Écrit par : François-Hugues Parisien
Catégorie : Idéologie, croyance, société

Le transhumanisme

 

Le transhumanisme prône l'usage des sciences et des techniques afin de développer les capacités humaines et de dépasser les limitations de l'homme.

Transhumanism advocates the use of science and technology in order to develop human capabilities and overcome human limitations.

 

Pour citer cet article :

Parisien, François-Hugues. Le transhumanisme. Philosophie, science et société. 2015. URL : https://philosciences.com/transhumanisme.

 

Plan de l'article :


  1. De quoi s'agit-il ?
  2. Les aspects socio-économiques
  3. Philosophie du transhumanisme
  4. Le transhumanisme comme force politique ?

 

Texte intégral :

1. De quoi s'agit-il ?

Le transhumanisme est un mouvement social complexe qui associe le développement technologique dans l'informatique et la biotechnologie à des considérations idéologiques et philosophiques, l'ensemble étant soutenu par une poussée économique et technologique considérable tout particulièrement au XXIe siècle.

Le transhumanisme envisage une future coexistence harmonieuse, voire une symbiose entre l'homme et les technologies avancées au service de l'amélioration de l'expérience humaine. L'humanité peut aspirer à être plus que ce qu'elle est actuellement par l'augmentation des capacités cognitives, de la santé et par la prolongation de la vie.

En 1957, le biologiste Julian Huxley, le frère d'Aldous Huxley, a été l'un des premiers à employer le mot « transhumanisme ». Dans son acception la plus centrale, le transhumanisme est une approche interdisciplinaire qui cherche à évaluer les possibilités de surmonter les limites de l'homme grâce aux progrès technologiques. Le développement technique permet d'augmenter les capacités et possibilités de l'homme depuis toujours (de la roue à la maîtrise de l'énergie atomique, en passant par l'imprimerie). Sur le plan philosophique, cette possibilité a été valorisée sous le terme de « progrès » par la modernité, mais il y a quelque chose de nettement différent dans le transhumanisme.

Le rapport à la technique prend une autre tournure avec les « nouvelles technologies » qui sont beaucoup plus proches du corps de l'homme. En effet, avec l'association de la biologie et du numérique, la frontière entre l'homme et les artefacts s'estompe. L'individu peut entrer en symbiose étroite avec des artefacts (voir l'article sur machine et artefacts) à titre individuel ou collectivement via internet.

Cette volonté d'augmentation par symbiose soulève des questions scientifiques, sociales et éthiques nouvelles. L'homme serait désormais en mesure d’intervenir techniquement sur sa propre évolution, non seulement à l’échelle de l’individu, mais aussi à celle de l’espèce. Il ne s’agit plus seulement « d'augmenter les capacités et possibilités de l'homme », mais de revisiter rationnellement le concept d’eugénisme !

Pour l'eugénisme, l'humanité y est déjà engagée, par le repérage de maladies génétiques et malformations pendant la grossesse et leur interruption si nécessaire. Il s'agit de fixer des limites éthiques et juridiques aux manipulations génétiques.

Les adversaires du transhumanisme  craignent, que les techniques d’augmentations ne tombent entre de mauvaises mains, qu’elles donnent lieu à une sorte de biopouvoir totalitaire. Le danger d’une utilisation de la technique contre la vie et la liberté est déjà largement présent.  L’utilisation de la reconnaissance faciale et du traçage permanent des citoyens par les États totalitaires existe, l’utilisation des techniques les plus sophistiquées dans les guerres est permanent. Cela n’a rein à voir avec le transhumanisme.

Les progrès techniques exigent que nous nous demandions ce que nous voulons faire par rapport à l’humain, et pourquoi. Les dangers d'une telle évolution préoccupent peu le mouvement transhumaniste qui est porteur d'un optimisme qui tranche (agréablement) avec l'ambiance morose actuelle.

2. Les aspects socio-économiques

Cette effervescence idéologique est en relation avec l'économie de la Silicon Valley et son évolution industrielle. L'argent se déverse massivement du fait de la réussite de Google et des investissements dans les start-up innovantes. Nous sommes dans le cadre d'un capitalisme concurrentiel triomphant. Par exemple, durant l'année 2015, Bill Maris, l'homme à la tête de Google Ventures, le fonds de placement de l'entreprise chargée d'investir dans les jeunes start-up digitales, disposera de 425 millions de dollars à placer. Selon des témoignages, l’idéologie de la Silicon Valley, c’est celle de la toute-puissance. Les seigneurs californiens rêvent d'être les maîtres du monde, mais il ne faut pas en déduire, selon eux, que « ce serait forcément mauvais pour l’humanité ».

