Revue philosophique

 Méthode diagnostique en psychiatrie psychopathologie

 

Comment se repérer en psychiatrie et psychopathologie ? Les classifications psychiatriques traditionnelles ont été délaissées et supplantées par les catalogues empiriques et statistiques que sont le DSM et la CIM. Nous proposons ici une méthode fondée sur l'étiologie (mettant en avant la principale détermination des tableaux décrits cliniquement).

 

Pour citer cet article :

Juignet Patrick. Méthode diagnostique en psychiatrie et psychopathologie. Philosophie, science et société. 2015. https://philosciences.com/160.

 

Plan de l'article :


  • 1. Rappel sur les dissensions doctrinaires en psychopathologie
  • 2. Des distinctions utiles et nécessaires en psychopathologie
  • 3. Le psychisme, lieu de convergence
  • 4. Un repérage possible en psychopathologie
  • Conclusion : des distinctions utiles pour comprendre la diversité humaine

 

Texte intégral :

1. Rappel sur les dissensions doctrinaires en psychopathologie

Histoire d'un repérage

Le premier mode de repérage en médecine a d’abord été descriptif et nosologique. Déterminer l’étiologie (la cause de la maladie) est devenu une exigence scientifique de la médecine à partir du XIXe siècle. Dès ce moment de l’histoire de la pensée, on ne s’est plus contenté de tableaux cliniques repris dans une classification pour identifier un trouble morbide. On a exigé de trouver des causes aux maladies et cette détermination causale est devenue partie intégrante de leur définition appelée l'étiologie.

Au XXe siècle, la psychiatrie a tenté de décrire et d’ordonner progressivement, de manière empirique et par petites touches, le domaine de la pathologie mentale, au premier abord opaque, en proposant des tableaux cliniques cohérents. L’effort nosologique consistait à identifier les entités cliniques par leurs caractéristiques stables en les distinguant les unes des autres par leurs différences et en essayant de les relier à une étiopathogénie supposée. La classification ainsi établie a été opérante et elle a fonctionné pendant quasiment un siècle en Europe.

Citons Bernard Brusset à ce sujet :

« La clinique médicale s'est constituée par la codification de symptômes, mais aussi par l'induction d'un trouble sous-jacent. Cette référence explicative ne coïncide pas nécessairement avec un diagnostic étiologique, mais en définit la place et celle-ci permet d'introduire un ordre logique en contrepoint de l'accumulation infinie de syndromes hétérogènes qui résulterait fatalement d'un simple repérage empirique des groupements de signes.

Le médecin apprend en fonction d'un savoir qui comporte cette double dimension de la sémiologie et de l'étiopathogénie. Celles-ci, dans des rapports multiples et changeants, progressent l'une à partir de l'autre en même temps qu'elles font progresser la connaissance de l'état normal.

Cette polarité double, qui permet de distinguer un simple répertoire d'une classification logiquement fondée, prend en psychiatrie des modalités particulières mais elle reste tout à fait centrale » (Brusset B., Diagnostic en psychiatrie et psychopathologie, in Traité de psychopathologie, Paris, PUF, 1994, p. 65).

Un problème persiste : la perspective étiologique est certes reconnue, mais elle reste floue et partiellement mise de côté, faute de données irréfutables. Le principal conflit a opposé les partisans des causes biologiques à ceux évoquant des causes psychologiques et relationnelles.

À ce conflit a répondu l’arbitrage d’une pure empiricité, proposé dans les dernières moutures du Diagnostic and Statistical Manual (versions IV et V) et la Classification Internationale des Maladies et des problèmes de santé connexes (International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems, dite encore CIM 10). Cette solution renonce à s’appuyer sur la cause des troubles (l’aspect étiologique).

Pour le DSM, le critère est empirique et statistique. C’est sur la fréquence de la présence simultanée des symptômes que s’établit le diagnostic. Il s’y ajoute la perspective pharmacologique qui prend comme critère les effets cibles des divers médicaments. La réponse positive d’un ensemble symptomatique à tel médicament sera considérée comme un critère classificatoire. Il faut aussi rappeler la visée administrative et épidémiologique de cette entreprise qui a son utilité, mais la décentre d'une recherche s'intéressant spécifiquement à la connaissance la pathologie psychique.   

