Revue philosophique

L'attachement comme système motivationnel : J. Bowlby

 

Bowlby a théorisé les conduites du jeune enfant comme résultant de systèmes motivationnels (système exploratoire, système affiliatif, système d'attachement, système peur-angoisse). La postérité a surtout retenu celui de l'attachement, car il apporte une vision originale du lien mère-enfant.

Bowlby theorized the behavior of young children as resulting from motivational systems (exploratory system, affiliative system, attachment system, fear-anxiety system). Posterity has especially remembered that of attachment, because it provides an original vision of the mother-child bond.

 

Pour citer cet article :

Vrai, Morgane. L'attachement comme système motivationnel : J. Bowlby. Philosophie, science et société. 2018. https://philosciences.com/attachement-bowlby.

 

Plan de l'article :


  1. L'attachement
  2. Les styles d'attachement
  3. Conclusion : un repérage clinique et une explication psychopathologique

 

Texte intégral :

 

1. L'attachement

L'origine du concept d'attachement.

À la demande de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), J. Bowlby réalisa des observations sur la santé mentale des enfants sans foyer au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il en conclut l’importance capitale d’un besoin d’une relation chaleureuse, intime et continue entre l’enfant et sa figure maternelle. Ses études mettent en évidence plusieurs conséquences psychologiques chez l’enfant victime de carences de soins maternels tels qu’une absence de concentration intellectuelle, une inaccessibilité à l’autre ou encore une absence de réactivité émotionnelle. En 1946, en collaboration avec Robertson, Bowlby précisa ses observations à travers une recherche faite sur les conséquences d’une séparation d’avec la figure maternelle durant la petite enfance sur le développement ultérieur de l’enfant.

Ces auteurs ont observé que les jeunes enfants, privés de leur mère et séjournant dans un hôpital ou dans une pouponnière, vivaient une profonde détresse qui s’accentuait au fur et à mesure que le séjour se prolongeait. Plus précisément, leurs observations cliniques ont permis de mettre en lumière trois phases de réactions visibles et immédiates chez l’enfant entre six mois et quatre ans face à une séparation : la phase de protestation, qui débute dès la séparation et peut se prolonger de quelques heures à plusieurs semaine. C’est une période où l’enfant manifeste une profonde détresse et où il tente d’utiliser ses ressources disponibles pour retrouver sa figure d’attachement. La seconde phase, celle du désespoir, rend compte d’une perte d’espoir de retrouver sa figure maternelle. La troisième phase se révèle par un détachement de l’enfant où celui-ci semble réinvestir l’entourage. Cependant, au retour de la mère, l’enfant ne témoigne d’aucun comportement caractéristique de l’attachement comme si le maternage et le contact humain n’avait plus de sens pour lui.

Ces observations, sources d’inspiration pour Bowlby, l’ont conduit à réfuter la théorie de l’étayage de la pulsion libidinale par la satisfaction orale élaborée par Freud pour reconsidérer la notion d’attachement à la mère. D. Anzieu (1996) se réfère à l’article de 1958 de J. Bowlby, The nature of the child ties to his mother, et parle « d’une pulsion d’attachement, indépendante de la pulsion orale et qui serait une pulsions primaire non sexuelle ». Cette théorie s’est donc développée suite aux préoccupations relatives aux manques et aux carences du nourrisson ayant subi des séparations précoces et des pertes parentales après la seconde guerre mondiale.

Le système d’attachement : une théorie de la relation.

Le système motivationnel d’attachement décrit par J. Bowlby a pour principal objectif d’établir une proximité physique et un réconfort avec la figure d’attachement. C’est en s’inspirant du modèle de la théorie du contrôle, née en mécanique qui définit la conduite en termes de « buts fixés à atteindre, de processus conduisant à ces buts et de signaux activant ou inhibant ces processus » (Op. cit p192) plutôt qu’en termes de tension et de réductions des tensions, que Bowlby élabore le concept d’attachement.

