Revue philosophique

La détermination, en général, correspond à ce qui dans le monde produit des enchaînements nécessaires et se suffisant à eux-mêmes, ce qui exclut toute intervention extra-mondaine (de type divine ou surnaturelle). On comprend la détermination selon le principe du « déterminisme ». Il faut distinguer le déterminisme et la causalité. Le déterminisme est un principe général et qui n'implique pas nécessairement l'idée de cause.

La ferme croyance au déterminisme est le propre de la modernité et elle s'est répandue au XVIIIe siècle. Si le monde était chaotique, hasardeux et instable, la possibilité de le connaître serait réduite à néant. Si le monde était arbitrairement gouverné par Dieu ou par des forces surnaturelles, il serait illusoire de chercher à le connaître. Pour se lancer dans une entreprise de connaissance scientifique du monde, il faut croire au déterminisme et admettre que ses effets sont accessibles à la raison. Les résultats des sciences, jusqu'à aujourd'hui, montrent que les enchaînements nécessaires supposés exister sont bien au rendez-vous.

Dans la science moderne, qui culmine à la fin du XIXe siècle, le déterminisme est conçu de manière rigide, comme absolu et universel. Cela aboutit, avec Laplace, à la prétention d’une prédictibilité totale. « Nous devons envisager l’état de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre » (Œuvres, Gauthier-Villars, vol VII, p.VI). Pour une intelligence suffisamment vaste, rien n’est incertain. Il y a là un refus de considérer l'aléatoire et les bifurcations dans les enchaînements historiques. Les lois, formulées en langage mathématique, nous prédisent des faits certains et précis.

Le doute viendra au début du XXe siècle lorsque la physique classique sera ébranlée d'abord par la théorie de la relativité, puis par la mécanique quantique. De Broglie écrit, en 1947, l'évolution des corpuscules "ne peut être réglée par un déterminisme rigoureux, tout au moins un déterminisme que nous puissions atteindre et préciser" (Physique et microphysique, Albin Michel, 1947, p. 217). Ce qui s’est amorcé dans les années 1920 avec les premières découvertes de la physique quantique s'est confirmé dans la décennie 1970-1980 avec l'adoption d’explications probabilistes, la thermodynamique généralisée et l'application de modèles cybernétiques, puis systémiques au vivant et à l’homme.

Dans la science contemporaine, la détermination des faits est conçue de manière souple. On admet l’aléatoire, le chaotique, les récursivités complexes, ce qui, dans certaines circonstances, ne permet qu’une prédictibilité partielle sous forme statistique. Sans renoncer à la détermination, il a fallu admettre qu’elle ne soit ni simple, ni absolue.

On peut supposer que, dans la plupart des domaines connus, il y ait bien des enchaînements nécessaires constants. Cependant, on ne peut démontrer qu'ils soient absolus et éternels. Dans les champs complexes, on doit concevoir des probabilités d'occurrences du fait d'une multidétermination et parce que les mêmes conditions ne se retrouvent pas toujours (la clause ceteris paribus ne peut être réalisée). La temporalité y joue un rôle et apporte une irréversibilité. Si le déterminisme continue d'être un principe crédible et indispensable à l'abord scientifique, il doit être conçu avec souplesse.