Le « je » en jeu : variations sur le cogito cartésien

 

Il y a une saisie intuitive extra-logique du cogito,  premier pas de la pensée permettant d’éviter la régression infinie de syllogisme en syllogisme. Le cogito cartésien ne fait au fond que transposer le problème de l'intuition connu d’Aristote, au problème ontologique du sujet.

 

Mehyaoui, Selma. Le « je » en jeu : variations sur le cogito cartésien. Philosophie, science et société. 2022. https://philosciences.com/cogito-cartesien.

 

Plan :


  • Introduction
  • I. Un cogito syllogistique ?
  • II. Un cogito Janus
  • III. Le cogito performatif
  • Conclusion

 

Texte intégral :

 

« [S]i les expériences internes immédiates ne sont point certaines, il n’y aura point de vérité de fait dont on puisse être assuré. » Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain II, XXVII, 13 1704

 

Introduction

De la raison...

Un mot, un seul, scande l’histoire de la pensée et en résume la portée et la raison d’être : « logos », la raison et le discours grecs, qui vise tout autant la pensée que son discours, est un terme qui porte en lui une ambivalence fascinante et féconde.

Fascinante, car le terme concilie le substrat et son produit, à savoir la raison capable de produire des raisonnements et le discours en rendant compte. Plus que cela, le logos renvoie tout ensemble aux termes « discours, langage, langue, parole, rationalité, raison, intelligence, fondement, principe, motif, proportion, calcul, rapport, relation, récit, thèse, raisonnement, argument, explication, énoncé, proposition, phrase, définition, compte/conte »1... 

Féconde, car le terme autorise à questionner la primauté de chacune de ses acceptions : qui précède l’autre, de la raison ou du discours, de la pensée ou du pensé ? Si le logos est « fondement », alors chercher le fondement du logos revient à courir après le logos du logos, et ouvre la voie à une quête infinie et aporétique. Comment s’en sortir ? Jouer avec le terme logos, c’est jouer avec cette équivoque.

... Au rationalisme

Or, l’histoire de la philosophie aura accolé ce terme à un philosophe plus qu’à tout autre : Descartes, le grand René Descartes, aura été retenu par la tradition de commentaire qui le reprend et qui le glose comme un « rationaliste ». De tous, il serait donc celui qui placerait le logos au plus haut qu’il puisse être, celui qui fonderait l’homme par la raison et en raison, remontant par la réflexion à la racine de notre être, le cogito, le « cogito ergo sum »2. De façons différentes, il apparaît dans la quatrième partie de son Discours de la méthode3 de 1637, dans ses Méditations métaphysiques4 de 1641, et même dans son ouvrage didactique, les Principia Philosophiae de 16445. C’est le deuxième de ces trois ouvrages qui va, en priorité, retenir notre attention ici. En effet, ces méditations rendent justice à l’ambivalence que nous avons prêtée au terme de logos, en accomplissant un double geste : d’une part, elles fondent la raison par le truchement d’un discours (en première personne, par un récit introspectif), d’autre part, elles fondent toute possibilité du discours en raison (en remontant au cogito, et parce qu’elles semblent appeler le lecteur à raisonner sur ses propres raisonnements, à méta-raisonner pourrait-on dire6). Discours et raison tout à la fois, le logos est donc tout entier en jeu dans ces méditations.

Nécessité d’une fondation : le « je » en jeu

Pour autant, nous sommes peut-être allés un peu vite en besogne, ici, en supposant que tout discours suppose une raison qui permette de l’énoncer. D’une part, parce qu’un discours peut être décousu, délirant, imaginatif sans être tissé de liens logiques, libre de tout formalisme. L’art connaît bien cela, le surréalisme en a fait son cœur battant et son poumon. D’autre part, l’innéité bien connue des formes logiques et mathématiques ne vaut qu’après qu’un sujet existant soit reconnu comme tel pour les porter : ce sujet, comment est-il fondé ? On répondra que le cogito cartésien est la réponse à notre question. Soit. Mais quelle est sa nature ? Son origine ? Comment est-il établi ? Y a-t-il une fondation à la fondation, une raison d’être du cogito ? Le cogito cartésien est-il logique, syllogistique ? Si oui, comme le sous-entend Russell7, alors les axiomes logiques le précèdent et il perd son caractère fondateur. Si non, alors le rationalisme cartésien n’en est pas un, du moins pas de bout en bout, et la science cartésienne, pour rationnelle qu’elle soit, est fondée par une intuition a-rationnelle. Justement, une partie du séminaire intitulé « Généalogie de la réflexion » énoncé en Sorbonne par André Charrak8, a précisément mis en question la rationalité naïve du cogito. L’enjeu, ici, est donc de cerner la nature ultime de notre rationalité, trop souvent entendue en son sens le plus étroit et scolaire, à savoir notre capacité à bâtir des raisonnements logiques. Pour la sonder, c’est le sujet qui l’actualise qu’il faut interroger : ce sujet que donne le cogito cartésien, et donc le cogito lui-même. Interroger le cogito, c’est interroger le fondement de la raison en s’autorisant à sortir en dehors de la logique. Car logique vient de logos, et n’est logique que ce qui est fondé en raison : définir la raison par l’aptitude à la logique, ce serait donc tomber dans un cercle, et passer à côté de la possibilité d’une fondation véritable. On s’en doute, la clef, avec Descartes, est donc à trouver ailleurs. Il est donc à parier que son cogito va nous conduire en dehors des sentiers trop connus et extrinsèquement réglés de la syllogistique : ainsi en va-t-il, lorsque le « je » est en jeu.

Notre cheminement

Dans un premier temps néanmoins, nous allons tenter de défendre la thèse d’un cogito syllogistique. Nous verrons que cette thèse n’est pas si naïve qu’elle en a l’air, mais la dépasserons par la force des choses. Dans un second temps, nous verrons que se pose la question de la nature du cogito ainsi établi, pour substantiel qu’il soit : avec Alquié, nous découvrirons que le cogito est un cogito-Janus9, un cogito dédoublé entre volonté et entendement. Lors d’une troisième étape, nous nous demanderons s’il n’est pas possible de renvoyer ces deux coordonnées, volonté et entendement, à la seule volonté : cela nous sera possible en défendant la thèse d’un cogito performatif, thèse brillamment exposée (puis défendue, au fil des années et des réponses) par Hintikka dans un travail célèbre (et séminal) d’exégèse analytique de Descartes.

