Refoulement, déni, dénégation
Les processus psychiques d’occultation

 

Les processus psychiques servant à mettre de côté, masquer, ignorer, bref, à occulter ce qui est inacceptable et conflictuel sont divers. Ils servent à éviter les désagréments émotionnels dus à la perception et à l’évocation de certaines situations.

The psychological processes used to put aside, mask, ignore, in short, to obscure what is unacceptable and conflicting are diverse. They serve to avoid emotional discomfort due to the perception and evocation of certain situations.

Pour citer cet article :

Juignet, Patrick. Refoulement, déni, dénégation Les processus psychiques d’occultation. Philosophie science et société. 2022. https://philosciences.com/refoulement-deni-denegation.

Plan :


  • 1. Notions de base
  • 2. Le refoulement
  • 3. Le refoulement
  • 4. Le déni
  • 4. La dénégation
  • 5. Aspects cliniques
  • 6. Quelle attitude face à l'occultation ?

 


Texte intégral :

 

1. Notions de base

Des mécanismes de défense

Ces processus (refoulement, déni, dénégation) sont des mécanismes de défense. Ils visent à préserver le fonctionnement psychique des conflits trop violents. Pour ce faire, ils mettent de côté la perception de certaines situations et les contenus psychiques (pulsions et représentations) correspondants.

Rappelons que, du point de vue psychopathologique, le terme de « moi » désigne l’instance servant à préserver la stabilité d’ensemble du psychisme. On considère traditionnellement que c’est le moi qui génère les mécanismes de défense. Dans un but de préservation, l’occultation rend inaccessible à la conscience et à la volonté une partie de ce qui constitue le psychisme individuel.

Les mécanismes de défense surviennent sur un fond d’opacité, généralement négligé. En effet, on constate souvent une absence de perception concernant des attitudes, des manières de se conduire, ou des évènements, tout à fait perceptibles et évidents, mais qui passent inaperçus aux yeux de l’individu concerné. Par exemple, certains traits de caractère sont ignorés de la personne, alors qu’ils sont évidents aux yeux des autres. Bien qu’ils ne soient pas cachés, ils sont comme invisibles.

Il existe aussi une méconnaissance du fonctionnement psychique, car ce dernier est spontanément opaque. Quand on demande à une personne pourquoi elle agit de telle manière, on tombe souvent sur une impossibilité de répondre ou sur des explications peu probantes. On pourrait dire que l’occultation est une accentuation de cette tendance à invisibilité du fonctionnement psychique dans un domaine spécifique.

Nous n’évoquerons pas ici le mensonge et la dissimulation qui supposent une connaissance au moins partielle, un calcul, une action volontaire. Toutefois, la frontière n’est pas toujours nette.

Les mécanismes mis en jeu

Il n’y a pas de consensus quant à la désignation précise des mécanismes psychiques d’occultation. Les termes employés sont variables. À titre d’exemple, on peut faire la liste de ceux employés par Sigmund Freud. Le Vocabulaire de la psychanalyse en donne un bon aperçu auquel nous nous référerons. Si l’on s’en tient aux verbes utilisés la liste est longue.

On trouve  : verworfen traduisible par rejeter ou forclore, verleugnen traduisible par dénier ou désavouer, ablehnen traduisible par écarter, aufheben traduisible par supprimer ou abolir, ungechenmachen traduisible par annuler, verneignen traduisible par dénier. Freud utilise aussi le terme latin de Negation évidemment traduisible par négation. En tant que pionnier, il s’est retrouvé devant un maquis dense de mécanismes, qu’il a tant bien que mal tenté de répertorier. Par la suite, ces termes ont été repris dans des acceptions variables, ce qui n’a rien arrangé du point de vue de la clarté.

Au vu de cette complexité, pour avoir de la clarté, nous opérerons des choix et des simplifications, en prenant comme critère de différenciation ce sur quoi porte le processus : plutôt sur la réalité ou plutôt sur les contenus psychiques (pulsions et représentations).

