Épidémie de Covid-19 : savoir et politique (1)

Première période : de janvier à mi-avril 2020

 

Cet article est le premier d'une série consacrée à l'épidémie de Covid-19. Il s'intéresse au savoir scientifique et médical et à ses effets sur les actions de politique publique, mais également aux enseignements tirés de l'épidémie par rapport à la politique. Nous nous limiterons, sur ce dernier point, à la France, faute d’informations directes sur les autres pays. C'est une chronique faite au fil du temps.

 

Pour citer cet article :

JUIGNET, Patrick. Épidémie de Covid-19 : savoir et politique (1). Philosophie , Science et Société. 2020. https://philosciences.com/covid-19-savoir-politique.

 Covid 19

Plan :

 

  1. La découverte du Covid-19 et l'adaptation sanitaire
  2. La phase de pic épidémique et l'action publique

 

 

Texte intégral :

1. La découverte de la maladie et l'adaptation sanitaire

La découverte

Il est difficile de dire quand la maladie a été identifiée et quand sa mise en relation avec un virus de type Corona a été faite. Probablement en décembre 2019 en Chine. Le nouveau coronavirus a été appelé SARS-CoV-2 (SARS pour Syndrome Aigu Respiratoire Sévère et CoV pour CoronaVirus) et la maladie engendrée a été nommée la Covid-19, le 11 février 2020 par l'OMS. On peut identifier quatre grands moments concernant l’épidémie de Covid-19 : l’apparition de la maladie dans la première quinzaine de janvier 2020, la possibilité d’une pandémie envisagée début février, la confirmation de la pandémie dans les revues scientifiques mi-février (mais l’OMS ne déclarera la pandémie que le 12 mars) et enfin les leçons à tirer de la gestion chinoise début mars par l'OMS. Ces quatre moments s'étendent sur une période de seulement trois mois, ce qui est un temps très court pour s’adapter sur le plan sanitaire !

Le début de l'épidémie en Europe

La ministre de la Santé Agnès Buzyn, lors d’un point de presse, le 21 janvier, juge que « le risque d’introduction en France est faible, mais ne peut pas être exclu, d’autant qu’il y a des lignes aériennes directes avec Wuhan ». Elle ajoute : « Notre système de santé est bien préparé, professionnels et établissements de santé ont été informés. » La ministre ne serait pas au courant des difficultés hospitalières et de l'impréparation face aux épidémies ? Pourtant quatre-vingts médecins-chefs hospitaliers de Seine-Saint-Denis annoncent leur démission, estimant « ne plus vouloir être complices de la gestion de la misère ». Ils sont désormais plus de 600 médecins hospitaliers français à renoncer à leurs fonctions administratives et d’encadrement au début février.

L’épidémie s’est déclarée en Europe fin janvier, il est difficile de savoir exactement quand, car les premiers cas ne sont pas nécessairement diagnostiqués. En France, elle a été repérée début février (cas aux Contamines détectés le 8 février) et s’est propagée à partir du début mars. C’est raisonnablement à partir de ce moment qu’il fallait s’alarmer.

Dès ce moment, il était possible d’avoir une première idée clinique de la maladie à partir des cas Chinois et asiatiques en général. En cette fin janvier, alors que l'OMS a prévenu et que le journal scientifique The Lancet a publié des articles inquiétants, le ministère de la Santé et la direction générale de la Santé ne prennent pas de mesures, ni ne s'informent de ce qui se passe à Wuhan.

Dans notre problème du rapport entre savoir et politique, le savoir transite par des intermédiaires. Là, les intermédiaires, que sont le ministère de la Santé et la direction générale de la Santé, ont été défaillants. Ils n'ont pas alerté le gouvernement. Agnès Buzyn n'est pas épidémiologiste ni spécialiste en virologie. Elle est néanmoins médecin et a forcément des rudiments dans ces disciplines. Jérôme Salomon est un médecin infectiologue et pour le coup, il devrait être compétent. L'explication de cette défaillance reste à expliciter. On peut suspecter un biais cognitif.