Le système d’attachement qui se met en place chez l'enfant permet le maintien d'une proximité avec sa figure d’attachement et son corollaire interne : le sentiment de sécurité. Ce n’est que lorsque les besoins d’attachements sont satisfaits que le jeune enfant peut s’éloigner en toute sécurité de sa figure d’attachement pour explorer le monde qui l’entoure. Ce concept est novateur et repose sur une théorie comportementale instinctive. Bowlby (1978) postule que « le lien de l’enfant à sa mère est le produit de l’activité d’un certain nombre de systèmes comportementaux qui ont pour résultat prévisible la proximité de l’enfant par rapport à sa mère. » Ce système d’attachement vise la protection et donc la survie de l’individu dans une perspective évolutionniste d’adaptation. L’attachement représente ainsi un lien affectif et durable entre l’enfant et sa figure d’attachement et est caractérisé par la tendance du jeune enfant à rechercher la sécurité et le réconfort auprès de cette figure en période de détresse.

En ce sens, plus qu’une théorie du fonctionnement psychique de l’individu, la théorie de l’attachement représente un cadre conceptuel décrivant les aspects relationnels et le besoin de sécurité. Selon Bowlby, ce lien d’attachement, une fois intériorisé, servirait par la suite de modèle à toutes les relations intimes et sociales du sujet. Dans une perspective plus connexionniste, Guedeney et Guedeney (2002) définissent ce lien social et affectif comme étant « des connexions émotionnelles entre les personnes lorsqu’elles sont en relation d’intimité avec les autres. » La théorie de l’attachement peut être considérée comme une véritable théorie de la relation où l’intériorisation du lien d’attachement primaire représente un modèle à toutes les relations de l’individu.

Les comportements et les étapes du développement de l’attachement.

Selon A. Guedeney et N. Guedeney (2002), ces comportements sont de nature innée et ont pour fonction de favoriser la proximité du jeune enfant envers sa figure maternelle ainsi que réciproquement de maintenir l’attachement de la figure significative à l’enfant. De multiples séparations initiées par la figure maternelle ou par l’enfant sont observables dans la vie quotidienne sans qu’aucune d’elles n’engendre des réactions pathologiques. Ces séparations semblent normales et même essentielles au développement de l’enfant en particulier pour son autonomie et sa sociabilité. Ainsi Bowlby (1978) a décrit cinq schèmes de comportement favorisant l’attachement :
 
- Les pleurs témoignent d’un comportement d’appel et les sourires contribuent à interpeller la figure d’attachement pour qu’elle vienne près de l’enfant ;
- Le comportement de poursuite et d’agrippement (« grasping ») permet à l’enfant d’être proche de sa mère et de favoriser le lien d’attachement ;
- La succion non nutritionnelle ;
- L’appel par des petits cris puis par le nom, généralement « maman ».

Ces comportements d’attachement ont une double fonction : celle de promouvoir la proximité et celle d’activer le système motivationnel de caregiving (manière de prendre soin d’un plus petit que soi ou de plus vulnérable) du parent. Au cours du développement, l’enfant multiplie ses comportements d’attachement comme tendre les bras, le langage ou tous les comportements liés au développement psychomoteur.

Ces comportements visent à informer la figure maternelle de l’intérêt de son enfant pour l’interaction et donc de favoriser l’attachement réciproque de la figure maternelle à l’enfant. Ce n’est pas tant la spécificité du comportement en lui-même qui est important mais la manière dont il est fait et sa finalité. Si l’objectif est de promouvoir la proximité, alors ce comportement fonctionne comme un comportement d’attachement. En ce sens, la violence peut être comprise comme un comportement d’attachement dans le sens où l’enfant a appris à l’utiliser pour avoir de l’interaction.

Le développement de l’attachement a été conçu par Ainsworth, Blehar, Waters et Wall (1978) en quatre étapes. La phase de pré-attachement entre zéro et trois mois est la phase où le nourrisson va activer ses comportements d’attachement sans discrimination d’une figure d’attachement particulière, l’objectif étant avant tout la proximité avec l’adulte et l’activation de son système de caregiving. L’émergence de l’attachement comme seconde phase s’effectue entre trois et six mois. Les comportements d’attachements, diversifiés par un meilleur contrôle psychomoteur, sont ici dirigés vers une figure d’attachement discriminée. L’attachement franc et sélectif à une figure d’attachement non substituable commence à l’âge de six mois et perdure jusqu’à l’âge de 24/36 mois et c’est à partir de deux ou trois ans que les attachements multiples se mettent en place.

La figure d’attachement comme base de sécurité interne.