Notons, concernant ces évolutions, que les termes actuellement employés de « névrose » et « psychose » ont un sens qui a varié contradictoirement avec leur étymologie. Comme leurs noms l’indiquent, la névrose était une affection nerveuse et la psychose une maladie mentale (de la psyché). On doit à Ernst von Feuchtersleben (1845) la paternité du terme de psychose. Il s’agit pour cet auteur d’une « maladie de l’esprit » (Seelenkrankheit), par opposition aux névroses, maladies nerveuses, précédemment définies comme maladies « du sentiment ou du mouvement qui sont sans fièvre » par William Cullen, en 1776.

Ainsi, s’est créée une opposition entre psychose et névrose, mais elle s’est curieusement inversée au XXe siècle suite à la prise en compte des travaux psychanalytiques. Surtout, elle a pris une ampleur considérable sous la forme de l'opposition entre deux structures psychiques fondamentales. De plus, le terme psychose désigne aussi des troubles graves et déréalisants considérés, soit comme des états transitoires, soit comme des maladies graves à l’instar de la schizophrénie ou des troubles bipolaires.

Cependant, le DSM et la CIM utilisent peu les vocables de « névrose » et de « psychose » et répartissent ces deux affections entre les troubles dissociatifs et les troubles de l’humeur. Cette ambiguïté terminologique est un facteur de confusion majeure. Des termes aussi fondamentaux que névrose et psychose ont un sens flou et contradictoire. Ils sont tributaires d’évolutions théoriques contradictoires, c’est pourquoi il est nécessaire en psychopathologie de préciser le sens dans lequel on les emploie, car il n’est pas le même pour tous.

De nos jours, trois grandes tendances s'affrontent :

- La tendance se prétendant non théorique qui met de côté le problème étiologique pour se limiter à une description classificatoire. Les classes sont fondées sur des récurrences statistiquement vérifiées, elles sont construites logiquement et contiennent de préférence des critères pathognomoniques. C’est ce qui a donné le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, devenu une référence mondiale.

- La tendance naturaliste et biologisante pour laquelle à tout syndrome psychopathologique correspond un dysfonctionnement neurobiologique (identifié ou qui le sera un jour). Cette tendance est représentée par le courant des neurosciences, de la neuropsychologie, de la psychiatrie biologique et de la psychopharmacologie.

- La tendance psychologique, psychanalytique et culturaliste qui est éparpillée entre de nombreuses écoles concurrentes. Parmi celles-ci, le courant de psychopathologie issu de la psychanalyse s'oppose à la réduction biologisante de l’humain et prend en compte la force des interactions affectives relationnelles dans la psychopathologie.

Au total, il n’y a pas de repérage communément admis en psychopathologie, ce qui est l'indice d'une connaissance incertaine et divisée. Face aux oppositions doctrinales actuellement prévalentes, notre propos se veut pluraliste et synthétique en même temps que fermement arrimé au courant psychopathologique au sens strict, c'est-à-dire qui exige l'établissement d'une explication étiopathogénique.

Nous voulons dire par là qu'il y a des déterminations à l'œuvre dans la pathologie psychique et que c'est en s'appuyant sur la mise en évidence de ces déterminations que l'on peut concevoir un repérage efficace (et non par une simple description classificatoire). Le terme étiopathogénique combine les deux exigences : celle de l'étiologie qui concerne les facteurs à l'origine de la pathologie et sa genèse, c'est-à-dire le processus qui la produit.

Notre proposition de repérage est fondée sur l’idée que l’Homme est pourvu d’un psychisme au sein duquel se cumulent et interagissent des influences à la fois biologiques, relationnelles directes (familiales, de l'entourage) et plus généralement socioculturelles. Dans ce cadre, la psychopathologie décrit et explique les manifestations du psychisme, en particulier dans leurs formes pathologiques, tout en les ramenant à diverses causes étiologiques : neurobiologiques, relationnelles et socioculturelles.

Le psychisme humain évolue et se façonne au cours de l’histoire individuelle, ce qui aboutit à former la personnalité de chacun. Nous défendons une approche pluraliste et hiérarchisée qui associe les facteurs relationnels, neurobiologiques et socioculturels dans une visée intégrative qui permet de prendre en compte la personne entière. On remarquera que nous n'apportons rien de nouveau par ce travail, mais proposons une approche harmonisant des savoirs existants - mais disjoints - pour des raisons d'opposition doctrinaire et idéologique. La psychiatrie se doit de prendre en compte les divers types de recherches utiles pour comprendre l'humain et la pathologie psychique qui l'affecte.

