Après Zénon, Platon et Aristote s’étaient attaqués à l’énigme du mouvement. C’est au XVIIe siècle seulement qu’on put enfin la résoudre. Peut-on, comme Koyré, ramener cette Révolution scientifique à la mathématisation de la nature ? Archimède avait déjà mathématisé la statique, mais pour passer à la dynamique, il fallait étendre ce formalisme au temps. Cela nécessitait le développement préalable de nouveaux concepts physiques, en particulier l’inertie.

Quelles furent, dans ce processus, les contributions respectives de Copernic, Kepler, Galilée et Newton, et d’un philosophe comme Descartes ? La conscience des heures égales, qui avait accompagné la diffusion des horloges mécaniques, a-t-elle joué un rôle dans la décision de prendre le temps comme variable ? Cette science moderne est-elle d’origine chrétienne, comme le prétendent Kojève et tant d’auteurs ? Qu’en est-il du monde arabe, de la Chine ?

Ces interrogations soulèvent bien des débats. En analysant le rôle fondamental, mais aujourd’hui encore méconnu, de la période hellénistique dans la genèse de la science moderne, et en réexaminant la découverte du principe d’inertie ainsi que sa relation au temps, l'ouvrage La mathématisation du temps De la science hellénistique à la science moderne entend proposer une vision plus juste de la Révolution scientifique. L'essai de Jean-Pierre Castel et Jean-Claude Simard met en évidence son origine hellénistique, archimédienne, puis marchande, via notamment le temps des marchands. Il réfute en conséquence la thèse de son origine chrétienne, thèse qui a pourtant pignon sur rue, tant chez les théologiens que chez les philosophes, les historiens, voire les psychanalystes, et même chez certains scientifiques contemporains.

Les auteurs remettent en cause la caractérisation habituelle de la Révolution Scientifique par la mathématisation de la nature. En effet, Euclide avait déjà mathématisé l’espace et Archimède les masses. Pour passer de la statique à la dynamique, c’était cette fois-ci non pas la nature, mais le temps qu’il fallait mathématiser. Or une nouvelle conception du temps, un temps laïcisé, abstrait et uniforme, avait émergé dans les cités marchandes médiévales, concomitamment avec l’invention de la diffusion des horloges mécaniques. La découverte par Galilée du principe d’inertie avait alors fourni, via les mouvements inertiels, l’étalon d’un temps dès lors mesurable, et donc mathématisable.

Castel Jean-Pierre Simard Jean-Claude, La mathématisation du temps De la science hellénistique à la science moderne, Vrin / Presses de l’Université Laval – 2024.