Revue philosophique

La théorie des niveaux d’intégration (Theory of integrative levels) a été proposée par les philosophes James K. Feibleman et Nicolaï Hartmann au milieu du XXe siècle et, presque simultanément (en 1942), par Werner Heisenberg. Cette vision du monde fut popularisée par Joseph Needham dans les années 1960. En associant les idées d’Auguste Comte sur la classification des sciences et la theory of integrative levels, Joseph Needham a proposé une nouvelle classification des connaissances scientifiques. Il s'agit d'une conception ontologique, c'est-à-dire sur ce qui constitue le monde. Bien entendu, elle n'est pas exactement la même chose pour chacun de ces auteurs.

Si l'on admet que le réel n'est pas homogène, on doit y distinguer différents modes d'être ou formes d'existence qui peuvent être nommés « niveaux ». Certains d'entre-eux peuvent être regroupés, du fait de caractères communs, et ces grands regroupements constituent une « région » qui se caractérise par des lois propres (d'où le nom de « régions nomologiques », terme proposé par Werner Heisenberg). On distingue généralement les régions du monde suivantes : physique, chimique, biologique, et de manière plus controversée cognitivo-représentationnelle et sociale.

Chaque région ainsi délimitée est vaste et comporte divers degrés de complexification, mais tout ce qui la compose a certains traits communs et peut être étudié selon une méthode commune.  Dans la perspective émergentiste et évolutionniste, chaque mode d’existence se construit sur celui qui le précède, et, en même temps, possède des propriétés nouvelles et spécifiques. On suppose qu'une transformation organisationnelle donne naissance à un niveau plus complexe et que cette émergence fait apparaître un ensemble d'entités et de phénomènes spécifiques.

Le terme de « niveau » et celui de « région » présentent un inconvénient, ils sous-entendent une spatialité, une topologie. Niveau évoque des strates, des zones. Or, ces topologies simples sont inadéquates, car les modes d'existence sont enchevêtrés. Pour cette raison, il est utile de préciser qu'il s'agit de mode d'existence ou forme d'organisation, termes qui n'impliquent pas de topologie particulière.

Cette conception par niveaux s’oppose au réductionnisme, qui veut ramener toutes les régions au niveau inférieur (physique). Cependant, ce n'est pas une vision « organique » du monde qui mettrait l’accent sur sa fonctionnalité d’ensemble. Ce n'est pas non plus, en ce qui concerne le vivant, une forme du vitalisme, qui supposerait un principe indépendant et particulier. C'est seulement une vision pluraliste.