L'émergence concept ontologique ?

 

En accompagnement du concept d'organisation, une idée simple a été avancée : les diverses organisations procéderaient les unes des autres, elles s’engendreraient par complexification (si les conditions le permettent). Le passage d’un type d’organisation à l’autre se ferait selon un processus qui a été appelé émergence.

 

Pour citer cet article :

Juignet, Patrick. L'émergence concept ontologique ? Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/663.

 

Plan :



 

Texte intégral :

1. De l’émergence dans l’Univers ?

1.1 Les pionniers

D’abord s’est posé le problème des parties et du tout. L'idée vient de John-Stuart Mill qui, dans A system of logic (1862), estime que la juxtaposition et l'interaction des parties constitutives d'un être vivant ne suffisent pas à expliquer ses propriétés. À la suite de Mill, des philosophes britanniques ont appelé cette caractéristique émergence. Au départ, il s’agit de nommer le fait étonnant que les qualités d’un ensemble ne viennent pas de l’addition de ses parties.

On peut citer à ce propos Georges Henry Lewes 1 qui suggère que les entités émergentes résultent d'entités plus fondamentales et peuvent être irréductibles par rapport à ces dernières. L'idée centrale de l'émergence est lancée. Lewes utilise le terme « emergent » pour qualifier des systèmes et des processus incompréhensibles par le seul cumul des propriétés de leurs composants. Comme exemple, il cite l'eau dont les propriétés ne résultent pas de celles de l'hydrogène et de l'oxygène, éléments chimiques qui pourtant la composent.

Au début des années 1920, Samuel Alexander et Lloyd Morgan bâtirent une théorie connue sous le nom « d'évolutionnisme émergent » selon laquelle l’Univers se développerait à partir de ses éléments de base en faisant apparaître des configurations de plus en plus complexes 2. Lors de cette croissance et lorsque la complexité franchit certains seuils, des propriétés réellement nouvelles apparaîtraient. Lisons Lloyd Morgan :

« The naturalistic contention is that, on the evidence, not only atoms and molecules, but organisms and minds are susceptible of treatment by scientific methods fundamentally of like kinds ; that all belong to one tissue of events […] ».

Il explique :

« In other words the position is that, in a philosophy based on the procedure sanctioned by progress in scientific research and thought, the advent of novelty of any kind is loyally to be accepted wherever it is found, without invoking any extra- natural Power (Force, Entelechy, Elan, or God) through the efficient Activity of which the observed facts may be explained » 3 .

Morgan élimine toute supposition métaphysique comme l’action de forces occultes, d’entéléchies, d’un élan vital ou de Dieu et il associe les niveaux considérés à l’étude scientifique. Comme le notent David Doat et Olivier Sartenaer que nous citerons longuement  :

« L’émergence d’entités nouvelles au cours de l’évolution n’est donc pas synonyme d’une adhésion à un dualisme ontologique tel que, par exemple, un vitalisme dualiste (par sa référence à l’entéléchie, Morgan vise ici explicitement le vitalisme d’Hans Driesch, contradicteur contemporain de l’émergentisme britannique ; par sa référence à l’élan, il vise naturellement Bergson). L’émergence se développe ainsi en opposition, notamment, à la dichotomie entre l’inerte et le vivant.

D’autre part, le fait que, dans la philosophie de Morgan et de ses successeurs, l’organisation (ou la relationnalité) revête une nature effective ou réelle (elle se traduit par un impact causal sur le monde dont nous pouvons témoigner expérimentalement) traduit simultanément l’existence, au cours de l’évolution continue, de discontinuités naturelles. Il y a, avec l’émergence, un recyclage de l’ancien pour produire — nous l’avons vu — de l’authentiquement nouveau. L’ontologie du naturalisme matérialiste émergentiste est ainsi plus riche que celle du matérialisme réductionniste ; outre des entités physiques, elle contient aussi les relations ou modes d’organisations qui constituent ces entités » 4.

L’émergence est étroitement associée à l’utilisation des concepts d’organisation et d’interaction. Elle est comprise comme un processus de complexification qui conduit à des niveaux d'organisation hiérarchiques successifs. Selon Alexander, quatre niveaux principaux sont à distinguer dans l'évolution de l'Univers : tout d'abord l'apparition de la matière à partir de l'espace-temps, puis l'émergence de la vie à partir des configurations complexes de la matière, puis celle de la conscience à partir des processus biologiques et enfin, l'émergence du divin à partir de la conscience.