Nous allons exposer une méthode permettant de se repérer dans l'immense continent que constituent les différentes formes de la personnalité humaine et ses nombreuses déviations pathologiques qui ont diverses origines. Repérage indispensable pour établir un diagnostic, ce qui est absolument nécessaire à une pratique adaptée et efficace.

2. Des distinctions utiles et nécessaires en psychopathologie

Les termes de  « folie » et de « maladie mentale » sont des notions valises inappropriées qui donnent à croire faussement qu'il y aurait une unité de la psychopathologie. Il y a, tout au contraire, une diversité des déviations pathologiques du fonctionnement psychique humain, déviations qui ont des origines diverses et parfois cumulatives, de types biologiques, familiales et relationnelles et enfin culturelles et sociales.

La psychopathologie cherche à expliquer la pathologie psychique. Cette explication passe par la recherche de causes ou au moins de conditions déterminantes. Si l’on distingue les influences biologiques des influences psychologiques et celles proprement socioculturelles, la question des conditions déterminantes de la psychologie humaine et de sa pathologie peut être abordée en se demandant lequel de ces facteurs est en cause et quel est celui qui a une influence prépondérante.

Chaque individu intègre les données sociales ainsi que les normes culturelles et les traite de manière dynamique au sein du psychisme qui est lui-même une entité mixte combinant les deux niveaux, neurobiologique et psychologique (cognitif et représentationnel). Par psychologique, on entend donc ici les aspects relationnels présents et passés qui sont mémorisés et traités sur le plan de leurs représentations par des processus cognitifs (rationnels et irrationnels).

On aura donc, en considérant ces facteurs, si ce n'est une étiologie rigoureusement définie, tout au moins une orientation étiologique intéressante et utile en pratique.

Presque toutes les conduites humaines font l’objet de plusieurs déterminations simultanées, ce qui est une difficulté. Cependant, l'expérience montre qu'il y a, la plupart du temps, un primum movens, une détermination plus forte que les autres. Il y a, de manière certaine, une multidétermination dans la pathologie psychique, mais, du fait de notre incapacité à les prendre toutes en compte, il est utile d'évaluer celle qui compte le plus.

C'est là que se réintroduit l'exigence étiopathogénique sous une forme assouplie et hiérarchisée. Globalement, la personnalité, vue sous l'angle du psychisme, génère les manifestations caractérielles et symptomatiques observées cliniquement. Mais, comme le psychisme offre un modèle vaste et synthétique, c'est insuffisant pour organiser l'ensemble des traits cliniques. À des fins de simplification pratique, il faut spécifier certains facteurs tels que des modifications neurobiologiques et les facteurs socioculturels qui interviennent parfois massivement.

Selon le cas, les facteurs relationnels, ou socioculturels, ou neurobiologiques, peuvent être considérés comme prépondérants. Cette évaluation du déterminant le plus puissant se fait par un jugement porté en fonction des connaissances admises. C’est cette évaluation qui nous sert pour proposer des catégories psychopathologiques, ce qui conduit à considérer :

1. Les formes d’organisation de la personnalité. Nous considérons que les événements de la vie relationnelle et les interactions avec l’entourage sont prépondérants pour expliquer la genèse de la personnalité et de ses dysfonctionnements pathologiques.

2. Les maladies à facteurs multiples dans lesquelles il y a une prépondérance du facteur neurobiologique, ce qui est corroboré par une influence génétique actuellement reconnue et démontrée.

3. Les personnalités sur lesquelles les facteurs socioculturels ont joué de manière prépondérante pour engendrer un dysfonctionnement et qui le manifestent par des comportements antisociaux.

Il est certain que tous les facteurs se cumulent constamment, mais, dans la mesure où nous ne sommes pas omniscients, il faut évaluer ceux qui sont prépondérants pour comprendre et agir. Cela revient à hiérarchiser les déterminations en fonction de leur importance supposée. Il y a un enjeu pratique. Pour avoir une action efficace, il faut mettre en œuvre une technique adaptée. Si l’on traite un facteur accessoire, on n’obtiendra aucun résultat, et on risque même de nuire au sujet. Dit brièvement si le trouble dépend d'un désordre neurobiologique ou d'un conflit psychologique, le traitement ne peut pas être le même.  