- Une manière de faire disparaître ce qui gêne est de porter un jugement d’existence négatif. La personne considère que ça n’existe pas. Ce peut être soit de manière immédiate et radicale, soit d’une manière modérée et qui laisse place au doute. La formule en serait : ça n’existe pas.

- Une autre manière est de mettre de côté la représentation des faits et événements et des tendances pulsionnelles qui se décline de deux façons : 

  En les mettant hors d’atteinte de la pensée consciente par une barrière active et puissante. La formule en serait : cachons ce qui angoisse.

  En ne les reconnaissant pas comme sien, en en refusant l’imputation. La formule en serait : cela ne m’appartient pas et ne me concerne pas.

Cet article abordera les mécanismes d’occultation les plus courants en évaluant le procédé dominant et en tenant compte de la tradition psychopathologique (qui remonte à Sigmund Freud et à Pierre Janet). Cela conduit à distinguer trois mécanismes principaux : le refoulement, le déni et la dénégation. Le déni consiste à considérer comme inexistant ce qui gène et le refoulement consiste à exclure de la pensée consciente les aspects psychiques indésirables. La dénégation, quant à elle, exprime quelque chose en le récusant : par exemple, la personne affirme : « je pourrais avoir telle intention, mais pas du tout ».

À côté de ces trois types d’occultations, il faut aussi évoquer les mécanismes, complémentaires et associés, que sont la projection, le clivage. La projection attribue sans justification à autrui ou à l’environnement des tendances diverses. Elle accompagne souvent le déni. Le clivage consiste à instaurer un fonctionnement séparé et alterne, des différentes composantes psychiques ce qui peut aller jusqu’au clivage de la personnalité globale. L’aspect clivé est totalement mis de côté lorsque l’autre aspect prend le dessus.

Quelques précisions

L’éviction de la réalité

Il existe une fonction psychique qui désigne ce que nous considérons généralement comme la réalité : choses, faits, évènements, personnes, ayant une existence concrète certaine. Cette fonction n’est pas présente d’emblée, elle s’édifie au cours de l’enfance. La réalité est une construction qui demande que cette fonction soit efficace. Dans l’enfance, l’existence de la réalité et la distinction entre réalité et fiction sont incertaines.

Chez l’adulte le déni produit un vacillement du jugement de réalité. Il survient d’autant plus facilement que la fonction qui définit la réalité est peu efficace, ce qui est le cas chez les personnalités psychotiques ou intermédiaires (limites, perverses). Le déni ne concerne pas toute la réalité, mais porte sur des faits, des évènements, des circonstances, des attitudes, des conduites, précises. Il est partiel, il ne concerne qu’un secteur de la réalité.

La perte d’unité

Diverses instances et processus psychiques permettent l’unification de soi et donnent la capacité de s’attribuer ses actes, et donc d’en être responsable. Ces processus ramènent à une identité unique les divers aspects de la personnalité et l’instance qu’est le moi tente d’unifier le tout, de rassembler les composants de la personnalité.

L’unification est un processus qui, à certains moments, pour une raison défensive est mis en défaut. Si une tendance est insupportable, la défense permet de nier que l’on soit concerné et ce n’est pas reconnu comme ayant trait à soi-même. La difficulté tient à s’attribuer et à s’identifier à une tendance présente, mais qui n’est pas permanente et est jugée défavorablement.

Admettons qu’un individu soit sous l’emprise d’une tendance étrangère à d’autres aspects de sa personnalité. Si à un moment donné, cette tendance lui fait effectuer une action, par la suite quand le reste de la personnalité prend le dessus, l’action sera déniée. La formation de l’identité psychique consistant à agréger les diverses tendances constitutives de soi est mise en défaut.

Maintenir le lien aux autres et au social

Les autres personnes jouent un rôle sur la perception de soi et sur la manière de se conduire. Il est nécessaire pour l’individu de pouvoir d’affronter les autres, de s’opposer pour affirmer ce qu’il est. S’il n’a pas la force d’affronter les autres, il utilise l’occultation pour esquiver le conflit.