I. Un cogito syllogistique ?

1. Une reconstruction rationnelle

Nous proposons un début de parcours à rebours de la tradition phénoménologique pourtant si bien installée en Sorbonne aujourd’hui. La phénoménologie husserlienne prétend épurer le cœur de l’itinéraire cartésien pour retrouver le noyau dur de sa philosophie, le cogito nu. Un cogito non réflexif, qui fonde une rationalité délestée de l’arsenal laborieux de la logique. Un cogito atteint dans l’évidence du présent vivant. Un cogito auquel son épaisseur est restituée, au delà du seul « je suis ». Pour Husserl, le « contenu absolument certain qui nous est donné dans l’expérience interne transcendantale ne se réduit pas uniquement à l'identité du « je suis ». A travers toutes les données singulières de l’expérience interne réelle et possible — quoiqu’elles ne soient pas absolument certaines dans le détail — s’étend une structure universelle et apodictique de l’expérience du moi, ainsi, par exemple, la forme temporelle immanente du courant de conscience. En vertu de cette structure, — et c’est un de ses caractères propres, — le moi possède de lui-même un schéma apodictique, schéma indéterminé qui le fait apparaître à lui-même comme moi concret, existant avec un contenu individuel d’états vécus, de facultés et de tendances, donc comme un objet d’expérience, accessible à une expérience interne possible, qui peut être élargie et enrichie à l’infini »10 : plutôt qu’un objet métaphysique saisi dans l’abstraction, le cogito serait une expérience. Apodictique, le sujet en fait l’épreuve dans l’immanence du courant de conscience. Avec Husserl, donc, nos interrogations n’auraient pas lieu d’être : évidemment non, nous répondrait-il, le cogito n’est pas syllogistique.

Pourtant, ça n’est pas du côté de la philosophie dite continentale, mais plutôt de celui de la philosophie analytique, que nous allons initier notre exploration. Pour des raisons que nous aurons loisir de développer ailleurs, il nous semble en effet pertinent d’éclairer Descartes d’un jour analytique, à l’anglo-saxonne, à la fois pour en faciliter la lecture et pour en faire ressortir les traits saillants dans toute leur technicité. Or, une de ces lectures, celle de Georges Dicker en l’occurrence11, propose de reconstruire le cogito de façon syllogistique, et par là-même de plaider pour la nature intrinsèquement logique, bien que cachée, de ce dernier. L’argument est simple : si le cogito est reconstructible par la logique, c’est qu’il est logique. Il l’est implicitement, mais cette logique est celle d’un syllogisme tellement évident qu’il est saisi par l’intuition et non pas par le raisonnement12. La reconstruction rationnelle, pour reprendre les mots de Rorty13, est donc ici à la fois didactique (elle vise à mieux faire comprendre le texte) et exégétique (elle vise à mieux comprendre le texte). C’est cet argument que nous allons exposer ici, avant de le dépasser.>

2. Un énoncé syllogistique ?

L’expression « cogito ergo sum » mobilise « ergo », « donc », et semble donc ramasser un raisonnement. Pour autant, elle n’apparaît pas dans les Méditations métaphysiques. Simplement, du fait que Descartes l’ait employée dans le Discours de la Méthode, on est tenté de penser qu’elle témoigne de ce que son cogito est un raisonnement. « Cet ergo semble prouver qu’il s’agit d’un raisonnement, et non d’une simple intuition », acquiesce Alquié, avant de continuer :

« Et de fait Descartes, dans plusieurs textes, semble accorder que le cogito ergo sum soit un raisonnement. C’est le cas dans la Recherche de la Vérité. Et de même, dans les Principes de la philosophie, Descartes parle de « conclusion » ; or, s’il y a conclusion, il y a raisonnement »14.

Or, si syllogisme il y a, alors il en manque la majeure. Comment s’en sortir ? Doit-on s’accommoder de l’idée que le cogito est un syllogisme fautif, tronqué, amputé ? Une façon de répondre serait de se contenter de la réponse de Descartes : le cogito n’est pas un syllogisme, point15. André Charrak a d’ailleurs insisté sur le caractère non réflexif du cogito, étayant son propos de citations sourcées, renvoyant par exemple aux septièmes réponses. Pourtant, on l’a dit avec Ferdinand Alquié et on y reviendra en citant le dixième article de la première partie des Principia, Descartes, ailleurs, semble admettre que le cogito est un raisonnement voire en cite la prémisse manquante ou implicite. Ne se doit-on pas, alors, de prendre cela au sérieux, et de mettre Descartes face à lui-même ? Voici la façon dont Georges Dicker expose le cogito, dans sa version « non-reconstruite » - la version reconstruite renvoyant à l’établissement d’un cogito substantiel par le truchement de toute une théorie sous-jacente de la substance.

D’abord, il s’instruit du fait que le syllogisme suivant n’en est pas un - comme nous l’avons dit, il manque la majeure.

(S0)

Je pense
________________

Je suis

(S0) n’est pas valide, car le syllogisme demanderait un moyen terme pour l’être.

Alors, Dicker examine, à la suite de Descartes lui-même parfois, la possibilité de comprendre le cogito comme recelant un moyen-terme implicite qui est que « toute chose qui pense est nécessairement ». Ici, « est » est synonyme de « existe ». Cette prémisse est admise par Descartes lui-même comme faisant partie des notions simples et innées dans le dixième article du premier livre de ses Principia Philosophiae : « lorsque j’ai dit que cette proposition : Je pense, donc je suis, est la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre, je n’ai pas pour cela nié qu’il ne fallût savoir auparavant ce que c’est que pensée, certitude, existence, et que pour penser il faut être, et autres choses semblables »16. Le cogito peut alors être rendu par le syllogisme suivant, noté (S1). 

(S1)

Je pense
Toute chose qui pense est nécessairement
________________

Je suis

 

Cette fois-ci, le syllogisme est valide de prime abord17. Il contient bien une prémisse qui a valeur de généralité et qui permet de déduire la conclusion par modus ponens.
Pour autant, nous l’avons dit, le fait est que Descartes dit d’abord que le cogito n’est pas syllogistique, dans les réponses aux secondes objections - nous l’avons cité, il répondait aux théologiens.

Plus tard, nous venons de l’exposer, trois ans après exactement, dans ses Principia Philosophiae, Descartes finira pourtant par admettre que notre prémisse implicite fait partie des « notions simples » admises avant même le cogito, et innées à la raison de l’homme.
Comme Martial Gueroult, cité par Hintikka, nous nous interrogeons : « 1/ Descartes se refuse à considérer le Cogito comme un raisonnement. (...) 2/ Pourquoi s'obstine-t-il alors au moins à trois reprises (Inquisitio veritatis, Discours, Principes) à présenter le Cogito sous la forme qu'il lui dénie ? »18. Comment comprendre cette contradiction ?

3. Un énoncé intuitif

Nous proposons deux solutions pour surmonter cette contradiction.
L’une propose une hypothèse historique, biographique, sur Descartes lui-même ; l’autre avance un argument philosophique fort. L’argument historique consiste à dire que Descartes était, au moment des Méditations, lui-même prisonnier de l’intuition, d’une intuition qu’il n’arrivait pas à déplier19. L’argument philosophique consiste à dire que le moyen terme du syllogisme implicite est construit par l’intuition du cogito, autrement dit que l’intuition bâtit cela même qu’elle permet de saisir. C’est une thèse forte, majeure, qui place l’évidence (plan épistémologique, ordre de la connaissance) en amont de la logique (plan formel, ordre des raisons).

