C'est une construction qui fait partie de l'activité scientifique elle-même, construction complexe et évolutive.

C'est Gaston Bachelard qui a mis en évidence l’activité de construction propre à la démarche scientifique. La science, dit-il, « réalise ses objets sans jamais les trouver tout à fait, elle ne correspond pas à un monde à décrire, mais à un monde à construire » (La formation de l’esprit scientifique, Paris, Alcan, 1934). Ceci a été repris par Georges Canguilhem. « La nature n’est pas elle-même découpée et répartie en objets et phénomènes scientifiques. C’est la science qui constitue son objet » (Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1968).

Pour les sciences empiriques, les objets de recherche se dessinent dans un mouvement interactif entre le monde et l'activité de connaissance scientifique. Lors de la constitution d'une science, les objets de recherche n'apparaissent pas d'emblée, ils sont précédés par la désignation d’un référent (la partie de la réalité à laquelle s’adresse la science). Ce référent se transforme progressivement en objet avec l’affinement de la théorie et de la méthode. Cette transformation est le fruit d'une activité collective complexe que l'on nomme la recherche scientifique. 

La conception de l'objet que nous présentons ici est nommée « constructivisme épistémologique », qui n'est pas un hyper-constructivisme déréalisant. Elle défend l'idée que la science construit ses objets d'étude. Cette conception inclut une vision historique et dynamique de la science, car elle considère que les objets sont sans cesse construits et reconstruits, qu'ils sont le fruit d'une activité constante. Réciproquement, cette activité vaste et complexe peut être subsumée et résumée dans un objet qui la synthétise et joue un rôle unificateur. Les objets sont des constructions internes à la connaissance qui invente les entités sur lesquelles elle travaille. D’une science à l’autre, il y a de grandes variations dans la manière de constituer des objets pertinents, eu égard à la partie du monde concernée.

On peut distinguer l'objet d'une science qui est la synthèse permettant de la spécifier et les divers objets des recherches spécialisées dont le nombre est quasi infini. Donnons un exemple dans les sciences de l'homme. La linguistique peut être définie par l'étude de la capacité langagière de l'homme. Elle ne concerne pas les langues existantes, mais la capacité cognitive permettant d'utiliser des signes langagiers selon des règles syntaxiques et sémantiques. Cette capacité est le référent premier de la linguistique. Il a été désigné, au XXe siècle, par différenciation d'avec ceux de la philologie, de la grammaire, des études littéraires. Mais, on constate immédiatement que cette capacité peut être saisie par d'autres connaissances à vocation scientifique, qui chacune fabrique un objet relatif à son domaine et selon sa méthode (la neurolinguistique, la psychologie cognitive, la grammaire générative, etc.).

 

Voir la définition du constructivisme.