De manière apparemment indépendante, une théorie des niveaux d’intégration (Theory of integrative levels) a été proposée par les philosophes James K. Feibleman et Nicolaï Hartmann5 au milieu du XXe siècle. Cette vision de l’Univers fut popularisée par Joseph Needham dans les années 1960. En associant les idées d’Auguste Comte sur la classification des sciences et la Theory of integrative levels, Joseph Needham proposa une nouvelle classification des connaissances scientifiques. Il créa le Classification Research Group dont le travail aboutit à proposer une augmentation du nombre de niveaux d'intégration à considérer et des connaissances scientifiques y afférant.

En 1925, Charlie Dunbar Broad 6, suivi en cela par un groupe de philosophes et biologistes britanniques, utilisa le concept d'émergence pour tenter de sortir du débat sur le vitalisme. La thèse mécaniste prétendait que la vie et les phénomènes biologiques pouvaient être expliqués entièrement par les lois physiques. La thèse vitaliste postulait l'existence de certaines forces comme « l'élan vital » ou « l'entéléchie ». Broad propose une troisième voie. Il s'accorde avec la théorie mécaniste pour admettre que les phénomènes de la vie proviennent uniquement d'entités matérielles, mais il suppose aussi qu'elles sont le plus souvent irréductibles aux composants.

Cette attitude permet de conserver le matérialisme tout en reconnaissant que les lois physiques ne suffisent pas à expliquer la vie. Selon Broad, une propriété émergente est entièrement due à la configuration adoptée par les constituants de niveau inférieur, mais elle n'y est pas réductible. Il serait impossible, même avec une connaissance complète et des capacités de calcul infinies, de prédire cette propriété à partir de celles des constituants du niveau inférieur.

1.2 Émergentisme et réductionnisme

Dans ces mêmes années, une réflexion sur le réductionnisme en physique mobilisa Franz Exner, Erwin Schrödinger et le mathématicien Émile Borel. En effet, l'apparition de la mécanique quantique et de la thermodynamique statistique pose, vis-à-vis de la mécanique classique, la question de savoir si les lois sont dérivables les unes des autres. Comme cela semble impossible, il s'ensuit que les lois quantiques et thermodynamiques pourraient être émergentes. Pour cette époque, il faut mentionner également Karl Ludwig von Bertalanffy, biologiste à Vienne qui fut l'inventeur dans les années 1940 de la théorie générale des systèmes, et qui fit de l'émergence un cheval de bataille. Nous y reviendrons.

À Los Alamos, après 1950, dans le groupe de recherche constitué pour fabriquer une bombe atomique, certains commencèrent à travailler sur les systèmes complexes, ce qui conduisit à parler d'émergence. Les premières simulations sur ordinateur permirent une sorte d'expérimentation à ce sujet. Ce courant a débuté par la théorie des automates auto-reproducteurs de Von Neumann (1950), puis des automates cellulaires. Ces recherches montrent que la complexité peut émerger de règles simples, mais l’emploi du terme d’émergence est dans ce cas douteux.

L'idée d'émergence fut ensuite ré-évoquée par les cybernéticiens de seconde génération vers les années 1960 avec Von Foerster, Ashby, puis au Santa Fe institut dans les années 1990 avec Christopher Langton, la notion de « vie artificielle » est internationalement diffusée sous l'impulsion de Varela et Bourgine. Puis, ce sera en biologie avec Henri Atlan. Pour ces auteurs, une propriété émergente est issue d'une organisation ou d'un comportement global qui se forme spontanément par interactions entre une collection d'éléments. Cette propriété n'est pas réductible aux propriétés des éléments, elle vient uniquement de la globalité qui s'est construite.

Philip Anderson, physicien à Cambridge, quelques années avant d'obtenir le prix Nobel de physique (1977), popularisa le concept d'émergence par la publication d'un article intitulé « More is Different » 7. Il y souligna les limites de la physique des particules pour expliquer ce qui se produit lorsque des atomes s'associent entre eux. Ce qui explique que la chimie soit devenue une science indépendante et pas une simple branche de la physique (et ainsi de suite pour la biologie jusqu’à la psychologie).

