Revue philosophique

Psychothérapie des personnalités névrotiques

 

Une psychothérapie ne peut être conduite de la même manière selon le type de personnalité, car les enjeux ne sont pas les mêmes. Nous envisagerons ici la manière de conduire une psychothérapie dynamique (psychanalytique) à destination des personnalités névrotiques, c'est-à-dire pourvu d'une structure psychique bien organisée, mais insuffisamment aboutie et présentant des tendances conflictuelles.  

 

Pour citer cet article : 

Juignet, Patrick. Psychothérapie des personnalités névrotiques. Philosophie, science et société. 2018. https://philosciences.com/psychotherapie-nevrose.

 

Plan :


  1. Les indications
  2. Le début
  3. Le remaniement psychique
  4. La résolution finale

 

Texte intégral :

1. Les indications

Il n’y a pas de contre-indication, mais plutôt des absences d'indications. En effet , il n'y a pas lieu d'entreprendre un travail dynamique si le patient n’en est pas demandeur ou que les circonstances actuelles sont défavorables (déstabilisation, durée envisagée trop courte). Certaines personnes frustres ou non-occidentales, ont une culture étrangère à une telle entreprise. Certains milieux socioprofessionnels centrés sur le rendement, l’action et la rentabilité, produisent une idéologie hostile à l’interrogation personnelle, ce qui rend le traitement impossible. L’adolescence n’est pas forcément un moment favorable, car les modifications en cours rendent le jeune peu motivé pour une telle entreprise.

L’obstacle au traitement peut venir de l’organisation défensive trop forte du sujet qui rend le changement impossible. Un aménagement caractériel marqué, une pensée rationnalisante ou par trop opératoire, des mécanismes de défenses puissants et rigides, peuvent mettre en échec l'entreprise. Chez les immatures ayant trop de bénéfices secondaires, la dynamique est limitée et on risque un enlisement rapide. Enfin il convient d’être réservé, lorsqu'une symptomatologie peu grave survient chez une personne ayant une activité professionnelle interdisant toute déstabilisation.

Chez l’adulte, le dispositif classique divan-fauteuil est utilisable, mais souvent le face à face convient mieux. Chez les enfants, dont la personnalité est en voie d'organisation, il s’agit toujours d’une technique aménagée par le jeu, le dessin. Les premiers entretiens se font avec l'enfant et ses parents de façon tester la dynamique familiale et éventuellement intervenir sur elle.

Le projet est de défaire l’organisation pulsionnelle régressive, tout en favorisant la survenue d'une organisation plus évoluée, dite "génitale". Cela revient à parachever l’œdipe en réduisant ce qui y a fait échec, en général : un interdit trop puissant, une angoisse par rapport à la différenciation sexuelle et les traces laissées par des épisodes de séduction par rapport à des adultes.

La forme phobique est en général réactive. L’hystérie, en offrant un appui transférentiel puissant, permet d’obtenir de bons résultats. Avec la forme obsessionnelle, on se heurte à plus de difficultés ; le traitement est long et dans certains cas peu efficace.

La psychothérapie doit comporter un soutien et l'attaque des résistances doit toujours être prudente. Chez l’enfant, l’évolution est souvent spectaculaire. Chez l’adulte les résultats les plus favorables sont obtenus chez les adultes jeunes et motivés. Résolument dynamiques, la psychothérapie dynamiques ambitionnent d’apporter les modifications du psychisme nécessaire à une vie équilibrée et créative.

2. Le début progressif

Première approche

Le patient apparenté au pôle névrotique bénéficie généralement de possibilités de verbalisation et d’évocation suffisantes. On constate un transfert de base généralement assez positif et l'alliance de travail peut se réaliser rapidement. Le transfert de base est toujours de type parental et le plus souvent paternel. Il est marqué par l’idée d’une compétence supposée du psychanalyste. C’est un appui puissant et lorsqu’il en est ainsi, il y a une concordance entre le mouvement transférentiel et les nécessités du travail. Il n'y a pas de grosses difficultés à trouver la bonne distance : trop grande chez l'obsessionnelle, trop proche chez l'hystérique, elle peut être progressivement ajustée sans problèmes. Le cadre est en général respecté ce qui permet une mise en route rapide.