Argument historique

Nous avançons une hypothèse : Descartes serait prisonnier de l’intuition, au moment de la rédaction des Méditations métaphysiques, au sens aristotélicien que revêt le terme « intuition ». Car, rappelons-le, avec Aristote, l’intuition n’est rien d’autre que la saisie immédiate du moyen-terme20. L’intuition n’est pas a- logique : plutôt, elle est une opération si rapide que le sujet cour-circuite le syllogisme laborieux sans pour autant sortir de la logique. Le syllogisme est là, sous-jacent, mais saisi tout entier d’un coup d’œil extrêmement perspicace et rapide. Revenons à la réponse aux théologiens : Descartes dit que l’évidence du cogito n’est pas connue du sujet par syllogisme mais que, plutôt, « il la voit par une simple inspection de l’esprit » - nous soulignons. Le verbe « voir », ici, n’a rien d’anodin. Le latin « intueri » ramène au verbe « voir », et il existe donc un rapport entre intuition et vision. Autrement dit, notre argument est qu’à ce stade, en 1641, Descartes est lui-même prisonnier d’une intuition dont il ignore la nature. On pourrait dire que le cogito court-circuite le moyen-terme du syllogisme (S1). C’est le propre de l’intuitif de ne pas être transparent à lui-même, de ne pas voir ce syllogisme qu’il court-circuite (car s’il le voyait, il ne le court- circuiterait plus). La définition que Descartes donne lui-même de l’intuition n’est d’ailleurs pas moins éloquente, ici, pour éclairer notre propos. Dans la règle 3 des Regulae ad directionem ingenii de 1629, il précisait : par « intuition, j’entends (...) la conception d’un esprit pur et attentif, conception si facile et si distincte qu’aucun doute ne reste sur ce que nous comprenons, ou, ce qui est la même chose, la conception ferme d’un esprit pur et attentif, qui naît de la seule lumière de la raison et qui, étant plus simple, est par suite plus sûre que la déduction »21. Contrairement à la déduction, qui mobilise la mémoire et une chaîne de raisonnements, l’intuition est immédiate : elle est saisie de l’évidence par le regard de l’âme. Nous l’avons dit, Descartes mobilise le lexique de la vision, pour parler de l’intuition : « chacun peut voir [nous soulignons] par intuition que... »22, continue-t-il plus loin. On retrouve donc notre analyse, dans le choix du lexique cartésien, quoique Descartes se défende de devoir quoi que ce soit aux définitions aristotéliciennes, scolastiques, de l’intuition. Cette analyse de la définition cartésienne de l’intuition va nous permettre de dépasser l’argument biographique, ou historique, au profit d’un argument philosophique.

Argument philosophique

Car Descartes va, nous pensons, bien au delà de ce que nous avons exposé, dans sa conception de l’évidence. Chez Descartes, l’évidence fait naître la logique en tant qu’elle est le critère du vrai et du faux. Autrement dit, par l’évidence du cogito, on fonde l’inférence. Ici, nous faisons le choix de ne pas reprendre dans le détail le travail d’orfèvre de Dicker dans son ouvrage, travail lui permettant de reconstruire un cogito syllogistique par le truchement de la théorie cartésienne de la substance. Nous allons donc nous borner à considérer les trois premières étapes du résumé de son raisonnement tel qu’exposé dans son ouvrage. Elles mobilisent la fameuse prémisse implicite dont Descartes parle dans le dixième article du premier livre de ses Principia Philosophiae. Les voici exposées ci-dessous23.

(S2)

(1) Je pense
(2) Si je pense, alors j’existe [nécessaire pour que l’inférence de (1) à (3) soit formellement valide, mais non nécessaire pour savoir (3) sur la base de (2)]
______________________

(3) J’existe

 

 

Il y a deux ordres à comprendre ici : l’ordre de l’évidence, et l’ordre de la logique.
L’ordre de l’évidence veut que l’on passe de (1) à (3). C’est le cogito.
L’ordre de la logique s’applique rétrospectivement pour passer de (1) à (3) : postérieur au cogito, voire même d’ailleurs conditionné par lui, c’est l’ordre qui permet de l’appréhender en raison.
L’ordre de l’évidence est l’ordre du « en fait », l’ordre de la logique est l’ordre du « en droit ». L’assertion (2) vient de la factualité de l’inférence (1) à (3), fondée rétrospectivement par (2). L’évidence factuelle du cogito précède donc la logique. En cela, le cogito est intuitif au delà d’Aristote : plutôt que court-circuit du moyen- terme, il est établissement de ce dernier. Le cogito est une évidence créatrice : il crée l’assertion logique qui le rend rétrospectivement lisible à la raison. Citons Georges Dicker, qui résume cela très bien. « Il demeure vrai, bien sûr, que le cogito est formellement valide seulement si la prémisse additionnelle est ajoutée. Mais la position de Descartes est qu’il n’est pas requis de connaître cette prémisse additionnelle pour saisir la nécessité de la connexion entre la pensée d’une personne et l’existence de cette dernière. Cette connexion est saisie immédiatement, et la connaissance de la prémisse additionnelle dépend de cette saisie, plutôt que l’inverse. Ici, pour ainsi dire, l’acte épistémologique précède la logique (formelle). »24 À noter que cette préséance de l’épistémologique sur le formel nous semble confirmée au fil de la lecture critique que Denis Kambouchner a proposée du célèbre « cogito performatif » d’Hintikka, sur lequel nous reviendrons plus loin25.

II. Un cogito Janus

Pour autant, une fois accepté le cogito comme évidence fondatrice, reste à questionner sa nature. Nous allons voir que si son unité substantielle est établie par Descartes lui-même via la fameuse réduction à la « res cogitans », son efficacité est double (car le cogito est efficace d’une part en tant que volonté, d’autre part en tant qu’entendement) : cela ne va pas être sans poser de problème.

1. Une substance...

Georges Dicker propose la reconstruction suivante. Elle se fonde sur la théorie cartésienne de la substance, elle-même héritée d’une longue tradition. Une fois de plus, Descartes ne renie donc pas tout à fait l’héritage scolastique, dont les Jésuites auront décidément su faire un legs imparable... La reconstruction de Dicker est exposée en détail, puis résumée sur une page. Nous en re-numérotons les étapes dans un souci de clarté, mais traduisons strictement son propos26. La voici dans l’encadré ci-dessous.

1. Je pense
2. Si je pense, alors j’ai une pensée T.
3. J’ai une pensée T (modus ponens d’après 1 et 2)
4. Si j’ai une pensée T, alors il y a une pensée T.
5. Il y a une pensée T (modus ponens d’après 3 et 4)
6. Une pensée est une propriété (hypothèse de Descartes lui-même27)
7. S’il y a une pensée T, alors T est une propriété (d’après 6)
8. Si x est une propriété, alors il y a une substance à laquelle x appartient (corollaire de la théorie cartésienne des substances28)
9. S’il y a une pensée T, alors il y a une substance à laquelle T appartient (d’après 7 et 8)
10. Il y a une substance à laquelle T appartient (modus ponens d’après 5 et 9)
11. Si j’ai une pensée T et s’il y a une substance laquelle T appartient, alors je suis la substance à laquelle T appartient
12. Je suis la substance à laquelle T appartient (d’après 3, 10 et 11)
13. Si je suis la substance à laquelle T appartient, alors je suis une substance pensante
14. Je suis une substance pensante (modus ponens d’après 12 et 13)

 

L’assertion 11 ne nous semble pas démontrée : c’est qu’elle est « very plausible »29 pour Georges Dicker. Comment la justifie-t-il ? Il ne la justifie pas. Il en reconnaît même le caractère relatif et critiquable30. Et la critique pouvait commencer dès l’étape 1, car, qu’est-ce qui dit (1) que « je pense » plutôt qu’ « il y a de la pensée »31 et (11) que ce « je » est assez permanent pour être substantialisé32 ? Dès lors, il nous semble que son raisonnement ne tient pas les exigences de la raison et en appelle à l’évidence d’une prémisse qui n’est en rien plus immédiate que l’intuition du cogito lui-même. En d’autres termes, il nous semble que le monumental travail de reconstruction rationnelle de Dicker s’effondre, car bâti sur du sable. De même que le cogito n’est pas rationnel, sa substantialité ne l’est pas non plus33. Elle aussi, par le truchement de l’étape 11, doit relever de l’évidence a-logique...