Il en découle une vision stratifiée de l’Univers. Les entités de même type forment un « niveau d'intégration » selon le terme utilisé par Joseph Needham dans les années 1960. Ces niveaux forment des zones identifiables de l’Univers, tels que les niveaux physique, chimique et biologique. On peut aussi parler de « régions nomologiques » (c'est-à-dire régies par les mêmes lois) comme a pu le faire Werner Heisenberg 8. Dans cette perspective, les sciences doivent être considérées selon une hiérarchie, car interviennent deux facteurs, celui de l’échelle et celui de la complexité.

« But this hierarchy does not imply that science X is just applied Y. At each stage entirely new laws concepts and generalizations are necessary. Psychologie is not applied biology, nor is biology applied chemistry » 9.

L'émergence peut être vue comme la prise en compte de l’échelle (niveaux : micro, méso, macro ou plus) et du degré de complexité correspondant à chaque niveau.

On trouve parmi les auteurs favorables à l’idée d’émergence, Mario Bunge qui, lui aussi, conçoit la réalité en différents niveaux d’organisation (physique, chimique, biologique, social et technique), en opposition au matérialisme réductionniste 10. Il participe au courant de la pensée systémique qui insiste sur le principe d’émergence. Celui-ci implique une autonomie relative des niveaux d’organisation. Bunge évoque l’importance de respecter la diversité des « strates du réel » (qui correspondent aussi à des « niveaux de discours »).

« Le monde a une structure à plusieurs niveaux. Chaque niveau de complexité a ses a ses propriétés et ses lois particulières. Aucun niveau n’est totalement indépendant de son niveau adjacent » écrit Bunge en 1973 11.

Un niveau, pour Bunge, est un assemblage de choses d’un genre défini, c’est-à-dire une collection de systèmes caractérisés par des propriétés définies. L’émergence correspond à la relation entre niveaux. D’après David Pouvreau 12, on peut citer comme auteurs partageant ce projet Kenneth Boulding et Ervin Laszlo.

L'idée d'émergence a été reprise en 2005 par le physicien Robert Laughlin 13. Cet auteur soutient que les lois physiques résultent de comportements d'ensemble et sont relativement indépendantes de celles des entités sous-jacentes. À la suite d'expériences sur la mesure des constantes fondamentales de la physique, mesures obtenues à partir d'échantillons massifs, il en conclut que ces constantes sont la résultante d'un effet collectif. Il en tire un argument pour soutenir la thèse émergentiste :

« La tâche centrale de la physique théorique de nos jours n'est plus de tenter de décrire les équations ultimes, mais bien plutôt de cataloguer et de comprendre les comportements émergents dans toutes leurs manifestations, y compris peut-être le phénomène de la vie » 14.

1.3 Émergence et systémologie

Une manière intéressante et simple d'expliciter l'émergence se trouve dans un article de synthèse sur sa « systémologie générale » Zu einer allgemeinen Systemlehre) écrit en 1945 par Ludwig von Bertalanffy. Il écrit :

« Les entités complexes peuvent se différencier de trois manières distinctes : (1) par le nombre [d’éléments] ; (2) par l’espèce [des éléments] ; (3) par les relations entre éléments […]. Dans les cas (1) et (2), le complexe peut être vu comme la somme des éléments considérés de manière isolée. Dans le cas (3), nous devons non seulement connaître les éléments, mais aussi leurs relations mutuelles »15.

Selon Bertalanffy, les caractéristiques des entités complexes dépendent des relations à l’intérieur du système complexe. L’accent est mis sur les relations plutôt que sur les constituants. Les caractéristiques de l’ensemble ne sont pas explicables à partir des caractéristiques des composants et elles apparaissent donc comme émergentes par rapport à celles-ci. Définir un système, c'est connaître à la fois l’ensemble des parties réunies dans le système et l’ensemble de leurs relations mutuelles. Alors, le comportement du système est prévisible. Ses caractéristiques sont explicables à partir de l'organisation qui s'est créée spontanément entre les composants. D'un point de vue empirique, l'émergence est une façon de désigner l'apparition d'entités complexes ayant des caractéristiques originales.

Sébastien Poinat énonce clairement la différence entre réductionnisme et émergentisme par rapport à la théorie de systèmes composés. Pour les réductionnistes, le comportement de tout système composé est expliqué par celui des parties. Pour les émergentistes, certains systèmes composés ont des comportements que l’on ne peut pas expliquer par celui de ses parties 16. La caractéristique d’un système est son organisation spécifique. Pour étudier ce dernier, l'analyse des niveaux d'intégration inférieurs est nécessaire, mais insuffisante à elle seule.