Les capacités d’association et de mentalisation s’accroissent de manière variable selon les sujets, parfois en quelques mois, parfois plus lentement. La lenteur vient des résistances qui s’opposent au travail analytique et plus profondément à tout changement. Elles sont constituées conjointement par les défenses et par la faiblesse des facteurs évolutifs (la souffrance est modérée et les bénéfices secondaires parfois importants). De ce fait, la dynamique est faible et on se heurte à une absence de « travail ». Ces résistances à l’analyse sont les conséquences de l’organisation défensive et surtout d’une opposition du psychisme au changement. Le psychisme de l’adulte oppose une importante inertie à toute mobilisation.

Résistances et transfert

L’importance des résistances pose un problème technique particulier dans l’analyse des personnalités névrotiques. Ces résistances se manifestent de différentes manières. On trouve d’abord l’absence d’évocation de certains domaines, précisément les plus importants : sexuel, amoureux et agressif. Lorsque tout de même le travail est engagé et que certains aspects émergent un deuxième barrage défensif se met en place sous forme de minimisation, banalisation et des silences s’installent. L'analyse des résistances est au cœur de la technique de l’analyse des névroses.

Le refoulement vient de l'hypertrophie du surmoi et de sa vigilance concernant la sexualité et l’agressivité, mais il n’apparaît pas forcément comme tel au sujet. Il est net en ce qui concerne les tendances prégénitales, par contre, le problème est plus complexe pour les tendances génitales, vis-à-vis desquelles on rencontre un mélange de dénégation, d’évitement et de rationalisation. L’évitement, est forme de résistance fréquente dans les névroses. C’est un procédé qui n’est pas réservé à l’analyse, mais qui peut s’y développer. Il aboutit à l’absence de mentalisation au sens précis du terme.

La personne parle, et parfois abondamment, mais ce qu’il dit n’a aucun lien avec son fonctionnement psychique. Un flot de faits anodins, vus sous un jour purement descriptif, une accumulation de poncifs, aboutissent à une parole vide et superficielle. Chez l’obsessionnel, il s’y ajoute des procédés d’isolation et de répétition. Ces résistances, si elles sont employées systématiquement, rendent tout travail impossible. Elles aboutissent à un discours qui, faute de fournir aucun matériel, ne donne pas prise aux interprétations, et réduit l’analyste à rappeler la règle et à tenter de faire brèche de temps à autre.

La levée des résistances se fait tout doucement par des interprétations et grâce aux effets du travail lui-même qui, par rétroaction, rend certaines défenses caduques. D’une manière active, on peut tenter de remanier le surmoi en dénonçant les identifications aux imagos parentales répressives et en interprétant l'erreur de visée commune aux névrosés : la sexualité génitale n'est pas interdite, c’est l’inceste qui est interdit. L'évolution induit sa propre dynamique sur laquelle il faut compter car, inversement, une simple analyse des défenses ne vient pas à bout des résistances et des facteurs d’immobilisme.

En effet, c’est le conflit de base lui-même qui favorise la résistance. Les résistances viennent autant de l’organisation fantasmatique que du surmoi. La forme pulsionnelle veut rester ce qu’elle est et la répression, au lieu de la modifier, occasionne des défenses qui la masquent. Les défenses permettent à la forme régressive de l’organisation pulsionnelle de perdurer. La diminution de l’investissement des formes régressives au cours du travail permet la diminution du conflit qui permet aussi une diminution des défenses. Les résistances au changement et au travail analytique diminuent et il se met en place une spirale positive.

Le transfert prend au début une allure parentale de tonalité plutôt positive. S’il change son interprétation devient alors un appoint indispensable. Il ne faut pas aborder la question du transfert trop rapidement, mais seulement lorsqu’il devient un obstacle. En général, le patient projette des imagos répressives idéalisées sur le thérapeute, ce qui répète le processus pathogène. À ce moment, le transfert produit une résistance et rend l’entreprise inopérante. Il faut alors l’interpréter et dans une perspective active, le mobiliser.

L’analyse du symptôme

Généralement, le patient veut se débarrasser de ses symptômes et il pense que c’est de cela dont il faut parler ; il se produit donc une première analyse des symptômes au début du traitement, mais il faut souvent attendre le milieu de la cure pour qu’apparaisse vraiment leur rôle dans le fonctionnement psychique : le déplacement qu'ils constituent, la défense qu'ils permettent et les tendances pulsionnelles qu’ils cachent. Il faudra aussi mettre en évidence les bénéfices qui les accompagnent et inviter à y renoncer.