Le vendredi 6 mars 2020 au soir, Emmanuel Macron va au théâtre. L’affaire est médiatisée, car le but est « d'inciter les Français à continuer de sortir malgré l'épidémie de coronavirus : la vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie », a-t-il déclaré vendredi soir, rapportent Jean-Marc Dumontet, propriétaire du théâtre, et Paul Larrouturou, journaliste » (source bfmtv.com).

On s’étonne a posteriori. Comment cela est-il possible ? L’explication arrive le 22 mars au soir dans le journal de 20h sur France 2. Gilles Pialloux, chef de service en maladies infectieuses nous explique qu’au début, on a cru à une grippe : « on s’est calqué sur le modèle de la grippe ». Si le président de la République a voulu donner cet exemple malheureux, c’est qu’on l’a mal conseillé en lui annonçant une grippe sans gravité. Bien qu’un savoir clinique sur la maladie existe, il n’a pas été utilisé à cause d’un biais cognitif : une tendance à la minimisation.

« On ne voulait probablement pas croire qu'il pourrait nous arriver la même chose qu'à Wuhan. Dans la presse, il est “amusant” de constater qu'en février encore, on envisageait les conséquences économiques de la crise sous l'angle de la pénurie de produits venant de Chine et pas sous celui de l'arrêt de notre propre activité », dit un commentateur. Cette tendance initiale à nier et minimiser aurait pu être corrigée, si on avait un rapport plus strict à la vérité et un système d'alerte efficace, car en Chine, on avait constaté la gravité de la maladie (après l'avoir également niée). Un savoir existait que l'opinion et les pouvoirs publics ont négligé.

Concernant le bon moyen sanitaire (dispositif médical et politique de santé publique) pour combattre la maladie, ce n’est que début mars que la méthode utilisée en Chine a été reconnue comme efficace grâce à l’OMS. La conclusion du rapport de l’OMS est la suivante : « Ces mesures [prises en Chine] sont les seules à l’heure actuelle qui ont prouvé qu’elles pouvaient interrompre ou minimiser les chaînes de transmission chez les humains. Au fondement de ces mesures est la surveillance extrêmement proactive, afin de détecter immédiatement les cas, de procéder à des diagnostics très rapides et à un isolement immédiat des patients positifs, au traçage rigoureux et à la mise en quarantaine des contacts proches. »

Mais enfin, il y a quelque chose d'étrange dans la référence, certes utile, à ce modèle. En France, nous avions déjà un savoir conséquent à ce sujet, lié à une longue tradition pastorienne de lutte contre les épidémies et le dernier plan « pandémie grippale » de 2011, prêt à l'emploi. Savoirs et procédés étrangement oubliés.

Le 16 mars, l’OMS insiste sur « un message simple : testez, testez, testez ! Isolez les personnes positives et remontez leurs chaînes de contacts ». « Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Et nous ne pourrons pas stopper cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté ».

Les mesures sanitaires se heurtent à la pénurie et à l'incrédulité

Les mesures et décisions ont été prises aussi rapidement que possible en France, vers la mi-mars. Elles se sont heurtées à un manque de moyens. Pénurie de masques, pénurie de désinfectants, absence de tests de dépistage et à l’état désastreux des hôpitaux surchargés et en difficulté depuis des années. Ce n'est pas propre à la France et la situation est pire en Italie et en Espagne.

Commençons par le choix fait en France de ne pas mettre en route un dépistage de masse. Ce choix est discutable, mais assez largement défendu par les épidémiologistes. On comptait sur le développement d’une immunité de groupe. A posteriori, on peut penser que ce n’était pas nécessairement une bonne idée, car elle impose de confiner tout le monde, faute de savoir qui doit l’être (ce qui était recommandé par l'OMS).Mais, de toutes les façons, nous n'avons pas le choix, car les tests ne sont pas disponibles. Ce qui est étonnant, c'est de ne pas tenter d'en acquérir rapidement et d'entendre le directeur général de la Santé déclarer que ce serait inutile !  Ignorance ou accommodation avec des considérations politiciennes extrascientifiques ?