En sociologie, on peut en trouver un exemple chez Émile Durkheim qui utilise un point de vue holistique afin de répondre à la question de la spécificité des phénomènes sociaux. Il se crée sui generis un ordre de faits spécifique et irréductible « toutes les fois que des éléments quelconques, en se combinant, dégagent, par le fait de leur combinaison, des phénomènes nouveaux » 17. Il s'agit, comme le dit le sociologue Pierre Bourdieu, de noter « le passage d'un système de facteurs interconnectés à un système de facteurs interconnectés autrement » 18.

Enfin, il faut signaler que les agrégats, les rassemblements empiriques, ne ressortissent pas du concept d'émergence. Il est abusif dans ces cas (ou alors pris dans une acception faible). Par exemple, les automates cellulaires sont fréquemment donnés pour illustrer l'émergence. C'est uniquement une perception ensembliste qui donne l'impression d'une nouvelle entité, mais celle-ci peut être entièrement expliquée par les règles régissant les éléments constitutifs. On ne saurait parler légitimement d’émergence dans ces cas.

2. Quelles idées sont véhiculées ?

2.1 Généralités sur le concept d'émergence

Depuis son apparition, à la fin du XIXe siècle, le concept d'émergence a été violemment contesté, mais il s’est maintenu et a évolué. Nous pouvons énumérer un certain nombre d’idées.

L’aspect premier et le plus fondamental de l’émergence correspond à une attitude face à ce qui existe, une manière de penser inverse à l’attitude atomistique analytique et réductionniste consistant à rechercher les éléments simples, les qualités premières. On s’intéresse au complexe, à ce qui est organisé sans chercher à le défaire. On s’intéresse à la liaison entre éléments plutôt qu’aux éléments eux-mêmes. Et, surtout on s’intéresse à la manière dont cela advient, à la dynamique de formation, aux évolutions.

Le concept d'émergence dépend complètement des idées d’organisation-structuration. C’est une explication de la diversité des organisations. Comment expliquer la multiplicité des formes d’existence sur un plan factuel d’abord et sur le plan du réel ensuite ? Une idée simple est qu’elles procèdent les unes des autres, qu’elles s’engendrent par complexification, si les conditions le permettent. Parler d’émergence sous-entend qu’il n’y a pas de surgissement ex nihilo, mais un processus de création et complexification.

C’est une manière de démystifier la complexité. La complexification se crée spontanément. Les entités de niveau inférieur se groupent, grâce à leurs propriétés, en entités plus complexes. L'émergence est le fruit de l'auto-organisation. Dans le cas de l'émergence moléculaire, cela se produit grâce aux liaisons covalentes entre atomes qui partagent des électrons d'une de leurs couches externes. Ce qui les lie et les organise d'une certaine manière, car les forces covalentes sont directionnelles. Le processus d'émergence ne suppose aucune force spéciale, mal connue. Il s'agit d'une structuration qui se fait spontanément à partir des composants déjà présents ou d’autres qui tiennent le rôle d'agents. Une réorganisation, une fois constituée, possède des propriétés auto-régulatrices et auto-constructrices, ou pas. Les entités complexes stables se maintiennent. Inversement, celles qui ne le sont pas disparaissent.

Dans certains cas, on peut montrer que les entités complexes formées ont une action sur les unités sous-jacentes dont elles sont formées (une rétroaction au niveau inférieur). La dynamique locale des entités de niveau inférieur fait apparaître une propriété globale au niveau supérieur qui, généralement, rétroagit sur le local au niveau de complexité inférieure. C'est ce qui explique que des dynamiques vraiment nouvelles puissent se créer, mais également qu’il n’y ait pas de coupure radicale entre niveaux.

Le concept d'émergence est également appuyé sur la pluralité des niveaux d’organisation, qui elle-même est déclarée à partir de la pluralité des disciplines scientifiques, supposées irréductibles les unes aux autres. Pour Auguste Comte, puis Joseph Needham, Werner Heisenberg, les niveaux d’existence possibles sont identifiés par les sciences fondamentales. Ce ne sont pas des a priori philosophiques ni des intuitions empiriques sur la réalité qui nous environne. Seules les sciences fondamentales peuvent donner une idée de la diversité de l’existant. L’idée d’émergence est étroitement liée aux sciences et à leur diversification.