C’est là où l’on trouve le plus de variations dans le traitement selon qu’il s’agit d’une obsession, d’une phobie ou d’une conversion. Par une série de recoupements, de rapprochements, de liens entre l’actuel et le passé, et finalement d’insight accompagnés d’affects, le sujet retrouvera le sens de son symptôme. L’hystérique se rendra compte du compromis entre le désir et l’interdit que réalise son symptôme somatique, l’obsessionnel fera le lien avec l’organisation anale des pulsions libidinales et le phobique se rendra compte du déplacement des pulsions sexuelles sur le référent phobogène. Chez les deux derniers, le refoulement, appuyé les déplacements et les rationalisations, est parfois difficile à lever. On fera attention aux changements de symptôme qui constituent des déplacements facteurs de stagnation. Chez l’obsessionnel il faudra éventuellement dénoncer le déplacement sur la cure de son rituel.

Dans certains cas on peut inviter le sujet à surmonter le symptôme. Ce type d’intervention ne peut se faire que tardivement si l’analyse du symptôme est suffisamment avancée. En effet au début elle est inefficace et même nuisible car elle risque de renforcer les défenses et donc les résistances. La question de l’intervention directe ne se pose que pour les symptômes obsessionnels ou phobique. Avec les symptômes hystériques, il faut s’abstenir car l’intervention pourrait être interprétée comme une demande à satisfaire ; et elle serait effectivement satisfaite au prix d’obturer un peu plus la mentalisation et de figer le transfert. L'encouragement se fait en tenant compte du transfert et du sens qu'elle prend pour le sujet. Il fait surgir du matériel car le symptôme participe aux défenses et à la fixation de l’organisation psychique. Les symptômes permettent des bénéfices : directs par l’obtention d’un plaisir grâce au compromis entre pulsion et défense ; indirect par la satisfaction masochiste du besoin (inconscient) d’autopunition. Renoncer aux symptômes c’est renoncer à tout cela et, par conséquent, se diriger vers un mode de satisfaction plus évolué et plus heureux.

3. Le remaniement psychique

Nous allons voir ici les différentes visées de la psychothérapie afin d'obtenir un remaniement psychique profitable.

Le dégagement par rapport au conflits

Le processus thérapeutique vient des effets de dégagement issus de la mentalisation et de la résolution des conflits défensifs. Le dégagement entraîne, grâce à une levée des fixations, un mouvement pulsionnel progressif. C’est ce qui se produit si les potentialités évolutives spontanées sont suffisantes, mais ce n’est pas toujours le cas. Il faut donc aussi que la conduite du traitement institue une dynamique : à la régression se substitue une progression qui se stabilise dans une nouvelle structuration psychique. Ceci est valable aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte.

Le travail d’élaboration par le moi est important. On sait très bien que la prise de conscience et même la volonté affichée ne sont pas suffisantes. Ce ne sont d’ailleurs pas les indices suffisants d’une participation effective du moi en tant qu’instance psychique. Le moi peut être complice et élaborer des compromis facteurs d’immobilisme. Il faut, en plus, une adhésion du sujet qui signe la véritable entrée du moi dans la dynamique. Après cette adhésion, le travail d’élaboration du moi peut s’effectuer, ce qui permet de déjouer les pièges du retour du refoulé et de l’élaborer progressivement jusqu’à la résolution définitive. Sur le plan de la dynamique psychique, seul un véritable affrontement du moi avec les tendances pulsionnelles régressives peut amener une évolution.

Du point de vue pratique, le complexe pathogène revêt une grande importance, puisque c’est à lui que l’on se trouve confronté. Il constitue le lieu d’approche empirique de l’aspect structural déterminant le conflit. Le problème thérapeutique est de le reconstituer et de le démanteler. Au départ il est inconscient au sens où les éléments ne peuvent être mentalisés car les défenses ont pour fonction de les rendre inaccessibles. Les résistances augmentent lorsque l’on approche du complexe liant les souvenirs à la structure fantasmatique et que le travail tente de le mettre en relation avec les fonctionnalités du moi. La disparition du refoulement permet au moi, en tant que système régulateur, de traiter ces éléments auxquels il n’avait pas accès. Cette exclusion provoquait un effet pathogène et l’on obtient donc une amélioration des symptômes.