Si la personne pense, à tort ou à raison, que son entourage familial ou la société ne veulent pas qu’il soit tel qu’il est, il occulte ces aspects réprouvés. Ce peut être par le déni, la dénégation et ou par le refoulement

Dans certaines familles ou communautés très soudées, il n’y aucune alternative à la norme du groupe sauf à subir un rejet. Les mécanismes d’occultation servent à éviter la réprobation et le rejet de la communauté.

2. Le refoulement

Brève histoire du concept

C’est le plus connu des procédés d’occultation. Au départ l’hypothèse du refoulement vient comme solution au problème posé par l’existence de symptômes somatiques auxquels on ne trouve pas de cause biologique. Sigmund Freud comme Pierre Janet évoquent des représentations inaccessibles (dites « refoulées »).

Chez Freud, cette thèse vient de l'étude des paralysies hystériques, qu’il effectua lors de son séjour dans le service de Jean Martin Charcot, en 1886. Elle est évoquée dans un article publié en 1893, intitulé « Quelques considérations pour une étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques ».

Dans les cas présentés, il apparaît que ce n’est pas une lésion nerveuse, mais la « conception du bras » et son inaccessibilité qui provoquent le symptôme. Ce processus est totalement inconnu des patientes souffrant de paralysie. La représentation en question est inconsciente. Elle est supposée exister, car elle est adéquate à causer les symptômes.

Ce n’est qu’ultérieurement dans l’effort thérapeutique que les représentations refoulées pourront être mentalisées par les patients grâce à la levée du refoulement. La représentation est refoulée à cause de la violence de l'affect qui lui est lié, violence qui réapparaît au cours du traitement.

Les tout premiers souvenirs refoulés créent un premier noyau d’éléments refoulés qui jouerait le rôle d’attracteur (Problème évoqué dans l’article « Le refoulement », Métapsychologie, 1915). Ce refoulement « originaire », concerne des représentants les pulsions (souvenirs de scènes plus ou moins transformées). C’est lui qui expliquerait les fixations (arrêts partiels du développement). La pulsion se lie à un ensemble de représentations qui la fige et empêche l’évolution vers d’autres formes plus élaborées.

L’inconvénient du refoulement est que des éléments psychiques fortement investis (représentations, souvenirs) sont actifs et produisent des effets, mais ne sont pas pensable de manière consciente. Il s’agit du souvenir d’une série d’événements à fort contenu émotionnel.

Théorie du refoulement

L’origine du refoulement tient au caractère inacceptable de ce qui est refoulé. L’événement provoque une dissonance, un conflit, une émotion négative, un malaise (honte, angoisse). Le moyen de chasser ce malaise est la mise à l’écart des représentations que l’événement a suscitées.

L’investissement est explicable par les pulsions mises en jeu qui sont de deux types : pulsions d’autoconservation qui alimentent les investissements narcissiques et les pulsions sexuelles qui alimentent les investissements objectaux. Mais, il faut aussi considérer les pulsions agressives. Chaque type de pulsion peut alimenter le courant narcissique (soi) ou objectal (les autres). Les représentations refoulées concernent des événements ayant suscité une poussée pulsionnelle de l’un ou l’autre type lorsque celle-ci est trop forte et/ou lorsque la situation provoque un conflit. Les représentations sont chassées, mises hors circuit, elles ne peuvent plus être évoquées et pensées.

On a constaté aussi que l’importance affective du souvenir peut aussi être créé après-coup par les remaniements psychiques qui se produisent. Ce qui a été sans importance à l’époque et est passé inaperçu, peut, dans un second temps, prendre de l’importance, être considéré autrement.