L'hypothèse de l’émergence est récente. Sa crédibilité dépend de la diversification des sciences et de leur capacité à montrer les forces mises en jeu et les interactions entre niveaux. Réciproquement, la vision émergentiste a des conséquences sur les disciplines. Si on admet que les formes d'existence présentes dans l’Univers sont irréductibles les unes aux autres, cela a une conséquence épistémologique corollaire. C’est un encouragement pour les théories concernant les niveaux supérieurs à s’affirmer (à ne pas se laisser réduire et éliminer). On parle d'autonomie nomologique. Cela signifie que les lois régissant les configurations complexes biologiques, par exemple, ne sont pas réductibles aux lois de la physique standard. Il y aura toujours un reste du fait des qualités ou caractéristiques originales créées par le niveau d’organisation plus complexe.

On peut finalement proposer la synthèse suivante : l’idée d’émergence est liée à l’organisation et à la complexité. Elle sous-entend qu’il existe dans l’Univers des entités composées que l’on ne peut ramener à leurs éléments simples sans perdre ce qui les caractérise. Il se crée des ensembles organisés, dont les éléments sont liés, interdépendants, intégrés entre eux, et dont les qualités ou propriétés dépendent de l’organisation. Dans ce cadre l’entité complexe provient (émerge) de la composition des entités plus simples qui la composent et elle constitue une forme d’existence identifiable, car ayant une pérennité et des qualités propres.

Cette conception est rationnelle et cohérente, mais une certaine confusion arrive quand on se demande à quoi peut s’appliquer légitimement le concept, de manière précise et strictement définie.

2.2 Une distance critique est nécessaire

Jaegwon Kim a largement discuté la notion d’émergence qu’il définit ainsi :

« Lorsque les processus biologiques atteignent un certain niveau de complexité organisationnelle un type de phénomène entièrement nouveau émerge » 19.

Cette utilisation comporte certains problèmes. Il s'agit de la constatation de faits différents ou de propriétés nouvelles d’un domaine à un autre. Mais, par principe, tous les phénomènes d’un domaine scientifique donné diffèrent des phénomènes d’un autre domaine. C’est une façon banale de voir l’émergence qui est communément admise, mais critiquable. Elle est fondée sur le principe qu’il y aurait des propriétés basiques non émergentes. Cela n’a rien d’évident.

Un corps quelconque a ou n’a pas telles propriétés. Un composé chimique a des propriétés chimiques, le vivant a des propriétés biologiques, etc. Il est bizarre de qualifier d’émergentes certaines propriétés (par rapport aux autres qui seraient normales ?). Si un composé se complexifie en un autre, ce dernier aurait des propriétés émergentes. Soutenir cela signifie que la référence soit le composé simple et que le complexe, lui, ne puisse avoir des propriétés qui lui soient propres. C’est un raisonnement étrange. Une propriété n’est pas émergente, une propriété caractérise un domaine donné qui a ou n’a pas telle propriété.

Selon Jaegwon Kim l’émergence désignerait le caractère de propriétés non explicable par les processus qui les sous-tendent :

« … les propriétés réductibles sont prédictibles est explicables, et, corrélativement , … les propriétés irréductibles ne sont ni prédictibles ni explicables par les processus qui les sous-tendent. Voilà qui, je crois, donne un sens clair aux idées centrales qui constituent le concept d’émergence » 20.

Il reprend là des idées classiques qui sont critiquables. Toute propriété est explicable par les processus qui la sous-tendent, sans exception. Un émergentisme conséquent ne suppose pas de propriétés magiques. Plus précisément, tout ensemble factuel objectivé scientifiquement (considéré comme propriété) est expliqué par le réel qui le détermine et prédictible sur cette base, que ce soit en termes de processus, modèle, ou par des lois formalisées. Il s’ensuit qu’un grand nombre de discussions très techniques sur l’émergence des propriétés sont sans conséquence, puisqu’il s’agit d’un faux problème et qu’il n’y a pas lieu de défendre ou réfuter cette thèse.