2. ... Doublement efficace

Un « je »...

Mais avançons, et acceptons la substantialité du cogito, pour a-rationnelle que soit son établissement. Que le cogito permette de me nommer en tant que « res cogitans », c’est une chose. Mais à qui, du « moi » montré ou du « je » qui montre, correspond le cogito ? Car se questionner, questionner sa propre nature dans un acte réflexif, c’est viser un « moi » par un « je » qui sonde et qui inspecte. Le « je » sujet de l’acte visant vise un « moi » objet de l’acte visé, et l’acte réflexif acte donc un dédoublement. La chose devient deux choses, la substance deux substances. D’ailleurs, dans l’intimité de la pensée, dans cette confession de soi à soi qu’est la réflexion intérieure, l’on pourrait dire que le « je » parle au « moi », puis le « moi » prend la parole et devient « je », les rôles s’inversant, puis s’inversant encore, et ainsi de suite : c’est pour cela que la pensée est un dialogue, depuis Platon, depuis le Théétète. Si Platon choisit la forme du dialogue pour sa philosophie, c’est parce que c’est, au fond, la forme-même de la pensée - peut-être plus encore que les méditations, privilégiées par les chrétiens. Cette dualité semble donc inhérente au sujet cogitant, de toute éternité. Comment résoudre cette aporie ?

Pour la dépasser, une clef est de comprendre que Descartes n’expose pas, avec le cogito, une théorie du moi plein, du « moi » psychologique. Il est donc fort à parier que, du « moi » et du « je », seul le « je » soit à retenir. Car la ruse de Descartes, c’est précisément de substituer l’épreuve de soi, par l’évidence, à l’examen de soi, par le regard intérieur. En ce sens, la méditation est bien plus une ascèse qu’une introspection tirant vers l’auto-contemplation narcissique. Au fond, Descartes ne se vise jamais dans un acte qui serait introspectif : plutôt, il déconstruit le monde extérieur puis toute chose (y compris ses souvenirs) en demeurant tourné vers cet extériorité. « Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente34 ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lien ne sont que des fictions de mon esprit »35, scande Descartes au début de la deuxième méditation : la répétition du « je », qui est ici une anaphore, dit bien qu’il est sujet, tourné vers un extérieur qu’il déconstruit. Or, on ne peut pas regarder et se regarder tout en même temps, sauf à être face à un miroir, ce qui n’est pas le cas de Descartes ici. Le doute cartésien est un moyen d’atteindre le noyau dur du sujet sans jamais se tourner vers lui, par le doute de ce qui lui est extérieur, c’est-à-dire en continuant de regarder vers ce qui n’est pas soi.

Épreuve du « je », le cogito n’est donc jamais une contemplation du « moi ». La substance, le cogito, c’est donc le « je ».

... dual.

Pour autant, si l’unité de la substance, l’unité de la « res cogitans », est préservée, son efficacité, elle, n’en est pas moins double. Car ce « je » peut deux choses : comprendre et vouloir, intelliger et viser. Ferdinand Alquié, dans ses Leçons sur Descartes, expose cette dualité avec clarté et clairvoyance. Selon lui, « dans le « je pense », dans le « je suis », il y a non seulement un entendement, mais aussi une volonté, et (...) cette volonté est aussi essentielle à la compréhension du cogito que l’entendement lui-même »36. Pour autant, s’il y a le moi qui pense et le moi qui vise, qui veut penser, in fine il n’y a qu’un moi, qu’une substance. Qu’est- ce alors que cette volonté et cet entendement ? Alquié les décrit comme des « facultés »37, tout comme le sont l’imagination, la sensation et « tout ce qui est, au sens le plus général de ce mot, de la pensée, de la conscience »38. Nous laissons ici de côté le fait que la sensation est bien évidemment corporelle chez Descartes39, et que l’imagination est, chez lui, liée de façon inamissible au corps, au cerveau (et c’est là quelque chose qui est, soit dit en passant, hérité de la vieille anatomie cérébrale et psychique des scolastiques européenne et arabe). En fait, nous choisissons de ne retenir que deux facultés, ici, à l’instar d’ailleurs de ce que fait Alquié lui-même : la volonté et l’entendement. La question « des rapports de l’entendement et de la volonté » est un « problème (...) très difficile chez Descartes »40, de l’aveu même d’Alquié. Voici ce que ce grand érudit de la lettre cartésienne, à qui l’on doit, rappelons-le, une édition des oeuvres complètes de Descartes, nous dit : « dans la Méditation quatrième, la théorie de l’erreur et celle de la vérité poseront cette question très difficile des rapports de l’entendement et de la volonté, qui l’un et l’autre sont nécessaires au jugement. Pour Descartes, juger suppose ces deux facultés. Pour que je juge, il faut d’abord que je comprenne ce sur quoi je juge, et ici l’entendement est requis, mais il faut aussi que je décide, dans un sens ou dans l’autre, et alors la volonté est requise. (...) Descartes nous conseille de séparer ces facultés, de ne laisser juger la volonté que lorsque l’entendement sera pleinement éclairé »41. Bien sûr, on pressent ici l’influence de fait qu’aura l’épistémologie cartésienne sur la logique de Port-Royal, pour qui l’ordre de la pensée est celui du concevoir-juger-raisonner-ordonner. Le concevoir vient avant le reste, l’entendement précède la volonté en jeu dans le « juger »42. Pour autant, si l’entendement est le premier pas de la pensée, « il faut que ces deux facultés se confondent dans l’acte par lequel je juge, puisque, lorsque je juge qu’une chose est vraie, je conçois cette chose et je décide qu’elle est vraie » : autrement dit, entendement et volonté coïncident dans un même acte de la pensée, et l’unité substantielle du cogito les réunit simultanément. « Comment concevoir l’unité d’un sujet comprenant en lui des facultés aussi radicalement opposées »43, s’étonne aussitôt Alquié ? Il faut, nous dit-il, aller lire une lettre de Descartes à Regius, contemporaine des Méditations métaphysiques. Ce qu’y dit Descartes, c’est que l’entendement est passion de l’esprit, la volontéaction de l’esprit. Volition et intellection sont ici bien cernées. Regius les distinguait comme deux modes d’action différents à l’égard d’objets différents, Descartes répond : « J’aimerais mieux que l’on dise qu’elles diffèrent seulement comme l’action et la passion d’une même substance »44. Etymologiquement, la passion est la souffrance (grec « pathos », latin « passio »), tandis que l’action est l’opération qui permet à un effet de se produire (latin « actio », faculté d’agir). De ces deux facultés, l’une décrit l’âme pâtissant, l’autre de l’âme agissant. Et à lui de confirmer que les deux facultés sont toujours mêlées : « nous ne saurions vouloir aucune chose que nous n’apercevions par le même moyen que nous la voulons », et « jamais nous ne comprenons rien sans avoir en même temps quelque volition »45.