À certains moments se produit la classique « abréaction ». Maurice Bouvet (1955) a indiqué qu’elle ne devait pas être trop forte pour permettre une élaboration constructive. Il s’agit d’une réaction en apparence a postériori qui concerne un traumatisme libidinal. La théorie freudienne classique voudrait que l’énergie non abréagie reste accumulée suite au traumatisme. Les théorisations énergétiques ont un caractère métaphorique qui doit rendre circonspect. Il n’est pas certain que les mouvements émotionnels soient explicables par une énergie prisonnière qui demanderait à être libérée. L’abréaction peut aussi être la conséquence d’un fonctionnement psychique nouveau et plus adapté face aux circonstances évoquées. Quoi qu’il en soit, si elle est suivie d’une élaboration, elle permet une avancée thérapeutique.

La levée d'un interdit abusif

Le surmoi est évolué, mais trop rigide pour une intégration heureuse à l’ensemble de la personnalité. C’est donc sur ce point que doit porter l’effort thérapeutique. Une inadaptation du rôle paternelle a entraîné un surmoi trop rigide porté par des identifications négatives. C'est l'appui sur une imago paternelle bonne et rassurante qui permet de dépasser cette angoisse et donc de s'appuyer sur le père pour évoluer ; appui indispensable aussi bien pour le garçon que pour la fille pour le dépassement du lien avec la mère. Cela revient à renforcer le symbolique en remaniant positivement la fonction paternelle et en favorisant la liaison entre le moi et le surmoi. Cela revient à rappeler avec bienveillance la loi par son attitude, par le respect du cadre et éventuellement par quelques interprétations.

Il faut lever l'interdit abusif portant sur la sexualité génitale. Pour cela, il convient de signaler au patient le dévoiement que constitue ce tabou. Lorsqu’il énonce ses inhibitions concernant la sexualité adulte, on peut rappeler que ce n’est pas elle qui est prohibée. Ultérieurement on fera remarquer que les tendances prégénitales, elles, tentent de contourner indûment l'interdit incestueux. La rigidité du surmoi n’est donc qu’une apparence sous laquelle se joue un laxisme. Il est également important de rechercher les circonstances dans lesquelles cette extension erronée de l’interdit s'est constituée : propos, attitudes, qui l'ont produite, puis cheminement imaginaire qui l'a amplifiée. Sa répétition dans le transfert doit être analysée le nombre de fois que nécessaire. C’est le véritable lieu de l’efficacité. Dans un certain nombre de cas à la faveur de l’interdit surmoïque les pulsions agressives et mortifères se sont portées sur le corps. Ce sont elles qui sont à l’origine de la frigidité, les malaises et même des douleurs du sujet. L’érotisation s’est inversée en « dolorisation ». Cette inversion du mouvement pulsionnel est à relier à l’intériorisation des moments de haine des adultes contre le corps érotique (dans l’enfance, à l’adolescence). Repérer et dénoncer ces mouvements haineux peut faire rebrousser chemin à l’investissement mortifère.

Après le travail sur les résistances, la tendance régressive devient consciente. Elle peut rester telle qu’elle, si par ailleurs le potentiel évolutif est insuffisant. Il y a alors le risque d’une perversification, ce qui serait un piètre résultat thérapeutique ! L’organisation pulsionnelle prégénitale ne se heurtant plus au refoulement, elle se manifeste directement. Si le moi ne peut la contenir, un aménagement par clivage se produit, d’autant que c’est de la tendance spontanée du psychisme que de perdurer. C’est un facteur d’immobilisme à ne pas négliger. Le renforcement du symbolique doit permettre de surmonter cet obstacle. On peut en particulier insister sur la différence entre la loi constitutive et les interdits surmoïques rigides. Cet assouplissement permet une alliance entre le moi, le surmoi et l’idéal. Mais ce premier temps est insuffisant car, bien que pouvant être régulé, le complexe pathogène reste potentiellement actif. Le véritable remaniement se fait dans le transfert où se rejoue le mouvement évolutif. La transformation se fait grâce à l’intégration par le sujet du schème de la sexualité adulte.

