Revue philosophique

Jean Piaget :
philosophie, psychologie, épistémologie génétique

 

Jean Piaget a élaboré une approche la fois structurale et développementale qui a fait évoluer considérablement le savoir sur l’intellect humain. Sa méthode a permis d’aboutir à ce qu’il nomme une épistémologie génétique constructiviste. Nous verrons qu’il s’appuie sur une conception philosophique cohérente et bien établie.

Jean Piaget developed an approach that is both structural and developmental, which significantly advances knowledge of the human intellect. His method made it possible to arrive at what he calls a constructivist genetic epistemology. We will see that it is based on a coherent and well-established philosophical conception.


Pour citer cet article :

Juignet, Patrick. Jean Piaget : philosophie, psychologie, épistémologie génétique. Philosophie science et société. 2022. https://philosciences.com/jean-piaget-epistemologie-genetique.

 

Plan :


  • 1. Le projet de Jean Piaget
  • 2. Les orientations conceptuelles de Piaget
  • 3. Une épistémologie scientifique
  • 4. La philosophie de Jean Piaget
  • Conclusion

 

Texte intégral :

1. Le projet de Jean Piaget

Jean Piaget s’est intéressé à l’évolution des capacités intellectuelles humaines de la prime enfance jusqu’à l’âge adulte. Le domaine de recherche est vaste, à la mesure de cet objet protéiforme qu’est l’intellect humain. Il s’étend des actes simples jusqu’à l’intelligence abstraite et embrasse à la fois les aspects pratiques et symboliques. Ses travaux sur la connaissance humaine reposent sur des justifications empiriques abondantes et sur une méthode rigoureuse. Il a voulu « constituer une méthode apte à fournir des contrôles et surtout remonter aux sources, donc à la genèse même des connaissances » 1.

La méthode se fonde sur l’observation sur des individus en interaction avec leur environnement habituel ou sous forme de tests plus structurés. Les recherches concernent les capacités cognitives se manifestant par des performances observables grâce à une neutralisation de la dimension affective. L’étude combine des tests pratiques et des observations cliniques.

Le cadre théorique général est un structuralisme prudent, qui laisse en suspens le mode d’existence de la structure (voir après). Piaget a énoncé précisément ce qu’il entend par structure et n’a pas varié sur ce sujet. Une structure se caractérise par l’existence d’une totalité organisée présentant des caractères de complétude, de stabilité et d’équilibre. On peut en faire la théorie par une construction hypothétique qui décrit le système et rend compte de ses variations selon des règles.

Jean Piaget s’est d’abord penché sur l’intelligence proprement dite. Pour lui, elle dérive de l’action, car « l’action comporte en soi une logique » et se développe par stades successifs qui vont du plus simple (l’interaction sensori-motrice) au plus complexe (l’intelligence formelle abstraite). Commencé vers 1920, l’ensemble a été mis au point progressivement jusqu’en 1936-1937 et couronné par la publication de La Naissance de l’intelligence chez l’enfant et La Construction du Réel chez l’enfant.

L’auteur s’est attelé au problème de la pensée symbolique dès les années 1920 et il est arrivé vers 1940 à l’idée d’une « fonction sémiotique » autonome. Les résultats de ce travail seront divulgués dans l’après-guerre. Pour Piaget l’enfant, à partir de deux ans, développe une fonction qui lui permet d’accéder à l’univers symbolique, la fonction sémiotique. Il exhausse le propos de Ferdinand de Saussure qui indiquait que « c’est au psychologue à déterminer la place exacte de la séméiologie ».

Le projet piagétien d’une épistémologie distincte de l’épistémologie traditionnelle est devenu explicite à partir de 1946. La recherche de la genèse qu’il met en œuvre diffère de la méthode épistémologie traditionnelle, qui étudie des œuvres savantes déjà élaborées. « Le propre de l’épistémologie génétique est ainsi de chercher à dégager les racines des diverses variétés de connaissance dès leurs formes les plus élémentaires et de suivre leur développement aux niveaux ultérieurs jusqu’à la pensée scientifique inclusivement » 2. Cette recherche aboutira en 1967 à une encyclopédie épistémologique, Logique et connaissance scientifique, immense travail collectif de grande qualité.

Jean Piaget a consacré toute sa vie à ce projet gigantesque. Il a été aidé par une école active et de dimension internationale. Son œuvre est traditionnellement rattachée à la psychologie et à la pédagogie, et sa dimension philosophique laissée de côté. Elle est pourtant fondamentale et nous verrons que, finalement, c’est le terme d’épistémologie génétique qui la définit le mieux.

2. Les orientations conceptuelles de Piaget

Jean Piaget a assis son travail de recherche sur la base solide d’un cadre conceptuel qui énonce clairement ses objets de recherche et les concepts utilisés. Il a clairement défini le cadre épistémologique de son travail.

Les types d’intelligence

Le terme d’esprit est peu employé par Piaget. Lorsqu’il l’utilise, c’est par référence à la conception ordinaire ou philosophique, selon le contexte. Son objet d’étude ce sont les capacités, les potentialités intellectuelles humaines, qu’il nomme aussi l’intelligence ; il vaudrait mieux dire les intelligences, car Piaget en distingue quatre types, qui apparaissent successivement et procèdent les unes des autres. Ce sont :

- Une intelligence sensori-motrice qui assemble des schèmes en vue d’un résultat pratique. Comme son nom l’indique, il s’agit de schèmes sensoriels et de schèmes moteurs qui se coordonnent et se composent entre eux. Cette intelligence se forme dès la naissance.