L’Association Transhumaniste Mondiale a été fondée en 1998 afin d’encourager la discussion, la recherche et augmenter la visibilité de la pensée transhumaniste auprès du public. Les courants américains sont très centrés sur la liberté individuelle et le libéralisme économique, mais l'association « Humanity + » tend à être plus démocratique. En Europe, la réception du mouvement se fait comme d’habitude à travers notre filtre culturel propre. En France, la seule organisation structurée qui se réclame à ce jour du Transhumanisme semble être l’Association Française Transhumaniste : Technoprog ! Selon son président Marc Roux, elle se réclame ouvertement du « Technoprogressisme », autre nom du Transhumanisme démocratique.

3. Philosophie du transhumanisme

Les idées explicites

Le transhumanisme est une doctrine philosophique prétendant qu'il est possible d'améliorer l’humanité par la science et la technologie. Elle vise à libérer l’humanité de ses limites biologiques en surmontant l’évolution naturelle. Changer l'humain serait positif, car cela pourrait signifier la libération des contraintes de la nature, comme la maladie ou la mort. La plupart des transhumanistes sont athées et matérialistes. L'idée centrale est celle d'un dépassement de l'humain (et non de son élimination) par l'intermédiaire des techniques qui évoluent de manière très rapide.

On s’oppose parfois au transhumanisme au nom de la nature humaine, mais enfin la notion d’une nature en l’homme qui le constituerait complètement est contestable. Il serait ce que le déterminisme naturel fait de lui et n’aurait pas le choix d’autre chose. Ce naturalisme renvoie parfois au créationnisme : l’Homme est de nature et a été créé parfait par Dieu.

 Dans l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique, Kant évoque une anthropologie « physiologique » décrivant ce que la nature fait de l’Homme, et une anthropologie « pragmatique » décrivant ce que l’Homme fait de lui. Cette seconde possibilité, caractérise l’Homme. Prétendre la lui retirer est à la fois arbitraire et illusoire. Il vaudrait mieux parler des abus possibles et voir si le transhumanisme est das ce cas : d’outrepasser le raisonnable. 

Modestie et mégalomanie combinées

Le transhumanisme est porteur d'une vision de l'Homme complètement différente de celle de la tradition occidentale. L'homme est, dans cette doctrine, considéré comme un être insuffisant et limité qui peut être amélioré et dont les capacités doivent être augmentées. C'est la vision modeste d'un Homme qui n'est en rien parfait ou divin, mais au contraire faible et limité. On y retrouve la métaphysique de la Gnose de la haute Antiquité qui annonçait que la Création, avortée du fait de puissances maléfiques, pourrait être achevée et pleinement réalisée grâce aux savoirs et aux techniques. C'est le vœu d'immortalité qui trouve une nouvelle formulation. Grâce à sa fusion avec la bioinformatique, l'homme pourrait accéder à l’immortalité et égaler les Dieux.

Comment ? Par la technologie répond Nick Bostrom, professeur de philosophie à Oxford. 

« La refonte de l'organisme humain à l'aide de nanotechnologies avancées ou son amélioration radicale à l'aide d'une combinaison de technologies telles que le génie génétique, la psychopharmacologie, les thérapies anti-âge, les interfaces neuronales, les outils avancés de gestion de l'information, les médicaments améliorant la mémoire, les ordinateurs portables, et techniques cognitives ». 

« Nous pouvons aussi utiliser des moyens technologiques qui permettront à terme d’aller au-delà de ce que certains considèrent comme « humain ». Cela permettrait de former des transhumains supérieurs aux génies humains actuels, comme le sont les humains par rapport aux autres primates  (Bostrom, Nick (2003) The Transhumanist FAQ – A General Introduction – Version 2.1 World Transhumanist Association, http://www.transhumanism.org).

L'approche est naïve et simplificatrice quant à ce que c’est d’être humain et quelque peu mégalomane : Le surhomme arrive. 

Une philosophie de la technique et une éthique de l'humain ?

Pour Gilbert Hottois, le transhumanisme est une des formes de la philosophie de la technique en ce début de XXIe siècle. G. Hottois défend l’idée que l’homme est un cyborg naturel, c’est-à-dire un être technique, ce qui lui permet de sortir l’humanité de la condition animale. Son acception du terme technique est large, car il considère le langage comme une technique.

La technique permet de nous modifier, ce qui est possible puisque notre espèce n’est pas figée par la nature. L'amélioration est pour lui un droit individuel et même un devoir collectif. L’éthique humaniste nous commande de lutter contre la souffrance et la mort, et les moyens techniques permettant d'y parvenir sont légitimes. Le désir de parvenir à immortalité n’est pas le fruit d’un égocentrisme exacerbé, mais la manifestation de notre désir naturel de nous conserver. (Philosophie et idéologies trans/posthumanistes, p. 113).

