Revue philosophique

La personnalité obsessionnelle

 

Les obsessions ou troubles obsessionnels compulsifs ne sont que des symptômes. Ils peuvent être rencontrés dans toutes les sphères de la psychopathologie. Dans cet article, nous ne nous intéresserons pas aux symptômes obsessionnels, mais à la personnalité obsessionnelle en tant qu'elle forme un tout et rentre dans la catégorie des personnalités névrotiques.

 

Pour citer cet article :

Juignet, Patrick. La personnalité obsessionnelle. Philosophie, science et société. 2021. https://philosciences.com/personnalite-obsessionnelle.


Plan :


  1. Un peu d'histoire
  2. Description clinique
  3. Théorisation psychopathologique
  4. Diagnostic différentiel

 

1. Un peu d'histoire

Avant que les obsessions ne soient clairement définies, il est difficile de savoir ce que les auteurs évoquaient sous les termes de folie du doute, ou folie du toucher, ou de monomanie. Il est possible, mais peu probable, que ces appellations recouvrent les obsessions au sens actuel.

C'est au médecin Jules Bernard Luys que l'on doit le terme d'obsession, qu'il a utilisé dans un ouvrage de 1883 « Des obsessions pathologiques ».

Avec Sigmund Freud, l'affiliation des obsessions aux névroses ou au psychonévroses de défense est évoqué vers 1895-96. Il déclare :

« à côté de l'hystérie, j'ai trouvé raison de placer la névrose obsessionnelle (Zwangsneurose) comme affection autonome et indépendante, bien que la plupart des auteurs rangent les obsessions parmi les syndromes de dégénérescence ou la confondent avec la neurasthénie » (L'hérédité dans l'étiologie des névroses). 

À partir de son travail, elles seront rattachées aux névroses. Ces dernières en se référant aux travaux de Pierre Janet ou de Sigmund Freud sont plutôt considérées comme des maladies de la personnalité plutôt que des affections nerveuses. « Les névroses sont des maladies de la personnalité caractérisées par des conflits intra-psychiques qui inhibent les conduites sociales » (Ey H., Brisset B., Manuel de psychiatrie, p. 415).

« La névrose obsessionnelle définit par le caractère forcé (compulsionnel) des sentiments ou des conduites qui s'imposent au sujet et l'entraînent dans une lutte inépuisable, sans qu'il cesse pourtant de considérer lui-même ce parasitisme incoercible comme dérisoire....La névrose obsessionnelle doit se définir aussi par la structure propre de la personne de l'obsédé entièrement soumise aux obligations qui lui interdisent d'être lui-même » (Ibid, p. 484).  

L'approche proposée dans cet article se situe dans le courant de la psychopathologie dynamique (psychanalytique) et le terme «personnalité obsessionnelle » désigne une forme d’organisation psychique.

2. Description clinique

L’enfance

L’existence de rites (alimentaires, du coucher) est quasi constante vers trois ans et n’annonce en rien une organisation obsessionnelle de la personnalité. Les premières manifestations d’une telle orientation psychologique sont diverses et peu caractéristiques. Elles apparaissent en général vers six ou sept ans ou plus tard, à la fin de la période de latence. Les manifestations précoces sont difficiles à discerner car la latence normale entre six et douze ans fait apparaître maîtrise, propreté, méticulosité. On trouve quelques rites (du coucher, de l’alimentation, de la défécation) quelques idées obsédantes (de la mort). Mais les manifestations peuvent être diverses : somatisations, phobies, difficultés d’attention. On trouve aussi des obsessions stables et assez caractéristiques (crainte de la mort d’un parent) mais qui parfois passent inaperçues car l’enfant ne s’en plaint pas.

La famille est classique, mais elle prodigue une éducation rigide et elle est telle qu’il se crée un lien privilégié entre la mère et le garçon. La timidité de l’enfant, son sérieux, rendent les relations avec les camarades parfois pénibles. En particulier, la difficulté de ces enfants à se défendre (du fait de l’inhibition de l’agressivité) et leur intérêt intellectuel marqué (au détriment des activités physiques) les isolent du groupe et les rendent vulnérables. Cela peut entraîner secondairement un refus scolaire, car l’enfant souffre d’être mis à l’écart ou d’être le souffre douleur de certains camarades agressifs et violents.