- Une intelligence préopératoire incluant les schèmes de quantité d’espace et de temps, qui permettent des actions adaptées. À ce stade, la causalité reste anthropomorphique. Cette intelligence règle les interactions immédiates et se développe à partir de deux ans.

- Une intelligence opératoire donnant la possibilité de raisonnements portant sur des choses concrètes. Dans ce cas, sont mis en œuvre l’induction et la déduction, la réversibilité (inversion et réciprocité) et enfin divers types de conservations (distance, quantité). La causalité devient plus objective. On voit poindre cette intelligence vers 6 ans.

- Une intelligence formelle, qui se manifeste vers 10 à 11 ans. Les opérations ne portent plus sur des choses concrètes et elles peuvent être envisagées pour elles-mêmes. Le raisonnement devient à double sens, à la fois hypothétique et déductif. Il est possible de faire jouer les règles de « transformations » : identique, négative, réciproque et corrélative.

Les enfants du stade sensori-moteur, disposent déjà d'une fonction élémentaire de mémorisation : dans leurs interactions avec le milieu, ils se construisent des traces mnésiques des choses rencontrées et de leurs interactions. Cela permet des opérations sur ces images ; c'est cette opérativité qui explique les comportements intelligents. Ces images et opérations mentales sont sous le contrôle des stimulations externes et des renforcements produits. Si elles ne sont plus utiles et efficaces, elles disparaissent. Enfin, rien n'indique qu'à ce stade les enfants aient un accès à leurs opérations, qu'ils les « connaissent » et qu'ils puissent en conséquence les diriger intentionnellement. Pour cette raison Piaget qualifie ce fonctionnement d'intelligence pratique.

L’intelligence opératoire se différencie de ce fonctionnement pratique sous trois aspects au moins : - Elle mobilise des représentations et des opérations qui, une fois constituées, sont stables. - Ces images et opérations sont indépendantes des circonstances, si bien qu’elles peuvent être mobilisées en l'absence de stimulation et de tout renforcement. - Ces schèmes sont potentiellement accessibles à l'individu, il peut les évoquer.

Il y a un enchaînement entre ces formes successives d’intelligence. La question est de savoir quels sont les mécanismes qui expliquent le passage de l'une à l'autre. Piaget évoque deux facteurs : - D'une part, l'émergence d'une fonction sémiotique générale, qui découle linéairement du fonctionnement re-présentatif pratique et qui se caractérise par une capacité d'associer aux entités opératives des éléments figuratifs susceptibles de les « exprimer ». - D'autre part, les capacités d'imitation, qui alimentent en quelque sorte cette fonction en entités expressives rencontrées dans le milieu : d'abord en indices et en symboles motivés tirés de l'expérience active, puis en signes arbitraires et immotivés tirés de la langue de l'entourage. Le passage de l’action à l’opération implique « la nécessité de reconstruire sur ce plan nouveau qu’est celui de la représentation ce qui était déjà acquis sur celui de l’action » 3.

Piaget montre que ces divers types d’intelligence se construisent progressivement, autrement dit qu’elles font l’objet d’une genèse. D’où le nom de psychologie génétique, ou de constructivisme, donné à ses travaux. Les diverses formes d’intelligence se construisent toutes progressivement par assimilation, accommodation et équilibration. L’assimilation fait entrer les aspects nouveaux dans les schèmes déjà présents. Si le schème change, Piaget parle alors d’accommodation. Durant certaines périodes du développement, l’un des deux types d’évolution (assimilation ou accommodation) domine, puis un équilibre se fait. La connaissance est une construction continuelle avec une dynamique et des ré-équilibrations successives.

Le concept de schème

Piaget considère les capacités intellectuelles comme un ensemble de schèmes dont le modèle théorique est établi à partir des faits constatés cliniquement ou lors de tests. Les schèmes de l’intelligence peuvent être conçus comme des schèmes cognitifs. Le schème décrit le fonctionnement intellectuel tel qu’on peut l’objectiver en utilisant la méthode clinique et les tests.

Le concept de schème, fréquemment utilisée par Piaget, conduit à théoriser selon un modèle structural. Les schèmes expliquent les conduites constatées par les observations. Simples, ils se combinent rapidement en structures prenant une forme définie à un moment donné. Puis ces schèmes évoluent, de nouveaux schèmes apparaissent et les structures d’ensemble changent (se réaménagent).

Le schème ne constitue pas un objet de pensée, il existe seulement comme éléments supposés produire des actions et organiser la cognition. Par opposition, le concept est manipulé par la représentation et le langage (sous l’effet de la fonction sémiotique). Au début, n'existent que les schèmes. Ils sont, seulement dans un second temps, reconstruits de façon conceptuelle.

Le concept de schème donne une unité dans la façon de théoriser les capacités intellectuelles. Il étend cette conceptualisation au-delà de l’intellect vers l’affectif et le relationnel. Il y a des schèmes affectifs (l’imago est un schème affectif 4. Le schème est un concept qui renvoie à un niveau non empirique, celui des structures cognitives et affectives.

Représentation et abord empiriste

Jean Piaget rompt avec la psychologie associationniste fondée sur la notion de représentation-copie qui correspond à une philosophie de type empiriste. Il n’adhère pas non plus aux philosophies idéalistes ou aprioristes, supposant un savoir déjà présent auquel le sujet accéderait. Il essaye de saisir le mouvement de l’intellect, la dynamique cognitive à l’œuvre. Pour Piaget, la représentation n’est pas une copie intériorisée, une inscription, mais une construction qui se fait à son niveau propre. C’est une différence importante sur le plan épistémologique qui permet de penser la représentation comme un dispositif dynamique construit, qu’il faut théoriser sur une base empirique objectivée.