Le souvenir refoulé n’étant pas neutralisé, il réapparaît soit dans les rêves, soit dans des actes manqués, soit dans des symptômes, soit dans des réactions à l’occasion d’événements qui l’évoquent. Le retour intempestif du refoulé peut provoquer une fausse interprétation de la situation et des réactions inadaptées. Ces représentations sont inaccessibles à la pensée, et donc ne peuvent être remaniées et évoluer. Les souvenirs sont comme enkystées, ce qui leur confère un caractère pathologique.

3. Le déni

Brève histoire du concept

En psychopathologie l’emploi du terme allemand de Verleugnung, généralement traduit par déni, remonte à Sigmund Freud qui l’a utilisé à partir des années 1920. Le premier déni qu’il repère concerne la différence des sexes et plus particulièrement l’absence de pénis chez les femmes. Lorsque les jeunes enfants le constate, ils ont tendance à le dénier, à faire comme s’il n’en était rien. Il note que c’est « un processus qui ne semble être ni rare, ni très dangereux pour la vie psychique de l’enfant, mais qui chez l’adulte serait le point de départ d’une psychose […] » (Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique des sexes, 1925).

Freud, prudent, s’exprime au conditionnel et distingue bien le cas de l’enfant de celui de l’adulte. En effet, la psychopathologie psychanalytique défend l’idée d’une évolution et d’une maturation psychique, si bien qu’un même processus normal et sans conséquence dans le jeune âge, ne l’est plus à l’âge adulte. Un processus d’occultation comme le déni disparaît avec la maturation psychique pour deux raisons : la défense qu’il représente n’a plus besoin d’être, car le problème est en général réglé ; ou bien , si la défense est encore nécessaire, elle est remplacée par d’autres mécanismes plus subtils et moins radicaux. Le déni est, en effet, un procédé grossier, à l’emporte-pièce, classé dans les défenses archaïques.

Depuis, la notion a évoluée, car on s’est aperçus que ce procédé d’éviction est utilisé pour toutes sortes de sujets comme la mort, la grossesse, les actes socialement réprouvés, les addictions, ou la maladie. On considère aujourd’hui que le déni est un mécanisme de défense très répandu qui nie l’existence de ce qui met le psychisme en danger ; il efface de la réalité ce qui gêne. Le déni porte sur des faits, des évènements, des circonstances, des attitudes, des conduites, etc., bref, quelque chose que les autres peuvent constater dans la réalité, mais que la personne concernée considère comme inexistante. Cette exclusion plus ou moins totale d’une partie de la réalité permet l’évitement des conflits qu’elle pourrait provoquer. Pour plus de clarté, il vaudrait mieux utiliser la locution complète de « déni d’un aspect de la réalité ». Le déni ne s’exprime jamais directement, il se traduit par des attitudes ou des actes.

Théorie du déni

Le déni a deux conditions la faiblesse de la fonction qui désigne la réalité et la faiblesse de l’unification psychique par le moi.

La fonction définissant la réalité associe un jugement d’existence (ceci existe ou pas) et une qualification du type d’existence (concrète ou fictive/imaginaire). Tenir compte et apprécier correctement la réalité concrète-objective est le résultat d’un apprentissage. La fonction réalitaire a une genèse qui la rend plus ou moins efficace et solide (résistante) selon le type de personnalité.

Comme on l’a vu le déni est un déni d’existence, mais il est toujours associé au clivage. Ce n’est pas une défaillance générale de la fonction de réalité, mais un dysfonctionnement partiel dans un secteur donné qui est séparé clivé) du reste. Parfois le déni coexiste avec une reconnaissance de ce qui est dénié, mais elle reste sans effet. Les deux aspects coexistent, ne viennent pas se compenser ou se concilier du fait du clivage.

Le déni d’une partie de la réalité se trahit dans les actes ou dans le somatique, car ce qui est dénié ne donne lieu à aucune pensée, ni expression volontaire. Si on interroge la personne (et seulement dans ce cas, car elle n’en parle évidemment pas spontanément) on se heurte à une absence de réponse ou à la négation de ce dont il s’agit. On en déduit un déni, car quelque chose existe dans la réalité, mais n’existe pas pour la personne concernée.