Cet ensemble prend un aspect caractéristique à la puberté. On note, à ce moment, des préoccupations métaphysiques et des aspirations religieuses. La religiosité correspond bien à l’attitude scrupuleuse, à la rigidité de conduite et de principes qui s’installe. Les résultats scolaires peuvent être grevés par la recherche de perfection qui aboutit à rendre la tâche impossible.

Le caractère

À l'âge adulte le caractère s'affirme. La distance polie est le propre de l’obsessionnel. Il se présente dans une attitude un peu raide et formelle, avec une sorte de neutralité affective. L’obsessionnel est froid, distant et rigide. Le personnage est routinier et sans enthousiasme. Obstiné, il poursuit ses buts avec entêtement car il a des difficultés à abandonner, à changer, à se séparer. Il est volontiers avare et collectionneur. Avec parfois une rare prodigalité paradoxale.

L’agressivité en général très inhibée ne peut s’exprimer directement. Par contre, elle trouve des voies détournées et se manifeste par la tendance à chicaner, à faire des problèmes, à ennuyer les autres et donne quelques conduites discordantes comme la maintenance d’un « coin sale » et désordonné, des retards répétés, du sadisme envers un animal, etc.

Parfois l'agressivité se manifeste de manière plus directe par des grossièretés, une rébellion contre l'autorité, Ces attitudes contrastent fortement avec l’apparence habituelle du sujet. On retrouve souvent une tendance à « emmerder » les autres, à faire souffrir par des attitudes dévalorisantes.

Chez les hommes, on constate des aspects féminins, un maniérisme. L’obsessionnel a des doutes, des crises de conscience, il est assez souvent scrupuleux et inhibé sexuellement.

Ces différents traits de caractère se composent et s’articulent diversement selon les personnes. Parfois domine nettement le côté inhibition, politesse, obséquiosité, maniérisme. Parfois le côté actif sadique, sale et grossier prend plus d’importance .

Les conduites

L'obsessionnel est efficace grâce à sa précision, sa ponctualité, son obstination. Cette efficacité est diminuée, voire totalement invalidée, lorsqu’il y a un excès de méticulosité ou de doute. L’insertion sociale est satisfaisante. Vis-à-vis des autres, il n’y a pas de séduction, mais une distance, un retrait. Il a du mal à s’engager sur le plan amical et amoureux, hésite beaucoup. Par contre, il est tenace et fidèle.

La sexualité est ritualisée et pauvre avec des fantasmes sadomasochistes, sodomie, homosexualité. Il a en général une méconnaissance de son état et du mode de relation qu’il institue. Il vit dans ses rationalisations et ses opinions toutes faites sur lui et les autres. Les décompensations dépressives et les symptômes obsédants sont par contre perçus comme morbides.

Les obsessions proprement dites

Le terme obsession dérive du latin obsidere qui signifie assiéger. Il s’agit d’une mentalisation involontaire qui persiste et s’impose malgré les efforts pour la repousser. Il peut s’agir d’une idée abstraite, de chiffres, d’une image désagréable, d’un objet ou d’un projet d’un scénario désagréable (être mangé par les rats).

Paul Guiraut vers 1950-1956 parle d'une « irruption dans la pensée consciente d'un sentiment, d'une idée, d'une tendance, apparaissant au malade comme un phénomène morbide .... et qui persiste malgré tout ses efforts pour s'en débarrasser » (Guiraut P., Psychiatrie clinique, p. 93). 

Les obsessions sont des pensées s'imposant de manière itérative. La personne peut avoir l'idée d'une contamination par des microbes, des virus, des germes, ou autres saleté. Cette pensée revient dans de nombreuses circonstances de manière motivée ou immotivée. Dans les espace publics, elle est motivée par la présence supposée de germes lorsqu'il faut avoir un contact avec des choses ou avec des personnes.

De manière non motivée, elle surgit spontanément lorsque la personne est à son domicile et repasse le film de ses activités pour vérifier s'il n'y a pas eu contamination. Autour de l'idée centrale se forme une constellation de pensées. Dans le cas présent autour de l'idée de contamination sont évoquées les diverses formes et possibilités qu'elle peut prendre, les diverses conséquences possibles (maladies) et les conduites à tenir pour l'éviter, ce qui donnera lieu à des actes plus ou moins compulsifs (voir après).      

Les obsessions ont souvent un rapport avec la perte. Ces aspects mentaux sont impossibles à chasser mais ils provoquent une anxiété modérée. Il n’y a pas d’évitement possible. Parmi les plus typiques, on peut citer les obsessions impulsives qui consistent dans la peur de faire un acte comme agresser, injurier, tenir des propos scatologiques, commettre un péché.