Ainsi, de l’action et de la passion, de la volonté et de l’entendement, il ne s’agirait aucunement d’avoir à choisir ou hiérarchiser : tous deux, nous dit Descartes, sont les deux efficacités d’une même substance, à savoir le cogito.

III. Le cogito performatif

1. Nécessité d’un choix, le « je » volontaire

Nous venons de l’établir avec Alquié, Descartes nous dit que volonté et entendement sont deux faces d’une même pièce, inamissibles l’une à l’autre. Pour cette raison, nous avons choisi de parler d’un cogito Janus. Janus, dans la mythologie romaine, c’est le Dieu aux deux visages, le Dieu des portes et des seuils, des commencements et des fins. Or, le cogito lui aussi est bifrons. Il est un seuil : un seuil sur l’extériorité, un seuil qui ouvre le moi infiniment fin, ramassé en un point insaisissable et sans épaisseur, à l’étendue du monde et du corps. En outre, le cogito lui aussi a deux visages : le visage de l’entendement, le visage de la volonté. Pourtant, il est un. Il nous semble qu’il y a nécessité logique de la primauté de l’un ou l’autre, de l’entendement ou de la volonté, dans l’acte initial de la pensée. Contre Descartes, qui ne voulait pas hiérarchiser ces facultés, s’impose alors la nécessité d’un choix : à qui la primauté, entre entendement et volonté ? Le sum semble être volonté, le cogito entendement, et l’on pourrait penser l’affaire pliée. Pourtant, pour penser, il faut viser, vouloir penser. Donc tout se complique. Il nous semble qu’une solution vient du leitmotiv que nous nous sommes donnés dans ce paragraphe : lorsque nous parlons de la nécessité d’un choix, nous entendons aussi cela au sens où l’acte ultime, l’acte premier, c’est toujours d’abord celui d’un choix qui pose un sujet en choisissant une direction, une visée. L’acte premier, c’est un acte qui tranche. Un acte qui vise - ceci plutôt que cela, ici plutôt que là. C’est l’acte d’un « je » qui veut plutôt que d’un « moi » pâtit et, en tant qu’il pâtit, pense. C’est l’acte d’un « je » incisif et topologiquement réduit à un point, sans intériorité qui puisse pâtir de quoi que ce soit. C’est l’acte d’une lame si aiguisée qu’elle disparaît, pour reprendre une image donnée par Husserl. En un mot, c’est l’acte d’une volonté.

Ce diagnostic nous semble confirmé, par Descartes et contre Descartes, dans les Passions de l’âme, son ultime traité, dédié à la princesse Elizabeth de Bohème, et publié en 1649 - soit un an avant sa mort. Au sein des articles 17, 18 et 19, s’y définit l’articulation entre volonté et entendement, ou plutôt, dans ce texte, entre volonté et perception (Descartes, et c’est à noter dans le cadre d’une lecture proto-empiriste de ce dernier, glisse donc du terme d’entendement à celui de perception, au fil de son oeuvre, dans le cadre d’une articulation avec la volonté). Citons l’article 17, qui suffira à notre propos.

« Art 17 - Quelles sont les fonctions de l’âme
Après avoir ainsi considéré toutes les fonctions qui appartiennent au corps seul, il est aisé de connaître qu’il ne reste rien en nous que nous devions attribuer à notre âme, sinon nos pensées, lesquelles sont principalement de deux genres, à savoir : les unes sont les actions de l’âme, les autres sont ses passions. Celles que l’on nomme ses actions sont toutes nos volontés, à cause que nous expérimentons qu’elles viennent directement de notre âme, et semblent ne dépendre que d’elle ; comme, au contraire, on peut généralement nommer ses passions toutes les sortes de perceptions ou connaissances qui se trouvent en nous, à cause que souvent ce n’est pas notre âme qui les fait telles qu’elles sont, et que toujours elle les reçoit des choses qui sont représentées par elle. »46


Nous notons trois choses, en prêtant une attention particulière aux passages que nous avons soulignés. D’abord, ce que nous avions nommé efficacités du cogito, ce qu’Alquié nommait facultés, Descartes le nomme « fonctions ». Autrement dit, plus qu’une faculté ou efficacité accidentelle, la volonté et la perception sont des fonctions, essentielles donc. Elles sont des attributs inamissibles du cogito substantiel, si tant est que l’expression « attribut inamissible » tienne la route lorsque l’on se rappelle que la définition de la substance est celle de ce qui, précisément, survit au changement d’attributs47.
Ensuite, les volontés viennent de notre âme et ne dépendent que d’elle : elles sont bien dans le domaine de la « res cogitans » pure, de la pensée pure, et clairement situées dans les dualisme cartésien pensée-étendue. Enfin, les perceptions dépendent d’un objet autre : au contraire de la volonté, elles ne sont pas exclusivement rattachées à la « res cogitans » mais mettent aussi en jeu des objets exogènes, dont l’âme pâtit. Cette compréhension de l’intellection comme d’une passion est au moins aussi vieille qu’Aristote, qui comparaît l’intellect à une tablette vierge dans son traité De l’âme48. Elle a traversé les moyen-âge Arabe, la scolastique latine, malgré des dissensions d’ailleurs fameuses entre ces deux traditions. Descartes ne fait donc là qu’hériter d’un topos, d’un lieu commun, qui en fait une fois de plus en penseur bien plus redevable que de réputation au scolastisme médiéval49.
Notre conclusion est donc sans appel : de la perception/entendement et de la volonté, ce qui appartient en propre au cogito, ce qui le caractérise en premier lieu, c’est la volonté. Elle seule se suffit à elle-même, est enracinée de façon exclusive et indépendante du monde extérieur en nous50.

2. « Je » volontaire, « je » performatif : l’énoncé d’Hintikka

Ce « je » volontaire que nous venons de cerner comme le noyau irréductible auquel s’identifie le cogito, est un « je » qui se suffit à lui-même pour viser le monde extérieur que les méditations cartésiennes auront permis de reconstruire, par le truchement de l’existence de Dieu. Ce « je », c’est donc un « je » qui se suffit à lui-même pour vouloir, viser, envisager, appréhender. C’est un « je » qui peut compter sur sa force propre, contrairement à l’entendement qui pâtit d’un objet qui lui est extérieur. Ce « je », donc, ne peut trouver d’origine qu’en lui-même. Dès lors, la tentation est grande de penser qu’il est sa propre origine, en tant qu’il est le cogito - dont nous avons dit qu’il était l’origine ultime, la racine du sujet. Autrement dit, ce « je » , parce que devant se suffire à lui-même et se générer lui-même, pourrait être bien le « je » performatif d’Hintikka. C’est la thèse, ici, d’un cogito performatif que nous souhaitons donc examiner pour clore notre étude. Cette thèse, Hintikka, logicien et philosophe finlandais du milieu du siècle passé, l’expose après un examen prudent de l’éventuelle nature logique, formelle, syllogistique, du cogito. Nous ne reviendrons pas sur cet exposé, par ailleurs limpide et d’une clarté infinie tant les étapes en sont exposées avec simplicité et pédagogie par le logicien51. Non pas que nous ne jugions pas cette vérification importante, mais plutôt parce que nous en avons nous-même proposé une première version dans la première partie de ce travail. Nous préférons donc ici en venir directement à la thèse forte de Hintikka. Citons-le, pour mieux la cerner :