La seule chose qui puisse émerger, au sens de « procéder de, tout en ayant une autonomie », c’est un degré de complexification organisationnelle supérieur au précédent. La complexification concerne nécessairement une organisation ou structure. Les faits ne peuvent pas se complexifier, ils sont ce qu’ils sont au moment où on les objective par une expérience. Par exemple, le niveau chimique émerge du niveau physique par la liaison relativement constante entre certains atomes qui constituent des molécules. Mais, un fait physique, comme avoir une masse ou une température, ne peut pas se complexifier en un fait chimique, comme avoir une propriété acide ou basique. Ce sont des faits différents étudiés par des sciences différentes, selon des protocoles expérimentaux différents. Ces faits ou propriétés sont dits émergents par métonymie avec l’émergence du niveau qui les produit. Il s’ensuit qu’un grand nombre de discussions très technique sur l’émergence des propriétés sont sans conséquence puisqu’il s’agit d’un faux problème et qu’il n’y a pas lieu de défendre cette thèse.

Un autre thème typique de la discussion sur l’émergence est celui de la causalité descendante de l’esprit vers le corps. Avec cette idée sous-jacente que si la causalité descendante s’effondre l’émergentisme s’effondre 21. Le débat sur l’émergence et le pluralisme ontologique est contaminé par le dualisme et la manière ordinaire de considérer les choses. Une des obsessions de la modernité concerne la causalité descendante de l’esprit vers le corps, ce qui peut se formuler : est-ce que croyance, désir, conscience, peuvent affecter les membres, les cellules, les organes, etc. 22.

Le débat ne peut pas être posé de cette manière. C’est une approche descriptive qui a déjà été faite et a reçu une réponse positive. On trouve ce débat au sujet de l’hystérie à la fin du XIXe siècle. Le premier travail de Sigmund Freud à la Salpêtrière, a fait jouer la causalité au sujet des paralysies hystériques. Cette étude aboutit à montrer qu’il y a des causes qui sont des représentations 23. Mais Freud s’est aperçu assez rapidement que les représentations étaient des complexes de représentations, qu'ils étaient finalement reliés à l’ensemble du psychisme, qui était lui-même issu de l’histoire individuelle et mal dissociable du biologique.

Ensuite les études de corrélation entre cognition et neurobiologie ont montré toute la complexité du problème 24. Les niveaux identifiables ne sont pas des entités fixes, fermées, homogènes, bien délimitées, de type corps ou esprit. Il y a des sous-niveaux en nombre indéfini et des parties individualisables verticalement (si on reprend la métaphore ascendant-descendant). L’interprétation causale n’est pas adaptée, car ce que l’on sait (vaguement) des interactions entre cognitif et neurobiologique, c’est qu’il y a des interactions récursives, des équilibres, qui ne peuvent pas du tout être décrits en des termes aussi simples que ceux de cause et d’effet.

Employant le vocabulaire de la philosophie analytique, Kim dit avec raison que :

« Une façon de donne un sens à la discussion sur les niveaux et de la rendre utile est de la régionaliser et d’adopter une approche allant du haut vers le bas, comme je l’ai proposé : nous choisissons une espèce nomique qui nous intéresse et nous partons de là, plutôt que de partir d’un ontologie exhaustive des niveaux » 25.

Les sciences en cause (la neurobiologie et ses diverses déclinaisons, la psychologie cognitive, la psychopathologie) ont des objets d’étude limités, par rapport auxquels elles peuvent se prononcer de manière limitée. Il est nécessaire d’attendre patiemment les réponses partielles qu’elles apporteront.

Revenons sur une critique de l’émergentisme caractéristique de la philosophie analytique qui va nous permettre de rebondir. Concernant la physique, Mc Laughlin et d’autres comme Ernest Nagel, critiquent les arguments de Charlie Dunbar Broad et estiment qu’il n’existe pas de « forces configurationnelles ». Les forces configurationnelles sont des forces qui ne peuvent être exercées que par certaines configurations de particules. Il s’ensuit qu’il n’existerait pas de propriétés émergentes. Sur ce dernier point, nous sommes d’accord, mais pour la raison développée au-dessus. La discussion est rapportée par Max Kistler 26. Elle porte sur la mécanique quantique et est beaucoup trop technique pour que nous puissions y prendre part. Mais, forces configurationnelles ou pas, il est certain qu’il existe des configurations de particules et que certaines sont stables. C’est ce que l’on appelle les atomes stables. À un degré suivant de complexification les atomes se combinent selon une certaine configuration en molécules. Or, on peut décider que l’émergentisme n’affirme rien de plus, si ce n’est qu’ainsi du nouveau se crée.