Compte tenu de l'évolution de la situation, après avis médico-scientifiques, le gouvernement a décrété le confinement le 16 mars, pour ralentir et contenir l'épidémie. Les mesures de confinement se sont heurtées au début à une résistance de la population, ce dont on ne s’étonnera pas du fait du discours sur la « simple grippe », de la méfiance envers les politiques et les experts médicaux. Pour avoir une adhésion à des mesures de ce type, la population doit faire confiance à l'argumentation sérieuse, aux autorités publiques et aux médias. Au cours des dernières années, divers (ir)responsables politiques ont sapé la confiance dans la science et dans l'État, valorisant l'opinion commune, la religion, l'arbitraire, les fake news. La différence entre savoir sérieux et propagande idéologique s'est estompée.

La pénurie de masques a pour origine le tournant dans la gestion des stocks qui se situe en 2013, moment où l’État s’est désengagé en grande partie de la gestion des masques qui a été transférée aux employeurs. Une partie des stocks devait être assurée à partir de ce moment par le système hospitalier. Or, à l’hôpital, où l’on enchaîne les plans d’économie, faire des stocks de masques est passé au second plan. De plus, on pensait que la Chine pourrait en produire rapidement, en cas de besoin. Au lieu de reconnaître la pénurie de masques et d’affirmer la volonté d’y faire face, on a assisté à des mensonges répétés de l’exécutif à ce sujet. Attitude contre-productive qui ne peut qu’accentuer la méfiance de la population et témoigne d'un irrespect de la vérité.

Les masques ne sont que l'aspect le plus apparent du renoncement à la prévention qui date de 2013.

Didier Torny note :

« Ce qui m’a d’abord beaucoup frappé, c’est que tout le travail fait, en gros de 2004 à 2012, a semblé avoir complètement disparu ! C’était un travail impliquant sous l’autorité d’un service du Premier ministre quasiment tous les ministères, les collectivités territoriales, des branches interprofessionnelles, un travail engageant de gros budgets, la création d’une institution, l’Eprus. Tout cela a l’air de s’être volatilisé. Jusque dans le vocabulaire utilisé par les autorités, tous ces savoirs ont été comme effacés. » Un savoir bien établi concernant la santé publique est mis de côté et oublié.

« Année après année, la démobilisation et les coupes budgétaires vont réduire à presque rien ces dispositifs de préparation, dans une indifférence politique générale. En 2015, un rapport du sénateur Francis Delattre met en garde contre ce démantèlement de fait » écrit André Bonnet.

Fin mars, on se heurte, en France, au manque de moyens pour accueillir les malades. Les difficultés de l’hôpital public sont anciennes. Elles ne viennent pas seulement d’un manque de moyens financiers, mais aussi d’une mauvaise gestion : une méthode de Tarification à l’Activité inadaptée pour un service publique, des gestions administratives souvent calamiteuses que l’État a laissé perdurer, la perte de décision des médecins au profit d'une administration sans contact avec les nécessités du soin. Depuis bien plus de dix ans, l’État se désarme et délaisse la santé publique, sous la pression de l'idéologie néolibérale, ce que révèlent aujourd’hui les difficultés pour faire face à l’épidémie. Espérons que ce sera l’occasion d’un changement de politique. Le 25 mars au soir, le président Emmanuel Macron a fait une déclaration en ce sens.

À ce stade, on sait ce qu'il faut faire, mais le pouvoir politique ne peut l'appliquer, car l'extension rapide de l'épidémie laisse insuffisamment de temps pour s'adapter du fait que les mesures anticipatoires n'ont pas été prises. Elles n'ont pas été prises pour des raisons économiques et idéologiques de diminution des dépenses de santé et de désengagement de l'État, qui ont incité à négliger un savoir pourtant bien établi sur la nécessaire prévention. Notons que cette anticipation avait joué son rôle pour l'épidémie de grippe H1N1 en 2009. Des mesures massives et précoces avaient pu être prises du fait de stocks existants, mesures qui faisaient suite aux recommandations de l'OMS. Un plan d'action avait ensuite été établi en 2011.

Notre première conclusion, c'est que le savoir médico-scientifique et les principes de santé publique qui en découlent est plus ou moins pris en compte, parfois suivi, parfois délaissé, voire complètement oublié, en fonction de l'évolution politique et idéologique.