Le déni peut être ancien ou actuel. Il peut y avoir eu un déni dans l’enfance, déni qui persiste et laisse une trace psychique ou bien, le déni peut être actuel et porter sur des faits contemporains. Il peut être installé et constant organisant une vision de la réalité biaisée en permanence. C’est le cas de personnalité psychotiques et intermédiaires (perverses et narcissiques). Ce mécanisme de défense peut toutefois être utilisé transitoirement dans les personnalités névrotiques ou équilibrées, face à une réalité inacceptable. Le déni est parfois partagé par l’entourage, inscrit dans la dynamique familiale et groupale. Il vise à préserver le lien. Les familles font comme si des faits pourtant visibles n’existaient pas.

On le retrouve aussi dans les maladies mentales comme la schizophrénie et les troubles maniaco-dépressifs, car la fonction définissant la réalité y est très perturbée. Le déni sera d’autant plus facile à utiliser.

4. La dénégation

Brève histoire du concept

C’est encore à Freud que l’on doit le concept de dénégation. Il s’aperçoit dans le travail thérapeutique que, lorsque l’amenuisement du refoulement laisse paraître des intentions ou désirs, ils se manifestent dans une pensée qui est aussitôt récusée (non ce n’est pas possible, je ne peux souhaiter cela).

Freud élabore l’idée en 1925 dans un article intitulé La dénégation. Il explique la dénégation comme « une sorte d’admission intellectuelle du refoulé tandis que persiste l’essentiel du refoulement » (Freud Sigmund, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p.137).

La dénégation nie, au sens de refuser. Elle porte aussi bien sur la réalité factuelle que sur des aspects psychiques. Pour l’un et l’autre leur existence est supposée possible, mais pas admise ou elle est fortement minimisée.

Théorie de la dénégation

Si la fonction psychique désignant la réalité résiste et que le refoulement n’est pas utilisé (ou cède) le procédé défensif restant consiste à nier ce dont il s’agit. À la différence du refoulement et du déni, il y a une formulation explicite, mais sous forme de négation. C’est un procédé qui, tout en étant une occultation n’est plus un fonctionnement automatique obscur. Il donne lieu à une formulation consciente, du type « non, je ne pense pas cela ».

La dénégation est une manière de sortir du déni et du refoulement par un procédé moins coûteux sur le plan de l’adaptation. Elle peut les accompagner, puis les remplacer. Si la dénégation se manifeste typiquement dans la psychothérapie comme forme d’émergence du refoulé, on la retrouve constamment employée sous diverses formes dans la vie courante.

La dénégation et déni ne sont pas exclusifs, si bien qu’ils peuvent coexistent. Ainsi, si le déni est partiel, l’existence est vaguement admise en même temps que niée parce que la personne se sent obligée de refuser de dont il est question (par exemple, une grossesse ou une addiction). On a souvent affaire à des formes mixtes.

Dans ces formes défensives mixtes, la personne agit comme si ça n’existait pas et en même temps nie que cela la concerne, et donc admet partiellement que ça existe. Les deux attitudes coexistent sans souci de la contradiction.

5. Aspects cliniques

Les trois mécanismes d’occultation évoqués ci-dessus sont ubiquitaires. On les retrouve à diverses occasions et chez des personnalités différentes. Ils sont souvent associés. Nous allons passer en revue quelque unes des circonstances suscitant leur utilisation.

La mort

La mort est l’occasion la plus largement répandue d’utiliser le déni et la dénégation. La plupart des humains font comme si la mort n’existait pas (déni) ou reconnaissent qu’elle existe, mais n’en tiennent pas compte (dénégation).

Grâce au déni la personne se ressent comme immortelle et agit en conséquence. On le constate dans l’insouciance face à l’avenir, les conduites à risque, le courage face au danger. La personne ne pense pas qu’elle puisse mourir, elle ne se sent pas concernée.