Le processus est complexe. La mémorisation imagée du jeune âge devient progressivement un schème complexe sensori-moteur stable, puis une représentation symbolisée. Au départ l’imitation intériorisée se différencie et s’autonomise grâce à une activité intelligente qui se produit alors même que le modèle est absent. La représentation-image, résultat de l’imitation, n’est donc pas une copie plus ou moins consciente de la réalité immédiatement accessible. « Elle résulte d’une construction », dont les matériaux sont empruntés au moteur et au sensible 5. C’est un schème construit par une activité qui décompose, compare, transforme et recompose. Un tel schème est présent vers 18 mois à 2 ans, puis il se transforme en représentation symbolique qui va jouer ensuite le rôle de signifiant (lorsqu’il sera relié à un signifié).

Piaget se démarque totalement de l’associationnisme : la forme intériorisée n’est en aucun cas une continuation de la vivacité sensorielle. Il y a une véritable théorie des formes signifiantes qui ne sont pas considérées comme des éléments empiriques simples issus d’une inscription perceptive de la réalité. Pour Piaget, l’intellect se construit, il a une genèse qu’il faut théoriser. C’est une différence majeure avec les psychologies associationnistes qui supposent des représentations inscrites ou copiées dans l’esprit. Il est aussi en opposition avec les psychologies introspectives ou phénoménologiques, qui supposent possible une saisie directe de l’esprit, car le fonctionnement intellectuel n’est pas conscient. Il doit être théorisé par le chercheur qui le constitue comme objet de recherche.

Conscient et inconscient

L’école piagétienne considère qu’une grande partie du fonctionnement cognitif est inconscient. Si l’accommodation de la pensée est en général consciente (du fait des obstacles), l’assimilation est, le plus souvent, inconsciente. De ce fait tout ce qui procède par assimilation échappe au sujet (à la conscience). L’inconscient est donc partout et concerne aussi bien l’intellectuel que l’affectif 6. Il ne faut pas en faire une région à part de l’esprit, car tout processus psychique passe de l’inconscient à la conscience7. Qu’il n’y ait pas de conscience des structures opératoires ne pose pas de problème à Piaget qui est très loin de la philosophie conscientialiste. Le fonctionnement psychique et cognitif n’est conscient, ni dans ses structures, ni dans ses processus.

Bien que cela dépasse le cadre de notre exposé, nous noterons au passage la compatibilité de cette psychologie cognitive avec la psychanalyse freudienne. Le psychisme de Piaget8, concerne le cognitif autant que l’affectif. Dans l’ensemble, il serait régulé par l’installation successive de trois mécanismes : le rythme, la régulation, le groupement. Le psychisme en tant qu’objet de la psychanalyse correspond à l’aspect affectif du psychisme de Piaget. Les deux conceptions sont compatibles 9, elles n’ont simplement pas le même objet. Piaget n’était pas hostile à la psychanalyse, mais il s’est plus intéressé aux aspects cognitifs qu’aux aspects affectifs et relationnels de la psychologie humaine. D’ailleurs, il refuse la séparation des deux et les conçoit comme un continuum. L’inconscient au sens de l’absence de perception consciente n’est pas pour Piaget un problème et pas spécialement lié à l’affectif et à la pathologie. Tout ce qui se constitue par assimilation échappe à la saisie consciente. Il ne faut pas faire de l’inconscient une région à part, car tout processus intellectuel ou psychique est inconscient. Il peut secondairement (par accommodation et sémiotisation dans la pensée), devenir conscient.

La fonction sémiotique

Jean Piaget a proposé l’idée d’une fonction sémiotique générale. Pour Piaget l’enfant, à partir de deux ans, développe une capacité qui lui permet d’accéder à l’univers symbolique. L’étude de sa genèse montre qu’elle se constitue par l’imitation et le jeu ce qui permettra ensuite l’acquisition du langage. À son origine se trouve la possibilité de forger une représentation, un signifiant, puis de lier ce signifiant à un référent externe.

La fonction symbolique est un « mécanisme commun aux différents systèmes de représentation ». C’est une capacité du sujet dont l’existence préalable rend possible « les interactions de pensée entre individus et par conséquent la constitution ou l’acquisition des significations collectives » 10. Selon Piaget « L’acquisition du langage est elle-même subordonnée à l’exercice d’une fonction symbolique qui s’affirme dans le développement de l’imitation et du jeu, autant que dans celui des mécanismes verbaux ». Cette fonction se constitue par la « conjonction entre l’imitation, effective ou mentale d’un modèle absent, et les significations fournies par les diverses formes d’assimilations » 11.

Rappelons qu’en 1942, Henri Wallon avait suggéré une antériorité de la fonction symbolique sur les systèmes symboliques et en particulier sur le langage12. C’est aussi l’avis de Guillaume auquel se réfère directement Piaget 13. Le terme sémiotique apparaît chez Piaget plus tard, vers 196014. Jean Piaget a théorisé la capacité de présentation différée sous le vocable de fonction sémiotique. Avant même que l'enfant n'acquiert les signes linguistiques, il utilise des représentants de différentes manières : par le jeu symbolique, par l’imitation différée, par les images mentales, motrices, visuelles ou auditives. Jusqu'en 1963, Piaget appelait cette fonction « symbolique », puis, suite à une remarque d’un linguiste, il a adopté le terme de fonction sémiotique, car son propos concerne non seulement l'emploi de symboles, mais encore et surtout celui des signes conventionnels du langage. Selon Piaget, le langage est « un cas particulier de la fonction sémiotique »15.