Selon A. Guedeney et N. Guedeney (2002), « une figure d’attachement est une figure vers laquelle l’enfant dirigera son comportement d’attachement. Sera susceptible de devenir une figure d’attachement toute personne qui s’engage dans une interaction sociale animée avec le bébé et durable, et qui répondra facilement à ses signaux et à ses approches ». Il s’avère que l’enfant a un besoin primordial d’établir un lien stable et sécurisant avec une figure d’attachement. Cette figure est choisie par l’enfant en fonction des réponses empathiques apportées à ses besoins. Ce rôle est donc souvent tenu par la mère mais il peut être également occupé par le père, une tante, un oncle, ou toute autre personne significative pour l’enfant et répondant à ses besoins.

En ce sens, R. Miljkovitch (Miljkovitch R, L’attachement au cours de la vie, Paris, PUF, 2001) rappelle que « la conception de Bowlby concernant l’attachement à une figure privilégiée – qu’il a nommé « monotropie » – a souvent été mal interprétée comme un attachement exclusif. Bien qu’il ait été convaincu de la place privilégiée, dans la vie de l’enfant, d’une personne spécifique qui soit l’objet d’amour le plus proche et le plus central, Bowlby considérait cet attachement comme prioritaire mais non exclusif. Il envisageait une hiérarchie, au sommet de laquelle se trouve la personne de qui on dépend le plus et dont la présence ou la disponibilité est indispensable pour se sentir en sécurité. »

Ainsi la figure d’attachement est celle vers laquelle l’enfant va diriger son comportement d’attachement. Pour faire figure d’attachement, celle-ci doit être dotée de compétences de maternage et de caregiving c’est-à-dire d’interactions sociales, animées et durables avec l’enfant et une sensibilité ainsi qu’une attention à répondre adéquatement aux signaux de l’enfant. Il existe plusieurs figures d’attachement susceptibles d’assumer le rôle de caregiving mais elles sont hiérarchisées en figures d’attachement primaires (généralement la mère) et figures d’attachement secondaires.

Là où les figures d’attachement - qui devient synonyme de source de protection et de sécurité - sont repérées comme familières pour l’enfant et sont sollicitées par celui-ci chaque fois qu’il est en situation de détresse, Guedeney et Guedeney (2002) soulignent que c’est « la confiance en l’idée qu’une figure de soutien, protectrice, sera accessible et disponible, et ceci quel que soit l’âge de l’individu en cas de besoin » qui permettra au sujet de se sentir en sécurité.

La notion de base sécurisante, développée par M. Ainsworth (1967), semble favoriser le bon développement de l’individu lorsqu’il se sent en sécurité et qu’il sait qu’il peut compter sur une figure d’attachement en cas de détresse. Ce sont donc dans un premier temps la proximité puis plus généralement la confiance en la disponibilité de la figure d’attachement qui vont permettre à l’enfant de se sentir en sécurité et donc de diminuer l’activation de son système d’attachement. C’est donc à partir de cette base sécurisante, de cette confiance en la disponibilité de sa figure d’attachement en cas de détresse, que l’enfant pourra explorer le monde environnant et de développer ses capacités de façon optimale.

2. Les styles d’attachement

Les styles d’attachement ont été conceptualisés à partir des observations empiriques de M. Ainsworth (1978) de ce qu’elle a nommé la situation étrange. Cette situation standardisée en sept épisodes de séparations et de réunions entre l’enfant et sa figure d’attachement permet de mettre en évidence trois types principaux de réactions chez le jeune enfant. Ces différents groupes mettent en lumière la sécurité relationnelle établie par l’enfant avec sa figure d’attachement. Cette étude très détaillée de la relation mère-enfant apporte à la théorie de l’attachement un prolongement expérimental et permet de mettre en lien les catégories d’attachement et le style de maternage correspondant. L’auteur met donc en évidence trois catégories d’attachement à savoir l’attachement sécure, l’attachement insécure évitant et l’attachement insécure ambivalent.

M. Main, élève de M. Ainsworth, a quelques années plus tard ajouté une quatrième catégorie qui est celle de l’attachement désorganisé ou désorienté. Elle est également à l’origine de l’Adult Attachment Interview (AAI), instrument de mesure du style d’attachement chez l’adulte, élaboré en collaboration avec George et Kaplan (1985). Cet instrument de mesure interroge le niveau des représentations de l’adulte par l’analyse du discours et permet de classer les différents récits en fonction des expériences d’attachement. Les élèves de M. Main ont ensuite appliqué l’AAI à l’étude de la psychopathologie de l’enfant et de l’adulte ainsi qu’à l’étude de la transmission intergénérationnelle de l’attachement.

