Écrit par : Patrick Juignet
Catégorie : Psychopathologie clinique

Les personnalités histrioniques

 

Le terme « histrion » désigne un mauvais acteur qui surjoue, qui en fait trop. C'est ce qui caractérise ces personnes qui surjouent et sont dans l'excès. Elles présentent sur un fond de caractère théâtral des manifestations somatiques fonctionnelles avec des crises paroxystiques. La problématique sexuelle et amoureuse a une forte importance. On pourrait penser à l'hystérie, mais comme il est convenu de placer l'hystérie dans la catégorie des personnalités de type névrotique, l'appellation ne convient pas.

 

Pour citer cet article :

Juignet, Patrick. Les personnalités histrioniques. Philosophie, science et société. 2020. https://philosciences.com/histrionique.

 

Plan :


  1. Positionnement théorique
  2. Les tableaux cliniques
  3. L'évolution
  4. Théorisation psychopathologique
  5. Le diagnostic différentiel

Texte intégral :

 

1. Positionnement théorique

Nous nous situons dans le courant de la psychopathologie dynamique et employons le terme « personnalité » pour catégoriser les formes d’organisations psychiques dont la principale détermination est relationnelle. Pour comprendre les différences entre la pathologie de la personnalité et les autres maladies psychiatriques, on se référera à l'article Méthode diagnostique en psychopathologie ?

Pour les cas dont nous voulons parler ici, on parle parfois « d'hystérie grave », mais cela est inapproprié, car l'hystérie est généralement considérée comme liée à une personnalité névrotique. Ici la gravité clinique (intensité des manifestations, déréalisation) évoque nettement un autre type de personnalité. D'autres termes ont été utilisés comme « psychose hystérique » qui date de Jean-Martin Charcot et a été repris aussi bien par Carl Gustav Jung et Sigmund Freud, mais toujours de manière ponctuelle et marginale.

À partir des années 1960, pour ceux qui acceptent l'idée d'une structure de la personnalité comme un aménagement stable du psychisme, la distinction nette entre structure névrotique et structure psychotique a été de plus en plus admise. À ce titre, on peut difficilement admettre que l'hystérie ne soit pas dans l'une ou l'autre catégorie. Parler de psychose hystérique devient alors paradoxal, puisque l'on admet alors de manière relativement consensuelle que l'hystérie est névrotique.

Surgit alors un problème. Comment expliquer les manifestations d'allure hystérique, mais qui, de tout évidence, ne surviennent pas chez une personnalité névrotique ?

Il importe de ne pas être prisonnier de la notion d'hystérie pour désigner les personnes au caractère excessif et présentant des crises corporelles paroxystiques. Lorsqu'ils sont désadaptés, voire délirants, ces symptômes ne peuvent appartenir à la sphère névrotique, car les personnalités névrotiques gardent toujours un rapport à la réalité et une adaptation sociale satisfaisante.

C'est dans la sphère des personnalités psychotiques ou celle des personnalités intermédiaires que des mécanismes de défense inadaptés et une fonction réalitaire défaillante donnent aux symptômes une teinte d'excès désadapté. Il est important de le reconnaître, car la prise en charge n'est pas la même et, si on ne s'en rend pas compte, l'échec est assuré.

Nous proposons ici une forme clinique originale qu'il est difficile de situer, car, selon les cas, elle entre dans le cadre des personnalités intermédiaires (dites aussi « limites ») ou bien des personnalités psychotiques. Pour plus de précision, on se référera aux articles correspondants.

Nous essayons de décrire un tableau clinique assez large. Le diagnostic sera à préciser au cas par cas. La mauvaise appréhension de la réalité et un fonctionnement psychique archaïque n'évoquent pas la névrose, nous avons donc adopté le qualificatif d’histrionique pour distinguer ces formes cliniques de l'hystérie, car, par ce terme, on sous-entend une personnalité névrotique, ce qui n'est pas le cas ici.

2. Les tableaux cliniques

L’enfance

Les manifestations précoces sont diverses dès trois ans. Comme dans les cas précédents, on trouve une relation fusionnelle et ambivalente avec la mère. Des difficultés relationnelles se manifestant par une forte jalousie vis-à-vis de la fratrie ou des camarades.

Ces enfants ont des difficultés d’endormissement ou sont agités de cauchemars. On voit aussi des aspects de régression langage et attitudes « bébé ». On remarque des troubles de l’alimentation, des plaintes corporelles (maux de ventre) et des somatisations (dermatoses, asthme, troubles digestifs, maladies à répétition). Il se produit parfois des difficultés scolaires bien que les capacités soient satisfaisantes.

À l’adolescence, la vie devient chaotique : fugues, dispute avec les parents, épisodes d’anorexie, vie marginale, toxicomanie, alcoolisme. Le sujet ne peut plus suivre des études correctement.