« Descartes realized (...) the existential inconsistency of the sentence "I don't exist" and therefore the existential self- verifiability of "I exist." (...) [T]he sentence "I am" ("I exist") is not by itself logically true, either. Descartes realizes that its indubitability results from an act of thinking, namely from an attempt to think the contrary. (...) . Hence the indubitability of this sentence is not strictly speaking perceived by means of thinking (in the way the indubitability of a demonstrable truth may be said to be); rather, it is indubitable because and in so far as it is actively thought of. (...) . The indubitability of my own existence results from my thinking of it almost as the sound of music results from playing it or (to use Descartes's own metaphor) light in the sense of illumination (lux) results from the presence of a source of light (lumen). »52

Nous avons deux choses à dire, à souligner, afin de saisir les traits saillants de cette thèse.

- D’abord, le cogito est selon Hintikka un acte qui se devine en creux, un acte négatif : l’évidence de ce que j’existe vient de l’impossibilité de penser que je n’existe pas - Hintikka parle d’un « attempt to think the contrary », d’une tentative de penser le contraire. Autrement dit, le cogito découle de l’inconsistance existentielle de l’affirmation « Je n’existe pas », pensée et dite en première personne. Ce cogito négatif nous semble en parfaite cohérence avec la façon dont Descartes amène le « Je pense donc je suis » dans l’article 7 de la première partie de ses Principes de philosophie : « nous ne saurions nous empêcher de croire », nous dit-il, « que cette conclusion (... ) ne soit vraie »53. Ici, le « nous ne saurions nous empêcher de croire » n’est pas seulement rhétorique : avec Hintikka, il est à prendre à la lettre. Cette inconsistance existentielle a été décrite plus tôt dans l’article du logicien finlandais en termes logiques, et nous n’y reviendrons pas. Ce qu’il faut en retenir, c’est que d’une façon ou d’une autre Hintikka, en bon analytique, ramène l’évidence cartésienne du cogito à l’ombre d’un acte logique, à un acte logique en creux. C’est-là quelque chose de très fort, de très audacieux, et qu’il nous semblait important de souligner ici - ne serait-ce que parce que cela entre en contradictions avec les vues dégagées en première partie de ce travail.
- Par ailleurs, l’indubitabilité du cogito résulte du « je pense » non pas dans un rapport de cause à effet mais dans un rapport de génération immédiate : dire « je pense », c’est penser. Donc dire « je pense », c’est rendre « je pense » vrai. C’est rendre « j’existe » vrai comme une assertion qui prend acte de cela. Car « cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit »54, nous dis Descartes. N’est-ce pas là la forme-même d’un énoncé performatif ? Autrement dit, c’est un speech act au sens d’Austin55, un énoncé performatif. « The indubitability of my own existence results from my thinking of it almost as the sound of music results from playing it », nous dit Hintikka : l’indubitabilité de ma propre existence résulte de ma pensée comme le son de musique résulte du fait que l’on le joue. Plus que simultanéité, il y a inhérence fondamentale. Le cogito d’Hintikka saisit donc l’évidence cartésienne dans son caractère irréductible, séminal, premier. En cela, et quoi que l’on puisse gloser sur sa fidélité à la doctrine de Descartes, il est admirable - et à Kambouchner de souligner qu’il « offre un exemple sans doute unique dans toute l’histoire de la philosophie d’un argument canonique au second degré, autrement dit d’un argument canonique produit sur un argument canonique »56.

Ainsi, la solution d’Hintikka réconcilie l’évidence a-logique (car performative) du cogito avec la logique qui permet d’en déceler la cohérence a posteriori, tout en évitant le problème du syllogisme (car l’argument logique d’Hintikka n’est pas un syllogisme). Cette solution est admirable en tant qu’elle subordonne explicitement la vérité logique à l’évidence qui fonde l’acquiescement à des énoncés atomiques. Autrement dit, qu’il le sache ou non, Hintikka est des plus fidèles à la doctrine épistémologique cartésienne, en faisant de l’évidence première un critère irréductible et indépassable de vérité.

Conclusion

Le cogito, vieux comme Hérode

Le cogito n’est pas une lubie ratiocinante de rationaliste hyper-réflexif. Plutôt, il est une évidence vécue, qui n’a pas attendu le rationalisme de Descartes pour trouver ses premières expressions dans l’histoire de la philosophie. Car le cogito a une histoire, des antécédents. St Augustin, Thomas, lui ont donné voix bien avant Descartes, certes à leur façon et sans, bien sûr, l’insistance ni l’emphase qui auront été celles du penseur français. Augustin, d’abord, au livre X de son De Trinitate, précise que l’intuition de soi est immédiate pour qui prend au sérieux le précepte delphique. « Lorsqu’il est dit à la pensée « connais-toi toi-même », dès l’instant où elle saisit intellectuellement ce que signifie toi-même, elle se connaît elle-même et pour aucune autre raison que le fait qu’elle est présente à elle-même », nous dit Augustin : « la pensée ne doit rien ajouter d’autre à ce qu’elle sait être elle-même lorsqu’elle entend le commandement d’avoir à se connaître elle- même »57. Mais si Augustin souligne l’évidence du cogito, ça n’est pas pour autant qu’il valorise cette réflexivité comme souhaitable (au contraire, cette réflexivité radicale est suspecte, suspectée)58. Thomas, lui, dans son De veritate, X, I2, ad 7, affirmait que « personne ne peut penser qu'il n'est pas, avec assentiment ; car dans le fait qu'il pense quelque chose, il s'aperçoit qu'il est »59. Chez Thomas, nous retrouvons la lettre du cogito d’Hintikka, en tant qu’il est impossible d’affirmer « je ne suis pas », et que c’est donc un cogito négatif qui opère. Chez Thomas, donc, le cogito est à nouveau une évidence logique - elle l’est en creux, elle l’est négativement.

Le cogito, anté-logique ?

Nous revenons alors à notre problème initial : si le cogito est logique, alors quel est le fondement de la raison qui le fonde ? L’ironie du sort est, ici, que c’est pour éviter l’écueil logique de la régression infinie (qui chercherait le fondement du fondement du fondement...), que la nécessité d’un principe premier extra- logique est pointée. Cela tombe bien, notre travail a permis de confirmer, mais c’était là une thèse avant tout défendue par André Charrak, qu’il y a une saisie intuitive extra-logique du cogito. Et à nous de penser à Aristote, quoi que Descartes se défende de s’inscrire dans la suite de sa pensée : car n’est- ce pas le Stagirite, le premier, qui avait pointé la nécessité de principes comme premier pas de la pensée afin d’éviter la régression infinie de syllogisme en syllogisme ?60 Ici, et quoi que des travaux fort érudits se soient appliqués à montrer la contradiction pure et simple entre la lettre cartésienne et le legs aristotélicien, il nous semble que le cogito cartésien ne fait au fond que transposer un problème épistémologique bien connu d’Aristote au problème ontologique du sujet. Et dire cela, ça n’est en rien amputer l’oeuvre de Descartes de son caractère novateur.

