Revue philosophique

Le réductionnisme porte sur deux aspects : la manière de connaître (enjeu épistémologique) et ce qui existe dans le Monde (enjeu ontologique), qui se rejoignent et se complètent.

Selon la doctrine réductionniste, la bonne manière de connaître est analytique. Il convient de décomposer le domaine de recherche en autant de parcelles que possible, jusqu'aux plus élémentaires. Cette décomposition permettra la meilleure explication. Il s’y associe un présupposé ontologique : le complexe peut se ramener au simple qui constitue vraiment le Monde. Aller vers l’élémentaire, c’est aller vers le réel, vers ce qui existe fondamentalement.

Le réductionnisme s'appuie sur la métaphysique matérialiste selon laquelle le Monde est constitué d'une unique substance de base, la matière, elle-même composée de briques élémentaires. Les différentes formes identifiables de l'Univers sont rapportables, dérivables, explicables, etc.… à partir d’un niveau de base supposé (de ses constituants ou de ses propriétés) car ces formes sont déterminées par lui.

Le réductionnisme s'est imposé à partir du Discours de la Méthode de René Descartes. Il a été repris par Newton qui estime que les « puissances actives, attraction et répulsion qui règlent le cours des astres et la chute des corps » sont valables pour la combustion, la fermentation, le magnétisme, etc.… Au milieu du XIXe siècle, on le retrouve en biologie. Helmholtz et Brücke, physiologistes de renom, veulent établir « qu’aucune autre force que les forces physico-chimiques courantes ne sont en action dans l’organisme ».

En résumé, on peut distinguer deux aspects du réductionnisme :

- Un réductionnisme épistémologique qui est un principe de méthode. Il est parfaitement légitime et a montré sa fécondité. Il choisit le plus fort degré de simplicité pour résoudre un problème. Sa généralisation est abusive, car elle suppose que l'on aura une explication complète du monde à partir de la physique.

- Un réductionnisme ontologique, pour lequel tout niveau d'organisation supérieur est le résultat, sans aucun ajout ni différence, de la composition additive ou causale des éléments du niveau inférieur et ainsi de suite jusqu'au dernier, le plus élémentaire (celui des particules élémentaires). Ce dernier niveau constituerait véritablement le réel.  Le physicaliste nie que les ensembles organisés complexes aient une existence.

Le terme de « physicalisme » a été inventé par Rudolf Carnap en 1931 (Die Physische Sprache als Universalsprasche der Wissenschaft, 1931). Cet auteur désigne ainsi le nécessaire remplacement dans tous les domaines d'étude de la langue utilisée par celle de la physique. Pour Otto Neurath, s'il n'est pas certain que les lois de la biologie puissent se réduire aux lois de la physique, au moins les énoncés devraient être exprimés en concepts physiques. C'est ce que Neurath appela lui aussi physicalisme, en un sens un peu moins général et moins réducteur que Rudolf Carnap. Ces deux philosophes ont participé au Cercle de Vienne qui voulait une unité de la science rendue possible grâce à un langage commun. Les langages des différentes sciences devraient pouvoir être harmonisés et les travaux des chercheurs exprimés dans le langage de la physique.

Sur le plan de l’organisation des connaissances scientifiques, le projet réductionniste physicaliste a l’ambition de ramener les sciences humaines à la biologie, la biologie à la chimie, et la chimie à la physique. Pour Einstein, les lois générales de la physique permettront de construire « la théorie de tous les phénomènes de la nature, y compris ceux de la vie ». Selon la thèse physicaliste, le monde est uniquement constitué par ce que décrit la physique. Les connaissances qui prétendent rendre compte des aspects biologiques, écologiques, ou sociaux, ne sont acceptables qu'à titre provisoire et devront être remplacées par la physique.

Le principe d’une réduction ontologique aboutissant au physicalisme est un postulat indémontrable. La diversification des sciences est plutôt en faveur d'une pluralité ontologique et d'une diversification des méthodes.