Actualités philosophiques, scientifiques et sociétales
L’œuvre de Jean Laplanche
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- Écrit par : Hèlène Tessier
Mardi 14 janvier 2025, 18h -19h15 ¤ En ligne, lien accessible à tous :
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ID de réunion : 910 5898 4956 Code d’accès : kTz3SV
Pas plus que d’autres disciplines, la psychanalyse ne se classe pas automatiquement dans la catégorie des pensées de la reconstruction. Par contre, comme dans d’autres disciplines, ce sont les orientations épistémologiques des auteurs qui permettent de déterminer si une pensée offre des moyens effectifs de lutter contre la déconstruction postmoderne et ses conséquences sur la conception de l’humain.
En psychanalyse, l’œuvre de Jean Laplanche constitue l’une de celles-ci. On pourra se demander pourquoi je n’ai pas choisi , comme la méthode envisagée par le séminaire sur la reconstruction le propose, de me concentrer sur les textes fondateurs de la psychanalyse, en l’occurrence, sur l’œuvre de Freud. Laplanche est non seulement un grand lecteur de Freud, mais il a aussi traduit les œuvres complètes de Freud en français. L’œuvre de Jean Laplanche s’est élaborée en débat avec la théorie freudienne. Il a mis l’accent sur ce que la découverte freudienne apporte à l’anthropologie humaine. Il en a cependant mis en relief les fourvoiements, parfois biologisants, parfois relevant du recours à des éléments mytho-symboliques en tant que catégorie originaire et héréditaire de l’âme humaine. Dans ses travaux, qui s’échelonnent de 1963 à 2006, il s’oppose aux courants postmodernes et irrationalistes qui se répandent dans la psychanalyse postfreudienne.
Bien que Laplanche soit une référence respectée dans les milieux psychanalytiques, ses contributions sont méconnues, sinon rejetées. L’épistémologie de l’œuvre de Laplanche est pour beaucoup dans le discrédit qui frappe sa théorie. Par son exigence de clarté et de cohérence, la pensée de Laplanche s’inscrit dans une épistémologie rationaliste qui se retrouve sous différents traits : insistance sur la dialectique, exigence de rendre compte de la formation des instances de l’âme de façon historique, accent sur le caractère singulier du refoulé individuel, refus du « créativisme » dans la formation de la sexualité infantile, rejet de l’hypothèse de contenus originaires de l’inconscient, distinction entre mythe et théorie, caractère humaniste de sa pensée de la transformation.
Laplanche affirme aussi le caractère scientifique de la métapsychologie : il postule que la psychanalyse constitue une science dans la mesure où elle vise à la quête de la vérité qui constitue pour lui une exigence de la pensée scientifique. Une vérité scientifique doit satisfaire à des critères de cohérence internes et externes à la discipline. Elle ne doit pas constituer une affirmation dogmatique, ni susciter l’adhésion par un acte de foi ou par la seule emprise affective ou esthétique. Elle requiert la possibilité d’un examen critique et doit être démontrée.
Laplanche s’oppose ainsi de façon directe aux thèses post-modernes. On peut en conséquence soutenir que sa théorie et sa méthode de recherche constituent une réfutation active des théories de la déconstruction et travaillent en sens inverse.
Méthode contre inconscient
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- Écrit par : Patrick Juignet
« Méthode, méthode que me veux-tu ? Tu sais bien que j'ai mangé du fruit de l'inconscient ».
Cette phrase de Gaston Bachelard se trouve en exergue de son livre La poétique de la Rêverie. Elle note l'agacement de l'imaginaire, nourri de motivations inconscientes, face à une méthode importune qui voudrait s'imposer. La réplique est amusante. Elle indique une irresponsabilité tranquille : tu sais bien que, si je divague, je n'y peux rien, car j'ai mangé du fruit (défendu ?) de l'inconscient. L'imaginaire demande à la méthode (la rationalité) qu'elle le laisse tranquille.
Bachelard attribue cette phrase à Jules Laforgue (Moralité légendaires, Mercure de France, p. 5). Ce dernier a en fait écrit « Méthode, méthode, que me veux-tu ? Tu sais bien que j'ai mangé du fruit de l'inconscience ! ». Laforgue met cette réplique dans la bouche d'un Hamlet parodique qui divague. Il s'agit pour le personnage de vivre sans méthode, hors de tout impératif. Au passage, il ridiculise l'impératif catégorique kantien en parlant d'un « impératif climatérique » ce qui n'a pas grand sens. L'inconscience fait ici allusion à l'ignorance ou l'indifférence quant aux conséquences de ses actes.
La phrase originelle, serait de Paul Valéry : « Méthode, méthode, que me veux-tu ? J’ai mangé du fruit du doute ». Elle apparaît dans les "Cahiers", qui sont constitués des notes prises chaque jour de 1894 à 1945. La signification est toute différente. La méthode rationnelle ne convainc pas l'auteur qui est habité par le doute. Le doute ressemble dans cette formulation à une sorte de péché intellectuel, un fruit défendu. On notera que le doute peut aussi être rationnel et faire partie de la méthode. Il est rationnel de douter méthodiquement de tout ce qui incertain, confus, obscur, affirmé sans démonstration.
Fermentation et génération spontanée
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- Écrit par : Patrick Juignet
Il y a deux siècles, le problème de la génération spontanée était encore irrésolu. Il mobilisait la philosophie, la biologie, la chimie et la médecine. Ce que l'on sait moins, c'est que la problématique de l’origine de la vie a été étroitement liée à l’histoire de la fermentation à la fin du XVIIIe et pendant tout le XIXe siècle. Deux grands paradigmes, à savoir la théorie chimique et la théorie physiologique, ont été proposés pour expliquer la cause et les mécanismes de la fermentation encore inconnus.
Les chimistes considèrent la fermentation comme un phénomène de catalyse dans lequel le ferment décompose le sucre pour produire de l’acide carbonique et l’alcool. D’autres chimistes tels que Liebig, soutiennent qu’elle est un phénomène de contact. Ils considèrent le ferment comme une substance morte d’origine végétale ou animale qui communique, par le contact, un mouvement de corruption à la matière fermentescible.
Quant à la théorie physiologique, elle considère que la levure est composée de globules vivants et organisés. De Cagniard-Latour à Louis Pasteur, en passant par Turpin et Béchamp, la fermentation est présentée comme un phénomène « corrélatif d’un acte vital ».
L’une des grandes controverses (scientifiques génération spontanée contre transmission vitale) s'alimente de cette opposition concernant la fermentation. La théorie chimique est compatible avec l’hypothèse de la génération spontanée alors que la thèse vitaliste du ferment réfute la génération spontanée.
Pendant ce temps, le développement de la biologie s'est poursuivi. La théorie des germes (théorie microbienne) parvient à vaincre l’hypothèse de la génération spontanée. Toutefois, l'observation de la fermentation sans cellules vivantes par Edouard Buchner ruine les prétentions de la théorie des germes concernant la fermentation. La théorie des microzymas (substances qui seraient responsables des réactions chimiques au niveau microscopique) tente de se poser en arbitre de la controverse.
La théorie microbienne de la maladie a connu finalement un destin heureux grâce aux succès de la vaccination, malgré les critiques ou réserves des médecins. Le « mythe » pastorien s’est construit autour de ces succès.
Source : Yacuba Kone, Fermentation et génération spontanée : de Pierre Jean-François (1775-1840) à Antoine Béchamp (1816-1908), Thèse 2024.