Du cogito post-scolastique au cogito analytique

Ainsi, mettre Descartes en regard d’Aristote peut faire sens à certains égards. Nous avons par ailleurs mentionné d’autres résurgences des distinctions aristotéliciennes ou scolastiques chez Descartes. L’une d’elles consiste à repérer différentes fonctions de l’âme. Entre autres facultés, nous avons identifié la volonté et l’entendement. Descartes fait fond d’une distinction antique reprise par les scolastiques, pour nous permettre de ne retenir qu’un des deux versants (une des deux « fonctions », dirait-il) cette âme-cogito, s’il s’agit de cerner une entité génératrice de ce dernier : cette fonction, ce versant, c’est celui de la volonté. Dès lors, la distinction scolastique nous sert de tremplin et de prétexte à un choix qui, lui, permet de cerner une volonté qui sera reprise, au XXe siècle, en 1962 précisément, par un représentant des cartesian studies très clairement analytique : Jaakko Hintikka. Ce que notre modeste travail aura donc mis à jour, comme en passant, c’est la fécondité d’une lecture historiquement renseignée de Descartes, qui ne refuse pas de voir ce que sa pensée doit au legs médiéval, pour permettre une lecture ensuite très purement analytique de ce dernier. Une telle lecture, réconciliant des points de vue passés en revue dans une perspective diachronique, demeure à bâtir - et ce travail n’en aura fourni qu’un modeste avant-goût, timide et discret, au gré de quelques notes ou remarques. En quelque sorte, il pourrait très bien s’agir de lire Descartes depuis le Moyen- Âge, puis depuis le XXe siècle analytique. Martial Guéroult l’aura lui-même formulé au fil de sa critique des exégèses trop audacieuses, « [s]ans doute, le changement des générations, variant sans cesse la lumière qui éclaire les oeuvres, accuse-t-il tour à tour en elles le relief de certaines pensées. Mais ces jeux d’éclairage laissent le monument intact »61.

REMERCIEMENTS

Merci à Aymeric CHAÏB pour ses corrections et remarques.


NOTES

1 Voir le formidable Vocabulaire européen des philosophies, dir. Barbara Cassin, p. 727.

2 Traduit par « je pense donc je suis ».

3 « Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : Je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais », nous dit Descartes in Discours de la méthode, quatrième partie, Pléiade pp. 147-148 (AT VI).

4 L’expression n’apparaît pas en propre dans les méditations, mais la deuxième méditation en déroule le strict équivalent selon la lecture commune, et le justifie par le doute hyperbolique mené jusqu’à son ultime conséquence.

5 « [N]ous ne saurions nous empêcher de croire que cette conclusion : Je pense, donc je suis, ne soit vraie, et par conséquent la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre », confirme Descartes in Principes de la philosophie, Partie I, article 7, Pléiade p. 573 (AT IX en français).

6 Nous parlons de « raisonner », de « raisonnement ». Or, précisément, notre interrogation sur la nature du cogito mettra à mal la possibilité d’un méta-raisonnement, d’un méta-méta-raisonnement, etc. ad infininitum, en ce qu’il y a nécessité d’une évidence première, basale, fondatrice, ancrée dans l’évidence subjective du vécu du sujet. Autrement dit, nous parlerons peut-être moins de « raisonnement » que de « méditation », pour revenir à la pureté du titre-même choisi par Descartes, à l’issue de cette étude.

7 Russell parle du cogito comme d’un « raisonnement » puis d’un « argument » in Histoire de la philosophie occidentale, Livre troisième (tome 2/2 dans l’édition française), traduction Hélène Kern, p. 648.

8 Séminaire de philosophie, niveau Master, année 2021-2022, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

9 Nous justifierons ce terme dans la suite de notre proposition.

10 Husserl, Méditations cartésiennes, Méditation 12, Vrin, p. 24.

11 Dans la suite de ce travail, lorsque nous citerons cet auteur, nous nous réfèrerons à son ouvrage Descartes, an analytical and historical introduction, publié en 2013 chez Oxford University Press.

12 André Charrak a tenu à souligner la distinction cartésienne entre intuition et réflexion comme suit : la différence tient à une dichotomie cartésienne discriminant l’inscription originale de chaque opération dans le temps. L’intuition est nette et immédiate ; la réflexion, elle, requiert de se souvenir d’une part, de se projeter d’autre part.

13 Cf. Rorty, The historiography of philosophy: four genres, 1984.

14 Alquié, Leçons sur Descartes, pp. 131-132.

15 Voici ce que dit Descartes : « quand nous apercevons que nous sommes des choses qui pensent, c’est une première notion qui n’est tirée d’aucun syllogisme ; et lorsque quelqu’un dit : Je pense, donc je suis, ou j’existe, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par la force de quelque syllogisme, mais comme une chose connue de soi ; il la voit comme une simple inspection de l’esprit » in Secondes réponses, Pléiade pp. 375-376 (AT IX).

16 Nous citons les Principes de la philosophie, I, 10 (nous soulignons), Pléiade p. 575 (AT IX en français).

17 Mais Hintikka soulignera qu’il pose un problème logique, en tant que « Je pense » présuppose l’existence du « Je » - et qu’il y a donc circularité.

18 Martial Gueroult, « Le Cogito et la notion 'pour penser il faut être’ » in Descartes selon l'ordre des raisons, Paris, I953, II, p. 308. Cité par Hintikka, Cogito, Ergo Sum: Inference or Performance?, p. 5.

19 On sait que le verbe expliquer vient du latin « explicare », qui signifie « déplier ».

20 Nous renvoyons le lecteur aux Seconds Analytiques, 89b10 : l’intuition y est définie comme « la capacité de tomber pile sur le moyen terme dans un temps insensible » (traduction Pellegrin, p. 263 in Aristote, Oeuvres complètes, Flammarion). C’est le fait que le temps soit insensible qui explique le fait que l’on a l’impression de court-circuiter le syllogisme. Cette intuition est le propre de la vivacité d’esprit, si l’on en croit les Seconds Analytiques toujours : « La vivacité d’esprit est le don d’atteindre le moyen terme dans un temps imperceptible, par exemple si l’on voit que la Lune a toujours son côté brillant tourné vers le Soleil, on comprend vite la cause de cela, à savoir qu’elle reçoit sa lumière du Soleil » (Ibid., 89b10 p. 263).

21 Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, règle 3, Pléiade pp. 43-44.

