Écrit par : Patrick Juignet

La notion d'anomie, utilisée par le sociologue Émile Durkheim, désigne la situation qui survient lorsque les règles sociales sont incompatibles entre elles ou qu'elles sont minées par les changements économiques et idéologiques en cours.

Dans son ouvrage De la division du travail social et le Suicide, Émile Durkheim considère l'anomie comme une pathologie sociale. Cette idée de pathologie sociale est intéressante ; elle contraste avec le relativisme que l'on a vu se développer ensuite en sociologie. Le terme de pathologie note quelque chose de défavorable, qui produit une souffrance individuelle et un dysfonctionnement collectif. Autrement dit fonctionnement et dysfonctionnement social ne sont pas considérés comme équivalents, même si Durkheim revendique une neutralité axiologique pour la sociologie.

Lorsque les sociétés évoluent, le changement provoque des troubles. La souffrance anomique vient de l'absence de règles communément admises, si bien que les liens qui rattachent l’individu à la société se désagrègent. Durkheim voit comme cause d'anomie, à la fin du XIXe siècle, un développement techno-économique trop rapide pour que la société s'adapte.

Au XXIe siècle, avec la mondialisation, l'économisme ambiant, on assiste à un changement du type décrit par Durkheim. On constate en même temps un brouillage idéologique, un changement des mœurs et un recul de certaines valeurs. L'ensemble conduit à une relative déstabilisation de l'ordre en cours : les lois et les règles en cours, le système politique, ne semblent plus garantir la régulation sociale. On peut aussi noter qu'au vide idéologique, symptôme de la post-modernité, a succédé une idéologie bigarrée de la tolérance excessive, du pas de vague, de la valorisation des particularismes et des communautarismes à une perte d'autorité de l'État. Il s'ensuit un malaise et un brouillage des repères.

Le monde politique et administratif, après des dizaines d'années de déni, de brouillage sémantique, parait en prendre conscience en cette année 2024. Il aura fallu pour cela l'assassinat de professeurs et d'élèves, des atteintes répétées à la laïcité et à la liberté académique. Il aura fallu que les minorités délinquantes, qui utilisent la menace et la terreur pour s'imposer, le fassent de façon trop voyante. Une réaction idéologique et politique se produit finalement. Le risque est qu'elle soit simpliste et réactionnaire.

Le philosophe doit s’abstenir de prises de positions politiques, mais il doit indiquer les valeurs dont procèdent les options politiques. Si l’on adopte une éthique humaniste, il en découle l'affirmation de la liberté d’expression, de la liberté de penser et la prohibition de la violence. Il en découle sur le plan politique le choix d’une république démocratique et laïque. D'une autre éthique, découlera un autre choix.