Conclusion : un usage ontologique

Comme pour les concepts d’organisation, de structure, de système, nous ne retiendrons que quelques idées suffisamment générales pour faire un usage ontologique du concept d’émergence. Cet usage dépend entièrement de celui d’organisation/structuration de l’Univers vu précédemment. Dans cette perspective, l’émergence désigne tout simplement le passage d’un niveau d’organisation à un autre par complexification, si ce dernier se stabilise. La réorganisation à un degré supérieur se manifeste par des propriétés et des faits caractéristiques. Ils seront dits, par abus de langage émergents.

Le concept d’émergence ne s’applique ni à la substance, ni aux faits. Une substance étant par définition première, elle ne dépend que d’elle-même et ne peut émerger d’une autre substance. Par exemple, dire que l’esprit ou la conscience émergent de la matière 27 est un propos indéfinissable. Si l’esprit est une substance, aucune substance ne peut émerger d’une autre substance. Si l’esprit est un ensemble de phénomènes mentaux, on ne voit pas comment des phénomènes « émergeraient » d’une substance matérielle ou émergeraient d’autres faits. L’emploi du terme d’émergence n’est pas approprié. La phrase est correctement constituée, elle semble vouloir dire quelque chose, mais elle est conceptuellement vide. Elle reprend la manière courante de voir les choses.

Du point de vue empirique, la discussion est plus délicate, car l’usage ontologique du concept met en cause la plupart de interprétations de l’émergence. Les domaines empiriques ne peuvent pas être considérés de manière stricte comme émergents car selon l’adage un fait est un fait. Il est basique, il est mis en évidence, objectivé comme tel. Les faits établis scientifiquement sont ou indépendants ou dans un rapport causal, mais ne dérivent pas, n’émerge pas les uns des autres. La théorie ensembliste de l'émergence est à la base de la notion. Par exemple, une cellule vivante est plus que la somme des molécules inertes qui la composent et à ce titre serait un ensemble émergent. Certes les constituants s'assemblent, se composent, s'organisent. Cependant, la saisie empirique de l’ensemble n’est pas suffisante. Ce qui est intéressant, c’est de saisir les différents niveaux de cette organisation qui, cumulés, aboutissent à ce que nous considérons comme une chose structurée. On doit s’interroger sur la constitution même de l’existant et se demander si ce n’est pas d’elle que viennent les réorganisations aboutissant à des choses complexes, structurées, aux propriétés originales : ce qui oriente vers un usage ontologique du concept d’émergence.

Si on réinterprète la possibilité d’émergence au travers de la distinction entre le réel et le factuel (entre ce qui est constitutif de l’Univers et ce qui se manifeste empiriquement), il apparaît qu’elle concerne plutôt ce qui est constitutif, en permettant de comprendre la relation entre les niveaux d’organisation du réel. Précédemment, nous avons été amenés à considérer qu’un niveau d’organisation du réel est une forme d’existence identifiée par une science fondamentale et qu’il se manifeste par des faits. À partir de ce niveau, on peut admettre que se forme (spontanément et sans téléologie) un niveau plus complexe également identifiable, car produisant des faits d’un autre type. C’est cette formation que nous nommons émergence.

Cela suppose une genèse du niveau complexe à partir du précédent, dont il dépend (pour son existence), mais également un échappement et un degré d’autonomie qui lui donne un déterminisme propre. Dans un usage ontologique l’émergence signifie que les niveaux d’organisation dérivent les uns des autres par complexification de l’organisation. Par organisation, on désigne l'existence d'une liaison entre des éléments constitutifs de l’Univers quels qu'ils soient, si tant est que ce lien prenne une forme définie et relativement stable. Les éléments liés sont intégrés en un ensemble, une entité, qu'on ne peut dissocier sans la détruire. L'émergence est une façon de nommer la réorganisation de complexité supérieure en spécifiant qu’elle procède de la précédente.

Par exemple, l’ensemble des atomes forme le niveau atomique. Les molécules se créent par la liaison des atomes entre eux et possèdent des propriétés caractéristiques dites chimiques. La question qui se pose est : quelle relation existe-t-il entre les deux ? Le terme d’émergence en désignant le passage d’une forme d’organisation à une autre, plus complexe, permet de dire que le niveau moléculaire émerge du niveau atomique. Sous réserve d’en resserrer ainsi la définition, l’émergence est la façon rationnelle d’expliquer le pluralisme existant dans l’Univers : pas de miracle, pas de saut qualitatif brusque, pas de téléologie. Les différentes formes d’existence, caractérisées par leur complexité, procèdent les unes des autres et apparaissent au fil des temps cosmologiques si les conditions le permettent. Cette conception de l’Univers, sous une forme un peu différente, avait été nommée par Samuel Alexander et Lloyd Morgan « évolutionnisme émergent ».