La restructuration psychique

Si les défenses se sont suffisamment assouplies, la mise en jeu et le transfert d’investissement modifie la structure fantasmatique. Rêves et fantasmes (scénarios imaginaires conscients) sont les voies d’accès privilégiées aux structures fantasmatiques. C’est au travers d’eux et des mouvements transférentiels que le travail s’effectue. Ces structures sont protégées par des transformations et travestissements. Ce qui en apparaît est culpabilisé, souvent surinvesti et son importance est exagérée. Il faut alors dédramatiser et ramener l’affaire à de justes proportions. On se heurte à un autre type de résistances, profondes et masquées, issues de la crainte de perdre le plaisir régressif. L’équivalent incestueux entraîne un plaisir important qui, selon le principe général du fonctionnement psychique, veut perdurer. Le principe de plaisir veillant à ne rien perdre, l’abandon du prégénital se fera plus facilement si un « échange » se profile. L’analyste aura parfois à insister sur cet aspect : la perte permet un gain par émergence d’un plaisir non conflictualisé.

Dans toutes les névroses, on en vient à traiter de la représentation phallique qui a subi des distorsions à cause des solutions inadéquates données au problème de la castration. Le phallus n’est pas le représentant agressif de la toute puissance et de la superbe narcissique. S’il l’est, c’est qu’il l’est resté... et, du point de vue technique, le problème est de le ramener à une juste proportion, qui est aussi la bonne proportion érotique : celle de la puissance virile suscitant le désir féminin. Cela signifie en ce qui concerne l’homme de pouvoir en user sans angoisse et en ce qui concerne la femme de pouvoir en profiter sans dépit et, pour les deux, de pouvoir en jouir sans culpabilité. Aborder la signification du phallus c’est s’affronter au problème de la castration et y trouver une solution heureuse.

Le traumatisme a donné à croire au sujet que le désir de l’autre était prégénital. Il s’ensuit que, pour le satisfaire, le sujet croit devoir se couler dans la forme prégénitale complémentaire. C’est là où surgissent les aspects transférentiels dont nous avons parlé plus haut. Ils doivent être immédiatement interprétés. Il faut évidemment éviter la répétition : inévitablement, le patient répète et projette ; obligatoirement l’analyste doit repérer et démentir. Si le sujet comprend et intègre que le désir de l’autre a une forme génitale mature, il sera enclin à une évolution pour situer le sien au même niveau. L’imago de l’autre se rectifie à cette occasion. Cela renvoie à la complémentarité des objets masculin et féminin dans leurs formes matures. L’analyste doit faire comprendre que l’objet de l’autre est adapté et mature et non laisser supposer l’inverse. Cette attitude repose sur une éthique. On sait bien que dans la réalité l’objet des autres en général n’a pas cette forme. Pourtant on va miser sur cette possibilité qui adviendra effectivement pour le patient.

Ce n’est qu’à la fin du traitement que la reconstruction de la structure fantasmatique génitale peut se faire. Certes, chez le névrosé, elle existe déjà, mais d’une part elle présente des déformations et d’autre part elle est peu investie. Il faut reconstruire là où le conflit a tout arasé ne laissant subsister que des aspects déformés et insuffisants. Cela correspond à construire un « complexe », mais qui cette fois-ci ne sera pas pathogène. Complexe correspondant à une structure fantasmatique post-œdipienne, mettant en jeu des imagos d’homme et de femme dans une relation génitalisée. C’est ce qui, en monopolisant la pulsion libidinale, mettra définitivement fin à la pathologie. Nous éloignant un peu de la doctrine classique, nous dirions que ce n’est pas seulement une affaire libidinale, car le gain narcissique joue un rôle important.

4. La résolution finale

Il s'organise dans le cadre du processus thérapeutique une « névrose de transfert », qui en vient à reproduire le mouvement œdipien de manière transférentielle. L'aspect thérapeutique vient du fait que la reproduction en modifie le dénouement. La dynamique instaurée permet de surseoir à l’obstacle qui avait prévalu dans la vie du sujet ou qui prévaut encore s’il s’agit d’enfant. L'attachement sexualisé aux parents est évidemment apparu au cours de tout ce que nous avons évoqué précédemment. Il apparaît aussi au travers des interrogations du sujet sur sa position relationnelle : sa place, son style relationnel, ses choix amoureux, les liens qu’il crée. Les régularités, particularités et inflexions que prennent ces aspects, renvoient aux relations avec les parents. La reconnaissance du lien œdipien (passé et actuel) et sa remise en jeu transférentielle va amener le sujet à y renoncer définitivement tout en engrangeant au passage les bénéfices identificatoires. L’affrontement au conflit œdipien et sa résolution est, pour les personnalités névrotiques, l’étape centrale et décisive du traitement.