2. La phase de pic épidémique et l'action publique

Incertitudes et passions

Les premiers cas ont été signalés en Chine en novembre et en Italie en janvier. On se demande maintenant si l’épidémie n'avait pas déjà diffusé largement en Italie au moment de sa découverte. Il règne une incertitude sur le départ de l'épidémie en Europe. Le portage viral oropharyngé dure plus longtemps que ce que l'on croyait, de même que sa survivance sur les objets. Des cas graves apparaissent chez les jeunes, des formes cliniques inattendues apparaissent. Scientifique, on ne sait pas grand-chose, puisque le virus est nouveau. Quelle est la durée de l'immunité, une réinfection est-elle possible, pourquoi de telles différences entre les hommes, les femmes et les enfants, pourquoi certaines régions sont-elles beaucoup moins infectées ? On ne sait pas. Les lacunes du savoir apparaissent, lacunes normales, puisqu'on est devant une maladie nouvelle.

En France, « l'affaire Raoult » est typique du rapport biaisé au savoir existant dans notre société. L'étude menée par ses collaborateurs est parfaitement fantaisiste d'un point de vue scientifique (courte, mal faite, virologique et non clinique), déchaîne les passions. En d'autres temps, elle serait passée inaperçue et on aurait attendu le résultat d'études sérieuses pour se prononcer. Tout un fracas politico-médiatique est fait au sujet d'un savoir incertain. Au lieu de se demander si les résultats sont valides ou pas, s'il est vrai ou pas que l'hydroxychloroquine (ou son association avec l'azythromycine) est efficace sur la maladie, on est pour et contre Didier Raoult. On peut voir une banderole « Marseille et le monde avec le Pr. Raoult » déployée par les supporters de football, qui s'y connaissent en infectiologie. L'affaire devient politique et le gouvernement a été obligé d'encadrer la prescription d'hydroxychloroquine.

« La science n’est pas un terrain dépassionné. Il y existe des controverses, des idéologies, des passions et des rancunes, des idées à la mode et d’autres qui ne le sont pas" écrit Guillaume Blum. En effet, mais l'exigence de méthode et la critique épistémologique sont là pour filtrer le débat et garder ce qui est vraisemblable. Elles testent la vérisimilitude des travaux. Ce que l'opinion publique et les politiques ne savent pas faire et ne souhaitent pas faire d'ailleurs. La critique concernant l'étude des collaborateurs du Pr. Raoult porte sur la méthodologie qui laisse dans le doute et a fait perdre un temps précieux.

Depuis longtemps il y a un déficit de formation des citoyens, des politiques et d’une partie des intellectuels au sujet de la science. Elle est assimilée à l’opinion des savants, à laquelle on pourra opposer l’opinion commune ou celle des politiques (par exemple, le climatoscepticisme). La science n’a pas d’opinion, c’est une forme de connaissance qui a des exigences de méthode. « La pandémie actuelle révèle aussi malheureusement à tous les niveaux des lacunes graves dans la compréhension de la science, de la démarche scientifique et de la place de la science dans les processus de prise de décision » écrit Olivier Dargouge (mail sur une liste de diffusion)

On peut voir le problème d'une thérapeutique incertaine comme l'hydroxychloroquine, sous un jour éthique : " La question du jour est bien de choisir entre une éthique de conviction, réglée sur l’observation de protocoles de vérité, présumée objective, et une éthique de responsabilité qui juge bien et juste de tenter, avec des risques minimes en ce cas, de sauver des vies ? " affirme Jean-Jacques Wunenburger. L'argument est valable, si on suppose une efficacité au médicament et des risques minimes. Mais comment Jean-Jacques Wunenburger peut-il le savoir ?

En cette fin mars 2020, 89 essais cliniques sérieux sont en cours. Ils concernent la chloroquine et l'hydroxychloroquine (Discovery 3200 patients, Hycovid 1300 patients et celui de l'OMS sur son effet pophylactique) , ainsi que de nombreux antiviraux : le lopinavir, le ritanovir, le remdésivir, le darunovir, l'oséltamivir. Trois prototypes vaccinaux sont à l'essai ainsi que d'autres traitements, dont certains immunologiques ou encore des médicaments oxygénants. Il y a une disproportion dans l'information entre une éventuelle thérapeutique hyper médiatisée et toutes les autres dont on entend peu, ou pas, parler.