Désigner un type de causes principales, un primum movens, ne veut pas dire que l’on élimine les autres causes moins prégnantes, mais que l’on désigne celle qui agit le plus massivement et, par conséquent, celle sur laquelle il est nécessaire de faire porter préférentiellement l’action thérapeutique. La détermination principale répond à deux exigences complémentaires, étiologique et thérapeutique. L’affirmation d’un ensemble de causes principales doit être prudente, car elle se fait au vu d’un faisceau d’arguments.

Le primum movens est un concept assez complexe, car, en plus des quatre cas vus au-dessus, pour comprendre les déterminations qui jouent un rôle en psychopathologie, on doit tenir compte des oppositions inné/acquis, interactif/autonome. Inné veut dire que la composante génétique (héréditaire, transmise ou survenue par mutation) joue fortement, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de conduites uniquement acquises pendant la vie. Interactif indique une détermination venue de l’environnement relationnel et social, alors qu’autonome signifie que la dynamique est propre à l'individu et que l’interaction ne joue pas de rôle.

Mais, de plus, les aspects relationnels interactifs dont il faut tenir compte ont deux aspects. Il y a les interactions relationnelles répétées et continues qui ont eu lieu au cours de l’enfance et produisent des effets à long terme ; il y a les interactions courtes et transitoires qui produisent des réactions limitées dans le temps. Les interactions effectives concernent l’environnement familial et social. C’est la combinaison nuancée de ces différents aspects qui va permettre de désigner le contexte étiologique pertinent.

En psychopathologie, nous sommes dans des situations d’une grande complexité dont l'explication demande à combiner plusieurs facteurs, mais aussi, de faire un choix pour désigner ce qui est le plus efficient.

3. Le psychisme, lieu de convergence

Mettre le psychisme en avant

Le psychisme est d’abord et avant tout un modèle explicatif global : il est nécessaire à expliquer la clinique, mais on ne se prononce pas sur son statut ontologique. Il se place en tant qu’intermédiaire synthétisant toutes les influences qu’elles soient biologiques, cognitives, représentationnelles ou sociales. C’est cette situation du psychisme comme synthèse individuelle qui permet d’intégrer les différentes étiologies sans discrimination.

On peut en rester à une position instrumentaliste et considérer que l'on utilise un modèle explicatif commode. On peut aussi postuler qu'il a une existence réelle, mais sans se prononcer sur sa nature. En ce sens, le terme « d’appareil » psychique, employé par Freud, est intéressant. On comprend que c’est une entité théorique, car, évidemment, il ne s’agit pas d’un appareil concret, mais seulement d’un appareil fictif, c'est-à-dire d'un modèle.

Si on cherche à identifier sa nature, l'hypothèse la plus probable est que les deux niveaux d’organisation, neurobiologique et cognitif, concourent simultanément à le former et il est assez souvent très difficile de les distinguer. Tout l'aspect pulsionnel et émotionnel vient du biologique et il tient une place majeure dans le psychisme (voir l'article :  Le psychisme humain).

Reprenons maintenant le raisonnement étiologique en tenant compte du psychisme. Si l’on considère un individu humain dans son environnement, par rapport à cet environnement, il subit deux types de déterminations : sociale et relationnelle. Si l’on considère le psychisme comme entité interne à l’individu, on peut ajouter un troisième type de détermination : biologique. Le psychisme est l’entité qui permet de combiner de manière rationnelle les trois types de déterminations que le bon sens clinique donne à considérer. Le psychisme est une entité intermédiaire que l’on doit placer entre les déterminations et leurs conséquences pour expliquer que leurs effets ne sont pas directs (pas de lien direct cause-effet) et qu’elles se combinent entre elles de manière complexe (et en partie imprévisible) pour un individu donné.

La manière de modéliser le psychisme à laquelle nous nous référons est la métapsychologie freudienne, modifiée selon les avancées contemporaines sur le narcissisme (dues en particulier à Heinz Kohut) et dans une acception systémique ou structurale : le modèle est considéré comme un tout organisé dans lequel les parties interagissent.