Les obstacles sont différents selon les sexes. On retrouve ici la problématique de la castration déjà envisagée. Chez les femmes, les difficultés de résolution viennent d’un dépit compensé par une tendance phallique trop forte qui entraîne un déni partiel du rôle masculin. La revendication phallique en s'exprimant directement et ouvertement perd de son intensité car elle se confronte à d’autres aspirations plus féminines. Une reconsidération de la signification positive du phallus permet que l’acceptation de la féminité se fasse. Chez les hommes, c'est l'angoisse de castration par le mauvais père qui fait obstacle. Un remaniement de l’imago paternelle, dans un transfert positif s’entend, permet une évolution favorable.

Les interprétations concernant l’œdipe se font à partir du transfert, lorsqu’elles ont une visée de reconstruction. Il convient de montrer de la bienveillance, car aucune analogie entre la relation analytique et la relation familiale traumatisante ne doit s’établir. Si trop de frustration reproduisait cette situation, il y aura une pure répétition avec son cortège d’agressivité, de culpabilité, d'autopunition et de stagnation thérapeutique. Si bienveillance il y a, elle ne doit porter aucune trace de séduction, ce qui évidemment reproduirait la situation pathogène ; et ce tout particulièrement chez l’hystérique experte en fausse demande. Enfin, parfois, la bienveillance doit être distante, afin de ne pas reproduire une attitude maternelle étouffante, et ce, particulièrement dans le cas des obsessionnels. Le dénouement thérapeutique de l’œdipe demande une adaptation précise à chaque cas et selon le moment. Les interprétations doivent enfin porter sur le transfert. Elles ont alors un but d’élucidation et de dynamisation. Elles permettent alors de faire évoluer le transfert et d’empêcher qu'il ne se fige.

Chez le névrosé, le rappel de la loi commune n’a pas forcément besoin d’être explicite. Il apparaît à l’évidence dans l'attitude de l’analyste et le respect du cadre qui constitue un rappel permanent de l’interdit et plus généralement de l’inscription dans la loi commune. Mais il est nécessaire parfois de préciser et de pointer le caractère entier de l’interdit, car le conflit se nourrit des incertitudes. En particulier, si c'est l'incertitude qui est à l'origine du ratage de l'évolution œdipienne et dans la mesure où il y a répétition, le doute réapparaît dans le cadre analytique et il devra donc expressément être levé.

À la fin de la psychothérapie, le transfert de base, s’il reste de type parental devient nocif. Il produit une dépendance résiduelle qui aboutit à forger un individu englué à jamais dans un rapport transférentiel de type parental. Il est donc impératif que ce transfert de base qui existe depuis le début se modifie lors du final. Une analyse du lien transférentiel parental résiduel permet de nouer une relation d’humain à humain sur un mode mature. Par ce biais la personne se libère et s’autonomise un peu plus et une relation authentique se noue. C’est l'indication de la fin du traitement.

 

Bibliographie :

 

Bouvet M. (1955), Résistances et transfert, Paris Payot, 1976.

Freud S. (1912) « La dynamique du transfert », (1913), « Le début du traitement », (1918), « Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique », in La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1993.

Jackson J., Segal H., (1990) « Le passage du fonctionnement bêta au fonctionnement alpha chez un garçon violent » in Journal de psychanalyse de l’enfant, Paris, Bayard, n° 26, 2000.

Juignet P., Manuel de psychothérapie et psychopathologie clinique, Grenoble, PUG, 2016.
          -      Manuel de psychopathologie générale : Enfant, adolescent, adulte, PUG, Grenoble, PUG, 2015.

Nacht S. (1965), Guérir avec Freud, Paris, Payot, 1971.

Smirnoff V., La psychanalyse de l’enfant, Paris, PUF, 1968.

 

Lauteur :

Juignet Patrick