L’attachement sécure

L’attachement sécure est celui favorisé par une figure d’attachement réceptive, sensible aux besoins de son enfant et utilisée par celui-ci comme base de sécurité pour explorer son environnement. Les enfants sécures recherchent le réconfort de leur figure d’attachement au moment de la séparation, protestent voire manifestent de la détresse, mais se calment facilement dès son retour, manifestent un certain plaisir et sont capables de reprendre des activités exploratoires une fois rassurés. Il y a donc un certain équilibre entre la recherche de réconfort et l’exploration. Avant un an, l’enfant sécure est celui qui demande beaucoup de proximité physique. Il sera ensuite le plus autonome car il aura acquis une sécurité interne.

Selon Waters et Cumming (2000), ce style d’attachement traduit une plus grande capacité d’autorégulation émotionnelle chez l’enfant, ainsi qu’une bonne exploration de l’environnement et une aisance sociale. Ce style d’attachement favorise le développement d’un sentiment de sécurité dans les relations amoureuses futures.

Chez l’adulte, l’attachement sécure se traduit par un type d’attachement autonome. Selon le modèle tripartite de Hazan et Shaver (1987), l’adulte sécure ou autonome est décrit comme une personne qui est à l’aise à l’idée de se rapprocher des autres et n’éprouve pas de difficulté à se laisser soutenir par eux en cas de besoin. Ce type de relation témoigne d’un respect mutuel et de la confiance en soi et en l’autre. D’après Tarabulsy (2000), cette sécurité affective, principalement développée au plus jeune âge, se maintient généralement à l’âge adulte et concerne environ 52 % de la population générale.

L’attachement insécure évitant

Au moment de la séparation, l’enfant insécure évitant ne se tourne pas vers sa figure d’attachement et tente de masquer sa détresse émotionnelle par un détachement face à la situation et un accrochage à l’environnement physique. Au retour de la figure d’attachement, il feint un comportement d’indifférence ou évite le contact avec elle en restant concentré davantage sur ses jouets. A. Guedeney et N. Guedeney (2002) affirment que dans les premières interactions entre le bébé et sa figure d’attachement, celle-ci apparaît comme détachée et peu disponible pour répondre aux besoins de son enfant. Le jeune enfant ne semble pas pouvoir développer une base de sécurité en relation avec sa figure maternelle et peut donner une impression d’indépendance précoce.

Les comportements insécures évitant ont été observés chez des jeunes enfants pleurnichards, qui avaient tendance à paniquer lors de la séparation d’avec leur figure d’attachement et qui, à son retour la rejetaient avec rage sans témoigner d’aucun signe de soulagement. En situation expérimentale, les enfants insécures évitant seraient ceux qui témoigneraient le plus d’émotions et d’anxiété, ce qui engendrerait une désactivation de leur système d’attachement afin de mieux gérer cette situation. Dans ce contexte, le jeune enfant se détache, manifeste peu d’émotions, se tourne davantage vers l’exploration et se voit contraint d’adopter une autonomie précoce comme stratégie de survie.

Hopkins (1992), en se référant aux analyses de M. Ainsworth, explique que les stratégies d’attachement de type évitant renvoient à l’échec du holding. C’est ce que M. Ainsworth appelle le syndrome de rejet des mères qui manifestent une profonde aversion pour le contact physique. Les stratégies de ce type d’attachement prennent ainsi une valeur défensive et une fonction d’adaptation face à un environnement rejetant.

Chez l’adulte, ce type d’attachement se traduit par un style d’attachement détaché. L’individu se décrit comme inconfortable dans une relation intime et profonde ainsi qu’anxieux dans des situations de rapprochement. Selon Hazan et Shaver (1987), le sujet détaché perçoit la relation avec autrui comme une proximité menaçante, car elle risque d’éveiller la peur archaïque d’être rejeté par la personne significative. Ces individus ont une confiance en soi mais pas en les autres, ce qui les fait réagir par une certaine distance et un évitement dans les relations intimes. Tarabulsy (2000) affirme qu’il existe 17% d’adultes de la population générale qui relèveraient de ce type d’attachement.