Piaget considère que cette capacité a pour origine le développement de l'imitation. L'imitation - d'actions, de gestes, de mimiques, d'événements, mais aussi de productions vocales et verbales - est d'abord immédiate pour ensuite devenir différée. Se met en jeu le processus fondamental de différenciation du représentant (signifiant) et du représenté (signifié) évoqué en son absence. Il adopte alors le terme de « fonction sémiotique »16 qui évite toute confusion avec le symbolisme, pour désigner la possibilité de présenter quelque chose (de concret ou d’abstrait), tant pour l'individu que pour les autres, grâce à une représentation ne servant qu’à cela et qui alors joue le rôle de signifiant.

Au final, la fonction sémiotique produit un lien entre deux éléments, un représentant et un représenté, quels qu’ils soient. Piaget s’appuyant sur la conception linguistique du signe assimile le représentant au signifiant et le représenté au signifié. Ce qui est signifié correspond à ce qui est désigné et ce qui est signifiant correspond à ce qui joue le rôle représentatif 17.

Sur la relation entre pensée symbolique et pensée conceptuelle, on lira les belles études cliniques de Jean Piaget dans La formation du symbole chez l’enfant.

Il écrit :

« c’est à l’âge de l’apogée du symbolisme que les noms et les rêves sont projetés dans la réalité externe. Au contraire, c’est lorsque le symbolisme est en baisse et que les concepts vrais succèdent aux préconcepts imagés que la pensée donne lieu à une prise de conscience suffisante pour que son fonctionnement acquiert une localisation introspective relative »18.

Autrement dit, ce sont les progrès opératoires abstraits et le passage vers une pensée verbale conceptuelle qui favorisent la dissociation entre le subjectif et l’objectif.

La fonction sémiotique, consiste dans le lien produit activement entre deux éléments, un représentant et un représenté, quel que soit l’objet évoqué et quel que soit le moyen de l’évocation. Ils sont conçus comme réciproques, se constituant l’un l’autre. Cette réciprocité subordonne la nature du signifiant et du signifié (ils sont relatifs). Cette réciprocité permet de rendre compte de l’évolution du mode de représentation qui de son aspect primitif, où l’objet concret précède sa représentation, se renverse ensuite19, lorsque la représentation imagée devient efficace et bien différenciée. Pour le sujet, selon la situation, tantôt les figures internes représentent la réalité et tantôt c’est la réalité qui représente ses figures internes. Cette conception met l’accent sur la capacité à faire le lien entre un représentant et un représenté. Cependant, en fin d'évolution, avec l’intelligence conceptuelle le signifiant correspond à l’aspect représentatif (image ou symbole) et le signifié à l’abstraction (concept).

3. Une épistémologie scientifique

L’épistémologie génétique

Piaget a voulu faire une de l’épistémologie une discipline proprement scientifique et non plus seulement théorique et réflexive comme en philosophie. Il a nommé la discipline qu’il veut constituer « épistémologie génétique » car, outre sa méthode appuyée sur l’expérience (clinique, tests, expérimentation), elle vise à reconstituer la genèse de la connaissance, alors que l'épistémologie traditionnelle n’en étudie que les aspects très évolués.

« Le propre de l'épistémologie génétique est ainsi de chercher à dégager les racines des diverses variétés de connaissance dès leurs formes les plus élémentaires et de suivre leur développement aux niveaux ultérieurs jusqu'à la pensée scientifique inclusivement. Mais si ce genre d'analyse comporte une part essentielle d'expérimentation psychologique, il ne se confond nullement pour autant avec un effort de pure psychologie » 20.

En 1947, Piaget se revendique plutôt comme psychologue. Il considère pratiquer une psychologie scientifique qui s’est constituée comme une transformation de la philosophie, ce qu’il inscrit dans un processus historique général, rappelant que :

«  toutes les sciences se sont détachées de la philosophie depuis les mathématiques au temps des Grecs jusqu’à la psychologie expérimentale vers la fin du XIXe siècle » 21. Mais, en retour, il est évident que la philosophie a été régulièrement enrichie par les grandes découvertes scientifiques […] » 22.

Mais, en 1970, il considère que qualifier son travail de psychologique n’est pas approprié, ou secondaire, car son intention est essentiellement de construire une épistémologie scientifique. Piaget considère finalement que travail ne se confond pas avec la psychologie. Il cite à ce sujet l’appréciation de l'American Psychological Association qui considère la dimension psychologique de son travail comme un « byproduct ». Son œuvre est d’abord une science de l’intellect, une épistémologique scientifique23, discipline autonome, mais indissociable de la biologie.

On sent qu’à ce moment de son évolution Piaget prend de la distance par rapport à son ambition de départ plutôt psychologique. C’est manifestement dû à son refus des orientations empiristes, expérimentalistes et behavioristes de la psychologie du moment. C’est aussi parce que, ce qui l’intéresse profondément, c'est la connaissance elle-même, la façon qu’ont les humains d’interagir cognitivement avec ce qui les environne de la manière pratique la plus primitive, jusqu’à la connaissance scientifique.

L’avantage « que présente une étude du développement des connaissances remontant jusqu’à leurs racines […] est de fournir une réponse à la question mal résolue de la direction des démarches cognitives initiales » 24. La question est de savoir si elles viennent des objets pour renseigner le sujet (comme le voudraient les empiristes) ou au contraire si elles lui sont endogènes (comme le prônent les tenants de l'apriorisme et de l’innéisme).