Les religions pratiquent la dénégation en promettant l’immortalité (de l’âme et éventuellement la résurrection de la chair). On reconnaît la mortalité terrestre, mais il existerait une immortalité céleste. Entrer dans les ordres ou devenir très croyant peut être assimilé à un mélange déni-dénégation en acte. Ces actions sous-entendent de gagner l’immortalité.

Le refoulement est aussi utilisé pour tenir à distance la mort. Il concerne l’idée elle-même et les circonstances qui l’évoquent (cadavre, cercueil, cérémonie funèbre). Les représentations et les souvenirs des scènes évoquant la mort sont occultées. Il peut se produire un déplacement qui engendre une phobie (par exemple la phobie des boites, des lieux fermés, car ils évoquent (symboliquement) un cercueil et la mort. Le refoulement peut céder et la personne est alors envahie par l’angoisse.

L’occultation de la mort a un effet positif qui est de protéger de l’angoisse et de permettre de faire des projets. Si on suppose une mort prochaine, ce qui est toujours possible, il est absurde de faire des projets à long terme. Occulter la mort est une façon de vivre.

L’inconvénient du déni complet est de provoquer des conduites inadaptées telles que prises de risques importants ou pour les religieux une résignation en attendant l’au-delà ou inversement des actes sacrificiels violents pour aller au paradis (attentats terroristes).

La différence des sexes

La différence des sexes est un problème pour tout enfant. Elle n’est pas identifiée tout de suite et lorsqu’elle apparaît deux problèmes se posent, celui de la division de l’humanité en deux genres (masculin et féminin) avec deux morphologies anatomiques (mâle et femelle).

Ces différences sont un problème par apport à une première identification de soi qui est indifférenciée. Il se résoudra si l’éducation permet de comprendre et d’élaborer ces différences. Si ce n’est pas le cas une ressource possible est de les occulter.

Le mécanisme le plus souvent employé est le refoulement des représentations liées à la différence anatomique. En général les organes génitaux sont absents, non figurés, il y a une zone neutre ce qui abouti à une représentation consciente angélique d’un corps asexué et non genré. Ce qui est compatible avec la période de latence infantile, mais occasionnera des difficultés par la suite.

Le déni peut être plus spécifique et porter sur le sexe féminin tel qu’il est, ce qui permet de supposer imaginairement que les femmes ont, elles aussi, un pénis. C’est ce qui donne le fétichisme si le déni persiste. L’individu reconnaît la différence de genre, mais il suppose qu’il existe un pénis féminin.

Avec le transsexualisme et le transgenrisme, c’est plus complexe. Dans ces cas la réfutation porte sur le fait qu’il puisse y avoir une relation entre le genre et la constitution biologique. La réalité biologique est déclarée erronée par rapport au genre revendiqué.

L’occultation de la différence homme-femme a pour inconvénient d’empêcher l’adaptation du genre et du sexe biologique, d’entraver la vie sexuelle ou de provoquer des perversions.

L’anorexie essentielle

Par anorexie essentielle, nous désignons les anorexies sans cause organique qui sont massives et de longue durée. Dans ce cas, le déni est massivement utilisé. À la triade caractéristique anorexie, amaigrissement, aménorrhée, on peut ajouter le déni.

Le déni ne porte pas sur le corps qui, au contraire, revêt une place majeure. Il est surveillé et contrôlé en permanence. Le corps fait l’objet d’une vision dysmorphique à mi-chemin entre l’illusion et l’hallucination. Cette perception de soi montre un corps toujours trop gros, toujours trop gras, toujours trop féminin. Pour ce dernier aspect, on rejoint la dénégation de la différence homme femme vu au-dessus.

Le déni porte sur la particularité du comportement alimentaire, sur ses effets morbides, ainsi que sur la bizarrerie de la relation aux autres. Cet ensemble de faits patents pour l’observateur est absent pour l’anorexique. Elle ne demande rien à ce sujet, n’en parle pas et, si on l’interroge semble étonnée et ne voit pas où est le problème.