Le caractère

On trouve un certain nombre de traits caractéristiques : égocentrisme, influençabilité, séduction, théâtralisme, demande affective, préoccupations corporelles constantes, mauvais contrôle, pensée magique.

L’histrionique est centrée essentiellement sur elle-même, manifeste une importante dépendance et a des difficultés à assumer sa vie en tenant compte des autres. Malgré l’attitude plutôt séductrice, la coquetterie, le contact n’est pas très bon. La séduction paraît forcée, le théâtralisme est important et prend une forme accentuée : l’histrionique se vante, falsifie les faits, se fait passer pour autre. Les vêtements sont parfois extravagants, comme des costumes de théâtre.

Le besoin de valorisation, l’avidité affective provoquent une demande mal adaptée au contexte si bien que l'histrionique paraît « collante » à l’entourage. Faible, elle est très influençable, et donc versatile.

La quête de l’amour de l’autre en tant que figure idéale prend volontiers une allure passionnelle parfois mystique. Les préoccupations corporelles sont constantes au point qu’elles en deviennent un trait de caractère. Soins, parure ou, à l’inverse, douleurs ou anomalies, ou encore ascétisme et mortifications, tout est occasion de s’occuper et de se préoccuper du corps qui est une source d’activité et d’actes constante. On remarque une fragilité relationnelle, la tendance à se sentir agressé qui provoque des colères qui correspondent à une tendance persécutive et au mauvais contrôle émotionnel. La pensée magique (prémonitions, signes, parapsychologie) revient constamment. L’histrionique a une grande fausseté de jugement tant sur elle-même que sur les situations.

Conduites et relations

On trouve un attachement ambivalent aux parents qui persiste à l’âge adulte et entraîne une demande relationnelle affective toujours déçue. Il s’ensuit des relations violentes et variables avec l'entourage.

Une assez grande diversité d’attitudes qui rend le diagnostic difficile, car on peut aussi bien avoir une coquetterie et une séduction, mais aussi une masculinité assez marquée, des provocations nombreuses. Les relations dans la vie courante (professionnelles et amicales) sont toujours difficiles, car vivement affectisées, marquées par une demande revendiquante et teintées par la persécution. Elles sont donc peu durables.

La vie est généralement active, mais chaotique avec de nombreuses péripéties : des emplois changeants, des déménagements, des départs à l’étranger, des retours dans la famille, etc. On trouve des épisodes toxicomaniaques. La vie sexuelle et amoureuse est aussi très variable d’un cas à l’autre et au cours de la vie mais jamais satisfaisante : du célibat à la passion amoureuse en passant par l’abstinence ou la prostitution. On peut aussi trouver des troubles des conduites alimentaires, comme la boulimie et l’anorexie, l’une et l’autre étroitement liées aux préoccupations corporelles, ce qui fait alterner des épisodes d’obésité et d’amaigrissement.

La mythomanie et croyances

Plasticité, influençabilité, théâtralisme se combinent pour engendrer la mythomanie. L’histrionique invente des histoires en particulier de célébrité cachée, de séduction par un personnage important, de viol imaginaire et parfois porter plainte afin de donner corps à son histoire.

Le paranormal existe toujours sous une forme ou une autre : somnambulisme romanesque, dédoublement de personnalité, voyance, communication avec les esprits, phénomènes surnaturels, possession, vie antérieure, intervention de dieu, miracles, etc. que le sujet en est l’agent, la victime ou le témoin.

Les crises et le délire

Les crises sont diverses. Ce peut être des crises de nerf au sens populaire du terme : cris, agitation, bris d’objets, agressivité, rires, larmes. À un degré de plus, on trouve ces crises convulsives, des états seconds, des visions proches de l’hallucination, des discours en langues inconnues. Ces crises peuvent avoir un mode mystique comme la possession par Dieu, par le diable, par des esprits ou encore prendre la forme d’extases.

L'affabulation et la mythomanie peuvent se transformer en un délire en général dû à des circonstances particulières (dépit amoureux, espoir déçu). Il y une résolution spontanée s’il y a une éviction de la situation. La structure du délire est lâche, il se développe en un réseau flou à partir d’intuitions et interprétations, d’illusions. Il est empreint de théâtralisme. En fait, la forme est souvent proche de celle de la bouffée délirante et parfois en prend la tournure onirique. Ce délire a été décrit initialement par Chazeau et Follin (1961) sous l’appellation de « psychose hystérique ». Les thèmes délirants sont érotiques, mystiques, sentimentaux et passionnels.

Crises et délire peuvent se mélanger et ont en commun une tonalité onirique et théâtrale. Ils correspondent à des scénarios vécus sur un mode dramatique. Ces épisodes sont récidivants. Les tentatives de suicides ne sont pas rares.