L'espoir d'un possible paradigme fédérateur

Notre travail s’inscrit dans le courant de la psychopathologie né au XXe siècle qui met en avant la personnalité. Il s’agit d’inscrire les manifestations morbides par rapport à la personnalité et deux possibilités s’offrent. Soit de les inscrire à l’intérieur de la personnalité soit de les considérer comme hétérogènes à la personnalité. Dans les deux cas, il y a une certaine distanciation qui met le tableau clinique en perspective. Mais, cette distinction intéressante est trop tranchée et présente des difficultés. D'autre part, les façons de rendre compte de la personnalité humaine sont diverses. Comme vu ci-dessus, nous utilisons le concept de psychisme afin d’en rendre compte de la manière la plus rigoureuse possible et ne pas en rester à la conception ordinaire d’une caractérisation globale des individus.

Conçu comme synthèse individuelle bio-psycho-sociologique, le psychisme offre plusieurs possibilités explicatives et une intelligibilité de la pathologie apparaît.

- Soit les aspects pathologiques concernés dérivent des aspects acquis du psychisme qui ont une origine relationnelle et/ou sociale.

- Soit ils s’inscrivent dans les aspects biologiques du psychisme et leur genèse est à rechercher dans des facteurs ayant un impact neurobiologique.

La personnalité vue sous l’angle du psychisme évite les habituelles oppositions entre les écoles voulant imposer leur étiologie favorite : psychologique, biologique ou, plus rarement, sociologique, oppositions qui ont marqué les évolutions en psychopathologie et rendu l’adoption d’un paradigme fédérateur impossible.

4. Un repérage possible en psychopathologie

À partir de ces considérations, diverses possibilités apparaissent ; nous en avons retenues seulement quatre, jugées intéressantes du fait de leurs conséquences pratiques :

- Les différents types de personnalité.

- Les maladies multifactorielles où domine le facteur biologique.

- Les syndromes retrouvés dans toutes les formes d'organisation psychique.

- Les pathologies qui sont principalement d'origine sociale.

Les formes prises par la personnalité

Tout être humain possède une organisation psychique qui va contribuer à sa personnalité. Un premier repérage possible des formes de personnalité est donné par les différents types de structurations psychiques. Les variations de l’organisation psychique dépendent de facteurs constitutionnels, mais surtout de l’environnement relationnel et culturel et de la dynamique propre du psychisme. La formation de la personnalité vient des relations familiales et des événements de l’enfance, ce qui conduit à considérer que la principale détermination étiologique des troubles liés à la personnalité est acquise par interaction relationnelle (familiale et sociale).

La mise en avant de la personnalité comme arrière-fond indispensable à la compréhension de la pathologie répond à l'idée, relativement admise, de ne pas séparer radicalement le sain et le pathologique. La personnalité peut aussi bien donner des manifestations saines ou pathologiques selon sa forme et selon les circonstances.

La première des catégories utilisables pour se repérer sera celle des « formes de personnalités ». Compte tenu des habitudes et du vocabulaire en vigueur (qui n'est pas adapté, car il est hérité de l'histoire de la discipline), on peut parler de type de personnalité « névrotique », « psychotique » et, entre les deux, des cas « intermédiaires » (dites aussi personnalités « limites » et « perverses »). On peut aussi parler de « pôle » (névrotique, psychotique et intermédiaires), au sens de points idéaux qui orientent, avec autour des sphères, sans limites nettes dans lesquelles se disposent les diverses personnalités. Les catégories proposées ne sont pas des cases étanches, mais des zones à bord flous.     

Plutôt que d'utiliser ces termes qui peuvent prêter à confusion, il vaut mieux décrire explicitement ce qui caractérise ces formes de personnalité. On peut distinguer :

- Les personnalités évoluées qui présentent parfois, mais pas toujours, un conflit sur le plan relationnel et libidinal qui est la source de la pathologie. Elles sont fréquemment qualifiées de névrotiques (voir : Les personnalités névrotiques).

- Les personnalités à déficit narcissique dont le fonctionnement psychique est moins bien élaboré. La source de la pathologie vient des effondrements narcissiques et des tentatives de compensations. Elles sont fréquemment qualifiées de « limites ».
Lorsque l'instance qui supporte la limitation et le respect de la loi (le surmoi) ne se constitue pas, il se produit une viciation des relations et de la socialisation. On parle alors de personnalités perverses (voir : Les personnalités intermédiaires).