« De façon générale, le problème que pose l’épistémologie génétique est de décider si la genèse des structure cognitives ne constitue que l’ensemble des conditions d’accession aux connaissances ou si elle atteint leurs conditions constitutives » 25.

L’originalité de Jean Piaget est d’étudier empiriquement ce qui, jusque-là, était pensé de manière purement théorique par la philosophie. D’où son ambition finale de passer d’une épistémologie philosophique à une épistémologie scientifique à dimension empirique. Cela permet de répondre aux grands problèmes de l’épistémologie philosophique qui sont les suivants :

1/ Les structures cognitives constituent-elles seulement des conditions nécessaires à la connaissance ou 2/ sont elles constitutives du processus de connaissance ? 3/ Y-a-t-il création des structures cognitives par filiation ou sont-elles préexistantes (préformées) ? Dans le second cas comment préexistent-elles, a) dans la réalité ou b) a priori dans le sujet ou c) dans le supra monde des Idées platoniciennes?

Piaget donne la réponse suivante :

« l’ambition de l’épistémologie génétique était de montrer, par l’analyse de la genèse elle-même, l’insuffisance de ces trois hypothèses, [3a 3b 3c] d’où la nécessité de voir en la construction génétique au sens large une construction effectivement constitutive 26.

Il lui semble au terme d’années d’études empiriques que cette ambition de l’épistémologie génétique était fondée. La genèse et l’histoire des structures cognitives montrent qu’elles ne sont préformées, ni dans le monde idéal des possibles, ni dans les choses, ni dans le sujet, et « c’est donc que leur construction historico-génétique est authentiquement constitutive et ne se réduit donc pas à un ensemble de conditions d’accession » 27.

Jean Piaget a montré que l’enfant n’acquiert pas seulement un savoir sur ce qui l’entoure, mais surtout et principalement qu’il se constitue une capacité à connaître, capacité qui évolue au fil du temps par les interactions continues entre lui et son milieu. Il théorise cette interaction grâce aux concepts d’assimilation et d’accommodation. Ces capacités sont vues par Piaget comme des structures cognitives que l’on peut mettre en évidence et théoriser.

Un structuralisme prudent

Énoncée dès 1953 (cours à la Sorbonne), la définition qu’il adopte se retrouve inchangée en 1968. Une structure est l’existence d’une totalité organisée présentant des caractères de complétude, de stabilité et d’équilibre. On peut en faire la théorie par une construction hypothétique qui rend compte du système et des variations du système selon des règles.

Piaget sépare nettement la construction théorique du chercheur et le système réel d’interaction dont elle rend compte. « La structure doit pouvoir donner lieu à une formalisation. Seulement, il faut bien comprendre que cette formalisation est l’œuvre du théoricien, tandis que la structure est indépendante de lui […] le mode d’existence de la structure qu’il découvre est à préciser en chaque domaine particulier de recherche » écrit-il dans Le structuralisme en 1968.

Dans le cas de la connaissance il s’agit d’un ensemble organisé de pouvoirs, potentialités ou capacités intellectuelles que l’on est obligé d’attribuer à l’individu eu égard à ses performances. Piaget ne s’engage pas sur le plan ontologique et reste réservé sur la forme d’existence (ou mode d’existence) de ces capacités. Les structures intellectuelles sont source de pouvoir déductif. De l’ensemble coordonné de schèmes, on peut déduire des conséquences.

Dans les années 1960, Piaget concilie structure et genèse, esquivant l’opposition convenue entre les deux en décrivant la constitution progressive des structures cognitives.

Sa conclusion est la suivante :

« la connaissance ne saurait être considérée comme prédéterminée ni dans les structures internes, puisqu’elles résultent d’une construction effective et continue, ni dans les caractères préexistants de l’objet, puisqu’ils ne sont connus que grâce à la médiation de ces structures et que celles-ci les enrichissent et le encadrent... » 28.

Les capacités cognitives sont des élaborations successives, à chaque fois renouvelées, qui s’accompagnent de contraintes formelles et simultanément permettent la conquête de l’objectivité.

4. La philosophie de Jean Piaget

Positionnement général

Jean Piaget s’est éloigné de la philosophie. Il parle même de « déconversion » philosophique et il en note avec indignation les raisons :

« Que tant de philosophes se donnent le droit de parier de tout sans méthodes de vérification, cela ne date pas d'hier et ne regarde qu'eux. Qu'ils présentent le produit de leur réflexion comme une connaissance et même comme une forme supérieure de savoir, cela est plus grave ... » 29.

Il veut faire œuvre scientifique ce qui implique de différencier science et philosophie. À ce titre, dira-t-on que la science se réserve le domaine de la réalité expérimentale et que la philosophie est déduction pure ? « Mais les mathématiques sont là pour nous montrer le rôle proprement scientifique d’une déduction bien conduite » 30 réplique l’auteur.

L’implicite du propos est qu’en comparant deux disciplines purement théoriques l’une est scientifique et l’autre ne l’est pas. D’où vient le problème ? Il naît de la nature leurs objets respectifs ainsi que de leurs méthodes, dit Piaget. Les sciences s’occupent de questions particulières et la philosophie de questions générales, voire tendrait à « la connaissance totale » 31.

Cette définition de la philosophie par la généralité demande une explication. Elle a pour origine l’imbrication mutuelle des questions préalables dans la philosophie. Par opposition, le scientifique délimite un domaine au sein duquel il pose des questions particulières. La communauté scientifique peut répondre par étapes en accumulant des faits d’expérience et/ou en perfectionnant le raisonnement, jusqu’à ce qu’un accord des chercheurs se fasse. Ainsi la science avance 32, elle peut progresser dans ses résultats.