Après la Chine et les États-Unis, la France a lancé début avril un essai clinique de transfusion de plasma sanguin pour combattre le coronavirus. L'essai baptisé « Coviplasm » est piloté par l’AP-HP avec le soutien de l’Inserm et l’Établissement Français du Sang. La France renoue avec son histoire : en 1894, Émile Roux avait organisé des essais (malheureux) avec un sérum contre la diphtérie prélevé des chevaux immunisés à l'Institut Pasteur.

On gère l'insuffisance et on envisage la suite

La pénurie de masques continue et c'est un grave problème, car, d'évidence, elle contribue à la dissémination du virus. Les masques restent réservés aux professionnels de santé et distribués en nombre insuffisant chaque semaine. La commande à la Chine a été passée et publiquement annoncée.

On commence à envisager la suite, c'est-à-dire l'après-confinement. Le confinement est la meilleure stratégie à court terme, mais sa poursuite met devant un dilemme :- si on le prolonge, l’économie va s’effondrer, – si on l’arrête, l’épidémie va repartir. Il faudrait l’arrêter au plus tôt, mais éviter la reprise de l'épidémie demandera des conditions : mesures de protection (masques, désinfection, etc.), soins grâce à un système de santé remis à flot et adapté, médicaments efficaces, et surtout qu'un pourcentage suffisant de la population soit immunisé. Le Premier ministre interrogé en commission à l'Assemblée Nationale le 1ᵉʳ avril reste, à juste titre, prudent sur le dé-confinement devant l'incertitude régnant sur tous ces points.

Après celles de la santé, maintenant qu’on en est au stade de la recherche de remèdes (médicaments, vaccins), les difficultés de la recherche scientifique apparaissent. La recherche « a manqué des moyens humains et financiers qui auraient pu lui permettre de construire une recherche fondamentale de long terme mobilisable et utile dans cette crise. D’autre part, elle pâtit d’une incompréhension sociale et politique de son fonctionnement et des temporalités de ses découvertes » écrit Thibaud Boncourt. Cependant, la recherche en virologie, immunologie, etc., a le mérite d'exister et d'être de bon niveau.

Le meilleur dépistage est sérologique, car il indiquera la contamination, mais aussi la datera approximativement et dira si la personne est immunisée. Le gouvernement français a été bien informé de son intérêt, comme l’indiquent les propos du Premier ministre du 1ᵉʳ et 2 avril. Avec l’Institut Pasteur, la France est bien placée pour cette recherche et, sur ce point, on peut s’appuyer sur les recherches antérieures concernant les autres coronavirus. Une entreprise française a annoncé le lancement prochain d'un test de détection sérologique efficient 15 jours après la contamination. Des entreprises chinoises ou coréennes proposent aussi des tests rapides de dépistage sérologique. Les pouvoirs publics veulent évaluer ces tests avant d'en commander.

Une collaboration inédite

Partout dans le monde, biologistes, épidémiologistes, médecins praticiens, ingénieurs, etc., exploitent le flot de données sur l’épidémie présent sur le Web pour étudier le virus, trouver des médicaments, modéliser la progression de l'épidémie, développer du matériel médical. Ils génèrent du savoir en libre-accès utilisable par d’autres.

« Le monde de la recherche et de l’innovation semble être pris d’une frénésie de collaboration et de production de connaissances ouvertes tout aussi contagieuse que le coronavirus" écrit Marc Santolini. « Nous travaillons tous en équipe pour tenter de trouver une solution à ce problème. C’est vraiment impressionnant de voir comment une communauté mondiale s’est formée à cause de cette crise » dit M. Benjamin R. tenOever qui est à l’origine d’une coopération entre l’Institut Pasteur de Paris l’École de médecine du Mount Sinai à New York (cité par Kirsner).

Les particuliers et professionnels se mobilisent en tout sens pour palier aux pénuries de matériel, aider les autres, amener un peu de joie et distraire en période de confinement.