L'augmentation de l'humain peut parfaitement être mise au service des passions délétères qui animent l'Homme. Le surhomme transhumain peut être un démon, si l'amélioration ne concerne que ses capacités et nullement son empathie et sa sociabilité. Le problème n'est pas abordé par le transhumanisme. Il n'est jamais question d'augmenter les capacités et possibilités de l'homme en matière de bienveillance ! Comme dans toute avancée technologique le problème éthique est celui de son utilisation.

Transhumanisme et idéologie post-moderne

Se présentant comme héritier de l'humanisme, le transhumanisme entend vouloir dépasser la condition humaine. Ce dépassement est-il compatible avec l'humanisme ? Rappelons qu’on désigne par humanisme le fait de mettre au premier plan et respecter sa dignité. À ce titre, le transhumanisme est un dérivé de l'humanisme, car il ne veut pas seulement préserver l'être de l'Homme, mais l'augmenter, le transformer. En plaçant la technique au cœur de la culture, l’humanisme classique est bouleversé, mais pas désavoué.

Le versant éthique de l'humanisme prône la dignité et la valeur de tous les individus humains, ce qui implique une égalité sociale. Mais, comme indiqué ci-dessus, une partie des transhumanistes se place dans une démarche élitiste et libertarienne, qui va à l'encontre de l'égalité. Celle-ci demande des régulations et des redistributions, car la vie économique et sociale telle qu'elle est actuellement augmente sans cesse les inégalités ; l'utilisation de techniques d'amélioration réservées à certains pourraient encore les aggraver.

Je citerai à ce sujet Jean-Michel Besnier, professeur d'Université à Paris-Sorbonne. Si l'être humain « est exempté des signes du vieillissement, ce monde ressemblerait extérieurement au nôtre. Le télescopage des générations ne sera guère bouleversant dans un contexte où l'on s'habitue à perdre les repères que dictaient dans les sociétés archaïques les structures de la parenté » (*). Dans notre enquête sur les changements civilisationnels et le brouillage philosophique et idéologique en cours, nous avons là un élément majeur. Les repères traditionnels de la parenté sont qualifiés d'archaïques, ce qui veut dire ancien, mais aussi inutiles et dépassés.

Nous avons là un trait typique de la post-modernité, l'abolition des repères de base. Alors que la modernité voulait un progrès scientifique et technique dans un cadre humaniste, on voit que le transhumanisme prétend s'affranchir de ce qui semble pourtant constituer l'humain. Évidemment, une critique s'impose. En est-on si sûr que les repères traditionnels soit contingents et puissent être dépassés sans provoquer des dysfonctionnements relationnels et sociaux majeurs ?

L'idée de post-modernité nous amène à celle de post-humanisme. La différence entre transhumanisme et post-humanisme est assez nette. Tous deux valorisent l'impact des nouvelles technologies sur l’humain et sur son environnement. Cependant, le transhumanisme est nettement optimiste et le post-humanisme plutôt pessimiste. Le terme post-humanisme fait référence à un post-humain ayant éventuellement quitté son statut peu enviable d’humain. Il est aussi lié au pessimisme de la post-modernité, né à la suite des grandes tragédies du XXe siècle qui ont produit un scepticisme face aux thèses humanistes et universalistes des Lumières.

Transhumanisme et idéologie néolibérale

Le transhumanisme s'inscrit complètement dans l'idéologie néolibérale de transgression des limites morales traditionnelles. Le néolibéralisme vise l’augmentation des droits individuels et la libéralisation permanente des mœurs, ce qui a pour conséquence une dissolution des valeurs traditionnelles, une transformation sociale profonde. L’idéologie néolibérale sape un certain nombre principes culturels de base des communautés traditionnelles, sans pour autant en évaluer les conséquences, ni préciser le but poursuivi.

C'est aussi le cas du transhumanisme qui emboîte le pas à cette aventure imprudente. Les options politiques volontiers libertariennes des transhumanistes méconnaissent les effets sociaux néfastes de la compétition et de la concurrence entre groupes sociaux et entre individus. C'est l'une des critique à laquelle il s'expose. 

Zoltan Istvan, candidat à l'élection présidentielle aux USA pour 2016, en parlant des possibilités techniques permettant de changer de genre, de race, de morphologie, des manipulations génétiques ou du clonage, annonce « que chacun s'en servira s'il veut » (**). Une telle attitude renvoie à un individualisme absolu faisant fi du collectif, thème caractéristique du néolibéralisme, ici poussé vers l'extrême.