- Les personnalités avec de graves distorsions des fonctions psychiques ayant trait à la réalité et à la relation aux autres. Cela s'accompagne toujours d'une insuffisance des diverses instances psychiques. Elles peuvent être qualifiées de psychotiques (voir : Les personnalités psychotiques).

Il semble important d'éviter les délimitations rigides qui ne conviennent pas à la mouvance de la personnalité humaine. Cette catégorisation se veut souple, c'est une manière de s'orienter. Cependant, il serait fautif de ne pas se repérer et ne pas savoir à qui on a affaire, ce qui conduirait à des conduites inadaptées, voire nocives et dangereuses. Il est important de cerner le type de fonctionnement psychique de la personne qui vient consulter, ce que permet la catégorisation proposée.

Il en résulte de cette méthode une grande diversité dans les types de personnalité humaine. Tout le monde n'est pas pareil et, derrière les apparences socialisées, les différences sont importantes et que la normalité sociale n'est pas nécessairement un bon indicateur de santé psychique.

Les pathologies à facteur neurobiologique dominant

Le parti pris de privilégier l’étiologie dans la classification des troubles psychopathologiques conduit à individualiser les pathologies à facteur neurobiologique dominant.

Pour certaines d'entre elles, on peut des maladies multifactorielles, car plusieurs facteurs interviennent. Le concept est utilisé pour caractériser les maladies ont des causes à la fois génétiques et environnementales. Ces facteurs peuvent interagir de manière complexe pour causer la maladie. Il s’agit de maladies au sens classique du terme, avec un début, une évolution, une chronicisation ou une fin, et pour lesquelles on peut déterminer étiologie principale, qui est un dysfonctionnement neurobiologique.

Au vu des connaissances contemporaines, il est admis que les modifications neurophysiologiques en cause sont en partie d’origine génétique (de nombreux gènes sont mis en cause) et dans certains cas qu'elles peuvent être dues à des influences du milieu (ayant eu lieu pendant la vie intra-utérine ou pendant la vie adulte). Le tableau clinique apparaît à un âge donné et évolue de manière stéréotypée.

Ces maladies sont « multifactorielles » dans la mesure où les causes endogènes sont multifactorielles et ou l'environnement agit aussi de plusieurs manières. La détermination est biologique (causes toxiques, infectieuses), mais aussi psychologique (causes relationnelles). La catégorie « maladie multifactorielle » concerne les cas où les distorsions neurobiologiques sont prédominantes dans les modifications psychiques constatées.

Compte tenu des connaissances actuelles, on peut les répartir en six groupes les pathologies pour lesquelles le dysfonctionnement neurobiologique est premier.

Les démences représentent le cas le plus net. Les démences aboutissent à une diminution du nombre de neurones actifs et les tableaux cliniques sont en rapport direct avec la détérioration neuronale. La plus connue est la maladie d'Alzheimer. Elle est due à l'agrégat d'un peptide nommé bêta-amyloïde dont l'accumulation finit par détruire les neurones. On individualise aussi la maladie de Pick et les démences d'origine vasculaire.

Les schizophrénies se manifestent par des tableaux cliniques divers, mais tous montrent une dissociation dans la sphère affective, intellectuelle et psychomotrice. Dans certaines formes s'ajoute une expérience hallucinatoire et délirante et dans d'autres le retrait autistique domine. Sur le plan biologique, on a constaté une diminution d'activité du cortex préfrontal. Le facteur génétique incriminé est très complexe et demande l'intervention de facteurs environnementaux mal connus.

Dans la maladie maniaco-dépressive ou trouble bipolaire, le tableau clinique d’alternance de phases d’excitation et de dépression est caractéristique et stéréotypé, mais l’intensité et la fréquence sont variables. Les facteurs génétiques sont certains, mais les données et les connaissances neurobiologiques sont floues. Il existe diverses formes et une imbrication possible avec la schizophrénie et avec les troubles schizoaffectifs.

Nous plaçons ici les troubles hallucinatoires chroniques ici par analogie. En effet, ils ont la même allure clinique, mais il n'y a pas de données génétiques ni neurobiologiques suffisamment connues à l'heure actuelle pour avoir une certitude.