L'émergence conduit à supposer une dynamique entre les formes d'existence possibles ce qui explique la diversification de l'Univers. Avec ce concept, il est possible de concevoir un Univers dynamique et pluriel, ce qui s’oppose au monisme et au dualisme substantialistes qui cherchent à ramener l’existence à une ou deux substances homogènes et fixes. Si par ontologie, on désigne une théorie sur la constitution de l’Univers, l’émergence peut être considérée comme un concept ontologique intéressant.

 

Notes :

1 Lewes Georges Henry, Problem of Life and Mind, Osgood, Trubner & Company, 1875, p. 412.

2 Morgan Lloyd Convy, Emergent Evolution, Londres, William & Norgate, 1923.

3 Morgan Lloyd, Emergent Evolution, London, Williams and Norgate, 1923, p. 16.

4 Doat David & Sartenaer Olivier, John Dewey, Lloyd Morgan et l’avènement d’un nouveau naturalisme pragmatico-émergentiste, Philosophiques, 41(1), 127–156, 2014, p. 138.

5 Hartmann, Nicolai. Der Aufbau der realen Welt : Grundriß der allgemeinen Kategorienlehre, in Ontologie. Vol. 3. Berlin: Walter de Gruyter. 1940. New ways of ontology, Chicago, H. Regnery, 1952. Feibleman, James K. "Theory of integrative levels". The British Journal for the Philosophy of Science, 5 (17), pp 59–66, 1954.

6 Broad Charlie Dunbar, The Mind and Its Place in Nature, Londres, Kegan Paul, Trehch, Trubner and Co Ltd, 1925.

7 Anderson Philip W., More is Different, Science, 177 n° 4047, pp. 393-396 , 1972.

8 Heisenberg Werner, Philosophie : le manuscrit de 1942, Paris, Seuil, 1998.

9 Ibid., p. 393.

10 Bunge Mario, “The metaphysics, epistemology and methodology of levels”, in Hierarchical structures, New York, American Elsevier Publ. Co, 1968.

11 Bunge Mario, "Method, Model and Matter", in Synthese Library (SYLI, volume 44), Boston, Reidel Publishing Company, 2011,  p. 73.

12 Pouvreau, David, Une histoire de la ”systémologie générale” de Ludwig von Bertalanffy . École des Hautes Études en Sciences Sociales. 2013, p. 849.

13 Laughlin Robert, Un univers différent, Fayard, Paris, 2005.

14 Laughlin Robert, Pines David, The theory of everything, Proceedings of the National Academy of Sciences, vol 97, n°1, 2000. p. 28.

15 Bertalanffy Ludwig (von), Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1973.

16 Poinat Sébastien, Mécanique quantique, Paris, Hermann, 2014, p. 26.

17 Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, p. XVI.

18 Bourdieu Pierre, Manet, Une révolution symbolique. p. 384.

19 Kim Jaegwon, Philosophie de l’esprit, Paris, Les Éditions d'Ithaque, 2008, p. 97

20 Kim Jaewon, Trois essais sur l’émergence, Paris, Les Éditions d'Ithaque, 2006, p. 52.

21 Kim Jaewon, Trois essais sur l’émergence, Paris, Les Éditions d'Ithaque, 2006, p. 27.

22 Ibid., p. 77.

23 Juignet, Patrick. Freud, les paralysies hystériques et la psychopathologie. Philosophie, science et société. 2016. https://philosciences.com/179.

24 Juignet Patrick. L'émergence d'un niveau cognitif et représentationnel chez l'Homme. Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/108.

25 Kim Jaewon, Trois essais sur l’émergence, Paris, Les Éditions d'Ithaque, 2006, p. 111.

26 Kistler Max, L’esprit matériel, Paris, Les Éditions d'Ithaque, Paris, 2016, p. 166.

27 Kim Jaegon, Trois essais sur la théorie de l’émergence de Kim quatrième de couverture : « Que veut-on dire lorsqu’on affirme que l’esprit ou la conscience émerge de la matière ?

 

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