L’attachement insécure ambivalent

L’enfant insécure ambivalent proteste au moment de la séparation et ne peut être rassuré, ce qui rend difficile la possibilité d’explorer son environnement. Il n’est pas davantage apaisé au retour de sa figure d’attachement et adopte une attitude ambivalente vacillant entre recherche de contact et de résistance. Cette incapacité à se remettre de leur angoisse de séparation et à utiliser leur figure d’attachement comme base sécurisante témoigne d’une hyperactivation du système d’attachement et donc d’une capacité exploratoire limitée ainsi qu’une difficulté à accéder à l’autonomie. Le sujet, accaparé par ses besoins d’attachement, témoigne d’un déficit de régulation et de contrôle émotionnel. Le jeune enfant rencontre dans ses relations précoces une figure d’attachement ambivalente où les réactions de celle-ci sont imprévisibles et incohérentes c’est-à-dire qu’elle peut se montrer autant ignorante que réceptive aux besoins de son enfant.

A l’âge adulte, ce type d’attachement se traduit par un style d’attachement préoccupé et s’illustre par la recherche constante d’un contact avec le partenaire amoureux, par une réactivité émotionnelle intense et un faible niveau d’autonomie marqué par la peur d’être abandonné. Ce type d’individu témoigne d’une faible confiance en soi et démontre une forte dépendance vis-à-vis d’autrui pour juger leur propre estime. Selon Feeney et Noller (1990), ces personnes ont tendance à idéaliser leur partenaire et à sous-estimer leurs potentialités personnelles. Tarabulsy (2000) affirme l’existence de 11% de ce type d’attachement dans la population générale.

L’attachement désorganisé

Ce quatrième style a été développé par M. Main et J. Salomon (1986) chez les enfants qui ne réagissent pas de manière caractéristique ou prévisible à la situation étrange. Dans ce style d’attachement, le jeune enfant présente des attitudes contradictoires, inconsistantes et souvent déroutantes. Ils pourront, par exemple, s’agripper à la figure d’attachement tout en détournant le regard ou pleurer à son départ sans vouloir s’en rapprocher. Ces comportements semblent incompréhensibles et témoignent d’un défaut de construction de stratégie d’attachement cohérente. Selon Cassidy et Shaver (1999), ce type d’attachement se retrouve fréquemment chez des sujets ayant été victime de maltraitance ou de violence de la part des figures d’attachement.

Ce style d’attachement est également appelé désorganisé ou désorienté chez l’adulte qui présente également des attitudes contradictoires ou incompréhensibles. Selon Tarabulsy (2000), 20 % de la population générale présenterait ce type d’attachement. L’attachement sécure, insécure évitant et insécure ambivalent sont tous des comportements d’attachement organisés à la différence que le premier témoigne d’une stratégie primaire où le sujet n’a pas eu à apprendre de stratégie vicariante ou à s’adapter à sa figure d’attachement, contrairement au deux autres types qui ont nécessité la construction de stratégies secondaires face à l’inefficience des stratégies primaires. L’enfant a donc dû construire des stratégies pour s’adapter à ses figures d’attachement. Quant à l’attachement désorganisé, celui-ci n’a pas de stratégie organisée et peut être un facteur de risque pour le développement ultérieur personnel et social de l’individu.

Conclusion : un repérage clinique et une explication psychopathologique

Cinquante ans après sa publication, le travail de Bowlby reste d'actualité. Le concept d'attachement permet à la fois un repérage clinique et une explication psychopathologique. Il a de plus une vertu prédictive quant à l'avenir de l'individu. Les systèmes motivationnels (système exploratoire, système affiliatif, système d'attachement, système peur-angoisse) correspondant pour Bowlby à « un équilibre entre les comportements d’attachement envers les figures parentales et les comportements d’exploration du milieu.» (Bowlby J., Attachement et perte, Paris, PUF, 1978). Ce lien précoce repose sur des fondements biologiques et des propriétés motivationnelles comparables à la satisfaction des besoins primaires, mais indépendant de ceux-ci.