Les pathologies du développement neurologique dit aussi « troubles neurodéveloppementaux », pour lesquels le facteur étiologique principal serait une anomalie dans la maturation du système nerveux central. On y place les autismes dont les formes sont diverses. Les facteurs génétiques sont certains, mais complexes et leur analyse statistique suggère l'intervention de facteurs environnementaux.

Les psychosociopathies

L’homme est un être social. Le milieu social joue un rôle majeur dans l’organisation et le contrôle des pulsions (libidinales et agressives), ainsi que dans l'intégration de la loi commune et des normes, tout comme dans l'accès à des modes relationnels plus ou moins sophistiqués. L’organisation psychique subit fortement l’influence sociale, si bien qu’il existe des pathologies dont le primum movens est social.

Le psychisme intègre toujours les influences sociales, mais, dans certains cas, ces facteurs sociaux sont pathogènes. On parle alors de pathologie socialement ou culturellement favorisée. L’aspect pathologique vient de la perte ou à l'absence de repères culturels, d'une éducation insuffisante ou déstructurante. Un environnement social violent provoque des réactions défensives primaires qui viennent s’inscrire dans l’organisation psychique à plus ou moins long terme. Les effets sociaux seront plus puissants si la structure psychique est plus archaïque (perverse, psychotique), donnant des réactions plus immédiates sans possibilité de sublimation.

On peut désigner certains des tableaux cliniques rencontrés (mauvaise insertion, conflit, souffrance par isolement) par le terme de sociopathie. Les formes cliniques sont variables selon le milieu et selon le problème social (marginalité, ethnicisation, violence). L'immigration a rendu cette pathologie fréquente du fait de la dissonance entre la culture d'origine et celle du pays actuel, des problèmes d'identité que cela engendre et des difficultés d'intégration dans la nouvelle communauté.

Lorsque s'y associent une agressivité et des manifestations antisociales (destruction, transgression, agressions sexuelles, meurtre), on parle de psychopathie. Les effets sociaux sont plus violents si la structure psychique de base est plus archaïque (psychotique, perverse ou limite grave), donnant donc des réactions plus immédiates, sans possibilité de sublimation.

Les syndromes psychiques ubiquitaires

Ces syndromes résultent d'un dysfonctionnement psychique parfois chronique, mais le plus souvent transitoire. Ils sont en lien avec des modifications neurobiologiques encore mal connues, mais certaines. Un syndrome n’est ni une personnalité ni une maladie, juste un ensemble de symptômes associés. Cette catégorie n’est donc pas du même type que les précédentes.

Dans les formes dites réactionnelles, le déclenchement du syndrome provient de situations relationnelles ou sociales (danger réel ou supposé, traumatisme, deuil, insatisfactions, incertitudes vitales, harcèlement). Ces syndromes sont évolutifs, mais peuvent se fixer et devenir chroniques.

Ces grands syndromes, très communément rencontrés, sont présents dans toutes les formes d'organisation psychique. Selon la personnalité sous-jacente, ils prendront une tournure plus ou moins intense et auront des évolutions très différentes. Certaines formes ne sont pas réactionnelles et proviennent d'un dysfonctionnement neurobiologique ayant une détermination propre (manie, mélancolie). Ils entrent alors dans le cadre des maladies multifactorielles.

Parmi les plus courants, on trouve :

- Le syndrome anxieux associe une sensation de peur à des manifestations somatiques diverses. Certains récepteurs neuronaux génèrent l'angoisse et d'autres l'empêchent. La structure cérébrale la plus concernée est l'amygdale et ses connexions à l'hippocampe. Sont en jeu les récepteurs à l'acide gamma-amino-butyrique (GABA). Ce sont les récepteurs du genre A, de sous-type oméga 1, qui ont un effet anxiolytique.

- La dépression se manifeste par la tristesse jusqu'à la douleur morale, l'abattement et un cortège de manifestions somatiques. On l'associe au déficit des voies sérotoninergiques centrales (dont la stimulation chimique permet une rémission) et à une diminution de la plasticité cérébrale.

- L'excitation associe la jovialité, l'hyperactivité, la bonne humeur. Elle peut aboutir, en s'accentuant, à l'agitation grave et l'insomnie. On incrimine une possible hyperactivité sérotoninergique.