Par opposition, la guerre entre les appareils d’État continue. L'Assemblée générale de l'ONU a approuvé jeudi 2 avril une résolution appelant à la « coopération internationale » et « au multilatéralisme » pour combattre le Covid-19, résolution à laquelle se sont opposés la Russie, la Centrafrique, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. À ce jour, le Conseil de sécurité ne s'est toujours pas mis d'accord sur un texte en dépit de plusieurs tentatives, à cause du blocage issu de l’opposition entre les États-Unis et la Chine sur l'origine du virus. On comprend les difficultés de l'OMS dans ces conditions.

Comptabilité, expectative et polémique

Changement de discours sur le port généralisé du masque le 4 avril. Il serait maintenant utile. Le ministre de la Santé et la porte-parole du gouvernement nous avaient pourtant affirmé catégoriquement qu'il ne l'était pas. Il est assez évident que le port d'un masque efficace aide à se protéger lorsque la distance de sécurité ne peut être respectée ou que l'on est dans une enceinte fermée, ce qui est le cas dans de nombreuses circonstances de la vie courante. Comment des affirmations contradictoires peuvent-elles se succéder ?  Mensonge, mauvaise foi, déni, affirmations sans savoir ? En tous les cas, irrespect de la vérité. La vérité est : si on veut enrayer la propagation de l'épidémie tout le monde doit porter un masque, nous n'avons pas de masques, en attendant on fait comme on peut.

Deuxième semaine d'avril 2010, on compte les cas recensés, les morts, les vivants, les contraventions pour irrespect du confinement, le nombre de jours à tenir. On évalue les points de PIB perdus, la baisse du CAC 40, les faillites en cours. Les tableaux, cartes et graphiques se succèdent. Les médecins et les scientifiques ne disent rien de nouveau, attendant les résultats des études en cours. Les politiques répètent les mêmes consignes et administrent la crise. On attend l'avancée trop lente du savoir. Le 8 avril le président de la République a repoussé son intervention faute de visibilité et afin d'avoir plus d'avis.

Le ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, a lancé un appel à propositions pour contribuer à l'amélioration de la situation liée à l'épidémie de Covid-19. Un Comité d’Analyse Recherche Expertise a été installé par le président de la République afin de recenser toutes les propositions (scientifiques, thérapeutiques, technologiques...) de court terme qui pourraient permettre d’affronter la situation.

On parle de nouveau, comme après la crise de 2008, du problème des délocalisations et des risques qu’elles font courir. Le cas le plus emblématique, en la circonstance, est la délocalisation de l’entreprise bretonne Plaintel qui fabriquait les masques FFP2. Déjà, avant l’épidémie, certains médicaments, importés de Chine, venaient à manquer temporairement. Les délocalisations massives et désordonnées, à seule finalité de maximisation du profit, provoquent une fragilité des chaînes d’approvisionnement et une dépendance vis-à-vis des états détenteurs de produits essentiels. On le sait parfaitement, mais les gouvernements successifs ont préféré l’ignorer.

Le 10 avril 2020, dans une lettre adressée aux médecins, le Président du Conseil national de l'Ordre des médecins Patrick Brouet déclare : « Le déséquilibre entre les moyens humains, thérapeutiques, matériels et médicamenteux dont nous disposons et les situations auxquelles nous devons faire face va croissant. » On apprend, à ce sujet, que le ministère de la Santé a reçu de la part d’entreprises françaises des propositions d’importations de masques et a choisi de ne pas y donner suite. Vu les circonstances, la Fédération hospitalière de France réclame que le système de la tarification à l’activité soit suspendu, ce que refuse le ministère de la Santé. L'administration au niveau ministériel reste attentiste et sourde, malgré les promesses politiques. Mais, par ailleurs, l'enveloppe de dépenses « exceptionnelles » pour la santé passe de 2 à 7 milliards d'euros pour financer notamment les 4 milliards d'euros d'achats de matériels promis par Emmanuel Macron et revaloriser les salaires du personnel soignant.

Au niveau des Agences régionales, Pierre-Henry Juan, président de SOS Médecins note : 

« De manière plus générale, la prise de décisions et leur hiérarchisation doivent être repensées. Il y a eu beaucoup de grains de sable et même un flou artistique complet. Certaines agences régionales de santé ont assuré des rendez-vous quotidiens avec les acteurs de terrain. D'autres ont été injoignables pendant plusieurs jours ! »

Par rapport aux cas avérés de contamination, la mortalité en France est de 14 %. La comparaison avec les pays voisins est biaisée, car la France teste peu. Par contre, le nombre de morts par million d'habitants est significatif et il est, vers entre le 10 et le 12 avril, situé aux alentours de 15 décès par million d'habitants, ce qui est beaucoup. Dans plusieurs régions françaises, le nombre d’hospitalisations se stabilise. L'épidémie semble atteindre un plateau.