Une utilisation aussi massive du déni implique une personnalité psychotique ou intermédiaire (limite). La méconnaissance de la gravité de l’état de santé peut aller jusqu’à entraîner la mort. Cette dernière aussi est déniée. Lorsqu’on en évoque la possibilité, cela ne semble pas préoccuper la personne anorexique. On se heurte à un blanc ou à une réponse évasive.

Les addictions

Il s’agit de la consommation de produits sous une forme particulière dite « addictive », c’est-à-dire régulière et irrépressible, qui comporte aussi une relation particulière au produit et aux autres. Nous laisserons de côté les personnalités qui favorisent les addictions pour nous intéresser à leur occultation.

Par moments, l’individu est sous l’emprise de la tendance addictive irrépressible qui lui fait consommer son produit. À ce moment la personne veut soulager une souffrance ou obtenir un plaisir et combler le manque produit par l’habituation. Ensuite, certains addictifs oublient ce moment et ne reconnaissent plus cette tendance comme faisant partie d’eux, ce qui renvoie à une association entre clivage et déni.

La difficulté vient de ce qu’il faut reconnaître quelque chose qui échappe à la volonté, qui n’est pas approuvée et qui fait l’objet d’une réprobation sociale. Il est plus simple de l’occulter. Le processus est renforcé par la réprobation sociale. En occultant son addiction la personne adhère à la norme.

Les maladies

Chez le patient atteint d'une pathologie organique, le déni et la dénégation constituent des stratégies d’évitement de l’angoisse causée par la maladie. Son inconvénient majeur est de retarder le diagnostic et les soins. Par contre, il y a des bénéfices.

Des études ont montré en cas de maladie coronarienne l’aspect positif à court terme. En effet, les effets délétères de l’angoisse chez les patients coronariens sont nets, et le déni constitue un mécanisme d'adaptation efficace.

Pour les cancers, l’occultation diminue le risque de trouble anxieux et de dépression. Par contre, les recherches menées en psycho-oncologie n'ont pas montré d’effet favorable sur l'évolution des patients cancéreux.

Avec les maladies mentales, c'est plus complexe. Dans les cas graves, le déni est généralisé. La personne, sans distance et envahie par ses symptômes, ne se reconnaît pas comme malade. La distorsion dans la perception de la réalité est importante si bien qu’elle peut facilement être négligée ou considérée comme moins importante que le vécu délirant.

La maladie des proches, qu’elle soit mentale ou organique, est parfois minimisée et occultée. Elle est considérée comme pas grave, on n’en tient pas compte, on ne veut pas les voir.

Le déni de la maladie vient aussi, parfois, du médecin ce qui occasionne des erreurs ou retards de diagnostic. C’est le cas de maladies rares ou mal connues ou à la symptomatologie trompeuse. Tout récemment les covids longs étaient niés ou minimisés.

La grossesse

On appelle, à tort, déni de grossesse la découverte tardive d’une grossesse non déclarée. Dans la classification internationale des maladies (CIM) et la classification des troubles mentaux (DSM) l’ignorance de la grossesse se trouve dans la catégorie ds troubles « non classés par ailleurs ». Le débat est en cours concernant la terminologie. Le déni de grossesse (denial pregnancy) pourrait être requalifié en négation de grossesse (negated pregnancy) qui serait complète (déni inconscient) ou incomplète (grossesse reconnue, mais négligée ou dissimulée).

Si on en reste à une définition assez grossière, d'après une étude de P. Salon et G. Nivard (2019), l’ignorance de la grossesse survient chez deux femmes enceintes sur 1000, ce qui est peu, mais pas négligeable, car une pathologie dite rare touche cinq cas sur 10 000.

D’un point de vue clinique, on a affaire à un panel d’attitudes qui vont de la négligence, à la dissimulation, jusqu’à l’ignorance complète, attitudes qui mettent en jeu les mécanismes psychiques du déni et de la dénégation.