22 Descartes, Ibid., p. 44.

23 Nous traduisons, mot pour moi, les premières étapes du résumé proposé dans Dicker, Ibid., p. 79.

24 Nous traduisons Dicker, in Ibid., pp. 78-79.

25 En effet, en s’interrogeant sur le fait que l’expression « cogito ergo sum » n’apparaît par dans les Méditations métaphysiques, Kambouchner se questionne et avance une explication qui rejoint notre analyse. « Pourquoi ce dictum est-il absent du texte métaphysique de référence (les Meditationes), alors qu’il avait été placé au premier plan de la partie métaphysique du Discours de la Méthode, et qu’avant de figurer à nouveau en bonne place dans les Principia Philosophiae (I, art. 7), il sera plusieurs fois évoqué dans les Objections et Réponses ? Sans doute est-ce encore dans la suite de l’article de Hintikka que la critique française récente a travaillé à éclairer ce point, avec la donnée suivante : sous la plume de Descartes, la formule Cogito, ergo sum intervient toujours pour désigner rétrospectivement (nous soulignons), sous une forme commodément abrégée, une opération intellectuelle, ou le résultat d’une opération, qui a d’abord été présentée sous une forme différente. » Nous soulignons le « rétrospectivement » car il nous semble confirmer notre propos. « Dans ces conditions, la question est de savoir si la formule: Cogito, ergo sum, en son caractère abrégé, conserve du moins la structure de l’opération initiale à laquelle elle renvoie. A cette question, Hintikka tend, à fort bon droit, à répondre par la négative », précise Kambouchner dans la suite. Voir Identification d'une pensée : le cogito de Hintikka, « Revue internationale de philosophie » 2009/4 n° 250 , pp. 419-420.

26 Nous traduisons et re-numérotons le raisonnement déroulé par Dicker, Ibid., p. 79.

27 Il faut lire l’abrégé des six méditations pour s’en convaincre : en parlant de l’âme, Descartes affirme que « encore que tous ses accidents se changent, par exemple qu’elle conçoive de certaines choses, qu’elle en veuille d’autres, qu’elle en sente d’autres, etc., c’est pourtant toujours la même âme » (Pléiade p. 253, AT VII 14). Autrement dit, les pensées sont les accidents de l’âme, qui est elle une substance une et indivisible. Or, ici, « accidents » et « propriétés » sont synonymes.

28 « Il est certain que la pensée ne peut pas être sans une chose qui pense, et en général aucun accident ou aucun acte ne peut être sans une substance de laquelle il soit l’acte » répond Descartes à Hobbes, Pléiade p. 403 - AT VII 175-6.

29 Dicker, Ibid., p. 79.

30 Dicker, Ibid., pp. 70-71.

31 Russell est célèbre pour avoir relevé cela.

32 Russell est clair sur ce point : « some care is needed in using Descartes' argument. 'I think, therefore I am' says rather more than is strictly certain. It might seem as though we were quite sure of being the same person to-day as we were yesterday, and this is no doubt true in some sense. But the real Self is as hard to arrive at as the real table, and does not seem to have that absolute, convincing certainty that belongs to particular experiences », nous livre-t-il dans ses Problems of Philosophy, au chapitre 2. Il continue en ajoutant : "it does not of itself involve that more or less permanent person whom we call ‘I’", puis ajoute « it is our particular thoughts and feelings that have primitive certainty. And this applies to dreams and hallucinations as well as to normal perceptions » : en fait, ici, Russell est plus phénoménologue que les phénoménologues ! Il reste dans une épochè qui lui interdit d’hypostasier le cogito et l’assigne à la relation au pensé, au rêvé, au perçu. Ce point nous semble particulièrement remarquable et il serait fécond, selon nous, de le mettre en regard de son commentaire de la philosophie critique de Kant, dans le deuxième tome de son Histoire de la philosophie occidentale, pour peut-être bâtir des ponts, envers et contre Russell lui-même, entre la perception critique (au sens courant) qu’avait le logicien anglais du cogito d’une part, et sa lecture de l’idéalisme transcendantal du penseur de Königsberg d’autre part. Car, dans les passages que nous citons, le « relationnisme » de Russell nous paraît presque néo-kantien.

33 Et cela ne nous aidera pas à la défendre, face aux attaques de Hume par exemple, un siècle plus tard dans le Traité de la nature humaine - Hume niant la notion-même de substance et ne reconnaissant qu’un faisceau d’attributs à telle ou telle entité, laquelle n’est définie que par la conjonction de ces derniers.

34 Ce ne sont pas les réalités formelles des idées de sa mémoire qui sont mises en cause mais la structure de renvoi forcée par leurs réalités objectives : ce que Descartes met en doute, ici, ce sont les objets auxquels ses souvenirs renvoient - donc, il est bien tourné vers une extériorité, vers de l’existence hypothétique exogène.

35 Méditation seconde in Méditations métaphysiques, Pléiade p. 274, AT IX. 36 Alquié, Ibid., pp. 154-155.

37 Voir par exemple Alquié, Ibid., p. 175.

38 Alquié, Ibid., p. 175.

39 Nous renvoyons le lecteur à son traité De l’homme (1633) ou aux Passions de l’âme (1649).

40 Alquié, Ibid., p. 175.

41 Alquié, Ibid., pp. 175-176.

42 Voir Arnauld et Nicole, Logique, 1662.

43 Alquié, Ibid., p. 176.

44 Lettre à Regius, mai 1641, citée par Alquié, Ibid., p. 176.

45 Descartes dans sa lettre à Regius, citée par Alquié, Ibid., pp. 176-177.

46 Descartes, Les passions de l’âme, Pléiade p. 704 - nous soulignons.

47 En tant que la substance est la permanence, ce qui ne pourrait être autre qu’il n’est, et qu’elle est donc opposée aux propriétés/accidents, qui eux sont contingents.

48 Aristote, De l’âme, 430a - cf. Oeuvres complètes, trad. Bodéüs, p. 1028.

49 Voir Gilson, Index scolastico-cartésien, p. 268, pour un rappel de ce point sur la question de la perception-passion.

50 À noter que notre conclusion nous semble corroborée par la règle XII des Regulaea ad directionem ingenii, lorsque Descartes parle de l’âme comme d’une « force qui connaît » - nous soulignons. Voir Pléiade p 79.

51 En un mot, le problème d’un cogito syllogistique de la forme B(a) -> (Ex) (x = a) est qu’il y a un présupposé existentiel derrière B(a). On ne peut pas écrire B(a) si a n’existe pas. Hintikka le rappelle de façon ramassée, « all the singular terms with which we have to deal really refer to (designate) some actually existing individual » in Hintikka, Cogito, Ergo Sum: Inference or Performance?, p. 8. Le cogito syllogistique serait donc condamné à être circulaire.

52 Hintikka, Cogito, Ergo Sum: Inference or Performance?, pp. 15-16.

53 Descartes, Principes de philosophie, partie I, article 7, Pléiade p. 573, AT VIII (latin) ou IX (français).

54 Descartes, Méditation seconde, in Méditations métaphysiques, Pléiade p. 275.

55 Voir Austin, Quand dire c’est faire (la première conférence reproduite dans l’ouvrage suffit à définir un énoncé performatif) - Kambouchner évoque l’influence austinienne dans son article (Ibid., p. 408).

56 Kambouchner, Identification d'une pensée : le cogito de Hintikka, « Revue internationale de philosophie », 2009, p. 405.

57 St Augustin, De Trinitate, X, cité par André Charrak en séminaire de Master.

58 Nous reprenons ici les remarques d’André Charrak, telles que formulées en séminaire de Master.

59 Thomas est cité en latin par Hintikka, nous le traduisons ici - voir Hintikka, Ibid., p. 16.

60 Voir Seconds analytiques, Chap. 3, 72b, Flammarion, pp. 217-218.

61 M. Guéroult, Ibid., p. 9.

 

BIBLIOGRAPHIE

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