Symptômes corporels

Les préoccupations sur le corps sont constantes et pouvant avoir des formes opposées. Troubles somatiques fonctionnels de tous types. Constants et récidivants, ils n’ont pas le même aspect que les somatisations conversives de l’hystérie. Ils sont prononcés et la belle indifférence manque, car ils prennent une allure sub-délirante. Ils sont en effet en rapport avec un manque de contrôle et d’unité du corps et parfois prennent une allure de morcellement, voire hypocondriaque (membre séparé, n’obéissant plus, organe atteint ou disparu). Les dysmorphophobies sont des inquiétudes intenses portant sur l’apparence corporelle. Portant électivement sur une ou quelques parties, elles correspondent à une vision délirante du corps qui apparaît au sujet déformé, amplifié. Ces préoccupations peuvent donner lieu à des demandes de chirurgie esthétique, qui évidemment ne résoudra pas le problème.

3. L'évolution

En général, elle est spontanément peu favorable. Les attitudes difficilement supportables par l’entourage, les crises répétées, l’instabilité, provoquent un rejet et une désinsertion sociale. Les tentatives de suicide peuvent réussir.

On n'est pas à l’abri de réactions revendicatives d'allure paranoïaque, car la déception peut engendrer une blessure narcissique et de la haine. Mais, il s'agit de réactions de revendication agressives et pas du tout d'évolution vers une personnalité paranoïaque.

4. Théorisation psychopathologique

Œdipe sans névrose

On s’étonne parfois de trouver des problèmes sexuels et œdipiens hors du pôle névrotique. L’explication est très simple. Les problèmes de la première structuration n’arrêtent pas l’évolution et n’empêchent donc pas un abord du problème œdipien. Bien sûr, ils en rendent la résolution impossible. On peut même penser, comme Serge Lébovici en a fait l’hypothèse, qu’il y a dans certains cas une œdipification de surface comme tentative de réorganisation de la psychose.

Les problèmes œdipiens ont dans cette forme une expression particulièrement crue et directe. Et en cela, la psychose se différencie de la névrose pôle, dans lequel les tendances sont refoulées et recouvertes par les défenses. Ici, elles apparaissent directement, de manière théâtralisée et à peine voilée. En même temps, les imagos parentales mises en jeux sont archaïques. La mère est terrifiante et le père tout-puissant. La quête d’amour prend ici une allure absolue, recherche d’un autre parfait, qui renvoie à une imago parentale idéalisée archaïque toute-puissante et toute comblante. De nombreux symptômes peuvent être interprétés comme un œdipe psychotique, c’est-à-dire se jouant sur un mode archaïque.

Décompensations

Si les fonctions, symbolique et réalitaire, faiblissent, l’histrionique croit avoir trouvé son idéal : c’est l’illusion érotomaniaque. Le délire exprime directement les thèmes œdipiens et la blessure narcissique qui du coup trouve une compensation mégalomaniaque particulière : être aimée d’un personnage tout-puissant. L’envahissement imaginaire de la subjectivité est important, car la fonction imaginative pend le dessus et donne un caractère romanesque et même rocambolesque au délire.

Le trouble de la sexuation donne une revendication phallique intense qui apparaît ici sans masque. Sous la forme d’une attitude masculine ou de fantasmes et rêves de phallus, volonté de changer d’état-civil ou encore d’une féminité d’emprunt, revendiquante, ostentatoire et autoritaire, équivalent phallique.

Dans les rares cas masculins, on trouve l’inverse : féminité, transsexualisme. C’est toute la sexuation qui a échoué et est remise sans cesse sur le tapis. Derrière cette interrogation sur l’identité sexuée, se profile une profonde angoisse sur l’identité tout court et des tentations fusionnelles régressives vers un état prénarcissique sans individuation.

5. Le diagnostic différentiel

Le terme d'hystérie est avancé beaucoup trop vite au vu de manifestations corporelles ou de psychosomatiques (voir l'article) ou encore de symptômes somatiques que l'on n'arrive pas à expliquer. Ces symptômes sont très nombreux et ne sont pas nécessairement le fait de personnalités hystériques. Pour l'évoquer, on doit avoir des arguments positifs et complémentaires tels que décrit au-dessus.

Le diagnostic différentiel à évoquer est celui avec les personnalités hystériques. Les personnes hystériques, même si elles souffrent de conflits invalidants, gardent un rapport à la réalité concrète et sociale satisfaisant (voir Les personnalités hystériques). La personnalité histrionique manifeste une différence fondamentale d’avec la névrose hystérique. Dans sa quête, l’hystérique s’adresse à l’autre alors que pour l’histrionique, l’autre concret n’est pas un référent objectal génitalisé et il n’a pas d’altérité. Il peut seulement, à certains moments, être l’objet d’une projection qui l’idéalise. Le type de relation possible est donc bien différent.

 

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