Inversement, la philosophie se donne des objets d’emblée trop complexes, une méthode de réflexion trop globale et procède sans les indispensables appuis factuels objectivés, ce qui ne permet pas un accord des auteurs entre eux, ni un cumul des savoirs.

S’il ne se revendique pas comme philosophe, Piaget a néanmoins développé une philosophie au sens d’une conception générale (ce qui pour lui définit la philosophie), à la fois ontologique et épistémologique. Cette conception englobe et oriente sa démarche scientifique. Nous en avons vu un premier volet sous le titre. Les grandes orientations conceptuelles de Piaget. Cela nous a permis de constater qu’il a défini le cadre épistémologique de son travail grâce à un ensemble cohérent de concepts. Définir un cadre épistémologique peut être considéré comme une démarche philosophique. Il y a également un second volet auquel nous allons nous intéresser maintenant. Conformément à ce que Piaget dit de la philosophie, il a bel et bien une conception générale du Monde et de la manière de le connaître, ce qui est effectivement du ressort de la philosophie.

Un naturalisme ?

Le travail de Piaget part d’un point de vue que l’on dirait de nos jours naturaliste, mais lui-même n’emploie pas le terme. Du point de vue d’une ontologie générale, il considère l’Univers de façon continue. Il se réfère à un Univers sans coupure au sein duquel l’Homme est pleinement inclus. Du point de vue anthropologique, Piaget considère l’Homme comme un individu en interaction avec son environnement et se construisant dans cette interaction. Cette idée, qui vaut pour les comportements simples, reste valable pour l’élaboration des connaissances élaborées (scientifiques). Son épistémologique scientifique est indissociable de la biologie.

Pour Piaget la biologie aidera à comprendre les structures cognitives 33 et considère la connaissance comme l’une des formes de l'adaptation du vivant à son milieu. Cependant, cela ne suppose pas de réductionnisme biologisant qui ramènerait l’intelligence et la pensée au cerveau, ni un rabattement des connaissances élaborées sur des formes élémentaires (behaviorisme). La genèse des structures cognitives est la condition constituante de la capacité à connaître de l’Homme. Elle existe nécessairement, mais sa forme d’existence (sa nature ontologique) est laissée en suspens.

Piaget se tient résolument en dehors du débat opposant spiritualisme et matérialisme. Les structures intellectuelles dont nous parle Piaget ne sont pas données pour être de nature spirituelle ou matérielle (biologique). Du point de vue ontologique, Piaget en reste à un agnosticisme, au sens où laisse en suspens le débat sur la nature de ce qui est. Du point de vue épistémologique, il prône aussi une continuité des savoirs. Piaget ne reprend jamais la distinction entre science de la nature et de l’esprit. Pour lui psychologie (épistémologie génétique) et biologie ne sont pas opposées et certains concepts sont utilisables dans les deux domaines 34. Accommodation, assimilation, coordination, réversibilité, équilibration, généralisation, sont aussi valables en ce qui concerne l’évolution des organismes, la structuration et les fonctions biologiques ou celles de la cognition.

Concernant la relation épistémo-ontologique (la relation entre la théorie et ce qui existe), il admet que les structures mises en évidence par le théoricien correspondent à des formes d’existence différentes selon le domaine considéré. Ce qui renvoie à un pluralisme ontologique (plusieurs formes d’existence). Mais il n’entre pas plus avant dans ce débat. Du coup, on ne peut pas inclure dans le naturalisme qui comporte toujours une dimension réductionniste. Le mieux est probablement de le laisser en dehors de ce débat. Pour lui, il y a une continuité ontologique et épistémologique qui n’est pas réductrice et qui conserve les différences.

Un constructivisme

Sur le plan épistémologique, le terme constructivisme s’entend en deux sens différents qui se complètent. Selon le premier sens, il désigne tout ce que nous avons vu précédemment, à savoir que l’enfant construit progressivement ses capacités intellectuelles dans un jeu d'interactions. Piaget a théorisé ce mouvement interactif grâce aux concepts d’assimilation et d’accommodation. Nous n’y reviendrons pas.

Plus généralement, constructivisme veut dire, dans le cas des savoirs et connaissances élaborées comme les sciences, que leur histoire montre une construction collective et progressive. Tel un édifice architectural de grande ampleur le savoir scientifique s’édifie, est remanié, démoli et reconstruit. La capacité à connaître elle-même évolue et elle a une genèse que l’on peut suivre.

Il y a encore un autre sens à ce terme, auquel nous allons nous intéresser plus précisément : la remise en question du réalisme empirique.

L’idée d’une construction de la réalité peut être daté de 1937 avec la parution du livre « La construction du réel chez l’enfant ». Le titre du livre est provocateur. Il affirme que la réalité est construite, contrairement à l’idée commune la situant comme un donné présent extérieurement à soi. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas du tout un antiréalisme qui est prôné ici, mais un point de vue fondé sur l’interaction de l’individu connaissant avec son environnement. Ce qui implique un point de vue aussi subtil qu’inédit.

L’enfant situe progressivement ce qui l’entoure comme quelque chose possédant des caractéristiques propres et auquel s’appliquent des schèmes cognitifs concernant les choses concrètes, l’espace, les relations causales, et enfin le temps. L’étude longitudinale du développement montre le passage d’un état intellectuel dans lequel le monde vécu est centré sur l’individu (qui croit diriger tout en s’ignorant lui-même), à un autre état par lequel l’individu se situe dans un environnement indépendant de son activité propre.