Bibliographie :

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Note de la rédaction :

1. La théorie des systèmes motivationnels

C'est en reprenant l’héritage de l’éthologie et de la psychanalyse que J. Bowlby a développé sa conception des systèmes motivationnels. En inspirant de la théorie cybernétique du contrôle, il a défini la conduite en termes de « buts fixés à atteindre, de processus conduisant à ces buts et de signaux activant ou inhibant ces processus ». Il renonce ainsi à la théorie d'inspiration thermodynamique de Freud (tension et de réduction des tensions) pour adopter celle des systèmes a but homéostatique.

Le système d’attachement, considéré comme un système homéostatique, a pour but de maintenir une distance restreinte entre l’enfant et sa figure maternante. Pour ce faire, l’enfant utilise des procédés qui visent à maintenir ou augmenter la proximité, dans une optique de protection, de sécurité et de survie pour l’enfant. Ce système, initialement envisagé à la manière d’un thermostat, sera par la suite davantage considéré par Bowlby comme un système constamment activé comparable à une veilleuse.

Le système exploratoire est en relation étroite avec le système d’attachement qui fonctionne en antagonisme. Lorsque l’enfant est sécurisé, il peut explorer son environnement. En revanche, dès lors que le jeune enfant perd sa sécurité, celui-ci active d’autant plus son système d’attachement afin de trouver un état d’attachement. C’est donc à la manière des vases communiquant que ces deux systèmes vont fonctionner.

Le système affiliatif, appelé également système de sociabilité, participe selon Bowlby à la survie de l’individu. Quant au système peur-angoisse, il constitue un système de vigilance qui contribue au contrôle permanent de l’enfant de la qualité de sécurité environnementale. Il est donc en étroite collaboration avec le système d’attachement.

2. Les Modèles internes opérants

John Bowlby a développé le concept de modèles internes opérants (« Internal working models » en abrégé MIO) en s’inspirant du psychologue britannique K. Craik (1943) pour désigner les modèles mentaux que l’enfant se construit. L’enfant intègre des séquences interactives avec ses figures d’attachement dans sa mémoire procédurale. Les MIO résultent ainsi des schèmes cognitifs construits à partir de l’intériorisation de ces séquences interactives et en particulier des réponses les plus saillantes et les plus fréquentes de la figure d’attachement. Les modalités de caregiving ont donc une place fondamentale dans la construction des MIO.

Les MIO donnent ensuite lieu à deux modèles : un modèle de soi comme représentation de soi plus ou moins digne d’être aimé et un modèle d’autrui représentant la confiance à l’égard des autres en particulier en situation d’alarme et de détresse. Ces MIO ont une fonction dynamique, car ils opèrent dans la vie de l’enfant comme un filtre stable en colorant sa réalité d’une certaine manière. Ils guident l’enfant dans sa manière de se comporter et de comprendre le comportement d’autrui.

Ces représentations de soi et des autres, construites à partir de la relation entre l’enfant et sa figure d’attachement, accompagneront plus tard l’individu et influenceront ses pensées, ses sentiments et ses comportements dans ses relations à l’adolescence et à l’âge adulte. Bowlby (1978) précise à ce sujet que « pour la plupart des individus, le lien avec les parents persiste dans la vie d’adulte et affecte le comportement d’innombrables manières. »

3. Et le psychisme ?

John Bowlby ne fait aucune référence au psychisme tel que Sigmund Freud l'a définit bien que l'intériorisation de séquences interactives (du domaine relationnel) constitue une grande part de ce qui est appelé psychisme.

On peut penser que ce refus vient de la volonté de se démarquer de la psychanalyse, bien que l'objet d'étude soit identique. C'est un des problèmes de la psychopathologie au XXe siècle, qui présente les caractéristiques épistémologiques de ce que Thomas Kuhn qualifie de « pré-science » : on y voit se développer des recherches éparses, sans paradigme unificateur. Nous sommes à « la période antérieure à l’adoption d’un premier paradigme [...], quand il y a une multitude d’écoles concurrentes » (Kuhn, Th., (1970), La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983, p. 223).

La différence entre l'ensemble des systèmes motivationnels et le psychisme vient principalement de la dynamique propre de ce dernier. On considère que les séquences interactives (du domaine relationnel) y sont remaniées et transformées au fil du temps. Les structures psychiques sont complexes, souvent constituées de couches superposées au fil de l'évolution individuelle. Elles ne sont pas le reflet direct des séquences interactives qui se sont produites réellement.