En Ile-de-France, le 10 avril, « C'est le deuxième jour en réanimation où nous sommes sur un plateau. Hier, il y avait six patients admis en moins, aujourd'hui un patient en moins. Ce n'est pas un pic qui redescend, mais un plateau », a expliqué le Pr. Bruno Riou, directeur médical de crise à l'AP-HP. L'AP-HP a également constaté une « diminution du nombre d'appels au SAMU et des hospitalisations ».

Conclusion : insuffisance, mais résistance relative de la médecine

 Le savoir médical en particulier en santé publique est insuffisant, si bien qu'il ne permet pas d'éclairer parfaitement les décisions politiques. En outre, la gestion administrative (centrale et régionale) peu clairvoyante pousse le personnel politique à des mensonges ou des dénis. Cependant, la mise en route de la coopération scientifique et médicale a été d'une rapidité sans commune mesure avec le passé. 

Certains médecins se sont permis, pour des raisons personnelles et médiatiques, des attitudes et des déclarations contraires aux exigences scientifiques, contribuant ainsi à décrédibiliser la science. La légitimité de la parole scientifique en France a été une fois de plus malmenée au sein de l’opinion publique. L'institution a pourtant résisté, ce qui a permis de dénoncer rapidement l'opinion erronée de Didier Raoult et à la recherche d'avancer. 

 

     →  La suite : Épidémie de Covid-19 Deuxième période

 

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Bibliographie :

Avertissement : De nombreuses url ayant disparu elles ont été supprimées.

Emmanuel et Brigitte Macron au théâtre pour inciter les Français à sortir malgré le coronavirus. bfmtv.com. 7 mars 2020.

BLUM,Guillaume. Réflexion sur le débat autour de l'hydroxychloroquine. Blog Guillaume Blum. Mars 2020.

BONCOURT, Thibaut. Le Covid-19 révèle une crise de l’institution scientifique. The Conversation. 31 mars 2020.

BONNET, François. Gérer le Covid-19: pourquoi l’Etat et l’exécutif ont tout oublié. Médiapart. 3 avril 2020.

BUZYN. Agnès, Point de presse.

CHEN, J. et coll. "A pilot study of hydroxychloroquine in treatment of patients with common coronavirus disease-19 (covid-19)", Journal of Zhejiang University, mars 2020.

COLLOMBAT, Benoït. Pénurie de masques : les raisons d'un "scandale d'État". Cellule d’investigation de Radio France. 23 mars 2020. Disponible à l’adresse : https://www.franceinter.fr/societe/penurie-de-masques-les-raisons-d-un-scandale-d-etat

MARICHALARD, Pascal. Savoir et prévoir Première chronologie de l’émergence du Covid-19. La vie des Idées. 25 mars 2020. https://laviedesidees.fr/Savoir-et-prevoir.html

MARTIN, Nicolas. Chloroquine : le protocole Raoult. France culture, La Méthode Scientifique. 2020. https://www.franceculture.fr/emissions/radiographies-du-coronavirus/chloroquine-le-protocole-raoult

MERCIER, Arnaud. La France en pénurie de masques : aux origines des décisions d’État. The Conversation. 22 mars 2020. Disponible à l’adresse : https://theconversation.com/la-france-en-penurie-de-masques-aux-origines-des-decisions-detat-134371

KIRSNER, Noelani. Des collègues américains et français recherchent ensemble un traitement contre le COVID-19.  https://share.america.gov/fr/des-collegues-americains-et-francais-recherchent-ensemble-un-traitement-contre-le-covid-19

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TORNY, Didier. Interview . Voir l'article de Bonnet Didier

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Annexes : 

Plan national de prévention et de lutte "pandémie grippale". https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/risques/pdf/plan_pandemie_grippale_2011.pdf

Les essais thérapeutiques :  Hycovid