Piaget met en avant le principe fondateur d’une nouvelle épistémologie : l’interaction constructive :

« L’intelligence ne débute ainsi ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction, et c’est en s’orientant simultanément vers les deux pôles de cette interaction qu’elle organise le monde en s’organisant elle-même ».35

« C’est en fin de compte ce processus de mise en relation entre un univers toujours plus extérieur au moi et une activité intellectuelle progressant en intériorité qui explique l’évolution des catégories réelles, c'est-à-dire des notions d’objet, d’espace, de causalité et de temps ».36

Autrement dit, la réalité n’est pas par nature objective, elle est objectivée par une activité cognitive qui la situe comme telle. L’environnement a bien une existence concrète, autonome et objective, mais cet aspect doit simultanément être considéré comme une construction. Comme elle vient précisément de l’interaction, elle ne peut être posée comme un absolu. La position est difficile à saisir, car elle contrevient à l’habituelle dichotomie entre sujet et réalité. L’individu est lui-même dans la réalité et ne peut prétendre ne pas y être. La réalité telle que les humains la perçoivent existe à la foi objectivement et simultanément relativement à la connaissance interactive qu’ils en ont.

Ce réalisme relatif et nuancé est en rupture avec la tradition philosophique empiriste, car ni la sensation, ni même la perception, ne suffisent pour informer l’individu de ce qui l’entoure. L’important est l’action et plus précisément les interactions et leur prise en compte dans les schèmes praxiques et intellectuels. Le rôle central de l’action dément la possibilité d’une intériorité contemplative centrée sur (ou assimilée à) un sujet connaissant.

Selon la manière philosophique classique de poser le problème, on ne peut que :

« se demander si toute information cognitive émane des objets et vient du dehors renseigner le sujet, comme le supposait l’empirisme traditionnel ou si, au contraire, le sujet est dès le départ muni de structure endogènes qu’il imposerait aux objets selon les diverses variétés d’apriorisme ou d’innéisme » 37.

« […] le postulat commun des épistémologies connues est de supposer qu’il existe à tous les niveaux un sujet connaissant […] des objets existants […] des instruments d’échange (perception ou concepts) […]  38.

Certes, une fois constituée, l’expérience normale et commune est organisée pour distinguer un univers extérieur et un moi pensant intériorisé. Cette façon ordinaire de voir s’impose et elle est formulée par l’opposition entre le sujet pensant et les choses extérieures à lui. Ce qui est entériné par la métaphysique dualiste qui distribue l’existant entre substance pensante (ou esprit) d’un côté et substance étendue (corps et matière) de l’autre.

Dans une conférence de 1975, donnée à Amsterdam 39, Piaget définit l’épistémologie constructiviste comme une méthode d’analyse de l’interaction entre l’individu et le monde environnant supposant que c’est ainsi que se constituent les connaissances humaines. Il l’oppose à une vision de type empiriste naïve pour laquelle les connaissances viendraient de l’objet et, tout autant, à l’attitude innéiste pour laquelle les connaissances viendraient des idées innées du sujet. On trouve une explicitation de l’épistémologie constructiviste dans Logique et connaissance scientifique, livre résultant d’un énorme travail coordonné par Piaget. On peut y lire :

« la position constructiviste […] consiste […] à considérer la connaissance comme liée à une action qui modifie l’objet et qui ne l’atteint qu’au travers des transformations introduites par cette action […] Il n’y a pas en droit de frontière entre le sujet et l’objet ». C’est le point central pour Piaget, « l’interaction du sujet et de l’objet » 40.

Le constructivisme amène à mesurer la distance entre la réalité construite et ce qui existe. L’expérience ordinaire constitue pour nous la réalité, c’est-à-dire ce qui nous apparaît comme tel au titre d’une adaptation pratique réussie à notre environnement. Il est évident qu’elle dépend de nos possibilité d’interactions qui sont limitées et imparfaites. On peut aussi noter à cette occasion que les sciences et les techniques élargissent la réalité à des champs qui sont spontanément inaccessibles à l’Homme.

Avec l’épistémologie génétique et constructiviste, la façon d’aborder l’intellect humain change radicalement par rapport aux diverses conceptions philosophiques de la connaissance et de l’Homme. Cette perspective ne considère plus un sujet face au monde, un esprit scrutant la matière, mais un individu humain actif en interaction avec ses divers environnements. On quitte l’immédiateté pour suivre la manière dont les capacités à connaître évoluent dans le temps avec la maturation intellectuelle et collective dans une édification progressive des savoirs.

On sort complètement de l’opposition traditionnelle entre l’empirisme et l’idéalisme pour ce qui est de la possibilité de connaître. Après les travaux de Piaget, il apparaît que l’individu humain connaissant ne perçoit pas une réalité déjà là, posée devant lui, mais que, par étapes et dans l’interaction, il forge les schèmes praxiques et catégoriels qui vont permettre de construire ce qu’il nomme, à terme, la réalité.

Jean Piaget a bien une philosophie au sens d’une conception générale (ontologique et épistémologique) qui englobe et oriente sa démarche scientifique. Réciproquement, ses travaux scientifiques influent sur sa philosophie et l’ensemble un tout homogène et cohérent.

Conclusion

La psychologie de la connaissance élaborée par Jean Piaget est d’abord une recherche épistémologique qui aboutit à affirmer l’existence de structures cognitives se construisant progressivement au cours de la vie humaine.