Les actes compulsifs et les rituels

Ce sont des actes que le patient se sent contraint de faire. Le terme compulsif vient du latin cumpulsum qui signifie contrainte. Ces actions sont vécues comme une contrainte, quelque chose qui s’impose. On trouve les rites, qui sont des activités réglées, parfois d’apparence volontaire, mais qui sont en fait incoercibles.

Ces activités ont un déroulement identique et elles sont répétitives. Elles servent à anesthésier l’existence ou/et à lutter contre les obsessions. Les rites peuvent être mentaux : récitation de séries de mots de chiffres de prières conjuratoires ou comportementaux : suites d’actes précis et de vérifications. Les tics sont des actes avortés, réduits et automatisés.

L’évolution

L’obsessionnel peut rester indéfiniment égal à lui même. Il vit dans ses rationalisations et ses opinions toutes faites, sur lui et sur les autres. Une décompensation dépressive peut survenir lorsque le système protecteur s'écroule suite à un changement important (déménagement, rupture sentimentale, mort d’un proche). Les états dépressifs sont perçus comme morbides et donnent lieu à une demande de soin.

Au cours du vieillissement, on assiste à une recrudescence des obsessions. Elles deviennent plus fortes et plus assiégeantes. Devant les conséquences fâcheuses (perte d’efficacité, risque d’être découvert par les autres), une angoisse se fait jour et le sujet est enclin à admettre le caractère pathologique de ses symptômes. Le sujet a tendance à mener une vie de plus en plus routinière et stéréotypée qui le met à l’abri de l'angoisse ; mais en contre-coup, une tendance dépressive peut s'installer du fait de l'appauvrissement du quotidien.

3. Théorisation psychopathologique

Chez l’obsessionnel, les effets conjugués de la lutte contre les tendances œdipiennes et la faiblesse de la dynamique phallique ont favorisé une stagnation évolutive et une régression vers le stade anal.

La castration et l’œdipe

Dans l'enfance, l'insuffisance de liens positifs avec le parent du même sexe n'a pas permis une élaboration favorable de la jalousie provoquée par la situation œdipienne. En général, il s’agit d’une mère trop aimante pour son garçon et d'un père peu présent ou distant. La haine contre le père provoque une angoisse (dite de castration), ce qui explique que la névrose obsessionnelle soit plus fréquemment masculine. Selon une formule classique, l'obsessionnel est "le garçon trop aimé d’une mère insatisfaite". L’identification au père est partiellement compromise et l’imago paternelle reste effrayante. Le ratage partiel de l’œdipe donne des tendances féminines et homosexuelles, elles-mêmes refoulées. Il persiste une culpabilité importante du fait du lien incestueux inconscient.

La régression anale

La régression vers le stade anal infiltre ensuite toute la personnalité, soit directement, soit indirectement par la lutte qu’elle engendre. La régression anale constitue un dérivatif aux tentations incestueuses, mais elle est elle-même très conflictualisée. Les pulsions libidinales se portent vers la défécation et les pulsions agressives sont exacerbées par le conflit propre à cette période. La structure fantasmatique de l’obsessionnel vient de l’assimilation de quatre types d’actions : agresser, manipuler, maîtriser, posséder, qui existent également sous leurs formes inversées (être agressé, manipulé, maîtrisé, dépossédé). Elles s’ordonnent selon deux grands systèmes : actif/passif et sadique/masochiste.

L’analité en tant que stade spécifique provoque une exacerbation et une confusion entre les pulsions agressives et libidinales. La structure fantasmatique provoque une ambivalence, un sado/masochisme, une alternance rétention/lâchage et un attrait coprophilique direct ou dénié. L’objet sexuel a un caractère « partiel » très marqué. Les conséquences sont assez simples : une importance des pulsions agressives, une orientation anale des pulsions libidinales et la lutte contre ces tendances par le surmoi et le moi. La plupart des traits de caractère et des symptômes résultent directement de ce conflit.

Les défenses du moi

La structure psychique présente comme particularités remarquables d’avoir un moi très actif qui utilise de nombreux mécanismes de défense. Outre le refoulement, on trouve chez l’obsessionnel des procédés complexes, comme la formation réactionnelle, l’annulation, l’isolation et l’évitement préventif.