La dissimulation volontaire suppose une connaissance au moins partielle de la grossesse. Elle est liée à une cause sociale. La patiente sait que sa grossesse serait réprouvée par l’entourage et lui vaudrait de la réprobation et parfois un rejet violent.

La négligence-dénégation de grossesse est associée se retrouve plutôt chez les personnalités névrotiques. Les signes de grossesse sont minimisés banalisés, attribués à d’autres causes. La femme vient consulter pour autre chose et la découverte de la grossesse se fait à cette occasion.

Le déni complet est lié à une personnalité psychotique ou intermédiaire (limite). La méconnaissance de la grossesse est totale et les signes peuvent être absents. Deux cas se présentent soit une découverte intercurrente, soit une découverte lors de l’accouchement.

Les actes occultés

On laissera de côté les actions commises volontairement et couvertes par le mensonge pour se limiter au cas d’un individu qui, commettant un acte réprouvé, utilise ensuite la dénégation et le déni qui sera favorisé par la pression sociale qui un rôle sur la perception de soi.

Si à un moment donné une tendance de la personnalité fait effectuer une action et que par la suite une autre tendance de la personnalité prend le dessus, cette action paraîtra étrangère, il ne la reconnaîtra pas comme sienne.

Deux attitudes sont possibles. L’action peut être minimisée et faire l’objet d’une dénégation par des allégations comme « ce n'est pas moi, c’est pas grave, je ne m’en souviens pas ». Elle peut aussi faire l’objet d’un déni, être gommée, si la personnalité se clive.

L’occultation touche aussi les autres et leurs attitudes qui font l’objet d’une cécité par un mélange de déni et de dénégation. On trouve ces cas dans le harcèlement ou les incestes. Ici, ce n’est pas l’individu concerné, mais son entourage qui dénie. Dans un certain nombre de cas, parents ou éducateurs ne tiennent pas compte des plaintes des enfants harcelés ou abusés.

Jusqu’à récemment les plaintes des enfants victimes de harcèlement étaient minimisées et laissées de côté. Il a fallu une campagne d’information pour lutter contre ce phénomène. Les adultes se sentent mis en danger et dénient la situation. L’enfant n’a pas de réponse, il rencontre un blanc, un vide qui est très perturbant, car il perd ses repères et la confiance en l’adulte.

6. Quelle attitude face à l'occultation ?

Pour finir nous allons évoquer brièvement la difficulté du praticien face à ces manifestations d'occultation. Devant la diversité des situations et des types de personnalité concernés, il est bien difficile de donner une conduite à tenir. Cependant, dans la plupart des cas, il y a une nécessité d’agir. Le praticien consulté ne peut rester inactif, car la santé somatique et psychique sont souvent menacées. Mais ceci n'a rien d'évident.

Face aux mécanismes d’occultation, se pose le difficile problème de soupçonner quelque chose qui se manifeste indirectement, mais est nié, ne fait l’objet d’aucune demande, ni d’aucune plainte. On est devant du négatif, du non conscient, que le patient ne souhaite pas aborder. 

De plus, les conditions pour une action utile sont contradictoires. En effet, les occultations sont des mécanismes de défense qui ont une fonction. Tenter de forcer une défense la renforce, engendre éventuellement une contre-attaque et/ou la fuite et peut provoquer une décompensation. La prudence s’impose. Cependant, il n’est pas possible de ménager la défense si elle provoque des dommages importants.

L’attitude dépend des circonstances. Le plus souvent, il est nécessaire d’attester de la réalité absente pour la personne, sans la lui imposer. Il est également important de favoriser l'unification et de tenter de faire accepter à la personne la partie rejetée et clivée, ce qui demande du temps. Enfin, il convient d'éviter de représenter le censeur celui qui réprouve, accuse, ce qui renforce la défense.

 

Bibliographie

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