Sur le plan philosophique, il montre de manière probante que ce qui est considéré comme la réalité résulte d’une objectivation progressive, issue de l’interaction entre l’individu connaissant et son environnement. Cela démet la doctrine empiriste de ses prétentions, mais n’accrédite, ni l’idéalisme, ni l’innéisme, car les capacités intellectuelles sont édifiées progressivement par chaque individu au cours de son développement.

Piaget, sur le plan ontologique, considère les structures cognitives mises en évidence comme une « puissance », une capacité, que possèdent les individus. Il suppose une double continuité. Une continuité sur le plan épistémologique (entre les sciences) et une continuité ontologique (entre les formes d’existence). Même s’il ne se présente pas comme philosophe, Piaget a un positionnement philosophique cohérent et original.



Bibliographie :

Piaget Jean,

- « Les trois structures fondamentales de la vie psychique : rythme régulation, groupement », Revue Suisse de psychologie pure appliquée,1, 1942.

- « Du rapport des sciences avec la philosophie », Synthèse, Amsterdam, 1947.

- La construction du réel chez l’enfant, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1967.

- La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchatel-Paris, 1976,

- Biologie et connaissances, Paris, Gallimard, 1967.

- Logique et connaissance scientifique, Paris, PUF, 1967.

- Sagesse et illusions de la philosophie, Paris, PUF, 2 éd. 1972.

- L’épistémologie génétique, Paris, PUF, 1970.



Autres :

Cobliner W.G., « L’école genevoise de psychologie génétique et la psychanalyse : analogies et dissemblances », in De la naissance à la parole, Paris, PUF, 1976.

Schmidt-Kitsikis E., Théorie et clinique du fonctionnement mental, Bruxelles, Mardaga, 1985.

Piaget J., Inhelder B., La psychologie de l’enfant, Paris, PUF, 1966.

 

Webographie :

Piaget, Jean. Goretta, Claude. Piaget on Piaget. film réalisé par Yale University. 1975. https://www.youtube.com/watch?v=I1JWr4G8YLM.

https://edutechwiki.unige.ch/fr/Piaget_et_le_constructivisme

Piaget, Jean. Du rapport des sciences avec la philosophie. Synthèse, Amsterdam 1947. https://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/textes/VE/JP70(47)_PsychEpist(5)_DuRapportSciencesPhilo.pdf

 

Notes :

1 Piaget Jean, L’épistémologie génétique, Paris, PUF, 1970, p. 6.

2 Ibid.

3 Piaget Jean, Inhelder Barbel, La psychologie de l’enfant, p. 74.

4 Piaget Jean, La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1976, p 200.

5 Piaget Jean, La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchatel-Paris, 1976, p. 72.

6 Piaget Jean, La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1976, p. 183.

7 Ibid p. 182-183.

8 Piaget J., « Les trois structures fondamentales de la vie psychique : rythme régulation, groupement », Revue Suisse de psychologie pure appliquée,1, 1942

9 Voir Cobliner W.G., « L’école genevoise de psychologie génétique et la psychanalyse : analogies et dissemblances », in De la naissance à la parole, Paris, PUF, 1976. Schmidt-Kitsikis E., Théorie et clinique du fonctionnement mental, Bruxelles, Mardaga, 1985.

10 Piaget J., La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchatel-Paris, 1976, p 9.

11 Ibid. p. 6.

12 Wallon H., De l’acte à la parole, Paris, Flammarion, 1942.

13 Guillaume « La psychologie des singes », in Dumas, Nouveau traité de psychologie, cité par Piaget p. 70.

14 Piaget J., Inhelder B., La psychologie de l’enfant, Paris, PUF, 1966, p. 41. L’image mentale chez l’enfant, Paris, PUG, 1966, p. 447.

15 Piaget Jean,Schèmes d'action et apprentissage du langage

16 Piaget J., Inhelder B., La psychologie de l’enfant, Paris, PUF, 1966, p. 41.

17 Piaget J., La formation du symbole chez l’enfant, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1976, p. 131. L’image mentale chez l’enfant. Paris, PUF, 1966, p. 451.

18 Piaget Jean, La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1976, p. 271.

19 Piaget Jean., La formation du symbole chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, Neuchatel-Paris, 1976, p. 294.

20 L'épistémologie génétique, Paris, Presses Universitaires de France, 1970, pp. 6-7.

21 Ibid.

22 Ibid.

23 Piaget Jean, L'épistémologie génétique, Paris, Presses Universitaires de France, 1970, pp. 6-7

24 Piaget Jean, L’épistémologie génétique, Paris. PUF, 1970, p. 11.

25 Piaget Jean, L’épistémologie génétique, Paris, PUF, 1970, p. 115.

26 Ibid., p. 116.

27 Ibid., p. 120.

28 Ibid., p.5.

29 Piaget Jean, Sagesse et illusions de la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 2 éd. 1972, p. 87.

30 Piaget, Jean. Du rapport des sciences avec la philosophie, Synthèse, Congrès Amsterdam, 1947 , p. 113.

31 Ibid. p. 114.

32 Ibid., p.116.

33 Piaget Jean, Biologie et connaissances, Paris, Gallimard, 1967.

34 Piaget Jean, Biologie et connaissance, Paris Gallimard, 1967.

35 Piaget Jean, La construction du réel chez l’enfant, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1967, p. 311.

36 Ibid., p. 312.

37 Piaget Jean, L’épistémologie génétique, Paris, PUF, 1970, p 11.

38 Ibid.

39 Piaget Jean, « Du rapport des sciences avec la philosophie », Synthèse, Amsterdam 1947.

40 Piaget Jean, Logique et connaissance scientifique, Paris, PUF, 1967, pp. 1244-1248.

 

L'auteur : Juignet Patrick