Revue philosophique

Toute connaissance à vocation scientifique doit construire son objet de recherche. Elle doit au minimum désigner un référent, une manière de l’étudier et, éventuellement, poser une affirmation ontologique sur ce qu’elle étudie. La difficulté, c'est qu'il existe des préconstructions spontanées, comme le signale Pierre Bourdieu, qui peuvent être inadéquates.

Pour que la sociologie apparaisse, il faut au minimum que la Société comme telle ou les Sociétés humaines aient été désignées comme des entités remarquables, ce qui vient tardivement au XVIIIe siècle. On admet que Montesquieu, Alexis de Tocqueville et Karl Marx sont les précurseurs de la sociologie.

Auguste Comte, qui s’est considéré comme l’inventeur de la sociologie, a amorcé une autonomisation de la discipline, mais n’a procédé à aucune étude empirique. Par contre, il a milité pour faire admettre une forme d’existence ontologique à l’organisation sociale au-delà du biologique. Il faut, pour parler de science sociale, des méthodes d’étude qui s’efforcent à conjuguer la rationalité à des données empiriques récoltées selon une méthode rigoureuse. À ce titre, Max Weber, Vilfredo Pareto, Émile Durkheim en sont les premiers représentants.

Comment préciser le niveau d’existence du social ? Le social concerne les relations et interactions entre individus regroupés et l’ensemble des relations fondamentales qui structurent la société. On peut faire l’hypothèse qu’il correspond à l’organisation/structuration en groupes ou collectifs qui se créent par un lien spontané entre les individus. Ce lien est double, constitué par les attachements primaires, affectifs, familiaux et claniques, qui constituent les communautés, et, d'autre part, par les règles morales et de parenté (Loi commune ou ordre symbolique) retrouvées dans toutes les communautés.

Il se constitue par ces deux moyens des groupes organisés et fonctionnels, relativement stables, reposant sur des liens, des rôles, des dépendances entre individus et le respect de règles communes. Ce niveau social aurait des lois de fonctionnement qui lui sont propres ou au moins des régularités, et qu’il serait possible d’élucider et établir scientifiquement par la connaissance sociologique.

Comme toute connaissance se voulant scientifique, la sociologie a un domaine d'étude et de validité, ce qui pose divers problèmes par rapport au champ politique. La hiérarchie dans les sociétés humaines qui donne des accès différenciés aux pouvoirs décisionnaires dans divers domaines (guerriers, législatifs, administratifs et économiques), aux savoirs, aux biens et services, vient-elle du mouvement autonome des groupes sociaux ou de l’action politique (si par politique on désigne l’action délibérée et concertée de certains individus et groupes sociaux pour contrôler la hiérarchie sociale) ?

Comment situer les deux champs du social et du politique ? Comment interagissent-ils dans les sociétés étatisées dans lesquelles l’appareil politico-administrativo-judiciaire est omniprésent. Le politique vient-il se greffer sur le social qu’il gère superficiellement ou, inversement, est-il la puissance principale, le social étant ce qui reste dans les interstices (constituant la « société civile ») ? L’appareil politico-administrativo-judiciaire laisse-t-il une place pour l'existence d'un niveau social autonome avec un fonctionnement qui lui soit propre et dans quelle proportion ?