En suivant Robert Lenoble (Histoire de l'idée de Nature), on pourrait dire que l'idée de Nature dénote moins quelque chose, qu'une manière d’habiter le Monde qui a fortement évolué au fil du temps et des changements civilisationnels.
Généralement, on désigne par nature la réalité perceptible et plus restrectivement l’environnement terrestre de l’Homme, avec lequel il entre en interaction. De nos jours, compte tenu des modifications massives apportées par la civilisation, il s’agit plutôt d’un environnement terrestre peu modifié issu de l'évolution et ayant gardé les équilibres écologiques qui le rendent pérenne.
À côté de cet aspect empirique et pratique, le terme Nature cumule plusieurs autres couches de significations. Dans certains cas, il sous-entend une attitude animiste et métaphysique. La Nature serait une entité globale, dotée d’une puissance, d’une volonté propre. C’est la Mère-nature, ou encore une Nature peuplée d’Esprits, de dieux, de Forces occultes. Avec les monothéismes, la Nature est devenue une création divine, dans laquelle Dieu a placé l’Homme. Elle serait fixe, créée par Dieu, à un moment donné et une fois pour toute. À côté d'elle, existe la sphère du Surnaturel.
La conception animiste de la Nature nourrit la littérature et la poésie. Dans ce cadre, la Nature peut être aussi bien aimée et admirée pour son enchantement ou sa beauté, que détestée au titre de la cruauté de la prédation incessante sur laquelle elle repose.
Le début du XVIIe siècle apporte une troisième couche de signification. La nature évoque la partie du monde à considérer indépendamment de la théologie, car échappant au surnaturel. Avec Emmanuel Kant, c'est l'ensemble de tous les phénomènes (Critique de la raison pure). Il vaut mieux alors parler de l’Univers : la partie du monde connue et régie par une détermination autonome qui serait connaissable par les sciences.
La relation entre la Nature, comme entité distincte, et le Monde, conduit à des bizarreries. S'ils sont distincts, il y a dans le Monde un reste non naturel et mystérieux et, s'ils sont identiques, distinguer le Monde et la Nature est inutile. À ce titre, la traduction de Phusis (φύσις) par « nature » est un contresens, le terme de Phusis à l'époque grecque correspondait au Monde, à tout ce qui est et advient.
La modernité oscille entre un naturalisme incluant l'Homme et la société dans la nature et leur séparation, ce qui dans les deux cas produit des paradoxes. S’ils ne sont pas séparés, la distinction entre culture et nature, entre technique et environnement, entre industrie et écosystème, n’est pas pertinente. Pourtant, il est utile de distinguer ce qui se passe en dehors des actions humaines (les écosystèmes en équilibre) et des activités humaines (culturelles, sociales, techniques, industrielles) qui les modifient. S'ils sont radicalement séparés, comment expliquer la parenté biologique entre les humains et l'ensemble du vivant présent sur la planète ?
Dans le langage courant, on emploie souvent le terme de « nature » pour désigner les espaces environnementaux peu modifiés par l’activité humaine. Dans ce cas naturel s'oppose à artificiel (transformé par la technique), avec la possibilité d'une gradation entre les deux (les jardins, les prairies alpines, etc.). Il règne actuellement une idéologie de la nature dans laquelle le terme de nature désigne vaguement de manière valorisée et magnifiée les écosystèmes du vivant, négligeant la lutte pour la survie évolutive qui s'y déroule.
Le philosophe prudent et évitera le terme de Nature dans ses acceptions métaphysiques, animistes et globalisantes. Il lui préférera les concepts plus concrets d'environnement, d'écosystème, de milieu, et il discutera de la manière dont les Humains habitent la Terre et se situent dans l'Univers.
Pour ce qui est des enjeux ontologiques et métaphysiques, voir l'opposition nature-culture.