La relation étroite du transhumanisme avec l’univers marchant et plus particulièrement les « GAFA » doit nous mettre la puce à l’oreille. Le transhumanisme est étroitement lié au marché et pousse à la consommation de produits techno-pharmacologiques. C’est le côté idéologique du transhumanisme qui n’est en rien négligeable. L’idéologie transhumaniste met en avant un idéal valorisé d’augmentation de l’humain pour favoriser une pratique toute différente liée à des intérêts économiques : augmenter la vente des technologies de pointe. « L’utopie du transhumanisme ne porte pas sur l’humain, mais sur le marché. Il le fait pénétrer dans des secteurs où il n’a pas encore pu pénétrer, le corps ». (Hunyadi Mark, Interview sur France Culture, 09/10/2018). Le transhumanisme agite des promesses qui font acheter.

4. Le transhumanisme comme force politique ?

Zoltan Istvan a créé en 2014 un parti Transhumaniste. La plateforme électorale du parti transhumaniste est la suivante :

1) Implement a Transhumanist Bill of Rights mandating government support of longer 
lifespans via science and technology.
2) Spread a pro-science culture by emphasizing reason and secular values.
3) Create stronger government policies to protect against existential risk (including artificial intelligence, plagues, asteroids, climate change, and nuclear warfare and disaster).
4) Provide free education at every level ; advocate for mandatory preschool and college education in the age of longer lifespans.
5) Create a flat tax for everyone.
6) Advocate for morphological freedom (the right to do anything to your body so long as it doesn’t harm others).
7) Advocate for real-time democracy using available new technologies.
8) End costly drug war and legalize mild recreational drugs like marijuana.
9) Create government where all politician’s original professions are represented equally (the government should not be run by 40% lawyers when lawyers represent only 10% of the country’s jobs).
10) Significantly lessen massive incarcerated population in America by using innovative technologies to monitor criminals outside of prison.
11) Strongly emphasize green tech solutions to make planet healthier
12) Support and draft logistics for a Universal Basic Income
13) Reboot the space program with significantly increased government resources
14) Develop international consortium to create a "Transhumanist Olympics"
15) Develop and support usage of a cranial trauma alert chip that notifies emergency crews of extreme trauma (this will significantly reduce domestic violence, crime, and tragedy in America)
16) Work to use science and technology to be able to eliminate all disabilities in humans who have them
17) Insist on campaign finance reform, limit lobbyist’s power, and include 3rd political parties in government
18) Create a scientific and educational industrial complex in America instead of a military industrial complex. Spend money on wars against cancer, heart disease, and diabetes—not on wars in far-off countries

 

Le fait de pouvoir se présenter aux élections présidentielles américaines montre une capacité financière et sociale importante, mais il est difficile d'en évaluer l'ampleur exacte. Malgré la popularité du mouvement, la création d’un parti est risquée dans un pays religieux et conservateur. Par ailleurs, la mouvance transhumaniste se veut apolitique et le choix de monter un parti a provoqué la réprobation de la majorité des grands noms du mouvement.

Conclusion

Le transhumanisme et un mélange complexe idéologique et philosophique porté par des progrès techniques et un élan économique de grande ampleur. Les avancées technologiques posent en termes nouveaux des questions sur l'homme débattues depuis un siècle. Il est philosophiquement ambigu, car il se déclare humaniste, mais aussi enclin à supposer un dépassement de l'humain sur un mode élitiste. Notons que les valeurs individualistes, élitistes et libertariennes véhiculées par le transhumanisme sont peu compatibles avec une vie sociale harmonieuse. Conformément aux principes de la revue, le présent article signale les enjeux et problèmes du transhumanisme sans prendre parti, donnant à chacun la possibilité d’arbitrer selon son jugement.

 

Bibliographie et références :

* BESNIER, Jean-Michel. Entretien. In : Atlantico [en ligne]. 2015. Disponible à l'adresse : http://www.atlantico.fr/decryptage/425-millions-dollars-pour-500-ans-esperance-vie-humaine-que-reserve-combat-google-contre-mort-fabrice-epelboin-laurent-alexandre-2035324.html

**Interview septembre 2015

Transhumanisme (article de Wikipedia)

Hottois G., Philosophie et idéologies trans/posthumanistes, Paris, Vrin, 2017.

HUNYADI Mark. Interview sur France Culture 09/10/2018. Disponible à l'adresse : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/trans-posthumanisme-et-lhumain-dans-tout-ca

Rey O., Leurre et malheur du transhumanisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2018.