La formation réactionnelle développe une tendance contraire à celle qui est réprouvée. Ce mécanisme produit l’investissement d’un ensemble de complexité variable (attitudes, conceptions, valeurs) qui contrebalance les aspects de l’organisation pulsionnelle refusée par le surmoi. La formation réactionnelle est un procédé très efficace, en partie conscient, qui complète le refoulement. La représentation de la pulsion réprouvée, mais aussi le reproche la concernant, sont refoulés et l’investissement se porte sur les vertus contraires. Formation substitutive (à l’aide d’un équivalent pulsionnel) et formation de compromis (permettant une satisfaction pulsionnelle) se mélangent régulièrement à la formation réactionnelle.

Les traits de caractère résultent des formations réactionnelles mises en place pour lutter contre le sadisme et l’analité. Ainsi la tendance à salir est remplacée par une tendance à la propreté, à la méticulosité, au soin. Le sadisme et la cruauté sont remplacés par la douceur, le respect, la pitié et la charité. Le déplacement est également très utilisé, et ainsi la rétention donne lieu au collectionnisme ou à l’avarice.

L’évitement, qui vise à empêcher toute mentalisation, l’annulation rétroactive qui permet de croire qu’il ne s’est rien passé, sont également utilisés. Dans l’ensemble, les divers mécanismes aboutissent à inhiber tout mouvement psychique, soit directement (refoulement, isolation), soit en abolissant ce qui pourrait en susciter un, par le biais mental (évitement préventif, annulation), soit sur le plan environnemental (vie réglée et ritualisée). Un certain nombre de symptômes (les rituels, les actes compulsifs) sans être des défenses proprement dites, jouent un rôle défensif. Chez l’obsessionnel, le moi devance constamment le surmoi et prend une part très importante dans la lutte contre le ça. Le moi joue un rôle de barrière afin d’éviter que l’organisation pulsionnelle puisse se manifester dans les conduites ou dans la mentalisation. Il évite ainsi un conflit direct entre le ça et le surmoi.

La formation du symptôme

Les différents symptômes, représentations obsédantes et actes forcés ont une explication psychopathologique commune. Ces symptômes permettent à l’organisation pulsionnelle de fonctionner dans le sens du principe de plaisir, même si il n’y a pas de satisfaction directe ressentie. Les pulsions s’organisent autour de représentations sadiques-anales. Une liaison s’opère entre sexualité adulte et forme régressive, liaison qui donne une force pulsionnelle plus grande.

Nous ne dirons pas avec Freud que « l’onanisme réprimé se fraye un chemin sous la forme des actions compulsives, une voie qui le rapproche sans cesse de la satisfaction », mais plutôt que l'investissement libidinal de schèmes régressifs associé à des mécanismes défensifs pousse à des actions compulsives. La forme même des symptômes compulsifs est très évocatrice généralement après un refus ou une période de calme, ils deviennent irrépressibles. Après avoir été effectués, il s’ensuit une satisfaction sous forme d’un apaisement. Cette séquence est typique d’une poussée pulsionnelle. Le refoulement, l’inversion, ou le déplacement du projet anal ou agressif, donnent les différents types d’obsessions et compulsions.

Si l’on entre dans le détail, l’explication des obsessions et les actes compulsifs est propre à chaque cas.

4. Diagnostic différentiel

Nous avons tenté de décrire ici une forme globale d’organisation de la personnalité de type névrotique. Il existe aussi des personnalités psychotiques qui prennent la même allure clinique et avec lesquelles il ne faut pas les confondre. En effet, les défenses caractérielles de type obsessionnelle sont un rempart efficace contre les débordements psychotiques. Comment les différencier ?

Le caractère est dans le cas des personnalités psychotiques encore plus rigide. La différence la plus significative vient aux conduites déréalisantes et inadaptées qui émergent par moment et à l'agressivité qui est plus directe. Les obsessions deviennent des préoccupations constantes et intenses. Elles ne sont pas considérées comme étranges et pathologiques, mais comme légitimes (par exemple l'avarice serait une saine gestion, le racisme une légitime défense, la jalousie une surveillance utile).   

 

Voir aussi : Le concept de personnalité en psychopathologie.

 

Bibliographie

Ey H., Brisset B., Manuel de psychiatrie, Paris, Masson 1974.

Freud S. (1896),  L'hérédité dans l'étiologie des névroses, Névrose psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 47-60.   

Guiraut P., Psychiatrie clinique, Paris, Libraire Le François, 1956.

Luys J.B., Des Obsessions pathologiques. Paris, J.-B. Baillière, 1883.