Revue philosophique

Au sens ordinaire, « matière » est la catégorie sous laquelle on range ce qui constitue les choses présentant une consistance et une résistance (le bois, l’acier, le marbre, etc.). Par extension, la physique considère, au niveau macroscopique, quatre états de la matière : solide, liquide, gazeux, plasmatique. Du point de vue ontologique (de l'être), la matière est une substance présentant des caractéristiques stables (elle est « étendue » pour Descartes, « dynamique » pour Diderot, etc.). 

Le problème vient du passage subreptice d'un sens à l'autre. La notion philosophique de matière résulte d’une extension de la notion concrète à la substance afin de lui donner une portée ontologique. Constatant l’existence de matériaux pouvant prendre diverses formes (opposition classique entre forme et matière) et avoir des caractéristiques, on en conclut à un matériau général. Le matériau ramené à sa généralité devient substance matérielle.

On peut aussi définir la notion de matière comme la catégorie résultant de l'extension des qualités secondes (sensibles, empiriques et subjectives) aux qualités premières (intelligibles, ontologiques et objectives), ces dernières étant issues d'une sorte d'épuration métaphysique du matériau sensible. Ainsi, Newton écrit : « Dieu forma, au commencement, la matière de particules solides, pesantes, dures, impénétrables, mobiles...» (Optique, livre 3, question 31).

Pour approcher l’idée de matière, on doit nécessairement se référer à John Locke pour qui toute chose se caractériserait par des qualités premières (étendue, mouvement, nombre, etc.) qui ont leur fondement dans la matière. Elles ont aussi des qualités secondes (solidité, couleurs, sons, saveurs, etc.) qui naissent dans l'esprit humain. La notion de matière est définie par Locke comme une « substance corporelle » ne relevant que des qualités premières.

L'extension de la notion courante à usage empirique vers un usage ontologique ou métaphysique est problématique. Elle aboutit à désigner une substance dont l'existence est improuvable et qui entraîne vers des spéculations invérifiables. Le matérialisme radical, lorsqu'il déclare que le réel est constitué par une unique substance matérielle, affirme un principe ontologique invérifiable, ce qui constitue par conséquent une métaphysique.

La matière est une notion vague généralement connotée de substantialisme. Il paraît préférable d'employer les termes de « composants physiques » et « systèmes physiques » lorsque l'on veut désigner ce dont s'occupent les physiciens, et celui de « matériau », lorsque l'on veut désigner ce qui constitue les objets ordinaires.