- Les troubles psychosomatiques consistent en des manifestations somatiques ayant pour origine un dysfonctionnement psychique. Ils sont innombrables et d'une extrême fréquence.

- La bouffée délirante aiguë se manifeste par un délire onirique riche et constitué d'emblée. Il est flou et polymorphe, variable dans ses thèmes et ses mécanismes. La bouffée délirante guérit spontanément en quelques jours ou quelques semaines.

Conclusion : des distinctions utiles pour comprendre la diversité humaine

Ces quatre catégories, type de personnalité, psychosociopathies, maladies multifactorielles, syndromes, n'étant pas du même type, elles peuvent se superposer. Elles se veulent d'abord pratiques, construites en vue de permettre un diagnostic fiable permettant de diligenter l'action thérapeutique la plus appropriée.

Donnons un exemple. Une personne a toujours un psychisme, supporté et influencé par le socle biologique, structuré par son histoire relationnelle, la culture et la société, qui lui donnent sa personnalité. Elle réagit nécessairement à son environnement et peut présenter des états anxieux ou dépressifs si les circonstances s'y prêtent. De plus, il peut survenir chez cette personne un développement schizophrénique ou une démence, si des facteurs génétiques ou acquis l'y prédisposent.

Le repérage proposé est un cadre général destiné à mettre en avant les diverses influences qui touchent l'homme : relationnelles, biologiques et sociales. Notre repérage est insatisfaisant, car il privilégie certains aspects, alors que tous se cumulent tout le temps. Dans la pratique quotidienne, faute de pouvoir tout expliquer et tout synthétiser, il faut saisir ce qui est le plus important afin de choisir la conduite la mieux adaptée vis-à-vis du patient. L'individualisation d'un facteur plus déterminant que les autres permet de faire des distinctions et de proposer des réponses thérapeutiques adaptées. Il est d'ailleurs évident que l'un des aspects n'exclut pas les autres, si bien qu'on peut les associer et les hiérarchiser dans chaque cas individuel.

La distinction entre les diverses formes de personnalité, les maladies à déterminisme biologique et la pathologie sociale n'est pas complètement justifiée. Le psychisme humain cumule et synthétise tous ces facteurs (biologiques, relationnels, sociaux) en une personnalité totale. Toutefois, cette approche, juste de manière générale, laisse dans la perplexité et l'impuissance d'un point de vue pratique. On ne peut tout expliquer, ni agir sur tout en même temps. La psychopathologie reste une discipline appliquée et approximative.

Les distinctions proposées délimitent de grandes catégories superposables, ce qui est une manière de lutter contre l'envahissement du champ disciplinaire (de la psychopathologie et de la psychiatrie) par les catalogues normalisés extrêmement détaillés (le DSM et la CIM) dont l'influence ne cesse de croître. Le repérage des entités clinico-étiologiques ramené à ce qui les cause (à leur étiologie) est une manière de contribuer à constituer une véritable psychopathologie selon un paradigme explicatif potentiellement fédérateur (voir l'article : La psychopathologie est-elle une science ?). La personnalité vue sous l’angle du psychisme évite les habituelles oppositions entre les approches purement psychologiques, biologiques ou sociologiques.

 

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Tableau d'ensemble

 

Les grands types d'organisations psychiques

  Personnalité équilibrée
Type névrotique Personnalité anxio-phobique
  Personnalité obsessionnelle
  Personnalité hystérique

 

  Personnalité limite
Type intermédiaire  
  Personnalité perverse

 

  Personnalité distanciée
Type psychotique  Personnalité histrionique
  Personnalités psychotiques graves

 

Les maladies multifactorielles

Les démences

Les schizophrénies

Les autismes

Les troubles hallucinatoires chroniques

Les pathologies du développement neurologique

Les autismes

Autres pathologies ( Syndrome de Rett et autres)

Les grands syndromes ubiquitaires

L’angoisse

La dépression

L'excitation

Les troubles psychosomatiques

 

Les psychosociopathies

Les syndromes sociopathiques

La personnalité psychopathique

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Bibliographie :

Bergeret J., La Personnalité normale et pathologique, Paris, Dunod, 1985.

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L'auteur :

Juignet Patrick